29 septembre 2010

Le cheval portugais


— Oh ! regarde le beau cheval. Il est beauuuuu !
— Je te l’ai déjà dit et je vais le répéter une dernière fois. Les seuls chevaux pour lesquels il vaut la peine de jeter un regard, ils ont un caparaçon et y’a un gros monsieur planté dessus et ce gros monsieur il a une grande lance en bois avec un bout en fer pour puyasser les toros et il parle avec une grosse voix comme çaaaa.
— Oui je sais tu me l’as déjà dit tout ça. Mais il est beau, non ?
— Il est à poil ton bourrin ! Tout nu, perdu, sans but, sans destin ! On dirait une pub pour un savon sans femme nue dedans. Y’a un manque, un vide. C’est un concept, tu peux pas comprendre, t’es trop petit.

Le problème du Portugal, c’est le cheval. Le problème du cheval portugais, c’est son endurance et le fait qu’il déteste porter le caparaçon. Il fait sa sainte nitouche, il prend des pauses, des airs de rien, secoue le crin pour se remettre la mèche et discute des derniers potins qu’il a entendus chez son maréchal-ferrant. Le cheval portugais regarde la vache de haut et la trouve toute crottée. Il ne souffre pas la boue, ne goûte que de loin le charme campagnard, mais pour lui suranné, du bleu de la placita de tienta et ne daigne même pas faire caca sur le sable blanc sale où la vache épuisée le poursuit.
Le cheval portugais déteste le premier tiers et lit 6toros6. Le soir, avant de se coucher, le cheval portugais se connecte au réseau, discute sur Facebook avec d’autres fans de la frange de travers (c’est la mode) et feuillette l’édito du président de l’OCT pour savoir comment Morante a été Dieu, Ponce une grosse merde et Juan Bautista génial le jour où il devait toréer à Sangüesa.

— Putain, tu comprends maintenant ???

>>> Retrouvez une galerie consacrée à une tienta chez Ribeiro Telles sur le site www.camposyruedos.com, rubrique CAMPOS.

Photographie
Le dernier Ribeiro Telles de la dynastie © Laurent Larrieu/Camposyruedos.com

27 septembre 2010

« Extra-large »



Depuis le temps que l'armada Nikon de Campos y Ruedos lui réclamait la possibilité d'afficher en grand, voire en très grand format, ses clichés sans devoir systématiquement passer par Flickr, Blogger s'est enfin exécuté en proposant une nouvelle interface utilisateur pour la mise en forme des posts en vue de leur publication. Bon, O.K., ça ne s'est pas réellement passé comme cela — à dire vrai nous ne savons rien du pourquoi de ce changement —, mais nous ne comptons pas nous gêner pour vous en faire profiter...

Après le Miura du 24 septembre dernier saisi lors de sa toilette, ce Domecq cornalón se ménageant un moment de détente méritait bien un affichage « extra-large ».

Image Un colorado ojo de perdiz bocidorado astiacaramelado dans les Corrales del Gas de Pamplona © Laurent Larrieu/Campos y Ruedos

25 septembre 2010

Lucas


Jeudi 16 septembre 2010, 22 heures 30, SMS : "Rendez-vous demain à Nîmotel, 9h30."

Vendredi, 9h20. J'ai dix minutes d'avance, Lucas aussi. Nous pénétrons quasi simultanément dans le hall de l'hôtel.

Lucas a d'abord été aficionado. Il est aujourd’hui valet d'épée, avec Juan del Álamo, après avoir été celui d'Alejandro Talavante et quelques autres.
Lucas est français, du Sud-Ouest. Il vit en Espagne, à quelques kilomètres de Salamanca, dans un tout petit village, au campo, à côté de la grande route, celle qui va jusqu’à Fuentes de Oñoro, puis le Portugal. Vu d’ici, une sorte de fantasme, mais sur place, une situation pas toujours évidente, parfois le mal du pays, la famille, les amis, pas si loin mais quand même. Heureusement, les gens de là-bas sont accueillants et gentils. Lucas malgré ses doutes a finit par s'y plaire dans ce Campo Charro. Et c’est au village qu'il se plaît. A Salamanca, la grande ville, ce serait sans doute différent.

J'ai croisé Lucas pour la première fois après la présentation époustouflante de son Juan del Álamo à Arles. Il m'avait demandé une photographie pour une publicité.
Lucas vit dans un monde, vous et moi dans un autre. Vu de l'extérieur on pourrait penser qu'il s'agit du même. Vu de l'intérieur, ce sont évidemment deux mondes très parallèles. "Entre eux et nous il y a un abîme invisible. Cet abîme a la forme, la force, l’odeur, la masse, la lourde respiration, d’un toro…" *

9h40. Lucas me propose un café. Je n'en ai pas envie, lui encore moins que moi. Il me demande l’heure toutes les trois minutes.
Dans quelques instants nous rejoindrons Juan del Álamo, chambre 59, au rez-de-chaussée. Lucas se crispe. Les nerfs, la tension, le regard qui se fait plus noir. Tout cela est très perceptible.

— Tu sais, nous avons une toute petite chambre, rien de très luxeux.
— Ah, pas de problème.
— Il faut que tu saches, l'habillage de Juan, c'est quelque chose de très simple, pas de grand cérémonial.
— Oui, bon, pas de problème, ne t'inquiète pas.

Lucas insiste, s'excuse presque, de la chambre petite, de la simplicité des choses. Il ne sait pas à quel point je le préfère ainsi.
La chambre est effectivement petite, Juan del Álamo en survêtement, réservé, intimidé ou intrigué. Il n’a pas l’habitude des photographes, pas encore, mais il me parle de la photo, la demie véronique pieds joints. Il l’adore.
Lucas s'affaire, m'explique son organisation, comment il préfère laisser la chaquetilla sur la chaise plutôt que sur le dossier, pour ne pas trop l’ouvrir. Lucas se ronge les ongles. Le novillero semble serein.
Nous discutons assez longuement de cette organisation. Vu de l’extérieur ceci peut paraître anecdotique. Ici, de l’intérieur, la chose prend une autre dimension. Deux mondes parallèles finissent par se croiser.
10h. Un dernier passage dans la salle de bain, et la métamorphose s’opère, lente et méticuleuse.

* Jacques Durand, in prologue du livre Peajes de Joséphine Douet.

24 septembre 2010

Photographie sans paroles (XXXVIII)


André Kertész


Ça vous manquait, hein, l'annonce d'une exposition ? Non ? Tant pis, je me lance quand même vu que celles et ceux qui évoquent l'exposition « André Kertész » du Jeu de Paume s'accordent à dire qu'il s'agira de la plus grande rétrospective jamais consacrée en France au photographe américain d'origine hongroise — qui avait déjà un libellé à son nom sur ce blog, seconde excellente raison pour parler de cet événement.

Nos voisins d'outre-Pyrénées ont un mot pour exprimer de manière extraforte et hyper-laconique leur enthousiasme, en s'épargnant ainsi de trop longs discours sans que personne n'y trouve à redire : « imprescindible »Campos y Ruedos, il sera traduit par « énorme »).

>>> Trois portfolios à parcourir : celui de la Réunion des musées nationaux, celui de Photography-now.net où vous retrouverez le cliché ci-contre, autrement plus émouvant avec ses « noirs comme de la suie », et celui présent sur le site d'un jeune photographe turc, Ahmet Arif Güneş.


Exposition « André Kertész » au Jeu de Paume à Paris, du 25 septembre 2010 au 6 février 2011 (pour les nombreux horaires, les tarifs et tout le reste, voir le site, rubrique « Infos pratiques »).


PS Nous aurions pu ouvrir ce post avec l'expo « Monet » — ses parents l'appelaient Oscar sans que l'on sache très bien pourquoi il signait Claude alors qu'il se prénommait Oscar-Claude —, mais le monde entier est au courant... Monet qui, soit dit en passant, a également son libellé.

Image Derrière les planches, des toros évidemment... /// André Kertész (Budapest, 1894 – New York, 1985) / Circus, Budapest 1920 / Épreuve argentique, 25,3 x 20,4 cm © Collection Centre Pompidou, Dist. RMN/Adam Rzpeka.

23 septembre 2010

L'ennemi de l'intérieur...


"Si les toreros pensent, comme beaucoup d’honnêtes aficionados, que la solution aux problèmes du toreo est de dépendre du ministère de la Culture, ils ont tort. Il est essentiel de souligner le peu d'importance d'être dans un ou dans l’autre ministère si les choses ne changent pas radicalement. En outre, le ministère de l'Intérieur doit toujours être présent dans de nombreuses procédures qui ont lieu avant, pendant et après la corrida, mais surtout avant, car je crois fermement que, s'il n'y a pas de protection sous la forme d'une surveillance, la Fiesta se retrouverait sans aucun contrôle et cela pourrait influer gravement sur son futur.
En d'autres termes, je n'ai aucune raison de croire que les professionnels de la tauromachie, dans le cas où ils auraient le contrôle du déroulement de la course, soient en mesure d'offrir une Fiesta intègre, juste et honnête, parce que jusqu'à présent, même sous la supervision de l'Intérieur, chaque après-midi, on peut voir en piste d’authentiques atrocités sous la forme de toros imprésentables, de cornes éclatées, et de bien d’autres choses qui constituent un passif très grave pour les corridas." Carlos Crivell

22 septembre 2010

Par là-bas


Comme passe le temps. Mourrait octobre à la fêtes des morts. L’Espagne se saoulait d’un soleil bas ; le soir, la fraîcheur de la nuit à venir s’annonçait du pas léger de l’élégance.
Baignée de soleil bas, la province de Jaén se diluait dans les bleus horizon. Il fallait plisser les yeux pour se l’imaginer, là, sous nous, devant nous, jusqu’aux montagnes bleu foncé, elle parmi l’infini de chênes verts ou lièges et de creux de la terre.
Mais la nuit avait-il dit, un silence solennel avait précédé, la nuit, la province se voit. On l’embrasse des yeux la nuit la province de Jaén, pas qu’un bout, pas qu’un sein, elle, une, de Baños jusqu’à Linares, même Jaén s’abandonne... la nuit.
La nuit.
La nuit, on ne voit pas les toros. Sauf si la lune. Mais la lune n’est pas là. La nuit les toros se cachent. Que font-ils la nuit les toros ? Se battent-ils ? Regardent-ils s’alanguir la province de Jaén sous leurs sabots de rustres ? La nuit, on ne voit pas les toros et la lune n’est pas là.
Le jour non plus. En tout cas pas ici. Le jour non plus on ne voit pas les toros... chez Jacinto Ortega.
Ils sont par là. Ils sont loin a-t-il baragouiné en chargeant le fusil qui indiquait les collines touffues. Par là. Nous venions de le saluer. Il achevait de charger le fusil. Vous comprenez, la semaine dernière on cherchait un toro par là-bas (chez eux le "par là-bas" est extrêmement vague) et tout d’un coup il a surgi de derrière un arbre et a foncé sur le 4x4. Il a fini par monter dessus. Il voulait le détruire. Alors depuis, on part par là-bas avec un fusil. Je le charge et le mayoral va venir le récupérer. Il est à cheval le mayoral mais c’est mieux avec un fusil tout de même. Vous comprenez ?

Ici les barbelés sont l’horizon. C’est à croire en tout cas. Attendez-moi à la maison. Vous verrez c’est joli de là.
La maison est jaune et regarde par là-bas comme si elle cherchait les frontières de son monde mais l’horizon n’est pas une frontière. Les toros sont par là-bas. Un chien gentil se fout des frontières à l’ombre d’un muret.
Qu’est-ce que vous faites ici ? Qui êtes-vous ? Mal rasé, mal attifé, la mine hirsute, il doit être fou. Un pec cloîtré dans un monde sans limite, il a dû grandir ici, il devra y mourir. Le chien le suit. Sans attendre de réponse, il se poste, le chien le suit, l’œil hagard surveille les mamelons fleuris d’arbres et ce qu’il y a dessous. Les toros. Les toros ne se voient pas d’ici. Lui peut-être les voit. Il est fou. Il observe. Il reste là de longues minutes, le soleil dans la gueule, des mots que lui seul entend déforment son visage, le chien au pied, les toros par là-bas.
La maison est vide. Personne n’y vit plus. La vaisselle verte envahit les étagères. La poussière leur donne une dernière utilité. Le fer est gravé dessus. Un O sur un J ou un J sur un O. Jacinto Ortega.
Le mayoral est revenu. Le fusil n’a pas servi. Les toros sont par là-bas. Des restes de Veragua mélangés à d’autres bizarreries du campo de Jaén. Des bestioles invisibles sans frontière de sang surveillées par un fou du bout d’un fusil bien chargé. Et Jaén pour royaume...

>>> Retrouvez sur le site www.camposyruedos.com une galerie consacrée à la ganadería des Herederos de Jacinto Ortega Casado, rubrique CAMPOS.
>>> Pour en savoir plus sur les origines troubles de cet élevage, rendez-vous sur www.terredetoros.com.

Photographies Un toro de Jacinto Ortega par là-bas et la vue de la placita de tienta © Laurent Larrieu/Camposyruedos.com

21 septembre 2010

Blanc


La page blanche. Celle qui ne se remplit pas. Celle sur qui les mots ne se posent pas. Le blanc du rien, le vide du blanc. La page que l’on n’arrive pas à écrire. Le blanc, le linceul. Seul le blanc. Avec un "c" le blanc. Comme Tulio avec Isaías. Comme Isaías avec Tulio. La page blanche qui laisse songer au noir de l’encre. Le bout de la corne. Le noir. Rien. Blanc de chez blanc. La blanche tue, le blanc te sniffe. Vers rien. Tulio c’est fini. Rideau. Linceul. Page blanche sans demain.

Tulio avec Isaías comme le blanc avec un "c".

>>> Retrouvez sur le site www.camposyruedos.com une galerie consacrée à la ganadería de Tulio, rubrique CAMPOS.

Photographie Un novillo de Tulio en noir et... blanc © Laurent Larrieu/Camposyruedos.com

Hechuras


Ne nous le cachons pas : partir à la rencontre du toro au campo, pousser la porte des corrals pour l'approcher au plus près, ou l'observer sur des photographies (surtout, et souvent via un écran), constituent trois pratiques d'un même plaisir « chro-no-pha-gis-sime ». On préférerait passer davantage de temps à les admirer au campo, mais le plaisir deviendrait plutôt coûteux. Contentons-nous donc des photos des amis, en attendant la prochaine sortie...

Nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer ici quelques évolutions morphologiques manifestes dans certains élevages. Prenons Miura, par exemple, qui présente de plus en plus fréquemment des toros « pleins », aux formes rondes, au détriment d'animaux qui compensaient leur apparente maigreur par une taille et une longueur de dos hors norme. Et c'est l'aficionado qui se met à spéculer sur un éventuel, un probable, un évident croisement avec du...

Quand José Escolar Gil décida d'injecter du sang Buendía (1986) dans son élevage cousin de ceux des frères Martín Andrés, les aficionados guettèrent la croissance des petits issus de l'alchimie Albaserrada/Buendía pour en avoir le cœur net : par ici des têtes élargies, plus fortes, donnant du même coup l'impression d'avoir rétrécies ; par là des cornes moins veletas et des corps qui s'épaississent, des profils moins droits et des cárdenos qui s'éclaircissent...

Parfois, la consultation d'un tableau généalogique révèle une origine depuis longtemps absorbée, quand elle n'a pas été volontairement éliminée (voire ajoutée par erreur), ou bien une à laquelle on ne pensait plus et qui vous saute aux yeux au détour d'une photographie. Pour l'élevage de Francisco Javier Araúz de Robles, la littérature taurine mentionne, au milieu d'une multitude de sangs divers et variés, la présence d'une lointaine et énigmatique origine Saltillo...

Image Novillo d'Araúz de Robles dans les corrals de Madrid le week-end dernier © Juan 'Manon' Pelegrín

20 septembre 2010

Photographies pas tout à fait sans paroles


albertdejuan
Cette photographie a été prise par un aficionado du Levante, Albert de Juan. Les détails de cette photo sont une véritable... une vraie... un truc... une chose... qui nous laisse sans voix...
Elle est une parmi tant d'autres, étonnantes, époustoufflantes. Albert possède un compte Flickr sur lequel vous irez halluciner.
Evidemment, nous y reviendrons plus tranquillement un de ces quatre. Peut-être même irons-nous lui rendre visite, pour de vrai !

Mais avant, une petite autre, pour la route...

La salida

19 septembre 2010

Milia


Pour Milia
Le 17 septembre, la famille de Campos y Ruedos s'est agrandie.

Bienvenue à Milia ! Si elle n'est pas née andalouse, elle aura tout le temps de le devenir...

¡Ahí hay mucha casta!

Félicitations à Nadine et Thomas.

Fuerte abrazo à tous les trois.

17 septembre 2010

Carlos


C’était un jour de pluie à Séville. Un jour de pluie à Séville, c’est différent. Très différent. Ciselée comme une arabesque, légère comme une senteur d’oranger, la fine pluie sévillane parvient inexplicablement à vous mouiller de la tête aux pieds. Surtout les pieds. Les trottoirs n’étant pas le souci premier des Andalous, si toutefois il s’avérait possible qu’un Andalou eût des soucis, ce qui est loin d’être démontré.
Pieds mouillés, un jour de pluie à Séville. Des Domecq à la Maeztranza et une fois n’est pas coutume nous allons les voir. Scission. Et pendant que les amis rencontrent « el arte puro », je rencontre un ami.
Je n’aurais jamais dû le connaître, mais le destin est ainsi fait. Nous ne nous sommes pas choisis, simplement assis l’un à côté de l’autre, et nous sommes devenus amis. Une amitié instantanée, sans passer par la moindre étape de copinage. Un coup de foudre amical. Si l’océan nous séparait à la naissance, l’écart c’était réduit au plus sec des ríos espagnols. J’ai rencontré Carlos à la Real Maeztranza de Sevilla. Avant le paseo je ne le connaissais pas, au dernier arrastre j’avais l’impression de le connaître depuis toujours. Lui, le Mexicain marié à une Hispano-Anglaise antitaurine ! Relation improbable pour un être improbable. Sous sa barbe se cachent toute la douceur et la gentillesse de l’Amérique du Sud. Dans sa tête déambulent sans cesse de petites bêtes à cornes qu’il tente de matérialiser à sa manière dans son art. Carlos est un artiste. Je ne sais pas juger de ses œuvres, mais je peux vous parler de son âme. Et Carlos a, à n’en pas douter, l’âme d'un artiste.

De rencontres en rencontres, d’improbabilités en improbabilités, Carlos fut mandaté pour peindre le cartel du congrès « Fundamentos y Renovacion de la Fiesta » qui aura lieu à Séville les 23, 24 et 25 septembre prochains (http://fundamentosyrenovaciondelafiesta.blogspot.com/).

Parallèlement à cette manifestation, si vous passez par Séville ne manquez pas d’aller saluer Carlos à l’Hotel Colón (Calle de Canalejas, 1, Sevilla) où il inaugure son exposition « Bos Taurus Ibericus ». Et pour ceux qui n’auront pas la chance de s'y rendre, il reste son site Internet : http://www.carlos-salgado.com/.

Lorsque j’ai annoncé à Carlos que je ne pourrais pas me rendre à son vernissage, il me répondit platement et naturellement :
« Pourquoi ? Tu ne veux pas que ta fille soit andalouse ? » Il est comme ça Carlos !

Encore fallait-il le dire


Et c’est Jacques Durand qui le dit, dans Libé. Le genre de truc qu’on aurait aimé écrire quoi, et qui donc se passe de commentaires, sauf peut-être graphique, avec une photo d’un "julipied", pour se faire une idée en cliquant sur la photo. C’était à Arles, samedi dernier.

Depuis longtemps El Juli a épuisé le stock d'épithètes laudatives du chroniqueur et découragé son grand, petit et moyen Robert. El Juli est prodigieux, surdoué, définitif, imbattable et, pour résumer, plus fort que le roquefort. Sa muleta embarque les toros. Elle les prend tous en stop. Elle n'en abandonne aucun sur le bord de la route. El Juli est un coq de combat mais qui donne rarement la chair de poule. Trop de perfection. Elle inspire des admirations froides. Pour donner une dimension épique à son impeccable logique tauromachique, il devrait se cogner de temps en temps des toros moins convenables au caractère moins convenu.
Jacques Durand

14 septembre 2010

Ici, à Sangüesa


Sangüesa (Navarra), dimanche 12 septembre 2010.
6 toros de Dolores Aguirre Ybarra pour Rafaelillo, Salvador Cortés et Javier Benjumea.

Dolores Aguirre Ybarra n'était pas présente à Sangüesa. A sa place, venu de l'ouest, le vent a bousculé la Navarre d'une rage continue qui coulait aussi dans les veines noires du dernier toro de la dueña massacré en ces lieux. C'était le plus beau toro de la corrida mais en cela, il n'eut aucun mérite, tant l'encierro envoyé dans cette plaza bonne enfant et festive était hétérogène et pour tout dire laid. Ne rendons donc pas hommage au terciado et anovillado troisième, encore moins au berrendo mosqueado, lui aussi anovillado, qui permit à Salvador Cortés, grâce à une noblesse con-con, de multiplier les passes sans jamais toréer pour autant. Oublions également "porcinet" sorti en pole position, nourri à l'huile, à la San Miguel et à la graisse d'oie*. D'aucuns s'émurent de l'armure bizca, acapachada et tout simplement fort tordue du chorreado combattu en deuxième position, mais peu s'agacèrent de la corne gauche explosée depuis le matin au moins (visible dans les corrales de la plaza après l'encierro). Ce toro avait du trapío et Sangüesa n'est à la fin qu'une arène de troisième catégorie. Pamplona, c'est cinquante bornes à l'ouest ! Faire lidier des toros anovillados, blessés (le berrendo mosqueado était lacéré de coups), physiquement inaptes (le troisième) ou suspects d'armures est intolérable dans toute plaza mais il ne nous paraît pas hors de propos de faire combattre dans une plaza de dernière catégorie un toro bien fait, cuajado, enmorrillado, arrivé à "l'âge de raison", très Atanasio mais qui présente une armure quelque peu biscornue.
Seuls le 4 et le 6 se sauvèrent donc du naufrage de la présentation.
Dolores Aguirre Ybarra élève des toros étranges. Vint un temps où les critiques taurins en arrivèrent à inventer une expression prompte à qualifier avec une certaine finesse d’analyse le comportement de toros mansos mais qui combattaient pourtant avec fougue. Ainsi naquirent les "mansos con casta". Longtemps, et toujours d’ailleurs, les toros d’Aguirre (et plus largement ceux de l’encaste Atanasio Fernández) ont incarné ce qualificatif car s’ils montraient un vrai dédain à l’égard du cheval (fuyant le peto, sautant loin hors de la cible, ruant...), ils demeuraient de grands combattants rudes et exigeants lors des tiers suivants, démontrant parfois même de belles qualités de noblesse. A Sangüesa, ce 12 septembre, les Aguirre (ceux qui étaient présentés correctement comme de vrais taureaux de combat) furent des "mansos con bravura", des oxymores gonflés à la rage.
'Burgalito' donc. Sixième. Un beau taureau de combat qui va sur ses 6 ans. Noir de l’œil au toupillon de la queue. Inquiétant. Une sortie de manso, au pas, rechignant à s’élancer dans la cape fragile du jeune Benjumea (beaucoup trop vert pour ce genre d’adversaire). Sonnent les clarines. Entrent les puyas. 'Burgalito' plonge tête baissée et queue dressée vers le ciel dans le peto mais au contact du fer dans ses chairs, il bondit comme un diable et laisse la pièce montée partiellement assise dans son dos. Un manso donc. 'Burgalito' a vu l’autre cheval près du toril et n’a pas l’air d’apprécier, en bon manso qu’il est, que cet intrus prenne le soleil à cet endroit. Plongée dantesque dans le matelas, queue dressée vers le ciel, reins calés, pattes d’acier. 'Burgalito' se met à pousser, droit devant, droit dedans ; 10, 12 mètres à remuer l’intrus. Batacazo d’école ! Le cheval est couché, le piquero a fui, 'Burgalito' est devenu fou. La rage sombre en action. Il saute sur le canasson, le cherche de la corne, voit le monosabio, bondit vers lui. Un quite, 'Burgalito' est au centre. Maintenant, 'Burgalito' est prêt à combattre. Vraiment ! Le piquero le cite loin de sa querencia et 'Burgalito' plonge une nouvelle fois, queue dressée vers le ciel, tête basse, pattes d’acier. Cette fois, il ne fuit pas. Au contraire, il pousse, s’arcboute, gonfle les muscles, arrache le sable qui pourrait être pierre et trimballe le tout sur quelques mètres pour le foutre en l’air, le tout. Enorme pique durant laquelle, évidemment, bien-sûr évidemment, le picador se régale de massacrer l’échine de ce manso devenu, un instant, superbe brave.
Durant le tercio de banderilles, il était clair que 'Burgalito' aurait dû prendre au moins une autre pique. Il était redevenu un manso con casta, plongeant sur tout ce qui bougeait, dangereux en diable, inquiétant et mystérieux, solide comme un chêne centenaire.
Il y a chez ces toros étranges les derniers restes d’une tauromachie sauvage sans formatage ni esthétisme. Plus personne ne goûte ces animaux car ils foutent la trouille. Et personne ne veut plus avoir peur aux arènes.

Ici, à Sangüesa, ici où la très jeune présidente de la course a fait jouer la musique à chaque toro, ici où Rafaelillo est venu comme un enfant mal éduqué faire assassiner deux adversaires, ici (comme ailleurs) où les piqueros sont aux ordres (car les ordres venaient clairement de Rafaelillo, Salvador Cortés et du jeune Benjumea) et détruisent toute velléité de combat quand elle se présente, ici où les toreros actuels ont fait une nouvelle fois la démonstration qu’ils sont parfaitement incapables de lidier des toros dignes de ce nom (il existait autrefois des passes de recours pour les toros compliqués), ici, à Sangüesa, j’ai eu peur. Ici, à Sangüesa, m’a été confirmée l’idée que le toro n’est que mystère.

* Dolores Aguirre Ybarra n'élève pas que des toros. En effet, environ 2 000 oies estampillées "Ocas de Tolosa" gambadent quelque part à côté des fauves dans la "Dehesa de Frías" à Constantina. Elles sont bio les oies d'Aguirre !

>>> Retrouvez sur www.camposyruedos.com, rubrique RUEDOS, une galerie de la corrida de Dolores Aguirre Ybarra combattue à Sangüesa.

Photographies 'Burgalito' à sa sortie et sous le fer © Laurent Larrieu/Camposyruedos.com

Photographie sans paroles (XXXVII)


arles

13 septembre 2010

Sombre dessein


Les immeubles en construction et du matos de chantier qui traîne un peu partout. Le ciel jaune et la terre rouge. Le vent brûlant qui frappe brutalement les tôles de ce hangar sordide et ce tas de gravats, juste là. Il y a aussi, ce corps lourd, froid et poussiéreux, et l'idée pesante et puante d'un truc pas vraiment clean là-dessous. El Pimpi, le picador, gît tristement dans sa fleur pourpre, seul, perdu, loin.

Plus loin, plus tard, hier, rendez-vous du gratin pour soirée à la fleur d'oranger... La foule exulte, les enfants rient, les hommes trinquent et les femmes sont belles, El Juli est "número uno", Morante est "único", Cid is back et Victoriano del Río est chéri de la belle à l'oeil noir. L'on coupa tout ce que l'on pouvait couper, et l'on m'a dit que ces toros étaient des braves. On les gratifia de vueltas al ruedo, pour honorer leur dépouilles de terreurs, mais l'on ne saura jamais ce qu'aurait été vraiment cette tarde, si ces toros s'étaient en fait pointés au rendez-vous des couillus, des durs du teston, des vrais Braves. Il aurait suffi de les piquer, deux fois au moins, et d'une manière raisonnable, juste raisonnable, pour le savoir. L'histoire d'un triomphe s'écrit aussi à coups de ferraille. Pourtant, cette date bien qu'exagérément amputée d'un tercio, sera désormais "Historique". Elle aurait pu n'être que "bonne", mais on la voulait "Historique".

Je ne souhaite pas gâcher la fête, mais je ne sais que trop bien que les essais même les plus géniaux ne valent rien, si la passe décisive est en-avant. Voilà, l'idée d'un simple petit en-avant dans le processus peut parfois vous rester en travers du gosier, car si le geste reste beau et la prestation valeureuse, le point n'est pas compté, le planchot est bloqué et le match est perdu. C'est tout. Un toro est Brave quand il saisit avant tout l'opportunité de passer l'épreuve du fer. C'est ainsi qu'on put dire combien Braves de chez Braves furent les 'Camarito' et autres 'Clavel Blanco'... Les autres, ceux qu'on ne m'a pas montrés, ne le sont pas, ou peut-être pas. La Bravoure n'est pas affaire de suggestions ou suppositions. Seuls ceux qui vont à la guerre sont des guerriers.
Il y a les rumeurs, les détails et les faits.
Alors, coupez tout ce que vous voulez couper, mais laissez Dame Bravoure là où elle est, et ne la voyez pas là où elle n'est pas. La pauvre a déjà bien trop souffert de tant de légèreté et voudrait seulement partir en paix.

Samedi, El Pimpi est mort, et plus loin, plus tard, hier, c'est l'Art de piquer les toros qui mourait aussi... un peu plus.

Arles, concours : la grosse blague


marge_arles

La corrida concours arlésienne s’est déroulée rythmée par une douce et monotone médiocrité. Heureusement, nous avons une fin d'été superbe.
Seul le magnifique Tardieu, en trois piques sans histoire qui auraient pu éventuellement être quatre, fit, légèrement, illusion. Et puis en face il y avait Padilla, qui ne fit rien pour le faire paraître plus que ce qu’il était. Ce fut à peu près tout et ce n’était déjà pas grand-chose. Rien de scandaleux dans l’ensemble, mais rien à relever non plus. C’est un peu le risque du genre.
L’après-midi fut donc ennuyeuse, langoureusement médiocre.
La seule bronca a été donnée après la course. Chose curieuse à la vérité. Une bronca, une seule, cinq minutes trente après la fin de la course est en effet une chose curieuse.
Elle était destinée en fait au choix du jury de primer le toro de Robert Margé, manso au cheval et plus ou moins propice ensuite puisque Israel Téllez lui coupa une oreille. Un manso vulgaire pour une blague grasse : un prix vulgaire. Un prix qui, évidemment, n’aurait jamais dû être attribué, surtout pas à un manso. La photo parle d’elle-même : l’intérêt du Margé pour le picador malgré la démonstration de Gabin. Quelle blague que de primer pareil bestiau !
Le public ne s’y est pas trompé qui a sourdement grondé après avoir supporté l’après-midi sans broncher.
La saison s’achève doucement. Il faudrait peut-être penser, pour l’année prochaine, à demander au jury de la concours d’éviter de faire des blagues grasses.
Sinon, le coucher de soleil sur le Rhône et sur la ville d’Arles, vu depuis les quais de Trinquetaille, est superbe.

>>> Quelques clichés vous attendent sur le site, rubrique RUEDOS.

La nécro de l'apartado


Dimanche matin, fin des Corridas Generales bilbaínas. Je bats le pavé, tu bats le pavé, nous sommes quelques dizaines battant le pavé, le goudron, l'asphalte inégal ça et là, encore mouillé de flaques et, devant le pavé, le rideau de fer. Non, je ne réécris pas Mai-68, j'attends qu'ouvre la taquilla de l'apartado des Escolar Gil. Et ça fait un moment que ça dure. Je suis même arrivé avant Bartolotti, ça devrait être bon pour avoir une place, me félicitais-je in petto. La queue parle français, presque toute la queue. Les revendeurs ricanent encore des absents de la veille, les Dacquois daubent Castella pour son exécrable prestation, et les saxophonistes ne sont pas en avance. Les quelques mots d'espagnol que l'on entend tout de même sont le fait de Castillans perdus dans des conversations qu'on imagine décennales sur des démonstrations tauromachiques et la crémation des idoles. Le guichet finit par cracher ses sésames, la porte s'ouvre et la procession s'ébranle selon le rite dicté par Monsieur Marchi et sur lequel les autorités demeurent inflexibles. On passe, on s'entasse et on attend. Tout est en place et tout va bien. Ce soir sortent les Escolar, objets de voyage, au sens "objectif" du terme.
L'espoir s'apprécie, s'entoure d'une attention particulière dans son approche. L'espoir chauffe à feu doux et embaume la journée plus encore qu'une cuisine. Il mérite qu'on prenne son temps, des heures et parfois des journées pour le ciseler. Les Escolar de Céret nous ont "fait" une bonne partie de l'été : une lente digestion des combats proposés alors. Le genre de corrida justifiant toutes les autres : les mauvaises, les promises envolées, les fades, les oubliables et celles qu'on a parfaitement oubliées. Ces Albaserrada nous ont donc pas mal occupés : du temps de cerveau disponible et de la capacité d'enthousiasme. Le genre de course qui vous conduit à promettre que là où ils sortent, peu importe où, nous irons les voir dégommer les canassons et répéter leurs charges vibrantes et lourdes.

Le lieu où se tient l'apartado à Bilbao est carré comme une Plaza Mayor, avec des gradins à trois ou quatre niveaux, en bois. On s'y entasse une fois de plus et, surtout, on ne bouge plus. Sauf les lèvres, puisqu'on est maintenant en train de piétiner dans les environs depuis plus de deux heures pour ne pas voir huit toros qui passeront dans le corral en contrebas. Alors on parle encore, à tel point que je soupçonne même qu'on finisse par se répéter. L'une des faces du carré type Plaza Mayor de tableau anonyme du XVIIe siècle est réservée aux huiles. Officiels, ganadero y familia, journalistes, etc., qui finissent par arriver, imprégnés par le rite et garants du cérémonial. Un gars de Vitoria prend la parole pour prononcer un éloge du ganadero, de sa famille (femme, filles, petits-enfants, gendre) et parler de ses toros, de Céret quelques semaines auparavant, pour conclure en assurant qu'une chose était certaine : quoi qu'il arrive, l'émotion sera au rendez-vous avec ces toros-là. C'est beau comme une nécro, la famille s'empourpre, nous acquiesçons. Je ne peux alors m'empêcher de penser que s'il ne faut pas être superstitieux, il vaut tout de même éviter pareil panégyrique avant que ne sortent les toros, tant on a vu souvent le hasard foutre à plat les prévisions laudatives d'avant l'heure, tournures grandiloquentes comprises.

Le cérémonial se poursuit, on roule les papiers, on prend deux chapeaux, vous connaissez l'histoire... Puis paraissent enfin les toros, en transit tout d'abord, puis brièvement dans le corral, bien à la verticale au-dessous. On a beau faire attention, on ne voit pas grand-chose, on n'ose juger de quoi que ce soit depuis pareil perchoir. Restent six heures à tuer avant de tuer les six toros : fantasmes à plein tube !

Soyons clairs, nous serons enfin brefs : nous n'avons rien vu, ou presque. Le lot est sorti sans la sauvagerie escomptée, ni le poder et le peu de mobilité fut esquinté à la pique. Nous attendions Céret, nous avons assisté à une pâle resucée de la course de Vic. Le trois sortit plein d'entrain, donnant un coup de fouet à l'expectative où il nous trouva. Le lancier se chargea de réduire à néant ces esquisses de promesses : un puyazo façon Jean Yanne dans Le Boucher : pompé, vrié, assaisonné, arc-bouté, la vara dans le milieu du dos. Le cornu en sortit pantelant, hagard, fébrile façon chevreau après le passage d'un vol de légionnaires. Silence dans l'assistance. Morenito de Aranda vient le brinder : aplausos et mon moral de choir dans mes chaussettes malgré mes havaianas. La partie, la bataille, la guerre étaient donc perdues à tous points de vue. Même topo au quatrième. Rafaelillo tente de nous faire croire je ne sais quoi au cinq, Morenito nous rejoue l'asador au six ; il est temps de fuir sans demander son reste.
Rien que de la déception mâtinée d'indignation sur la route du retour (Mais que font les clubs taurins légendaires du coin ??? — Ils s'en foutent en fait... — Ah !). Les journaux du lendemain parleront d'une présentation réussie...

>>> Une galerie avec les 6 toros que vous n'avez pas vus non plus à l'apartado vous attend sur le site, rubrique RUEDOS.

12 septembre 2010

Éloge du toupillon


Avant, les toros étaient moins lourds (ou plus lourds) ; avant, les toros avaient des grandes cornes (ou des petites) ; avant, les toros sortaient mansos (ou bravos) ; avant, les toros tombaient souvent (ou rarement) ; avant, les toros disaient bonjour en rentrant dans l'arène, tandis qu'aujourd'hui... Avant ce peut être hier ou il y a trente, cinquante, quatre-vingts ans. Avant, des toros portaient la queue courte, comme aujourd'hui, comme demain, aussi, probablement.

La queue : le voilà l'attribut du taureau de combat que l'on aurait facilement tendance à oublier, à ne plus remarquer tant sa présence ne fait aucun doute — un peu comme l'élève qui bulle, sagement calé près du radiateur au fond de la classe, et qui ne manque jamais l'école, lui.

Et pourtant, l'utilité de la queue n'est plus à démontrer, elle qui chasse les mouches, préservant ainsi la tranquilité et le confort du bovidé. Et pourtant, esthétiquement, elle se révèle indispensable, assurant l'équilibre de l'animal. Et pourtant, taurinement parlant, un toro avec une queue sans sa touffe de poils (j'en vois qui se trémoussent), sans son toupillon donc, se classe illico dans la catégorie du toro sin trapío, s'excluant par avance de toute arène de première catégorie qui se respecte.

Et pourtant ! Il n'est pas rare de voir le sable de Las Ventas foulé par des animaux laids amputés d'une partie de leur toupillon (Garcigrande, El Puerto de San Lorenzo, Conde de Mayalde, Núñez del Cuvillo), voire de la totalité (Toros de Cortés, autrement dit Victoriano del Río) ! « ¿A quién defiende la autoridad? »
(Photos de Paloma Aguilar et Juan 'Manon' Pelegrín pour Las-Ventas.com.)

Images Un toro de Murteira Grave arborant une superbe queue munie d'un non moins superbe toupillon. L'élevage sort tout à l'heure à Madrid, en novillada, et nous ne pouvons que souhaiter bonne chance au fer portugais © François Bruschet  Un toupillon digne de ce nom, celui de 'Grajito I', toro Núñez d'El Cortijillo (autrement dit Alcurrucén) de cinq ans et sept mois © Paloma Aguilar

11 septembre 2010

L'Art sans art...


Je suis très ennuyé. En ce jour de goyesca, 11 septembre 2010, j’avais prévu d’expérimenter un nouveau concept photographique : le noir et noir. Un hommage à Soulages en quelque sorte, mais en plus modeste et en moins cher. Nous y reviendrons, car de noir et noir aujourd’hui il ne fut pas question.
Aujourd’hui l’art était bien au-delà de tout, du bien et du mal, du noir et du noir.
Ena Swansea, retenez bien ce nom. Ce n’était pas la première fois que les arènes d’Arles se lançaient dans l’organisation d’une corrida goyesca en faisant appel à des artistes renommés, mais c’est la première fois que l’art s’offrait à nous à ce point puissant et partie prenante de l’œuvre qu’il est censé accompagner et qu’à la vérité il a aujourd’hui littéralement sublimée et transfigurée.
On peut avancer sans trop de risques de se tromper que, jusqu’à présent, les artistes invités avaient décoré les arènes. Avec Ena Swansea, pour la première fois, l’art est allé bien plus loin, bien plus haut et bien plus fort. Ena Swansea a changé notre vision même de la corrida, notre perception du toro, du toreo, et donc de l’art, et évidemment du bien et du mal. Pour parler vulgairement, Ena Swansea a fait très fort.
A première vue, l'art s'oppose au réel comme l'artifice à la nature. Production humaine destinée à exalter des puissances surnaturelles, à découvrir le beau idéal ou à émouvoir le goût, l'art nous éloignerait plutôt du réel, et donc du toreo, et même du toro si on prend la peine d’y réfléchir trois minutes dix.

Pourtant, avec Ena Swansea, ce n’est plus le cas.
Avec Ena Swansea notre conscience du toreo, et très accessoirement du toro, devient perceptive et naturelle : je n'ai plus besoin des comptes rendus de Terres Taurines pour bien percevoir la grandeur du Juli. Je deviens le Juli, consciemmment. Et cette conscience du réel est également pragmatique. Notre conscience de telle ou telle réalité contemporaine nous permet de bien nous orienter dans la perception du toreo, et donc du "julipied". Elle nous permet désormais de choisir et percevoir le torero de l’avenir qui, en fait, est également celui du présent. Et La Flûte enchantée de Mozart n'y changera rien.

Mais la vision d’Ena Swansea du rôle de l'art dans notre conscience du réel est pourtant trompeuse. En effet, c'est parce que j'ai vu la grandeur du Juli et aussi celle de Juan Bautista que je reconnais maintenant la grandeur du toreo. Notre regard sur l'existence réelle de la Fiesta peut donc être transformé après la vision d’une corrida à ce point transfigurée, comme ce fut le cas aujourd’hui. Car l'art d’Ena, en apportant un état de conscience différent et propre à nous tous, peut transformer celle qu'on a du toreo, du Juli, de Juan Bautista, et accessoirement de Daniel Ruiz.
Evidemment reste le cas désespéré de la minorité active. Pour ceux qui ont refusé ou continuent de refuser de s’éclairer, l'art dissipe tant qu'il peut le brouillard qui voile leurs sens. Ainsi, il n'y a pas encore transformation de la concsience du réel mais révélation. D'autre part, étant donné que le réel est une véritable usine chimique, qu'il se meut en permanence — l'art aussi change —, il se transforme. Enfin, la conscience du réel et l'art peuvent agir l'un sur l'autre puisqu'ils sont complémentaires. L'un ne peut être sans l'autre. 
Rien n'est donc perdu. Ceci dit, il ne s'agit que de mon point de vue...
La semaine prochaine nous vous parlerons de L’Art sans art d’Henri Cartier-Bresson. Le noir et noir attendra.

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Arles, corrida de La Quinta décevante...


... Quoique joliment présentée, mais manquant trop souvent de fond ou de puissance pour donner un relief véritable à cette après-midi. Seul le troisième toro, véritable machine à embestir, réservoir de caste, se montra supérieur à ses frères. Il prit trois piques et Alberto Aguilar peut remercier le palco de lui avoir imposé la troisième malgré sa demande de changement car, ensuite, et malgré sa bonne volonté, il ne sut jamais se hisser à la hauteur de son adversaire. Trois piques sans grande histoire pour cet excellent Santa Coloma. La vuelta au toro, malgré ses qualités, était totalement hors de propos, ainsi que les deux oreilles au matador. Sinon, des gestes de Diego Urdiales. Poca historia.

10 septembre 2010

Arles, remplacement de Manzanares


Communiqué des arènes d'Arles

José María Manzanares, blessé le 8 septembre à Utrera, ne sera pas présent pour la corrida goyesque.

Ce samedi 11 septembre est une des journées les plus chargées en corrida de la temporada européenne. Sans parler des blessés Miguel Ángel Perera, Julio Aparicio, José María Manzanares, etc., tous les toreros importants toréent ce jour-là : El Fandi, El Cid, Enrique Ponce, Alejandro Talavante, Morante de la Puebla, Sébastien Castella, Daniel Luque, El Cordobés, Francisco Rivera Ordóñez, Antonio Ferrera, Curro Díaz, Javier Conde, Jesulín de Ubrique, Rubén Pinar, Cayetano, César Jiménez, Matías Tejela, Salvador Cortés, El Fundi...

Pour garder l’intérêt de la corrida, la direction des arènes d’Arles à décidé de la transformer en mano a mano. Le cartel définitif sera : un toro pour le rejoneador Manolo Manzanares et 6 toros de Daniel Ruiz pour El Juli et Juan Bautista.

Bien que le règlement taurin de l’UVTF ne le prévoie pas, les spectateurs désirant se faire rembourser pourront se présenter au guichet installé à cet effet, aux arènes et ce avant le samedi 11 septembre 16h, munis de leurs billets et d’un RIB.

09 septembre 2010

Urdiales à Arles


Communiqué des arènes d'Arles

Le torero Sergio Aguilar, mal remis de sa blessure subie à la féria de Bilbao, sera remplacé par Diego Urdiales.

Le cartel de la corrida du 10 septembre à 17h30 sera le suivant : toros de LA QUINTA pour Rafael Rubio 'Rafaelillo', Diego Urdiales et Alberto Aguilar.

08 septembre 2010

Le picador, le président et son délégué aux piques















Par une matinée de ce mois d'août ou de juillet,
un président, son délégué et un "encastoréñé",
vinrent méchamment à tchatcher
de l'objet sur lequel ce dernier besognait.

Eh là, l'ami, comment diable cette lance est montée ?
Ignorez-vous donc qu'en ces lieux la règle se veut respectée ?
Car, vers les cieux, votre lame est foutrement dressée,
et, me semble-t-il, vous n'y êtes pas autorisé !


— Cool, Raoul, répondit le mec, pas impressionné.
Quel mal vous prend de venir me les briser ?
Observez plutôt le geste : ma pique, à 180 degrés, est balancée,
et voyez, au final, comme le tranchant est désarmé.


Plantés cons comme des marcassins fraîchement nés,
d'un : « Ah ouais, dis donc, c'est vrai ! », tous deux acquiesçaient,
car, d'un coup sec de poignet, à l'endroit, en effet, la puya se retrouvait.
Pour l'enfoiré mal intentionné, l'affaire était savamment ficelée.

Ok, mais j'vous ai pas tout raconté, enchérissait le cravaté pas démonté.
Nous souhaitons qu'en deux fois, le fer soit trempé !
L'un pour que le bestiau puisse y goûter,
l'autre pour que sa Bravoure y soit "grave kiffée" ;


De ce tiers ignoré, la foule doit s'enthousiasmer,
que ce business soit rondement mené,
et si cela, au final, se voyait joliment fait,
de trois notes de musique, l'on vous récompenserait.


— Ta mère en short chez JotaC !
ricana le piquero, carrément gonflé.
— De votre zique, je n'ai rien à branler !
Savez-vous où vous pouvez vous la carrer ?


D'un autoradio, ma bagnole est dotée,
et si de "ziquemu" mes oreilles venaient à manquer,
c'est dans ma Benz décapotée,
que j'irais copieusement les soulager !


C'est pas pour l'arpège que j'me déguise en chevalier,
mais plutôt pour remplir mon joufflu porte-monnaie,
ceci dit, votre idée m'a bien fait marrer,
et la prochaine fois, d'un I-pod 3G mon poney j'équiperai.


A ces mots, le président et le délégué,
se voyant dans leurs 22 mètres renvoyés,
admettaient s'être bien fait carotter,
et de cette histoire, tous deux concluaient,

Que malgré l'or qui le recouvrait,
les honneurs qu'on lui devait, et bien que joliment coiffé,
en autre chose qu'une merde avérée,
un étron ne pouvait se dissimuler.

Post-scriptum Toute ressemblance avec des personnes ou des événements serait logique, puisque tout cela est absolument véridique. Alors, faudra pas venir pleurer quand, bientôt, on dira : « FUCK OFF, LA PIQUE ! »

Dessin © Jérôme 'El Batacazo' Pradet

Imbéciles heureux


Une explication m’en avait été donnée quelques mois plus tôt par Serge Velay alors que nous évoquions la plume de son ami Alain Montcouquiol. Serge m’avait glissé qu’à sa connaissance aucun imbécile heureux n’a jamais écrit quoi que ce soit d’intéressant. Ce n’était pas toute l’explication, mais ça en était une partie.

Des imbéciles heureux au campo. C’est sans aucun doute ce que nous étions ce jour-là chez Flores Albarrán, juste après Germán Gervás, juste avant Jacinto Ortega, sur les hauteurs d’Andújar, avant d’arriver à La Carolina. Un peu avant Despeñaperros. L’Andalousie des montagnes et des mers d’oliviers, son huile d’olive verte. La lumière du printemps jusque dans la salade de tomate et son huile d'olive verte incandescente, lumineuse et sublime.

— Demande-lui toi à la camarera ce que c’est que cette huile.
— Pardon madame la camarera, c’est quoi cette huile ?
(La camarera ébahie) Eh bien c’est de l’huile d’olive.
— Oui d’accord, mais elle vient d’où ?
(La camarera totalement hallucinée) Eh bien de la coopérative, en bas...
— Ah bon... vous pouvez me montrer la bouteille s’il vous plaît ?
Elle a dû nous prendre pour des tarés, ou des débiles, ou les deux. Elle s’est penchée et a sorti de sous le bar un énorme bidon, style jerrican d’essence, mais plein d’huile d’olive verte incandescente de la coopérative de La Carolina.
Elle a dû nous prendre pour des fous et nous en avons rigolé.
— Commande-lui encore une salade de tomate...

Chez Flores Albarrán il se dégage un sentiment d'éternité, une sérénité difficilement explicable. Ici le campo à perte de vue, et les toros sans les horribles fundas. Du Santa Coloma qui cohabite depuis des lustres avec du Samuel Flores, sangs mêlés.
Le printemps, les couleurs, l’herbe, les toros, les vaches. Le campo au superlatif et trois heures à le parcourir, dans tous les sens, tous les enclos. Trois heures à discuter avec le ganadero, expliquer, montrer, partager, ou se souvenir de cette course de Cenicientos, et rechercher les noms des toreros dans de vieux livres. En profiter pour feuilleter, remonter loin dans le passé. Là Manolete, plus près de nous Frascuelo pour deux vaches en tienta, quelques courses en France. Un voyage dans le temps. Des livres rongés par les années et écrits à la main d'une écriture comme on en fait plus. Plume Sergent Major et encre de chine, noire comme les toros.
Trois heures au moins dans cet univers, et rien à vous raconter. Serge avait raison. Il est possible que ces bonheurs-là ne se partagent pas. Impossible de les évoquer autrement qu’en effleurant superficiellement les choses.
Des imbéciles heureux, c’est ce que nous étions sans doute dans ce paradis presque perdu, le tracteur ou le 4x4 arrêtés, à écouter le silence et le mugissement des toros.
C’est aussi, en substance, ce que m’a raconté un jour René Chavanieu, mayoral chez Riboulet aujourd’hui à la retraite : « Tu vois petit, ce qui me manque le plus du campo, c’est le printemps, lorsque j’attachais mon cheval à un arbre pour y faire la sieste. Tu sais, chez nous, en Camargue, ces journées parfaites avec juste un peu d’air pour ne pas avoir chaud : tu te mets à l’ombre, tu te cales et tu t’endors, bercé par la brise. Et lorsque tu te réveilles, là, à tes pieds, les vaches broutent. Elles sont tranquilles, paisibles. Il n’y a que toi, le silence, la brise fraîche et les vaches. Et ça tu vois, mon petit, même les riches, avec leur pognon, ils ne peuvent pas se le payer... »

Le campo est parfois rude, difficile et ingrat. Mais il est parfois paradisiaque. Il suffit d’arriver au bon moment. Enfin...

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07 septembre 2010

Bar Tarifa


D’ici, l’on n’enverrait pas une carte postale. Ça doit pas exister d’ailleurs, les cartes postales d’ici. Les blocs de béton le disputent à l’asphalte et aux panneaux publicitaires de magasins qui tiennent plus de la zone désaffectée que du commerce bling-bling des années 2000. D’ici, on n’aperçoit même pas la sierra alentour, l’horizon n’a pas daigné aller plus loin qu’un vague immeuble en phase terminale de tout.
La fumée du "aquí se permite fumar" a refusé depuis longtemps de franchir le seuil de la porte d’entrée. Trop glauque dehors. Les cendres chaudes de mégots écrasés sur les carreaux cradingues valent mieux que le froid venteux du dehors. A l’intérieur, elle peut se déposer à loisir la fumée, sur les deux ou trois têtes de toros calées à jamais dans la pénombre, ou le long des dorures de cadres au dedans desquels survivent les souvenirs et les rêves d’un ganadero du cru, Manuel Hurtado (ganadería de El Retamar, encaste Núñez).
Il est là d’ailleurs. Posé sur un tabouret de bar, dos à la vitre sur laquelle des lettres maintenant floues n’annoncent même plus le menu. Il est comme en vitrine le ganadero. Comme à vendre, ici, où rien ne paraît digne de dépenser son flouse. Manuel Hurtado finit son repas. Au bar. Un café, un cognac ou un truc dans le genre, un machin de feu. Manuel Hurtado fume un cigare baveux en regardant les photos de ses sementales accrochées au-dessus du bar. Il y a son nom inscrit par là. La serveuse se fout de Manuel Hurtado. Pour dire vrai, elle se fout carrément que ce monsieur élève des taureaux de combat. Elle balance les tasses à café dans le fond du lavabo et les toros, qui sont partout ici, elle s’en carre d’un regard ténébreux, le cheveu noir tendu dans un chignon sévère. Ils n’ont même pas allumé la télévision. Des siècles en arrière, on aurait tué pour moins que ça, on aurait levé des bûchers grand spectacle pour imposer la civilisation. La télé se tait donc. Manuel Hurtado fume son cigare baveux en regardant les photos de son histoire, la serveuse se fout de sa présence, du froid du dehors et de cette Colmenar sordide battue par les vents de la sierra. Moustachu mais pas trop, le serveur est jovial. Il a la blague qui le démange comme d’autres fredonnent des airs populaires. Il parle à Manuel qui ne l’écoute pas vraiment, il apostrophe la serveuse qui se fout de ce qu’il déblatère, il nous parle parce que nous sommes là.

Derrière lui le regarde Curro Romero. Un buste minable du "Faraón" coincée entre des bouteilles de pinard et le fatras d’objets dont seuls les vide-greniers ont le secret. Le serveur le regarde du coin de l’œil au "Faraón". Il ne lui parle pas à lui. On ne cause pas aussi facilement à un mythe, même ici c’est-à-dire nulle part. Personne ne le dénoncerait pourtant. Mais non. Légèrement au-dessus du "Faraón", un livre trône. Il trône vraiment, il ose même aux côtés d’un pharaon. Franco : la biographie, une biographie, du "Caudillo". Des portraits l’illustrent. Une sale tronche ce Franco. Il serait mieux dehors lui, dans le vent et dans le froid. Mais il est là. Depuis toujours on imagine. Il a senti que Franco n’était pas notre tasse de thé ni notre digestif. Un malaise pour ainsi dire. Léger le malaise. Il a senti qu’il fallait s’expliquer.
— La patronne est franquiste !... Moi, je suis anarchiste !
Il a pris la pose militaire. Le dos droit. La tête haute. Manuel Hurtado a souri à travers la fumée, Curro Romero l’a regardé faire. Franco a dû saluer. Un anarchiste. Franco a dû saluer un anarchiste ! Il a ri de bon cœur. Il nous a souhaité bon voyage dans son pays.

Photographie Dans le bar Tarifa à Colmenar Viejo © Laurent Larrieu/Camposyruedos.com

06 septembre 2010

Atelier Baie, le site


Merci, franchement merci ! Nous n'allons pas nous cacher derrière notre petit doigt. Campos y Ruedos, le livre, se vend et se vend bien. Même l'éditeur est content, c'est vous dire.
Tout n'est pas encore vendu mais, cinq mois après le lancement, nous pouvons d'ores et déjà dire que le pari est gagné. La différence, aujourd'hui, pour ceux qui n'ont pas encore acquis ce numéro 01, c'est qu'ils peuvent désormais le faire en ligne, online, directement sur le site de l'éditeur : editions.atelierbaie.fr.

Et ça marche ! D'ailleurs, à l'occasion du lancement du site, les frais de port sont offerts pour la France métropolitaine. Vous pourrez par la même occasion y faire l'acquisition du Morantissime de la Puebla de Jacques Durand, ou des conversations entre Jacques Maigne et le peintre Claude Viallat, et bien d'autres choses encore comme In Vino.

Atelier Baie online, c'est par là...

Our Lady of the Harbour


Je n'imaginais pas que le Port du Saint Laurent pût avoir quelqu'intérêt, hormis celui anecdotique de nous remémorer "Our Lady of the Harbour", Notre-Dame du Bon Secours, vierge protectrice des marins de Montréal sur l'église de laquelle Cohen voyait le soleil pleuvoir comme du miel, à la tombée des lumineuses années 1960. Les Atanasio homonymes m'inclinent généralement à fuir les tendidos aussi sûrement qu'un hommage à Joe Dassin évoquant l'identique saint Laurent et les yeux d'Emilie, un soir de semaine quelque part sur France Télévisions. En outre, ce samedi-là, l'affiche annonçait Perera et autre Ponce, photocopieurs patentés de derechazos et double raison suffisante pour me convaincre de consacrer le temps de la corrida à l'évacuation par l'entremise d'un sommeil réparateur des séquelles de ma cuite de la veille. Le Nervión ne paraissait pas couler plus qu'à l'accoutumée lorsque je franchis le pont et quittai le Casco Viejo, sur les quais où la féria battait à la fois son plein ainsi que de multiples pavillons politiques ou antitaurins, je pensais qu'en ce jour béni d'un soleil rassurant, personne ne devait avoir l'idée de réclamer quoi que ce soit aux vierges des lieux. Pour ma part j'escomptais, sans pour autant en référer à la sainte Trinité, que le café et le solide déjeuner m'aideraient à vaincre ma nausée. Alentour, le quartier borgne au-delà de la voie ferrée vaquait en versions originales à ses activités louches, commerciales ou clignotantes. A dire vrai, je ne dormais pas du sommeil du juste, mais ronflais la mélodie du repentir dans les dernières vapeurs d'alcool de la nuit précédente.
J'ai beau ne pas être superstitieux, et j'y reviendrai, je ne fus pas étonné d'apprendre que non seulement Ponce avait triomphé en trémoussant ses fesses étroites en final de faena, mais que la course du Puerto s'était avérée rude et entretenue, tournant au combat de rue façon jadis sur le final, en particulier les deux derniers toros. Reposé et à peu près en ordre de marche j'avais rejoint les alentours affairés des arènes afin de recueillir à la source les premiers commentaires, et de "goûter" l'ambiance. Les environs immédiats de Vista Alegre bruissaient comme à leur habitude d'une activité fébrile mais silencieuse : en haut du mur, les vieux éternels s'accoudaient à la balustrade de la rue montant le long des tendidos du soleil, de petits groupes attendaient devant la grande porte des arènes, guettant les rapides baillements de celle-ci, le passage de techniciens, de photographes, ou la possibilité d'une photo distribuée par un chauffeur de coche de cuadrilla. Les enfants eux-mêmes paraissaient courir sans bruit, leur photo en main, les voix étaient basses, les oreilles tendues vers les sons que crachait à l'occasion le cratère de béton. Où en était la course ? Qui triomphait ? Comment sortaient les toros ? Rien de déchiffrable ne filtrait. Quand Ponce sortit, la cohue fut à la hauteur de Bilbao : une mitraille de stylos, de "¡Enrique!" et de tapes dans le dos se mit à fuser. Une bousculade civilisée. Urdiales, les yeux luisant de fatigue, le visage aiguisé par la tension suivait la cuadrilla, comme soulagé de voir Ponce happé et sollicité tel un éclaireur sacrifié, puis s'engouffra sitôt après lui dans le même fourgon*.
Devant les escaliers, je tombai sur un groupe connu trop heureux de raconter tout ce que j'avais manqué ce jour : le danger, la maîtrise de Ponce, les blessures, les "bestiasses", les "poncinas" enroulées. Michel me détailla la fin de la corrida avec une élégante retenue, alors que nous partions errer dans la nuit, entre Manolete, football, corrida rediffusée et poulet rôti. Maillot de l'Athletic sur le dos, les gamins cette fois-ci criaient à table, et Bilbao était de sortie. La Liga reprenait ce soir-là, la rengaine hebdomadaire d'un quotidien qu'il faut bien passionner et le miracle de l'été rendaient l'âme sans effusion particulière. Il était presqu'une heure du matin et sur l'écran, Urdiales suait sang et eau face au cinquième : Van Cleef et Palance réunis en un petit bonhomme sommé d'ouvrir grand les encoches de ses yeux et luttant pour engaillardir son corps de rien au moment de citer un monstre pour une série qui allait, il le savait, peser lourd dans sa petite muleta. Quatre ou cinq fois 600 kilos, on en était déjà à plus de deux tonnes. Urdiales semblait compter sur lui, sa technique et son abnégation. Je pensais à ses années de galères et d'entraînements inlassables sans toréer, ou si peu, lui-même y croyait-il encore ? Invoquait-il alors une vierge d'un port ou de la sierra pour lui venir en aide ? Y pensait-il aussi au moment de citer son adversaire et de commander à ses jambes de rester en place ? Oui, il s'était passé des choses sur le sable et dans la tête de Diego Urdiales.
J'avais perdu un jour de ma vie à Bilbao à ne rien faire, pas même une photo correcte, mais un jour à goûter le rare et nécessaire plaisir d'être loin, seul et sans but.

* Urdiales, venu en remplacement de Perera seulement quatre heures avant la course, n'avait pu rassembler sa cuadrilla. La corrida se déroula donc avec 4 picadors et 7 banderilleros.

05 septembre 2010

La grande route... Porto


Après le Campo Charro, Fuentes de Oñoro et sa frontière lunaire, le Portugal, direction Porto, désormais par l’autoroute, mais depuis peu. Avant, c'est-à-dire il y a encore deux ans, c’était la terrible IP5, notoirement meurtrière, cabossée, impraticable juste après la frontière, tourmentée et vicieuse à partir de São Miguel da Guarda.
Et puis il faut bien dire que les Portugais au volant, c’est un monde. Les doubles lignes blanches n'y peuvent rien. Le Portugal, ses incendies et ses fous du volant, son IP5. Voilà pour le côté obscur de la chose.
IP5, prononcer "I Pé Cinco". Itinéraire Principal, direct en enfer.
Mais après l’enfer, au bout de la route, après l’itinéraire principal numéro 5 : Porto, émouvante, intemporelle et entêtante pour qui veut bien se donner la peine de la découvrir, l’apprivoiser, la comprendre pour rapidement en tomber amoureux. Porto... Douro, Vinhos, Noval, Niepoort, Solar, Vila Nova de Gaia, Cais, Eiffel, Siza...
Jacques Maigne, que vous connaissez sans doute pour des écrits plus taurins, a commis il y a trois ans, pour le compte de la revue Géo, un superbe texte sur Porto, tellement juste pour qui connaît la ville. Et Jacques nous fait l’amitié de le partager ici avec nous. Alors profitez bien, Porto...

Le jeu de piste s’ouvre aux abords de la place de la Liberté et de la mairie, à la dérobée des immeubles cossus d’inspiration castillane. Dans le saisissant décor années trente du café Guarany, les indiens amazoniens peints par Graça Morais, artiste renommée, dévisagent des clients solitaires plongés dans la lecture des journaux. Bulle feutrée, luxe discret. A trois rues de là, dans les allées de Bolhão, forum nourricier de la ville haute, les marchandes de fleurs et de coquillages se houspillent à grands gestes. Elles sont les figures respectées de ce beau marché XIX°.

Aux étals de boucherie, on vend jusqu’aux cous et pattes des poulets, mais ce sont les tripes qui sont à l’honneur. Normal, c’est l’un des plats emblématiques de la ville, à l’origine du surnom des habitants, les « tripeiros », les tripiers. Vieille histoire. Epoque des conquêtes ultramarines d’Henri le Navigateur, héros local, où les « portuenses » offraient aux équipages en partance toute la viande disponible et se contentaient des carcasses et des abats.
Ce surnom, ils en sont fiers et les Lisboètes, ces « poètes » du sud qu’on appelle ici « mouros » (maures) ou « alfaçinhas » (petites laitues !), peuvent les railler à loisir. S’en moquent. Porto n’est pas une cité au charme alangui qui, à la manière de Lisbonne, l’éternelle rivale, cultiverait la nostalgie des océans perdus. Les « tripeiros » sont des travailleurs acharnés, des pragmatiques, des gens simples, directs, fidèles en amitié et tout cela leur convient. Et puis, cette saison encore, le FC Porto, ancré dans son stade du Dragon, domine le championnat de foot et tient à distance le Sporting Lisbonne. « Benfica, on n’en parle même pas ! » tranche Nelson, le vieux serveur de la Casa Antunes, rue do Bonjardim. Nelson entame sa trente-septième saison dans ce restaurant familial et Nelson est un artiste, un vrai, un de ces serveurs inspiré ailleurs disparus depuis des lustres.

Il conseille la morue aux oignons ou alors le jarret de porc au four « pour reprendre des forces ». Sa ville à lui, elle est ici, dans cette salle blafarde et chaleureuse où tous les habitués le saluent avec déférence. Porto regorge de ces petits lieux conviviaux et rassurants, ouvertement démodés, où se perpétue en beauté un art de la table ancestral. Roboratif.
La foule déborde des trottoirs, rejoint la rue Santa Catarina, l’axe piétonnier et commerçant, s’engouffre dans les allées d’un centre commercial mille fois vu ailleurs, envahit la terrasse du Majestic, la brasserie chic, et croise sans les voir des mendiants d’un autre âge dont ce vieux violoniste aveugle vissé au beau milieu de la chaussée.

Au delà des murs d’azulejos bleu fané de l’église São Ildefonso, la place da Batalha, pourtant largement remodelée, bascule sans prévenir dans les années cinquante. Les boutiques, la façade flétrie d’un cinéma, les pigeons sur les fils mais aussi l’allure même des passants... tout renvoie à des souvenirs de films anciens. En noir et blanc. Rue Cima da Vila, où des prostituées felliniennes se forcent à sourire à l’entrée de bars rougeoyants, c’est le Barrio Chino barcelonais qui émerge à l’improviste. Un peu plus bas, la peausserie O Crocodilo, elle, résiste contre vents et marées. Tomas de Almeida, le propriétaire, a sauvé à deux reprises son caïman du Brésil de quatre mètres de long suspendu au plafond. En 1990, les agents du fisc ont voulu saisir le monstre naturalisé au nom d’une circulaire européenne sur les espèces protégées. Quelques années plus tard, c’est la société Lacoste qui a exigé en vain un changement de nom et d’enseigne. Anecdote, oui, mais les « tripeiros », doux et discrets par nature, n’ont jamais aimé qu’on leur force la main.

Longtemps fief d’une bourgeoisie commerçante et libérale, métropole industrielle et ouvrière, Porto a toujours résisté, dans son histoire, à toute forme d’oppression (révolution de 1820, lutte contre les Espagnols puis les Français, opposition au régime de Salazar). Sans le crier sur les toits.
Dans la salle des pas perdus de la gare de São Bento, la foule gonfle à nouveau puis se disperse comme nuée d’oiseaux dans les ruelles proches. On se laisse porter par la vague, d’abord hésitant puis vaincu. Sous le charme. L’imposante cathédrale da Sé, la Torre de Clerigos, églises historiques, sont des sémaphores de granit où se glissent à toute heure des femmes pressées et silencieuses. Sur l’esplanade proche de l’université et du palais de justice, des tablées d’étudiants chahutent au café d’Ouro, plus connu sous le nom de Piolho. Foyer intellectuel et havre de toutes les conspirations durant la dictature de Salazar, ce bar historique vient de renouer avec les « tertulias », débats publics et enflammés.

Au fil des ruelles et de rencontres brèves, toujours souriantes, cette ville haletante, à la fois granitique et vaporeuse, distante puis d’un coup familière, reste nimbée d’un voile flou. Est-ce l’effet de la fatigue ? On a peu à peu l’illusion de remonter le temps, de frôler à la toucher la ville d’avant, la ville intacte. Rua das Flores, la déambulation prend des accents irréels.
Derrière la porte de cette boutique d’articles religieux, la vendeuse somnole dans la pénombre parmi des statuettes de vierges et saints aux couleurs criardes. Sur le même trottoir, la librairie Chaminé da Mota est un extravagant cabinet de curiosités, une caverne d’Ali Baba dont les sous-sols recèlent des dizaines de milliers de revues, de gravures, de vieux livres introuvables. Sur la place proche où pavane la statue d’Henri le Navigateur, le palais de la Bourse, lui, en rajoute. Le salon arabe du premier étage, inspiré dit-on des palais nasrides de l’Alhambra de Grenade, c’est l’orient kitchissime. Et, coup de grâce, à une encablure, l’église São Francisco vous saisit dès l’entrée dans son délire de bois dorés qui submerge les piliers, la nef, ruisselle sur les autels, enserre un arbre de Jessé en bois sculpté, gigantesque, vertigineux.
Point d’orgue du baroque portuense, ce décor fou, réalisé en 1753, avait alors nécessité l’usage de 210 kg d’or à 22 carats...

L’église cousue d’or, fermée au culte pour éviter sans doute de choquer les fidèles, est à elle seule parabole. Le baroque et la mouise. On est au cœur de la ville d’origine, au beau milieu des quartiers qui jouxtent les quais du Douro, si touristiques. Andreia Costa, étudiante en architecture, évoque d’une voix frêle le déclin du centre historique et la pauvreté, la survie, la solidarité de tous ces gens modestes, protégés par une loi qui bloque les loyers depuis les années cinquante. Elle décrit leur vie de « naufragés », au beau milieu du périmètre classé depuis 1996 au patrimoine mondial de l’UNESCO, à deux pas des vitrines pimpantes du quai de la Ribeira, là où resplendit le fameux pont métallique Dom Luis Primeiro, joyau de l’école Eiffel. Pour elle, pas de doute : ce « télescopage » est bien à l’origine des « émotions du vieux Porto ».

C’est tout le paradoxe du grand port du nord, son étrangeté, sa poésie aussi. En dix ans, Porto l’industrieuse, la pudique, s’est pourtant métamorphosée. Nouvel aéroport futuriste, métro au design parfait, Casa da Musica tombée du ciel, d’ores et déjà considérée comme une des meilleures salles du monde, promenade maritime totalement rénovée à Foz de Douro... « Ma ville provinciale est devenue européenne » admet Andreia. « Mais ce n’est qu’une apparence » rectifie-t-elle aussitôt.

Porto multiplie les ruptures de rythme, de ton et se révèle pas à pas, au jour le jour, au rythme ralenti des « rabelos », les voiliers qui transportaient jadis les vins de la vallée du Douro. Le jour décline le long du fleuve et le petit tramway à sièges cannés se rapproche de l’embouchure dans des crissements métalliques. A São João da Foz, les ruelles pavées, bordées de petites maisons colorées, perpétuent le charme de l’ancien quartier des pêcheurs. Village replié, silencieux. Rua das Motas, un café minuscule, quelques ateliers d’artisans et une poissonnerie sont au coude à coude, en résistance. Les voisins de la vaste avenue Gomes da Costa, eux, sont calfeutrés dans de somptueuses villas et le musée d’art contemporain du parc Serralves est un éblouissant vaisseau blanc, chef-d’œuvre de l’architecte Álvaro Siza.

Vers Boa Vista, le quartier bourgeois et résidentiel, les signes anciens s’espacent, la ville se normalise, se civilise. Au sommet de la Casa da Musica, gigantesque cube de verre et de béton clair, des hommes d’affaires déjeunent et chuchotent dans le décor épuré du Kool, la table chic et design du moment. Tout au nord, près de Leixões, le port de pêche le plus actif du pays, joggers et promeneurs se croisent dans l’immense Parque da Cidade (50 ha) puis baguenaudent le long de la promenade maritime, totalement redessinée au ras de l’eau pour les piétons.

Ce sont quelques-uns des habits neufs de la ville, quelques signes de la mutation en cours. Mais la grande métropole du nord portugais (270 000 habitants intra-muros, plus de 2 millions dans l’agglomération) est encore entre deux eaux, entre deux âges, à l’image de sa confluence physique entre Douro et Océan. Equilibre fragile. Fuyant. Troublant. On traverse la cité d’aujourd’hui, la cité bouillonnante, en mouvement et c’est la ville ancienne qui ressurgit. S’entête. S’incruste. Imprime sa douce et persistante mélancolie.
Jacques Maigne