30 novembre 2009

Sánchez Fabrés a punto de desaparecer...


La ganadería de Sánchez Fabrés está a punto de desaparecer y, con ella, el encaste coquilla, que se encuentra en vía de extinción.
La diversidad de la cabaña brava es cada día más pobre, y así la tauromaquia pierde fuerza y belleza.
Nosotros los aficionados no tenemos muchas posibilidades de reacionar frente a esta triste noticia, pero lo mínimo que podemos hacer es decir a Sánchez Fabrés que apoyamos, por lo menos moralmente, su tarea. Aunque es muy difícil, vale la pena intentarlo. Por eso invitamos a aficionados, críticos taurinos, empresarios, ganaderos, mozos de espada o quienquiera que sea a que mandéis un mensaje de apoyo antes del miércoles a nuestro email contact@camposyruedos.com. Se los remitiremos al ganadero.
Pedimos a los webmasters de páginas taurinas, grandes o pequeñas, que difundan este mensaje de la forma más amplia posible.

Gracias a todos.

* * *

La ganadería de Sánchez Fabrés est sur le point de disparaître, et avec elle, c’est l’encaste Coquilla qui se retrouve en voie d’extinction. La diversité de la cabaña brava s’amenuise tous les jours un peu plus, la tauromachie y perdant sa force et sa beauté.
Les aficionados que nous sommes ont peu de moyens de réaction face à cette triste nouvelle mais le minimum que nous puissions faire est de montrer à Juan Sánchez Fabrés que nous le soutenons, ne serait-ce que moralement. Le combat, si dur fut-il, vaut peut-être la chandelle d’être poursuivi…
Pour cela, que vous soyez aficionado, chroniqueur taurin, empresario, torero, ganadero, mozo de espada ou autre, écrivez avant mercredi soir (02 décembre 2009) un message de soutien à Juan Sánchez Fabrés à l’adresse suivante : contact@camposyruedos.com. Nous ferons suivre au ganadero.
À l'attention de tous les webmasters de sites ou blogs taurins, grands ou petits, veuillez avoir l’amabilité de diffuser ce message le plus largement possible.

Merci à tous.

Descanse en paz



Sevilla n'aura plus la même couleur spéciale.

Descanse en paz, Jacques.

29 novembre 2009

Pauvre de nous !


Hier, au Vélodrome de Marseille, les All Blacks de Nouvelle-Zélande jouaient... en blanc ! Comme ils jouèrent en gris au Millennium Stadium de Cardiff, contre ces mêmes Français, en quart de finale de la dernière Coupe du Monde... Je ne connais ni le pourquoi ni le comment de ces deux états de fait (en 2007, sous la « glorieuse » ère Laporte, le résultat d’un tirage au sort ridicule, je crois), mais il me semble que tout amoureux de ce jeu, respectueux de ses valeurs et de sa culture, devrait trouver très triste, pour ne pas dire im-pen-sable, que les All Blacks ne revêtissent pas leur tenue noire en toutes circonstances, sans exception ! Les « Blacks », c’est tout de même quelque chose dans l’ovalie, non ? Et lorsque l'on prétend appartenir à ce monde-là, quel symbole plus fort, quel mythe plus grand que ces quinze hommes en noir ?
Malheureusement, en ces temps où l’arrogance, la vulgarité et l’inculture (entre autres) sont chaque jour brandies un peu plus haut (et au plus haut niveau), plus rien ne nous étonne... Pauvre « fédé », pauvre encadrement, pauvres médias, pauvre équipementier, pauvres joueurs... Pauvre public ?... Pauvre rugby !

Enfin, et pour finir comme il se doit par une métaphore taurine, osons voir, dans ce passage au blanc, la perte du diamant : une espèce d’afeitado rugbystique, en somme...

PS Les Néo-Zélandais avaient Hayman — ils ont aujourd’hui Woodcock —, et « nous » on a eu Milloud, certes, mais on a toujours Marconnet... C’est trop injuste, n’est-ce pas cher Batacazo ?

Image Le 25 novembre 1967, à Colombes, il y aurait (au moins) eu émeute... Demi de mêlée du CA Brive et de l’équipe de France, Marcel Puget derrière son pack face aux All Blacks (15-21) © Éditions Afitch (archives du journal L’Équipe)

28 novembre 2009

Meurent les civilisations (II)


La saignée des grands noms du campo Charro continue. Après Atanasio, au tour de Sánchez-Fabrés de se retrouver au pied de la potence. Ça devient écœurant d'écrire là-dessus, sur la mort des civilisations, sur la nostalgie de ce que l'on a aimé, sur ces encastes qui disparaissent.

Martín Ruiz Gárate 'Bastonito' l'a très bien fait sur son blog Taurofilia.

Rien que le titre en dit beaucoup, El toro pasteurizado, et le reste de son analyse vaut évidemment la peine d'être lu... et relu.

Photographie
Deux vaches Coquilla de Sánchez-Fabrés en pleine pelea © Camposyruedos

27 novembre 2009

Sans titre



sous les étoiles

un rond

de sable



quelques hommes

l’air frais

de l’automne



deux raies de chaux

une paire

de cornes



derrière __— le 7 —

sentir l’haleine

de mort



la devise

ne pas perdre de vue

la tête



oublier la peur

pas la bête

la peur



Image © François Bruschet

24 novembre 2009

Ida y vuelta, correspondance flamenca y madrileña... (III)


Nous continuons nos pérégrinations flamencas en compagnie du Ciego, qui revient sur Juan Ramírez, pour commencer...

« François,

Comme l’a si bien rappelé Yannick, Juan Ramírez est camelot, ou le fut. Il vend des chemises ce qui n’a rien d’étonnant pour un gitan car il y a une expression chez eux, « partirse la camisa », dont l’emploi correspond à cette acmé où un cantaor, un danseur, réussissent à atteindre les marges où se tient ce détraqué de duende. Il faut bien les remplacer, ensuite, ces chemises saccagées ! Alors un des leurs qui en vend, c’est une aubaine, non ? Lors du rite du mariage, les proches des époux n’hésitent pas non plus à mettre en morceaux leurs liquettes sous le coup de l’émotion incontenable que peut engendrer un moment si important pour la communauté.
Liens, rites, commnauté.
C‘est certainement ce que tu as senti en allant flâner dans les à-côtés de Casa Patas.
Tiens, il y a cette letra que chante Camarón qui surgit, évidente. Elle dit :
« Soy gitano / y vengo a tu casamiento / a partirme la camisa / que es la unica que tengo ». Il enregistra en 1989, soit quatre ans avant sa disparition, ce cante por tango avec le Royal Philarmonic Orchestra de Londres. Hérésie ? Jacques Bacarisse disait toujours que le plus beau disque de pasos taurins que sa mélomane oreille avait entendu, était né des instruments de ces mêmes musiciens perfides et d’Albion. Comme quoi…
Soy gitano n’est pas le dernier album qu’enregistra le blond de La Isla de San Fernando. L’ultime s’intitule Potro de rabia y miel et pour celui-là, Paco et Tomatito s’étaient donnés le mot, celui de la nécessité des nécessités, car ils soupçonnaient déjà qu’il n’y aurait peut-être pas d’autre occasion de réunir ce cercle intime et somptueux autour de la figure qui relevait déjà du mythe mais que le mal taraudait.
Potro… fut enregistré à Barcelone en 1991. Le 25 janvier de l’année suivante Camarón donnait son ultime concert au San Juan Evangelista (c’est une salle de l’université de Madrid, les fidèles de l’endroit l’appellent « El Johnny »). Le 4 juillet il s’éteignait.
Douleur de bronze et d’osier quand j’y repense.
Sur Potro… il y a quelques morceaux où on entend un zapateado. C’est presque un orage crépusculaire. Sur la pochette intérieure on lit : « Baile : Ramírez ». Oui, François, Juan Ramírez el grande, celui que vous avez vu de vos yeux vus.
Au fait, j’ai relu le post des pinchos où je parlais du bar Candela. S’y lisait un grain de nostalgie. « Es que somos antiguos » m’a confié l’autre jour mon cher Sol y Moscas.
Peut-être. Je ne sais pas.
Mais depuis ce temps j’ai réussi à percer un mystère : l’homme à la doudoune bleue, l’arpenteur compulsif comme j’aime à l’appeler, un peu « lolo » et te demandant à tout bout de champ si tu as du feu, qui t’engueule parfois et qui semble être chez lui telle une ablette dans un trou d’eau, eh bien je sais qui c’est : c’est « El Molilo » alias Pepito Carbonell, le frère du guitariste « El Bola » qui, amoureux fou d’une Heredia - La Manuela -, se vit délaissé par cette dernière parce qu’elle était amoureuse d’un « primo hermano ». Depuis le Molilo déraisonne, c’est certain, mais chacun, dans ce monde où la maladie et les afflictions sont terriblement redoutées, respecte son égarement.
La Manuela, c’est la fille du « Farruco » né dans la banlieue de Madrid à Pozuelo de Alarcón. Lui, c’est ce bailaor génial qu’on voit dans le Flamenco de Carlos Saura sur une solea chantée par le « Chocolate ». « Farruco », que d’aucuns pourraient qualifier de laid et difforme, quand il mettait sa « pataita », c’est-à-dire son coup de jambe gitan pour un défi au temps et à l’espace, il en finissait pourtant avec tout le monde. « Acababa con todos ».
On pouvait continuer la juerga pendant des jours, son passage était gravé à jamais dans les rétines.
Note qu’on a failli le perdre puisqu’il avait décidé de ne plus jamais danser suite au décès d’un de ses fils « El Farruquito ».
Il garda pendant très longtemps le deuil a lo gitano : sans se couper les cheveux ni la barbe, pas plus que les ongles. Ce sont ses filles qui réussirent à le convaincre en lui montrant que le petit-fils, Juan, avait le talent pour reprendre le flambeau. C’est lui aujourd’hui qui danse sous l’apodo de « Farruquito ». Antonio, son grand-père, est allé rejoindre l’enfant bien-aimé et trop tôt ravi en 1997. Il reste encore aujourd’hui l’archétype du danseur d’instinct, presque animal. Un bicho.

Tu vois, François, dès qu’on s’enfonce dans les mythes et les morts chez les flamencos, on n’en sort plus. C’est que cet art sans alphabet a besoin d’énormément se raconter et se souvenir pour survivre.
Alors on peut se dire que, modestement, avec cette correspondance virtuelle, nous perpétuons une tradition.

Bien à toi,
Ludo »

22 novembre 2009

Meurent les civilisations


Les civilisations meurent un jour. Tu t’en rendras compte. Certaines, avant, se diluent et essaiment leur dernier souffle dans celles qui viendront parader à leur place. L’Histoire ne raconte pas autre chose.
Je me rappelle que c’est là, précisément là, à "Campocerrado", sur les hauteurs d’un cercado à l’herbe rase et jaune comme le poil de ces cabots bonzaïs qui courent au cul des vélos sur les routes de campagne que j’ai senti pour la première fois la force d’un toro de combat. Non pas que je n’eus jamais auparavant l’occasion de m’en rendre compte (il suffit pour cela de s’asseoir sur les gradins d’une arène, tu t’en rendras compte) mais il faut croire que la sérénité apaisée du campo, les attitudes chaloupées de ce lot destiné à Bayonne, le vent froid et grisant d’un matin à peine réveillé et les piaillements de cette nature toute incarnée par les torsions centenaires d’énormes encinas m’ont fait sentir la réalité de cet animal d’une façon inédite et saisissante. Le mayoral, peu affable, un rien apathique, se mit à pester pour de bon en découvrant les œuvres de la nuit. Au travers du flot soudain et inattendu de ses mots, on devinait au milieu de la clôture de barbelés un trou béant qu’un triste piquet de béton totalement et purement déraciné tentait vainement de dissimuler en insistant pour rester debout. L’inspection terminée, le mayoral, rattrapé par le froid et le défilement des heures, maugréa qu’il s’agissait de deux toros (un negro et un carbonero) qui louchaient depuis quelques jours déjà sur les atours provocateurs de vaches mansas et qui avaient craqué la nuit dernière. Ils n’ont pas frappé comme des gentlemen, ils n’ont certainement pas entonné de sérénade, ils n’ont même pas envoyé de sms pour prévenir de leur subite arrivée et de leur furieuse envie ; ils ont défoncé le barbelé en arrachant du sol deux piquets de béton enfoncés et scellés sur une cinquantaine de centimètres au bas mot. Des rustres ! En les voyant au loin nous regarder plaindre ces deux pauvres piquets massacrés, je n’ai pas eu envie d’approcher plus, pas même de prendre une photo, ni même de parler, ni même d’avoir froid, de sentir la fatigue, d’avoir envie de pisser ou de rêver d’un café dans une station Repsol. Rien !
Je suis revenu il y a deux ans peut-être. Oui deux ans. C’est facile de se rappeler. On est resté sur le bord de la route, au bas d’une descente. On devinait à peine, derrière le touffu des feuilles rêches d’encinas, la grosse demeure blanche. Et puis il y avait des toros (des novillos à dire vrai) dans le cercado devant nous, certains se reflétaient dans une mare remplie du ciel superbe de ce jour-là. Ils ont fui en nous voyant les regarder. Nous étions loin mais ils ont fui et on ne les a plus entraperçus qu’à la manière de vagues ombres qui traversent les rues vides des grandes villes, la nuit, quand les autres dorment. Tu étais là. Tu ne t’en souviens évidemment pas, c’est normal mais je te le dis, tu étais là et c’étaient tes premiers toros. Des Atanasio Fernández.

Tu n’en verras plus des atanasios car il n’y en a plus à l’heure où j’écris ces mots. Des de chez "Campocerrado", il n’y en a plus. C’est un peu triste comme nouvelle et assez dérisoire aussi parce que des toros, il en reste un paquet au campo (enfin dans ce qui ressemble encore à du campo) et ce n’est pas la mort annoncée d’un élevage qui a marqué le XXème siècle qui devrait me pousser à écrire avec des "je". Pourtant, tu le constates, j’écris à la première personne et je me dis que tu n’en verras jamais des Atanasio Fernández. Tu ne verras pas non plus les Justo Nieto, les Fernando Palha parce qu’il sera peut-être mort (et après lui ?) quand tu auras l’âge d’en voir, les tulios que l’on n’espère même plus, les Pablo Romero, les Barcial (que deviennent-ils ?), les Valverde, les Clairac... J’en oublie, tu imagines bien. Comme Jijón, Aleas, Martínez, Saltillo, Palha (ceux d’avant, les jumeaux, et même ceux d’après jusqu’à Folque) furent pour moi des rêves de papier et des noms d’une mythologie dont j’avais du mal à dresser un tableau clair et distinct, ces noms que je viens d'énumérer ne seront certainement pour toi qu’une brise légère qui t’apportera les odeurs rassurantes de mots entendus dans l’enfance.
En lisant la nouvelle de cette agonie mal engagée, j’ai repensé à ces toros qui fuyaient devant nous ; devant toi qui étais là même si tu ne t’en souviens pas, évidemment. J’ai repensé à ce piquet de béton mutilé par les ardeurs de deux brutes. J’ai pensé que ce n’était que le début d’une série qui s’annonçait terrible. Les guardiolas ne sont plus que survivance, les Conde de la Corte ont toujours des cornes mais pour combien de temps, les miuras se travestissent lentement au gré de l’évolution de la tauromachie, Victorino produit à la chaîne, en série comme à l’usine, et Cuadri s’est agenouillé un peu plus cette année à Céret. J’en oublie, tu imagines...
Les civilisations meurent. L’Histoire ne raconte pas autre chose. Tu verras.

A lire au sujet de la ganadería d'Atanasio Fernández : Glorieta Digital.

Photographies Des cuatreños d'Atanasio Fernández au début des années 2000 et un novillo à "Campocerrado" en décembre 2007 © Camposyruedos

19 novembre 2009

Toro estrellado


Le 18 octobre dernier à Las Ventas, les quelques aficionados qui, en désespoir de cause ?, s’infligèrent une novillada pour le moins accidentée* de Mercedes Figueroa (!), eurent tout de même la chance — et c’était moins une après le renvoi de l’ultime novillo avant la tombée du rideau sur la temporada — d’apprécier la présence rarissime d’un toro estrellado scintillant dans l’antre madrilène...

Dans le cercle fermé des toros possédant une tache blanche sur le front :
le lucero (étoile) l’a relativement imposante et en forme de triangle (la base en haut) ;
le facado (en référence à la lame d’un grand couteau, faca en esp.) l'exhibe sous l’aspect d’une « barrette » horizontale ;
l’estrellado (étoilé) l’affiche plus modeste que son cousin lucero et, détail important, avec des contours fort irréguliers.

Attirer le regard pour le faire glisser jusqu’aux yeux de la bête qui l’a d’autant plus sérieux : là résiderait le pouvoir mystérieux de l’étoile...

* Quatre novillos du fer titulaire, deux de Pablo Mayoral pour compléter le lot, et la sortie de deux sobreros, l’un d’Hato Blanco, l’autre de José María Escobar.

Image ‘Caleño’, novillo negro entrepelado bragado meano estrellado rebarbo du fer santacolomeño des Héritiers de José María Escobar © Juan ‘Manon’ Pelegrín pour Las-ventas.com.

18 novembre 2009

Saint-Sever, bis


Pour ceux auxquels cela aurait échappé, il a beaucoup plu sur le Sud-Ouest ces derniers temps. Ainsi, la novillada non piquée prévue le mercredi 11 novembre 2009 à Saint-Sever a-t-elle été reportée au samedi 28 novembre 2009 à 15h30 avec le même cartel et, en particulier, avec du bétail encasté Coquilla de Mariano Cifuentes (par El Raboso).

Photographie Une vache Coquilla cousine de celles de Mariano Cifuentes puisqu'elle aussi descend de l'élevage de El Raboso - vache de La Interrogación © Camposyruedos

14 novembre 2009

Théâtre d'ombres


Ce jour de mars dernier à « Monteviejo », entre Moraleja et Coria et sous une chaleur à faire crever les mouches, après notre passage à l’usine de « Las Tiesas » gardée par un cow-boy farouche, mesdames les vétérinaires de l’UCTL soignaient, monsieur Victorino Martín hijo dirigeait, sa fille notait, les vaqueros sifflaient, Thomas observait, les bêtes mugissaient, Yannick fondait, les chevaux dormaient, Laurent bricolait et moi, je m'impatientais...

Victorino père, quant à lui, coiffé d’un pain de sucre en paille et armé d’une patience de garde suisse, ne perdait pas une miette de cette pièce de théâtre à laquelle il donnait l’impression d’être étranger, comme exclu de la distribution. Il était là sans être là et, pourtant, nos yeux ne voyaient que lui. Lui, ce petit bonhomme râblé à la classe énorme, ce fier paysan au visage attendrissant. Ce ganadero de prestige.

Le saneamiento et l'entretien avec le fiston* terminés, le paleto nous fit monter dans son auto, direction le superbe campo des monteviejos. En provenance directe de chez Barcial, il fut un temps pas si lointain où les magnifiques patas blancas des Victorino mettaient une fois l’an Las Ventas en panique : des estampes sortaient, les picadors se signaient et charcutaient, les banderilleros se sauvaient, les matadors abrégeaient. Certains saluaient.

Nez à la portière, Victorino père portait loin son regard mouillé, si loin qu’il passait sans mal au-dessus des masses noires et blanches montées sur leurs courtes pattes à gros sabots. Des cornes orientées vers le sable, d’autres en pinces de crabes... Il est assez clair que la marée monte lentement mais sûrement et que, dans l’indifférence de son propriétaire (?), Monteviejo marche de travers. Au grand désarroi du vieux Victorino. Au grand dam des aficionados.

* Parfois, quand on réalise l’importance des sangs qui sont entre ses mains et que l’on entend son discours, bien conventionnel — ou l'art de dire ce que votre interlocuteur souhaite entendre —, on est en droit de se demander de qui, entre un Juan Pedro Domecq (par trop ouvertement débile) et lui, il nous faudrait davantage se méfier...

>>> Retrouvez la galerie consacrée aux Monteviejo sur le site à la rubrique CAMPOS.

Rappel
Si vous avez Deux secondes, (re)lisez donc le texte de Laurent. Si vous en avez 5 de plus, (re)plongez-vous dans Victorino, Victorín... de Solysombra et repassez-vous la galerie des victorinos réalisée dans un décor « printanier » éclatant de beauté...

Images Une estampe noire et blanche, un des rares monteviejos « de Madrid » © Camposyruedos Parce que j’ai longuement hésité lors de la rédaction du post précédent... Une peinture noire et blanche de Pierre Soulages / 19 juin 1963, 1963 / Huile sur toile, 260 x 202 cm © Collection Centre Pompidou, Musée national d’art moderne.

13 novembre 2009

Chambre noire


Une exposition rétrospective du peintre Pierre Soulages (Rodez 1919) est actuellement visible au Centre Pompidou, et ce jusqu’en mars prochain. On vous laisse le temps. Je ne sais ce que M. Soulages, apôtre de l’outrenoir, pense de la tauromachie. Certes, les toros y sont (souvent) noirs...
Quelques jours avant l’inauguration en grande pompe de cet événement culturel parisien, très nombreuses furent les rédactions à avoir publié la dépêche de l’Agence France Presse (AFP) dont le titre, Pierre Soulages dans son habit (noir) de lumière au Centre Pompidou, ne manque pas de m’interroger... Qui pour m’éclairer ?

Soulages au Centre Pompidou à Paris, du 14 octobre 2009 au 8 mars 2010.

Une exposition du photographe Jean-Luc Mylayne (Marquise 1946) est à voir au Fonds Régional d’Art Contemporain (FRAC) Auvergne à Clermont-Ferrand, et ce jusqu’à la fin novembre. Va pas falloir réfléchir trop longtemps. Adepte du moyen format et allergique au téléobjectif, ce que Jean-Luc Mylayne pense des toros, je n’en ai, là non plus, aucune idée. Certes, il consacre sa vie à photographier des oiseaux sans se considérer comme un photographe animalier...
Son truc à lui, après la confection de lentilles spéciales et un travail préparatoire de longue haleine, c’est réaliser un tableau unique en captant un moineau sur le manche d’une brouette ou une mésange le bec dans l’eau. D’autres — Michael Crouser* par exemple — saisissent au vol la main ouverte d'un Juan Mora exécutant une revolera.

Jean-Luc Mylayne aux Écuries de Chazerat, 4 rue de l’Oratoire à Clermont-Ferrand, du 17 septembre au 29 novembre 2009. Du mardi au samedi de 14h à 18h et le dimanche de 14h à 17h. Entrée libre. Tél. 04 73 318 500.

* Crouser (Los Toros, septembre 2007) & Mylayne (Jean Luc Mylayne, novembre 2007), tous deux édités par Twin Palms Publishers (Santa Fe, Nouveau-Mexique).

En plus
Sur Jean-Luc Mylayne :
un épais dossier d’exposition proposé par l’Académie de Clermont ;
un fort bel article, Saisi au vol, de Luc Desbenoît paru dans le n° 3101 de Télérama (17 juin 2009) ;
par le même, le « feuilletage » vidéo de son ouvrage (voir plus haut) et ;
les pages que lui consacre la Gladstone Gallery à New York.

Images © Jean-Luc Mylayne / N° 4, juin, juillet, août 1979 / 160 x 120 cm /// N° 366, février, mars 2006 / 123 x 153 cm.

12 novembre 2009

Merci Carcassonne !


Je vous disais hier, à propos de la programmation orthézienne, à quel point nous goûtons, à Camposyruedos, le fait que des organisateurs aient assez d’enthousiasme et d’afición pour oser sortir des sentiers battus et du politiquement correct : Rodríguez Montesinos et Nieves cette année, Saltillo en 2010.
J’évoque Orthez car évidemment Céret et Vic sont maintenant bien installés.
Noël approchant, c’est l’heure pour les institutionnels en tous genres de remettre leurs prix, éditer des palmarès. Ce sera l’occasion ensuite d’organiser un apéro...
La plupart du temps, à la lecture de ces palmarès, on se dit que les choses relèvent plus du pittoresque et du contextuel que de réflexions réellement profondes. C’est encore plus vrai depuis que l’ANDA s’est retirée du devant de la scène et qu’avec elle a disparu le seul palmarès qui fut réellement digne d’intérêt, quoique pas toujours très lisible.
Ce n’est pas très important. Ces choses sont surtout l’occasion de faire circuler des informations qui n’en sont pas, d'alimenter les chroniques hivernales et de faire causer. La preuve !
Ca fait causer, mais parfois ça énerve aussi.
Que les critiques taurins du sud-est ne trouvent pas un seul novillero à primer en 2009 et glissent donc sur Juan del Álamo (ça ne s’invente pas, ça !), ce n’est pas très grave. Cela prête simplement à sourire car le Salmantin n’a évidemment nul besoin de ceci.
Par contre, la mise à l’écart quasi générale d’une placita comme Carcassonne, certes géographiquement en marge, mais qui elle aussi, sans bruit et avec sérieux, ose sortir des sentiers battus, voilà une faute de goût à mon sens impardonnable. Carcassonne a tout de même eu le nez de sortir en 2009 cette inoubliable novillada de Joaquín Moreno de Silva et son extraordinaire 'Diano'... Conséquences et résultats dans les palmarès divers et variés : rien.
Ah si, je sais plus où, pour l’alguazil qui a failli y laisser sa peau et qui depuis va beaucoup mieux. Merci pour lui. Mais pour Joaquín Moreno de Silva ou 'Diano' : rien.
A Camposyruedos nous n’allons pas avoir le mauvais goût de nous mettre à décerner des prix. Alors, simplement, en cette période de distribution de bons points : merci Carcassonne ! Juste Merci ! Tenez, je vous remets un petit coup de 'Diano'.

_DSC0171

11 novembre 2009

Piqûre de rappel


Affiche Figueras 1919Pour les fidèles, rien d’étonnant, mais autant avertir l’aficionaute de passage afin de lui éviter deux types d’égarements, celui de perdre son temps ou de se perdre en conjectures.
Qu'elle soit classique, mexicaine ou andalouse, à faces concaves ou convexes, qu’il s’agisse de tienta ou de regatón, tout ce qui de prêt ou de loin se réfère à la tranchante pyramide éveille notre curiosité.
Bref, qu’on se le dise, la pique, c’est notre dada !
Il suffit pour s’en convaincre de cliquer ici. Vous constaterez alors à quel point ce sujet passionne l’ensemble des chroniqueurs de Camposyruedos.
La défense du premier tiers est essentielle pour l’avenir de la tauromachie. Tout simplement parce que le tercio de varas, c’est le moment où tout commence, où se révèle la bravoure, parfois même le poder, la force brute, la puissance animale. C’est le moment où, souvent, par la faiblesse des bêtes ou l’indigence des hommes, tout finit. Ne nous y trompons pas, si le premier tiers venait à disparaitre, comme le souhaite tout haut JP Domecq et le pensent tout bas de nombreux autres, c’est tout l’édifice taurin qui vacillerait sur son socle. Le Toro de lidia, littéralement de combat, doit se comporter en bravo, en sauvage, en fauve car sa combativité est une caractéristique fondamentale dans l’alchimie des valeurs qui composent la caste. A trop forcer la nature, on oriente le Toro vers une mutation édulcorée, exclusivement axée sur la noblesse. On le transforme en faire-valoir tournicotant autour d’artistiques toreros. Une fois métamorphosé, au mieux, en partenaire, au pire, en collabo, il est gracié.
Cette épidémie d’« indultite » aiguë gagne de saison en temporada nivelant par le bas les valeurs tauromachiques, semant la confusion sur les gradins et maintenant l’illusion que dans une arène tout se vaut... Pardon, tout ce veau !
Si le premier tiers disparaît, c’est le Toro Bravo qui s’efface et la tauromachie y laissera son âme. Le débat n’est pas nouveau mais nécessite que l’on y revienne régulièrement pour être immunisé. En guise de vaccination, une pique de rappel livrée à votre sagacité sous forme de traduction.

Texto Picar en lo altoCommentaire d’une gravure de Perea parue dans la revue LA LIDIA sous le titre, Picar en lo alto, en date du lundi 27 août 1900.

"C’est à peine si hormis les illustrations on peut encore voir de belles piques, ces grandes piques placées entre les épaules, ces piques où les cavaliers, en accord avec les principes qui régissent les bonnes pratiques du toreo, visent juste, obligeant l’adversaire à plier le cou, à aller de l’avant, jusqu’à ce qu’il cède en abaissant la tête sans prendre pour autant de mauvaises manières, ces piques qui permettent de régler le mouvement de l'encolure tout en modérant la rudesse de la bête, rendant possible le déroulement du combat lors des tiers suivants.
On ne voit plus souvent cela dans nos amphithéâtres comme c’était le cas en d'autres temps. Aujourd'hui, la grande majorité de ceux qui se destinent à piquer les taureaux sont certes d’excellents et robustes cavaliers, ne manquant pas de courage, mais ils ignorent tout de leur art comme du bétail avec lequel ils doivent constamment composer.
Car on ne peut réduire la suerte de varas à un puyazo très appuyé, il faut aussi faire preuve de savoir-faire, connaître le bétail, son comportement, ses querencias, afin de choisir où se placer, dans les terrains offrant l’avantage, là où l’on est le plus efficace et le moins exposé en cas de chute.
On pourra toujours objecter que la plupart des chevaux ne sont pas appropriés à la mise en valeur des cavaliers. Cependant, pour y remédier, il existe l’examen des montures, mais cette opération qui se déroulait auparavant en présence des autorités et des matadors de la course n’est plus actuellement pratiquée en bonneGravure de Perea La Lidia 1900 et due forme.
De nos jours ces épreuves ont un air angélique, mais plutôt que de sélectionner les chevaux résistants, possédant de solides appuis, une bonne bouche et dépourvus de tares, elles se résument en arrangements entre fournisseurs et cavaliers.
Ainsi donc, il n’y a rien d’étonnant à ce que ces puyazos mémorables qui firent la réputation de tant et tant de picadors consciencieux ne se voient plus désormais, en règle générale, que sur les planches des journaux. La tauromachie en est rendue à cette extrémité."

Orthez 2010, en terres de Toros


C’est désormais officiel, en 2010 Orthez verra débouler une corrida des peu contemporains toros de Madame Dolores Aguirre.
Ce n’est pas une nouveauté, mais une corrida de la Doña, brave ou mansa, c’est la promesse et l’espoir de sortir de l’ordinaire du toro commercial et monopiqué. Et pour nous mettre un peu plus l’eau à la bouche, une bonne partie de la course devrait être cinqueña.
Mais les responsables orthéziens n’abandonnent pas pour autant leur politique, ô combien louable, de défricher, découvrir, et proposer à l’afición ce que les tenants du taurinement correct et du modernisme décadent sont bien trop frileux pour oser, ou même simplement penser. La démarche leur a d’ailleurs valu l’an passé la campagne de dénigrement que vous savez, orchestrée notamment par l’inénarrable et ses sbires. Peu importe, la ligne est maintenue en 2010 et c’est le principal.
La matinée sera donc l’occasion de découvrir le fer historique de Saltillo mené par Enrique Moreno de la Cova qui en a entrepris la rénovation, pour ne pas dire la résurrection. Vous pourrez lire tout ceci dans l’ouvrage Saltillo publié par Pierre Dupuy en 2007.
Le hasard fait parfois curieusement bien les choses. Et le hasard a fait que la programmation orthézienne se trouve cette année « en phase » avec le dernier acte de commerce de l’inénarrable. Ce dernier, n’en manquant pas une, a pitoyablement tenté de s’attribuer une influence plus ou moins directe dans ce choix. Le voilà désormais oscillant entre le risible et le pathétique.
Pour connaître un peu quelques responsables de la commission d’Orthez et très bien quelques proches du ganadero, je n’ai pu m’empêcher d'éclater de rire à la lecture de cette tentative de récupération du niveau d’une cour d’école maternelle. Cosas de toros me direz-vous. Certes, mais hélas révélatrices.

09 novembre 2009

Pas deux, mais trois...


Il fait toujours bon, chez Auguste. A une longueur de muletazo du forum, y'a de la pierre, du bois, des odeurs de plats en sauce qui frémissent, des amis, du rouge râpeux, des cendriers qui dégueulent, et des regards de vieux frères, des sourires tendres et de l'or, du sang et du sable plein les mémoires. On était bien et on célébrait l'Afición de René, Paquito, et les autres, on célébrait les toros et la vie qui va avec. A l'autre bout de la table, 2 viocs aux tronches burinées par de trop longues heures passées sous un soleil qui ne plombe nulle part ailleurs autant que chez eux. Les 2 vieux compères qui taillaient vigoureusement dans leur pièce de boeuf respective avant d'essuyer leur bouche sèche d'un revers de manche rural et assumé, s'appellaient Victorino Martín Andrés et Francisco Ruiz Miguel. En face, donc, coincé dans sa joyeuse tablée d'heureux affamés, le regard noir qui jubile en silence, qui pétille comme celui d'un môme à Noël et s'émeut du moindre battement de cil de ces deux-là, René, l'éternel ado de 65 balais. Le fou, le pétillant, l'ingérable, l'insondable René, l'Ami Nénèche... et ses 50 années de rêves taurins !

Si Nénèche avait un père, ce serait Victorino, s'il avait un frangin, ce serait Paco... et ces deux-là étaient d'ailleurs là, parce que René n'a jamais aimé les toros autrement que cárdeno, et n'a jamais pensé qu'on pouvait les toréer mieux que le fit jadis Ruiz Miguel. Et il jubilait, le Nénèche, de les voir là, tous deux réunis, pour célébrer ses 50 baluches à lui de fiesta a los toros. Tu parles, « 50 baluches », juste un prétexte à se faire plaisir, juste un prétexte à les voir là, à les avoir pour soi, à la maison, pour lui, rien que pour lui, à un hachazo de son coeur d'éternel chaval.
Au bout de la table, chez Auguste, entre 2 quilles de rouge et un cendrier, 40 ans d'Afición, d'histoire de toros, de gloire et de fracasos, d'éclats de rire, de coups de sang, d'émotion salée qui se laisse aller discrètement sur la joue... 40 ans d'une passion amoureuse, éclose en un bel après midi gascon de mai 1970, quand Victorino n'était plus tout à fait Escudero Calvo, et que Ruiz Miguel débarquait, minot, dans ce trou gersois pour y écrire sans le savoir la plus émouvante des pages de l'Histoire de l'Afición française. Pouvaient-ils se douter, ces deux messieurs-là, qu'à quelques tendidos de leur historique rencontre de sang, le jeune Berlandier mêlait en même temps son destin au leur, pour ne plus jamais lâcher l'étreinte...
Ils n'étaient donc pas deux, mais trois, ce jour-là, et 40 ans après, chez Auguste, dans l'unique saveur des nuits arlésiennes, planait à nouveau la douce caresse des collines du Gers, la rudesse d'un ruedo intemporel et le souvenir d'un moment unique en noir et blanc qui appartient à l'Histoire des hommes et des toros... Une Histoire pour l'éternité. Celle de Victorino, Ruiz Miguel et… René, qu'on appelle aussi Nénèche. Ils n'étaient pas deux, mais trois, ce 18 mai 1970, et personne n'y pourra plus rien. C'est écrit et c'est comme ça.

Parce que les toros sont arrivés quand les hommes se sont mis à rêver...

>>> A la rubrique PHOTOGRAPHIES du site, ou en cliquant sur le titre, l'émotion de ces retrouvailles, en la Monumental de Gimeaux...

07 novembre 2009

Claude Lévi-Strauss


Il y a quelques jours est décédé Claude Lévi-Strauss. Inévitablement, l’inénarrable... L’occasion pour Xavier Klein de nous offrir le texte suivant que nous nous permettons de reprendre ici intégralement tout en vous donnant le lien. ¡Enhorabuena Xavier!

DSC_3972P

L'humanité est constamment aux prises avec deux processus contradictoires dont l'un tend à instaurer l'unification, tandis que l'autre vise à maintenir ou à rétablir la diversification.
Race et Histoire, 1952.

Le savant n’est pas l’homme qui fournit les vraies réponses, c’est celui qui pose les vraies questions.
Le Cru et le Cuit, 1964.

Le monde a commencé sans l’homme et il s’achèvera sans lui.
Tristes Tropiques, 1955.

D'aucuns s’émeuvent du décès d’une princesse d’Angleterre, d’autres de tel chanteur ou de tel acteur, on me pardonnera ici de m’affliger de la disparition de Claude Lévi-Strauss.
Non pas qu’elle fut prématurée, 100 ans, presque 101, c’est un âge plutôt confortable pour le grand voyage, d’autant que Claude Lévi-Strauss lui-même pensait qu’il n'avait que trop vécu.
Plutôt parce qu’avec l’un des derniers témoins d’un esprit et d’une culture français, héritier des lumières, disparaît une certaine pratique de l’intelligence, qui ne se préoccupait en rien de l’agitation fébrile du temps, mais au contraire s’inscrivait dans l’éternité et l'universalité de la pensée humaine.
Enfin, parce que l’ayant connu, ayant assisté à plusieurs de ses interventions en Sorbonne, ayant conversé avec lui, grâce au truchement du Professeur Pitt-Rivers (cf. dans le blog), j’avais pu apprécier, très imparfaitement certes – quand on bénéficie de la jeunesse, l’ouïe est meilleure mais l’écoute déficiente - la puissance de sa pensée, la rigueur de sa logique et la grandeur de son autorité.
A l’époque, j’appartenais à un courant de pensée qui commençait à remettre sérieusement en cause le structuralisme et l’anthropologie structurale, ce qui n’empêchait nullement le respect dû au maître.
Ce décès annonce malheureusement le déclin, quasi irréversible, de notre culture, dans sa dimension universelle, et l’on comptera désormais sur les doigts d’une main qui se referme inéluctablement les derniers tenants d’une pensée haute, libre et puissante (René Girard, Michel Serres).
Désormais commence la dictature de celle du court terme et de l’utilité, la péroraison des médiocres, le triomphe des "philosophaillons", le sarkosysme intellectuel en quelque sorte (superbe antinomie) !

Que vient faire Lévi-Strauss dans ce blog "d’humeurs taurines et éclectiques" ?
C’est que contrairement à l’opinion de certains qui se piquent de savoir, sans s’être donné la peine de connaître, avec ce vernis culturel qui ne s’impose qu’aux sots ou aux naïfs, le cher Claude s’intéressait particulièrement à ce phénomène si singulier qu’est la tauromachie, qu’il qualifia un jour dans une conversation de « survivance extraordinaire et atypique ». Il suivit d’ailleurs avec intérêt les travaux de Julian Pitt-Rivers sur ce sujet.
Il portait sur le monde, sur la fin de sa vie, une vision plutôt pessimiste, ou pour le moins désabusée, déclarant en 2005 : « Ce que je constate : ce sont les ravages actuels ; c’est la disparition effrayante des espèces vivantes, qu’elles soient végétales ou animales ; et que du fait même de sa densité actuelle, l’espèce humaine vit sous une sorte de régime d’empoisonnement interne - si je puis dire - et je pense au présent et au monde dans lequel je suis en train de finir mon existence. Ce n’est pas un monde que j’aime. » (France 2 émission "Campus" du jeudi 17 février 2005)
La dernière fois que je l’ai rencontré, en 1984, j’ai évoqué avec lui et avec Pitt-Rivers, une tauromachie qui allait déclinant, dévorée par l’emprise économique, dont le contenu symbolique, la signification du rituel disparaissaient sous les coups de boutoirs de l’exigence commerciale, de l’évolution du marché diraient certains.
Il était là aussi à la fois réaliste et pessimiste, ayant vu périr ces cultures, ces tribus qu’il avait fréquentées. J’avais noté son appréciation : « Tout cela terminera en mascarade, comme les indiens qui font la danse de la pluie pour réjouir les touristes. Les seules cultures qui résistent sont celles qui ne composent ni avec leurs valeurs, ni avec leurs modes d’expression. En la matière, l’intransigeance paye. »
Las Vegas vient célébrer en fanfare l’aboutissement d’une logique enclenchée par les mêmes apprentis sorciers qui, avec des pudeurs de vierges outragées, à grands coups de cris d’orfraie, en condamnent la caricature. La même tartufferie que nos élites économiques et politiques qui appellent à moraliser un libéralisme qu’ils ont promu et choyé.
Lévi-Strauss était un philosophe de l’impermanence, une notion bouddhique dans laquelle il se retrouvait. Il savait que certaines choses se perdent à jamais, ou comme l’écrivait Buddhaghosa dans le Visuddhimagga au Vème siècle de notre ère : « L'impermanence des choses, c'est l'apparition, le passage et la transformation des choses ou la disparition des choses qui ont commencé à être ou qui ont apparu. Cela signifie que ces choses ne persistent jamais de la même façon, mais qu'elles disparaissent et se dissolvent d'un moment à l'autre. »
Pour aller dans le fil de sa pensée, la tauromachie survivra peut-être, mais son adaptation se fera au prix de la perte irrémédiable de son contenu symbolique et de son signifiant rituel pour se muter en simple objet économique, uniquement gouverné par des contraintes marchandes.
Cela en vaut-il la peine ?
Pour répondre ici très clairement, je dirai, qu’en ce qui me concerne, je défendrai une tauromachie qui ait du sens, je défendrai une éthique, je ne me battrai jamais pour défendre les intérêts des négociants qui s’en sont emparés.
De ce point de vue, l’intervention de Jean-Michel Mariou dans l’émission « La voix est libre » de France 3 AQUITAINE du 24 octobre 2009, m’a paru marquée au coin du bon sens, et éviter la platitude des propos convenus et de la langue de bois taurine qui ne manque jamais de foisonner dans un type d’exercice de style qui prédispose aux sempiternels discours "tauromachiquement corrects".
Laissons le dernier mot à Roger-Pol Droit qui a superbement résumé l’homme dans un article du Monde : « Dans une époque pressée, confuse, massivement portée à la veulerie et au simplisme, l’homme passait fréquemment pour distant. Tous ceux qui eurent la chance de l’approcher peu ou prou savent combien cet esprit universel, profondément attaché à la dignité de tous peuples, savait être proche, amical, fidèle et chaleureux, surtout si l’on avait su tenir le coup sous son regard, le plus acéré qui fût.
Hautain ? Non. Seulement exigeant, suprêmement intelligent, et peu enclin au mensonge. Cela fait évidemment beaucoup de défauts, surtout si l’on est en outre l’auteur d’une des œuvres majeures du XXe siècle. Dans la cacophonie de l’heure, une partition exemplaire. Et l’élégance altière, à côté du solfège, d’un musicien de l’esprit
. »
On comprendra que la récupération de Lévi-Strauss par certaines plumes frise au mieux le ridicule (sanctionné par un contresens magistral), au pis l’obscène.
Xavier Klein

PS Pour l’anecdote, Lévi-Strauss s’amusait de mon patronyme. Il avait en effet utilisé la notion de "groupe de Klein" dans un ouvrage majeur : « Les structures élémentaires de la parenté ».

05 novembre 2009

Diversités


En ce printemps 2009 le soleil est rayonnant. Le campo andalou est vert et fleuri comme jamais, du moins comme il ne l’a plus été depuis bien longtemps. Les vaches sont magnifiques et pleines de forces. On nous raconte de toutes parts leurs exploits en tientas et, crédules, nous rêvons. Un ganadero nous contant même qu’il dut arrêter une de ses tientas après la première vache, le torero étant épuisé... Dans de telles conditions, la faiblesse, le mal majeur de la fiesta, gommée, que dis-je, éradiquée, la temporada 2009 s’annonçait sous les meilleurs auspices. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes et, pour rajouter à notre bonheur, nous étions en vacances avec tout le temps nécessaire pour s’imprégner de notre passion.

Puis, patatras ! Quelques jours plus tard ce fut Séville. Un fracaso majuscule. Un fracaso homogène comme il m’a rarement été donné d’en voir. Toros faibles et décastés. Pratiquement tous faibles alors que le campo promettait l’inverse. Premier signe sans doute de la cassure entre le toro bravo et son environnement. Première pièce à charge au dossier des élevages industriels, que les années à venir devraient largement étayer. Une preuve que l’alimentation du toro de lidia est complètement découplée de son milieu naturel. Qu’il vive sur de l’herbe, de la terre, du gravier, du goudron ou de la paille, le résultat est identique. Il se suppute même que certains ganaderos désherberaient des cercados pour mieux contrôler l’alimentation de leurs toros !

Ces conditions d’élevage nous rapprochent bien du principe industriel. L’appellation n’est pas nouvelle mais elle est habituellement usée dans un sens quantitatif. Alors qu’ici nous sommes sur le principe même de l’industrialisation : la détermination d’une méthodologie pour parvenir à un résultat unique. La reproductibilité est bien le maître mot de l’industrie, avant même le côté quantitatif, qui en est la conséquence, l’aboutissement. Nous sommes en train de vivre la cassure du lien toro/environnement. Quel que soit le temps, le toro est le même. Si jadis on pouvait expliquer des hauts et des bas en fonction du temps — telle temporada était grandiose en raison de la force du bétail et telle autre, au contraire, était pauvre en raison du climat rigoureux —, aujourd’hui, la climatologie n’est plus une source de diversité. Un pas de plus vers l’homogénéité de la fiesta est franchi.

Je ne reviendrai pas sur l’appauvrissement de la génétique et la diminution des encastes significatifs. Je me suis largement étendu sur ce thème l’hiver dernier (voir analyse).

Peu avant la mésaventure sévillane, confirmée plus tard par une temporada de piètre qualité, une conversation nous fit broyer du noir. Un ganadero nous compta les tentatives de rapprochements des différentes associations d’éleveurs. Rien d’alarmant jusque-là. Mais tout se complique lorsqu’on apprend qu’un des objectifs du projet est de constituer une base de données commune où, tenez-vous bien, serait regroupée l’intégralité des bêtes des élevages de la planète, avec leur valorisation qualitative ! Oui, vous avez bien lu. Valorisation qualitative. C'est-à-dire que la base de données va renfermer les notes de tientas de chaque bête. Et vous l’avez senti venir, le barème est imposé ! C’est bien là le gros hic. Avant même de commenter le contenu du barème (post à suivre), le principe d’une grille de notation unique pour tous les élevages du monde entier est choquant car il constitue une entrave, encore une, à la diversité. En quelque sorte, l’éleveur n’a plus le droit de définir ses propres critères, on les lui impose. Peu importe ses goûts, le toro qu’il aime, ce qu’il désire élever. Désormais, on lui dit que le toro doit être ainsi. Qu’elle est loin l’époque où il se disait avec raison « no hay ganaderías, hay ganaderos ». C’est comme si on imposait une même ligne éditoriale à toutes les revues taurines. Euh ! Mauvais exemple, je vous l’accorde, car là aussi il y aurait beaucoup à écrire sur la diversité. Ce barème unique, c’est dire qu’un éleveur n’a pas le droit à la différence, qu’il n’a pas le droit d’innover et d’inventer un nouveau toro. Avec de tels principes, nous serions aujourd’hui encore avec le toro du siècle dernier. Des éleveurs de génie, car différents, inculquant à leurs toros des caractéristiques jusqu’alors ignorées ou non ordonnées, ne se seraient jamais fait connaître. C’est le cas de Juan Pedro Domecq, Atanasio Fernández ou encore Carlos Núñez. Et Miura, Victorino Martín, Palha, pourquoi les aimons-nous ? Parce qu’ils sont différents. Pourquoi aujourd’hui Juan Pedro Domecq a perdu son prénom ? Parce que son toro est comme un autre, comme tant d’autres et peu importe de quel élevage il provient, on connaît pratiquement le résultat.

Ce principe de notation unique est extrêmement dangereux et pourrait entraîner à terme l’extinction des ganaderías pour créer LA ganadería. Et si ce système entre en application, il nous faudra peut-être créer une CNIL taurine afin de donner le droit aux éleveurs de choisir leurs critères de sélection.

Quant à l’utilisation de la base de données, elle apparaît aujourd’hui bien vague. On parlerait d’une assise pour distribuer les subventions, mais rien de bien précis n’est énoncé. D’ailleurs les informations sur le sujet venant du campo sont évasives et nous ont obligés à mener une enquête administrative pour reconstituer le scénario. En bref, il semblerait que le point de départ soit un décret européen visant la préservation de la diversité biologique. Rien de récent, puisque ceci s’inscrit dans la suite logique du congrès de Rio de Janeiro, datant de 1992. En 1998, l’Espagne a défini un plan de conservation de ses races autochtones donnant lieu à plusieurs lois, dont quelques-unes récentes (2007 & 2009). Le bulletin officiel du 27 janvier 2009 définit notamment les modalités du plan espagnol et donne pour obligatoire le plan d’amélioration génétique (« programa de mejora ») qui doit être mené par chaque association d’éleveur reconnue. Dans ce plan, on retrouve des données devenues classiques comme le livre généalogique mais aussi l’obligation de contrôler la valeur génétique du bétail (« control de rendimientos ») et de l’inscrire dans une base de données informatique. Ce dernier point, si évident lorsque l’on traite de production, qu’elle soit laitière ou allaitante (production de viande), l’est beaucoup moins au sujet du taureau de combat. Sa valeur repose sur son comportement, mais quel comportement ? Même si l’on peut définir des caractères génériques, il en existe d’autres qui sont propres à tout un chacun et de surcroît subjectif, donc difficilement quantifiable. L’UCTL, dans son plan de 2006, sembla parfaitement au fait du problème et traîna sûrement les pieds dans son application pour cause de son inadaptation au taureau de combat.

Mais le décret européen est en application depuis déjà quelques années, et si les associations d’éleveurs de taureau de combat espagnols ne remplissaient pas tous ces critères, elles n’en acceptaient pas moins les fruits : les subventions. Ceci amena le Ministère de l’Agriculture espagnol à se fâcher et à forcer la main des associations d’éleveurs. Ainsi, chaque association a créé ou est en train de créer ses grilles de notations indispensables pour combler les réquisits européens et profiter en toute légitimité des subventions. Vous trouverez ici reproduites les grilles des deux associations les plus importantes, l’UCTL et l’AGL, qui témoignent de cette réalité. Je vous laisserai juger vous-mêmes de leur pertinence.


Heureusement, il reste encore des ganaderos, des vrais, pour nous sortir de cette rigueur administrative. Des personnalités que le système n’a pas réussi à corrompre. Des hommes, des femmes qui, lorsqu’ils parlent des grilles de notations, rigolent et vous expliquent, un petit sourire en coin, que chaque printemps ils joueront au loto ganadero ! Tant qu’il y aura du caractère, de l’aspérité, il y aura la fiesta brava.
Après avoir perdu la diversité des races, la diversité temporelle, conséquences des facteurs météorologiques, nous serions en passe de perdre la diversité de sélection. Les toreros étant, eux aussi, de plus en plus stéréotypés, nous sommes en droit de nous demander en quoi une corrida va bientôt différer d’une autre. De la différence naît la richesse. Nos pères étaient riches, nos enfants seront bien pauvres.

Photo Chez Araúz de Robles © Jérôme 'El Batacazo' Pradet
Grilles de notations © AGL & UCTL

01 novembre 2009

Concours photo du Domaine des Romarins


La chose devient traditionnelle, c’est plutôt bon signe. Le Domaine des Romarins organise, du 28 novembre au 30 décembre 2009, un concours et une exposition de photographies taurines sur le thème de la corrida et du toro de combat pour la temporada 2009 et les œuvres retenues pour le concours feront l’objet de l’exposition.
Pour toutes les questions relatives au concours et à l’exposition vous pouvez contacter Madame Claire FABRE via le mail domromarin@aol.com.
Ce concours est ouvert à tous les photographes, amateurs ou professionnels, français ou étrangers.
Pour être retenues les œuvres devront avoir été réalisées au format 24 x 36 cm, en argentique ou en numérique.
Pour les photos réalisées en numérique les organisateurs effectueront la sélection à partir d’un CD contenant le ou les fichiers numériques de taille 24 x 36 cm, par 300 dpi en JPEG RVB, fichiers non compressés de 4 Mo minimum afin d’avoir une qualité de reproduction optimum.
Pour les photos réalisées en argentique les organisateurs effectueront la sélection à partir de négatifs ou de diapositives dans leur cache au format 24 x 36 mm.
Les organisateurs prêteront une attention particulière à la bonne conservation et à la restitution des œuvres qui leur seront confiées. Ils ne pourront cependant pas être tenus responsables des éventuelles dégradations qui ne seraient pas de leur fait.

Les organisateurs recevront les œuvres :
* par la poste, dans une enveloppe suffisamment affranchie et résistante à l’adresse suivante: Domaine des Romarins, Route d’Estézargues - 30390 DOMAZAN - France
* par e-mail à l’adresse suivante : domromarin@aol.com
La date limite de réception est fixée au 13 novembre 2009.

Le règlement complet du concours, les informations sur l’exposition et l’identité des membres du jury peuvent être obtenus sur demande à Mme Claire FABRE (téléphone 04 66 57 43 80 ou par e-mail domromarin@aol.com).