Tout a commencé par un éclat de rire... Le père Souquère nous avait embarqués dans une affaire dont on ne pouvait sortir indemme. On arrivait à Vic, et on y était déjà bien. Moi, j'y reprenais mes esprits, mes forces vives. Quelques déceptions auparavant m'avaient largement entamé et je savais que le séjour ne serait pas simple à vivre pour moi, loin de la fournaise de la vie que je venais de quitter. J'avais laissé Marie, et je venais voir Pérez de la Concha, Margé, Prieto, Escolar, Fundi et les autres. Il fallait d'abord que j'explique : "Non , elle ne sera pas là... un peu difficile en ce moment... elle va bien et t'envoie le bonjour..." Je me répétais, mais je parlais d'elle, et j'aimais ça. J'étais à côté de Fred, l'ami Fred, quand la course des Pérez s'est élancée. Je portais une attention particulière à l'événement car j'avais vu le lot dans les
cercados de "La Glorieta" à Azuaga, Séville. Et l'entreprise Pérez de la Concha, relique des temps anciens, me touchait par son histoire. Je les trouvais très beaux, très forts, très lourds, trop, très âpres et hormis le tout premier, décasté total, j'appréciais tout de même les trois du milieu qui me paraissaient encastés à l'ancienne. Sauvages et rêches comme on aime, intimement, sans oser l'avouer à l'entourage, de peur qu'il vous prenne pour un fou inculte peu avisé de la vraie chose taurine. Celle d'aujourd'hui, celle des "Cultures Taurines"... Je reparlais à Fred du regard du Santa Coloma, et Fred acquiesçait, entre 2 clichés. Le jeune Pereira dégueulait sa peur dans le
ruedo vicois, alors que le blond Leal prenait l'aventure à son compte, tirant les meilleurs
derechazos ou les seuls possibles, c'est selon, de la matinée. Moi, j'apercevais le vieux Léon dans les
tendidos, l'Ariégeois que tout le monde voit sans jamais l'entendre. La présence fantomatique de ce brave Léon qui vous surprendrait avec sa dégaine d'ancien "bab britt" à la dérive. Pas un mot, ou presque pas, puisqu'il ne peut pas, mais son oeil vous dit tout ce que vous ne pouvez entendre. Personne ne le connaît vraiment, mais tout le monde l'aime bien, Léon. Et puis surtout, il connaît Coco, la grand-mère espagnole, alors, forcément, on l'aime bien... Léon.
Fin de la novillada de Vic. En général, c'est un peu le début des hostilités. On retrouve toutes les bonnes têtes, les grosses gueules, les emmerdeurs et ceux qu'on ne connaît pas encore. Et bien évidemment, ça se passe autour d'un Tariquet. Ou deux... Et puis y’a toujours la surprise. Celui qu'on n'attendait pas et qui a fini par se pointer... Alors tout le monde est content et on attaque le troisième Tariquet.
Le soleil est là, pardi, le Gers est beau, sublime, et Fabienne, Marc et tous ceux qui ne savent pas me demandent : « Alors , Marie, elle est où ? »... « Et ben, Marie, elle est pas là, elle est chez une copine... un peu difficile en ce moment... mais elle va bien et t'envoie le bonjour... » Fais chier, je commençais à oublier, et puis là, c'était reparti ! Heureusement, y’a Vincent. Je l'attendais pour lui remettre son
abono, celui que Marie n'a plus voulu. Il sera à côté de moi pour les Margé et le reste de la féria. Tant mieux.
C'est marrant tout de même comme ces Pérez de la Concha ont intrigué les gens. Il y a ceux, comme moi, qui les ont trouvés "intéressants", reconnaissant même des qualités à certains novillos, et puis les autres, comme Patxeco, le rossignol des Pyrénées, le Zébulon de Chueca avec qui vous avez déjà parlé sans le savoir, car tout le monde connaît Patxeco, et Patxeco connaît tout le monde. Bref, Patxeco, lui, les Pérez de la Concha : une
mansada de su madre la gran Puta !... C'est sûr, on en reparlera.
A Vic, soit on se pose à table pour s'exploser au canard, soit on bouffe rien et on reste à l'apéro. Et cet après-midi-là, on est resté à l'apéro. Les Margé sont sortis très beaux, racés jusqu'au diamant. Rien à la pique, mais alors rien, si ce n'est un obscur fond de race et cette force débordante qui a rendu le lot pas complètement anodin. N'empêche qu'ils ne m'ont pas laissé totalement indifférent, moi, les Margé, notamment ce
sardo que je voyais venir avec force sur tout ce qui se présentait, muleta, banderilles. Un joli galop et une vraie présence, il s'exposait en authentique
sardo, rare et beau, espoir de toute une
ganadería, espoir de quatre années de labeur. Mais bon...
Fundi s'affichait en maître des lieux, Cesare Imperator, incontestable, posé, serein, qui tue fort et bien... Des
descabellos de fou. Ça tombe et ça fait pas un pli, c'est le Fundi, énorme de présence et de savoir. Impressionnant. J'avais plus de doute sur Rafaelillo, et pourtant Mario m'avait dit qu'il le verrait bien un jour au niveau de celui de Fuenlabrada. Quand même... Il s'est accroché en vaillant, ce qu'il fait de mieux. Et puis, bon... je ne me souviens pas de Lescarret, sans doute l'esprit ailleurs, un peu perdu par ce chamboulement dans ma vie, juste un très beau
traje, et je me dis que c'est pas si mal d'avoir du goût quand on n'a pas le reste... Courage, Julien, la vie continue.
4 oreilles au final... Début festif... Un peu trop, et puis
saludo du jeune Margé pour ses
bichos. N'importe quoi.
La nuit, à Vic, c'est toujours un monument. C'est Vic...
Les yeux dans le café, je réalisais que j'avais rêvé d'elle, si lointaine, et qu'il fallait maintenant que je me prépare pour la concours, avec le Prieto qui m'enflammait, le Miura, le La Quinta dont je n'espérais rien, ou si peu, et puis les autres aussi...
Je ne comprenais toujours pas ce que Valverde foutait dans un
cartel de concours, ni même ce Serranito que je ne connaissais, au fond, pas vraiment. J'avais déjà aimé Bolívar, surtout pour ses épées et je me disais que, après tout, pourquoi pas...
Au final, bonne course, quoique un peu tendre. Un Miura pas assez Miura, trop doux et sans vice, rendez-vous compte un Miura sans vice... même si le
piquero avait dû voir sa vie défiler chaque fois que le
toraco colorado s'élançait. Il devait d'abord sauver sa peau. Sa femme et ses gosses avaient dû brûler quelques cierges...
Le
cinqueño de La Quinta opéra en monument de chair et de bois, une présence hautaine dans un si petit
ruedo. 4
puyas de classe, dont une de
tienta (ah bon ?...), un
varilarguero appliqué, très appliqué, mais qui situe encore mal l'arrière du
morrillo, l'endroit exact où doit se faire l'impact. Mais bon, de l'application dans la tâche, de nos jours, qui s'en plaindrait ? Bolívar tuait ce magnifique La Quinta d'un coup de hache de Dieu norvégien. Fin du
toro de la concours.
Serranito m'ennuyait, quand bien même, je ne le trouvais pas si inintéressant...
Muy torero. A revoir. Ailleurs, dans un autre contexte. Le Prieto m'avait un peu déçu. François s'était persuadé qu'avec une autre
lidia... mais je n'en étais pas certain... Le Victorino, la gueule dans la terre comme vous le demanderiez à un cochon débusqueur de truffes, m'a copieusement gonflé. Je ne lui ai rien trouvé, pas le moindre échantillon de bravoure pure, juste de la classe dans la charge... machine à être toréé, à enfiler les
muletazos comme les perles, bêtement, jusqu'aux bouts de ses rêves de bovidé, en ayant pas la moindre vision de l'avenir, affrontant l'inconnu comme on prend un pain dans la gueule, il éclaboussait le
ruedo de son affligeante candeur... Pour un peu, il faisait presque pitié, on aurait aimé le prendre dans ses bras pour le soulager de ce carcan de niaiserie magnifique. Un abruti, je vous dis... Les gens aiment bien, malgré tout. C'est Victorino, et c'est forcément bien. Mais le Guardiola de Fidel San Román me rassura sur le concept de corrida concours. Un
tío plein de foutre et d'hormones qu'il fallait négocier à grands coups de fouet. Pas droit à l'erreur, ou alors sanction. Des coups de tronche, des retours de hil de pute façon Jean-Claude Coudouy, une sortie très en Guardiola, chercheuse, un peu
mansita, puis une vraie révélation à la pique, mal négociée évidemment, ce
toro-là avait enfin donné à cette course le piquant général qui lui fit tant défaut. Fidel San Román + La Quinta =
toro idéal. C'était pour moi, l'équation du jour.
L'inquiètude me rongeait. Je n'avais pas eu de nouvelles de Marie, sauf ce texto qui disait "je vais bien, ne t'en fais pas, prends soin de toi". Ça voulait dire tout et rien. J’appréhendais les Adelaida de l’après-midi, qui m'avaient tant désespéré en Arles, et après un concours de foie gras que j'ai failli gagner, et une rasade montoise de patxaran devant l'entrée principale, je demandais à François de ne pas m'attendre ce soir, que j'avais plutôt besoin d'un grand "n'importe quoi". Je quittais l'arène à la mort du premier. Ça ne m'a pas dérangé, et j'ai même eu raison... On m’a ensuite raconté Ferrera, et je me désolais pour lui, brave garçon…
Lundi matin. "Allo ? Papa ? Ouais, faut que je te parle... Comment va Marie ? Ben, justement... un peu difficile en ce moment... mais elle va bien et t'envoie le bonjour..."
Mario, entre deux assiettes à essuyer, me regardait de temps en temps du coin de l'oeil compatissant, la bonhomie assurée et la présence réconfortante. Y’a des gens comme ça qui transpirent le bien. Mario est de ceux-là. J'ai bien vu que lui, Jeff, Jean, Fabienne et Marc avaient tout fait pour me soutenir dans ce pénible épisode. Mais ils auraient pu s'empêcher de clore ce séjour sur une "Cuvée Marie" que je ne jugeais pas du meilleur goût mais et qui nous fit toutefois marrer par tant d’opportunisme. Alors que les oies, au fond, cacardaient, le Gers était là, devant nous, superbe de tranquillité, de simplicité et de rusticité, et c'est bien tout ce qu'on lui demandait.
Pendant ce temps, 'Confitero' gagnait son
chiquero et attendait son tour, dans le stress et l'obscurité. Le souffle chaud et l'oeil luisant, il s'apprêtait à livrer bataille à l'inconnu...
J’en aurais bien repris encore un peu, mais il n’y avait plus de « Cuvée Marie ». C’était fini...
El Batacazo