Dimanche, dans les arènes d’Arles, ces considérations ont été chassées, comme les nuages, par le frais mistral. Les gradins étaient très aérés, une assistance clairsemée, des illusions emportés par les rafales. La veille, le temps n’était guère meilleur, mais il y avait les vedettes, c’était plus
people. Et les
toros ? Quelle importance.
Le
cartel du jour est à la hauteur, moins tendance, plus adapté aux circonstances : Luis Francisco Esplá, Javier Valverde, Sergio Aguilar : des batailleurs.
Et des
toros, pas exempts de reproches mais des
toros, tous piqués trois fois, le Victorino à quatre reprises.
Le premier, 'Falseto', un Murube de 550 kg à la corne droite douteuse donne rapidement des signes de
mansedumbre, fuyant les capes. Placé pour les piques, en allongeant la distance à chaque reprise, il se révèle définitivement fade. Esplá banderille sobrement. A la muleta, le
toro tarde à charger, sans implication et sur la défensive. La
faena offre peu de perspectives. Il tombe, prêt du toril, après une habile estocade et un
descabello. Selon la formule consacrée : "
sin pena ni gloria".
Entrée plutôt fracassante contre les planches de 'Pies de Liebre', un
colorado de Miura. 620 kg, beau spécimen de cette nouvelle génération des
toros de Zahariche, plus en rondeur. Que sont devenus les grands échalas efflanqués aux cornes épaisses ? L’attitude est vive, mobile, le Miura fixe tout ce qui bouge. Il trébuche pourtant à plusieurs reprises, sans marquer une réelle faiblesse. La première pique est de belle facture, agrémentée d’une bonne poussée. Les deux suivantes sont médiocres, le
toro gratte le sol et tarde à démarrer. On note l’excellente présence du
jefe de lidia, Esplá, comme souvent, comme toujours. Valverde entame une
faena essentiellement droitière, gagnant le centre. Le
toro engage la tête mais les charges sont courtes. En réponse à un spectateur qui lui fait remarquer l’absence de naturelles, le torero effectue deux brèves tentatives. Le vent ne facilite rien. Valverde conclut d’une belle estocade moins efficace que prévu. L’animal longe les planches, en
manso puis s’affale après trois
descabellos sous les balcons du couple Yonnet. Dommage que le torero scande chaque passe d’un râle tonitruant qui finit par devenir franchement désagréable. Pour le reste, une honnête
faena à un Miura banal. Salut aux tiers.
'Contador' de La Quinta pèse 560 kg. Court de tête il n’aurait pas dû figurer dans une corrida concours. Il est piqué de manière calamiteuse, sans
lidia, à la va comme je te pousse. Les banderilleros passent et repassent avant de planter le nombre de
palos réglementaire. Aguilar profite de la noblesse du
bicho. Il alterne les séries de passes sur les deux mains, en partie gâchées par de nombreux accrochages. Par instant sa tauromachie de lenteur, sur les cornes, emporte l’adhésion d’un public qui jamais ne chavire. Des frémissements soit, mais on frémissait déjà… de froid.
Pinchazo, estocade, courte pétition et hop ! Une oreille. Ah bon ? Présidence rapide !
A ce stade, nous attendons encore la caste. Heureusement, elle arrive avec 'Veredero', un joli bonzaï de Victorino, annoncé à 500 kg. 100% Saltillo, vif et collant. Difficile pour Esplá de s’en dépêtrer. Placé pour les piques 'Veredero' est obnubilé par le torero. Les deux premiers
puyazos sont donnés au passage, un n’importe quoi de
cariocas. Il est temps pour Aurelio García de prendre une retraite bien méritée. Elle devrait suivre celle de son vétéran maestro dont on annonce la
despedida. Pour les deux
puyas suivantes, le
toro, enfin fixé, vient de loin entre
alegría et hésitation. La cuadrilla pose les banderilles, en couverture le précieux et discret Domingo Navarro, tout en efficacité. 'Veredero' se retourne comme un chat. Esplá, accrocheur et combatif, engage la muleta sous le mufle, sans rompre. De bout en bout l’homme et la bête entretiennent un dialogue sur le fil du rasoir. Une demi-lame immédiatement reprise par une épée entière judicieusement placée et on retrouve notre talentueux roublard. La piste se vide, 'Veredero' meurt seul, au centre, foudroyé. Re-hop ! Courte pétition. Oreille. Sans doute celle des adieux pour une
faena méritoire.
'Segundito', le Guardiola Fantoni qui avance en piste ses 540 kg ne sera qu’un interlude. Fade en quittant le toril, il le restera constamment. Valverde et ses troupes vont l’escamoter. Le torero demande même le changement de tiers après la deuxième pique. Refusé par une présidence en pleine crise de fermeté. Perpétuellement «
encogido », le
toro semble frigorifié, plus sûrement décasté.
Le dernier, un bel Escolar de 535 kg, 'Secretario', plus Santa Coloma que Saltillo, vient frapper les
burladeros puis se plante au centre de l’arène en attendant qu’on l’en déloge. Il répond instantanément aux appels et entre avec franchise dans le
capote de Sergio Aguilar qui offre de belles véroniques templées, pieds joints. La première
puya est sans conteste la meilleure de l’après-midi. Le
toro se cambre jusqu’à repousser la cavalerie, avec classe, contre les planches. Il vient de loin pour la pique suivante et Luis Francisco Esplá le reprend pour le placer encore plus loin pour la troisième. On aurait aimé le voir lors d’une rencontre supplémentaire mais… Un moment d’inattention certainement, comme le changement de tiers alors que le
toro n’a que trois banderilles sur le dos. Aguilar débute main gauche, en regagnant le centre sereinement. Les séries s’enchainent, les naturelles sont profondes et suaves, un début de
faena parfaitement construit. Mais 'Secretario' s’éteint ou est-ce Aguilar qui l’asphyxie ? Et la fin perd en densité. Une bonne estocade, le
toro meurt au centre, bouche cousue, en brave. Re-re-hop ! Oreille, qui honore un torero énigmatique à la tauromachie inégale.
A l’issue de la course trois prix sont décernés :
Meilleur
toro : 'Secretario'. Quelle remarquable
temporada pour José Escolar Gil ! On a cependant croisé d’autres
toros plus complets en d'autres
plazas.
Meilleur picador : Ángel Rivas pour sa prestation face au Miura. Discutable.
Prix coup de cœur à Sergio Aguilar qui sort
a hombros.
Un palmarès plutôt honnête mais quelques remarques s’imposent.
Une corrida concours engage le sérieux d’une arène et nécessite un
palco à la hauteur de l’événement. On peut, on doit déclarer «
desiertos » des prix lorsqu’ils ne sont pas complètement mérités. L’histoire taurine n’en sera pas changée. Cette course se résume à un duel entre Albaserrada, intéressante et de bonne tenue. Pour autant, elle ne passera pas à la postérité.
Pour autant, en emporte le vent… avec ou sans trophées.
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