30 septembre 2008

Bon courage les petits !


Le dimanche 5 octobre 2008 aura lieu à la Maestranza de Séville, hors abonnement, une novillada de Prieto de la Cal. Voilà de quoi enthousiasmer les aficionados qui auront la chance de pouvoir se rendre sur le paseo Colón, en leur souhaitant toutefois que les cieux au-dessus du Baratillo seront plus cléments qu’à l’occasion de la dernière San Miguel.
Cette affiche est toutefois révélatrice de la grande frustration à laquelle nous sommes souvent confrontés dès lors qu’il s’agit d’assister à des courses de toros ou de novillos issus d’élevages aux origines autres que celle du « mono-encaste » que l’on voudrait nous imposer.
Les piétons chargés de les combattre et de les mettre à mort sont Alberto Gómez, Miguel Ángel Sánchez et Juan Carlos Cabello.
Le Valencien Alberto Gómez, né le 2 septembre 1987, a fait ses débuts en novilladas piquées dans les arènes de sa ville de naissance le 9 mars 2007 (novillo 'Descuidado', n° 108, 450 kg, de l’élevage de Falé Filipe, silence après avis). L’année de ses débuts, il ne revêtira qu’une fois l’habit de lumière, à l’occasion d’une novillada des fils de Ignacio Pérez Tabernero à Valdepiélagos (Madrid), écoutant par deux fois le silence de la sierra madrilène. La course de Prieto de la Cal sera sa cinquième de l’année, et donc la septième de sa jeune carrière de novillero, pendant laquelle il n’a reçu au mieux que les applaudissements des quelques villageois présents.
Miguel Ángel Sánchez fait ses débuts au Puerto de Santa María le 8 juillet 2007 face à un novillo de Torrehandilla auquel il coupe une oreille, de même qu’à son second adversaire. Ce sera néanmoins son seul paseo de l’année. A ce jour, on ne peut mettre à son crédit qu’une deuxième apparition, dans la même place où, le 12 juillet 2008, il combat deux novillos de María del Carmen Camacho (silence et oreille).
Quant à Juan Carlos Cabello, né le 17 septembre 1989 à Málaga, il fait sa présentation de novillero dans sa ville natale le 4 août 2007, coupant une oreille à chacun des deux novillos de son lot d’El Serrano. On le voit ensuite le 14 septembre 2007 à Adanero (Ávila), où il coupe deux oreilles à un novillo de Manuel Gimeno Sánchez après avoir reçu une ovation à la mort du Sánchez-Arjona combattu en premier lieu, ainsi qu’à Villanueva del Rosario (Málaga) où il récolte quatre oreilles et une queue de ses opposants de l’élevage de Los Recitales. En 2008, il fait sa présentation à Las Ventas (novillos de Salvador Domecq, silence après deux avis et silence), en France à Mugron (novillos de Torrealta, deux oreilles et silence) puis à Garlin (novillos de Gallon, ovation après deux avis et oreille), courses auxquelles s’ajoutent celles de Villa del Prado (Madrid), Málaga et Guadix (Granada). Avec six novilladas et douze bêtes tuées, c’est donc, et d’assez loin, le jeunot le plus « aguerri » du cartel que présente l’empresa Pagès.
Si l’on résume, nous sommes donc en présence, face à un élevage pas particulièrement réputé pour sa facilité et qui au contraire, pour que ses exemplaires puissent être jugés à leur véritable valeur, nécessite de véritables lidiadores, de trois novilleros ayant tous débuté avec chevaux l’année dernière, et qui totalisent ensemble pour la saison 2008 onze paseos !

Que les choses soient claires, il ne s’agit pas ici de rabaisser la valeur de ces trois jeunes hommes qui feront sans doute de leur mieux, avec les armes qui sont les leurs, pour se dépatouiller avec les pupilles de Don Tomás. Mais qu’une arène de l’importance de Séville ne parvienne pas à (et/ou ne prenne même pas le soin d’) attirer des novilleros plus expérimentés, même face à ce type de bétail, est plutôt attristant. Et le constat vaut même pour Madrid (il suffit de se souvenir de la récente course de Moreno de Silva à Las Ventas).
Les aficionados a los toros qui sillonnent les routes de France et d’Espagne à la recherche de corridas ou de novilladas originales et exigeantes sont malheureusement habitués aux déconvenues résultant de la piètre lidia offerte à des animaux qui demeurent par conséquent bien souvent inédits. La simple évocation de certains encastes (Veragua, Saltillo, Vega-Villar, mais aussi Santa Coloma alors que la rame Buendía, par exemple, était encore réputée parmi les figuras il n’y a pas si longtemps que cela) suffit à faire fuir en courant le novillero le plus humble, y compris dans les villages poussiéreux de Castille. Aurelio Hernando nous confiait, à l’occasion de notre visite, l’étonnement de l’un d’entre eux, tout heureux d’avoir rencontré sur sa route un novillo certes encasté et puissant mais en même temps noble et qui lui avait permis de triompher, en apprenant ses origines veragueñas (le lot était composé de trois bêtes d’origine Domecq et de trois novillos issus de Veragua) ; le gamin en question, qui ne connaissait semble-t-il rien aux divers encastes et à leurs supposées caractéristiques respectives, resta bouche bée et rétrospectivement frappé de stupeur et d’effroi.
On touche ici l'une de nos plus grandes sources de tristesse : la difficulté de voir toréer les élevages que nous affectionnons particulièrement par des toreros talentueux et dotés du minimum de technique nécessaire. Et au lieu d'apprendre aux jeunes à toréer, au lieu de leur apprendre ce que ces toros et leur lidia peuvent offrir en terme d'émotion, au lieu d'inciter leurs aînés plus aguerris à faire de temps à autre le geste de les combattre, au lieu de faire comprendre au plus grand nombre que c'est là que se cache le salut, on préfère faire disparaître ces élevages, et avec eux la caste, la bravoure (sous toutes ses formes), la sauvagerie, bref tout ce qui différencie un toro d'un taureau, et ce au profit d'un spectacle soi-disant humanisé que l'on dénature ainsi avant de le faire disparaître totalement. Il s'agit-là d'un bon exemple de ce qui s'appelle "tirer par le bas". Très bas.

Une certitude


- Papa ?
- Oui.
- Pourquoi le toro on lui a enlevé le bout de ses cornes ?
- Euh… tu vois ma chérie, cette bouteille de lait là…

Tout le monde le sait, la vérité sort de la bouche des enfants. Lorsque ma fille de sept ans m’a posé cette question pleine d’innocence, j’étais simplement en train de chercher une photographie pour illustrer un post vous donnant notamment un lien vers le Toroprensa de notre ami Pablo G. Mancha. Il s'agit d'un post confirmant la sanction de Borja Domecq pour afeitado. Je ne sais si la doctrine accréditée, qui avait qualifié en son temps João Folque de Mendoça de « ganadero voyou » lors de semblables péripéties, fera preuve dans le cas présent d’autant de virulence à l’égard d’un ganadero qui porte le nom de Domecq... En attendant, vous pouvez toujours cliquer sur la photo, prise dans une arène française de première catégorie, les pueblos étant à la vérité souvent bien plus rigoureux.

Paul Newman


Voici un extrait de "Butch Cassidy et le Kid", merveilleux western de George Roy Hill sorti en 1969. Paul Newman qui vient de mourir y partageait la vedette avec Robert Redford. Si Burt Bacharach ne vous rebute pas trop, cette scène "campera" vous semblera certainement assez charmante.

Le lien avec les toros est assez tiré par les cheveux j'en conviens, mais l'apparition de Katharine Ross dans sa robe blanche au petit matin sur la bicyclette de Newman, et la grâce anodine de son geste pour s'attacher les cheveux dans la grange me remplissent toujours de cet émoi qui troubla ma jeunesse. Une carrière furtive : deux grands films, celui-ci et "Le Lauréat" de Mike Nichols en 1967. K. Ross, Ali Mc Graw ("Guet-apens"), Claudia Cardinale ("Les Professionnels" & "Il était une fois dans l'Ouest"). Ces late sixties/early seventies avaient une sacrée gueule !

28 septembre 2008

Toros y Vinos aux Monteilles


Je ne connais pas Robert Margé, mais à lire les noms de ses toros combattus à Nîmes le 18 septembre dernier, je me suis dit qu’il doit être un sacré amateur des bonnes choses de la vie, un amateur sans doute même très éclairé, notamment en matière vineuse. Il faut dire que sa propriété se trouve en zone très propice, non loin d’un domaine très apprécié des amateurs, celui de La Negly. Car chose curieuse, et pas la moins inintéressante de la journée, ses toros portaient tous des noms de cépages. Anecdotique sans doute, mais totalement sympathique.
Nous débutons très classiquement par le 'Tempranillo' (numéro 20, negro entrepelado) qui nous renvoie notamment aux grands vins espagnols de la Ribera del Duero et son mythique Vega-Sicilia.
On continue facile avec du 'Albariño' (numéro 22, negro) qui nous amène en Galice dans la région des blancs de
Rías Baixas. Mais nous pouvons prendre également la direction du Portugal, au nord, pour ses Vihnos Verde dont certains sont excellents comme le Deu la Deu qui illustre ce post.
La suite est italienne et également classique, avec le 'Vermentino' (numéro 116, negro zaíno). Inutile de s’attarder. Enfin si. Juste dire que certains vignerons en plantent dans notre Languedoc sous la dénomination de "Rolle".
La deuxième partie de la course est en revanche beaucoup plus corsée.
On débute avec du 'Arabaco' (numéro 162, colorado)... dont j’ignore absolument tout... Baroque ? Barroco ? Là, je cale.
Ça continue avec le 'Gracianu' (numéro 166, castaño oscuro) inconnu au bataillon, qui doit être plutôt le graciano, un cépage espagnol souvent associé au tempranillo. D’après ce qu’on m’en a dit, un cépage plutôt utilisé du côté de La Rioja, encore présent, mais presque disparu. Il s'appelle aussi morrastel, ce qui peut créer une confusion avec le monastrell, autrement dit le mourvèdre de chez nous. Un mourvèdre qui nous ramène pas très loin des Monteilles, puisque La Negly proposait à une époque - et peut-être encore - une excellente cuvée pur mourvèdre : Lancely. Le mourvèdre est probablement le cépage le plus passionnant de notre Languedoc. Un cépage difficile à mener mais qui donne les vins au caractère les plus affirmés et les plus complexes, sans pour autant manquer de finesse, comme cette incontournable Valinière de Didier Barral à Faugères, non loin de Béziers. Bref, la boucle est bouclée et nous arrêtons là sur le mourvèdre car je pourrais vous en parler la nuit entière.
La corrida s’est enfin achevée avec le 'Picardan' (numéro 154, colorado) très rare, et dont les aficionados très pointus savent qu’il peut entrer dans la composition des blancs de
Châteauneuf-du-Pape. Mais là, vu le manque total de typicité de ces blancs sudistes, je ne vous en dirai pas grand-chose.
Le sobrero était, lui, un très classique 'Verdejo' (numéro 112, negro) de la région de
Rueda qui donne des blancs très différents de ceux de Châteauneuf, très vifs et très fruités, des blancs sympathiques mais souvent un peu "techno" comme disent les amateurs.
Telle était la corrida de Robert Margé combattue à Nîmes en septembre dernier. C’est 'Vermentino' qui, de mémoire, a fait l’objet d’une très exagérée pétition d’indulto. Le plus cocasse dans l’histoire aura été l’explication donnée par le Midi Libre, toujours prompt à se vautrer dans la confiture dès que l’occasion se présente. Eh bien ce jour-là, l’explication turlututue de la non obtention de cette vuelta aura été la pluie légère qui s’est invité à la fête. Normal, serait-on tenté d’ajouter. Tout le monde sait bien qu’il ne faut pas mettre de l’eau dans son vin... Jean Legal ! Humoriste !

27 septembre 2008

Falseta


Le Net est une chose curieuse tout de même. Il faut dire qu’on a parfois du mal à se convaincre que le côté obscur de la chose ne l’emporte pas sur la lumière. On est même souvent persuadé que l’anonymat que confère le système est bien plus propice aux perversions en tous genres qu’au bénéfice que nous pouvons tirer de la toile. Ce n’est pas pour autant, surtout ici, que nous allons vous conseiller de jeter le bébé avec l’eau du bain. L’anonymat sur les blogs et forums fait partie du jeu. Il en fait partie ici, chez nous, mais aussi ailleurs, chez les grands médias. Et je trouve que dans une niche comme la nôtre les choses sont toujours restées dans des mesures plutôt convenables. Elles peuvent même déboucher sur des avènements assez sympathiques. Tenez, prenez le cas de notre ami Bruno. Reprenez Camposyruedos il y a six ou dix mois. Eh bien Bruno n’existait pas, ni ici ni ailleurs. Aujourd’hui Bruno est devenu un des commentateurs récurrents et incontournables de Cyr. Et, je n’ai pas peur de le dire, Bruno touche parfois au génial ! Bon, pas toujours non plus. Mais aujourd’hui Bruno existe, virtuellement, mais il existe. Et personne n’aurait l’indélicatesse de venir lui dérober son pseudo. Ça fait partie du jeu. Parmi nos « posteurs » de commentaires il en est un bien plus ancien que Bruno et dont je ne saurais dire depuis quand il suit nos pérégrinations. Je me souviens simplement d’un accrochage avec lui sur Joaquín Sabina, qui en avait balancé une grosse il faut dire... Mais chuuut ! Le différent ayant eu pour épicentre un certain torero de Galapagar, nous n’allons pas prendre le risque, en plein week-end, de réveiller les psychotiques du clavier. Ce commentateur habitué du blog, sans doute le plus pertinent, s’est lui aussi créé un avatar, récurent et incontournable : Ludo.
Sauf que Ludo a franchi le cap et créé son Pinchos del Ciego. Un Ludo dont vous pourrez même prendre plus concrètement la mesure de ce qu’il peut être dans la vraie vie puisqu’il anime tous les lundis soir de 21 heures à 22 heures une émission radio.
Comme il le dit lui-même : le ciego a ouvert une annexe flamenca, comme une fontaine blanche dans la grande nébuleuse des ondes radiophoniques. C'est sur Radio Campus Bordeaux et l'enseigne clame : "Falseta" http://www.bordeaux.radio-campus.org/Programmation/Stream.aspx.

Comme souvent, la photo qui illustre ce post n’a aucun lien avec celui-ci. Simplement, j’ai été ravi de remettre la main sur ce fichier que je croyais disparu à jamais dans le crash d’un vieux PC… Et puis je n'avais rien de Morante à portée de clic. A lundi soir Ludo !

In memoriam


A 81 printemps révolu, Pierre Molas s’en est parti vers le campo éternel.
Sur un site taurin de categoría, il paraît digne, juste et profitable d’accompagner, cette triste nouvelle de quelques mots.
De ces mots qui justifient notre condition d’humains qui ne sauraient voir disparaître un des leurs sans en ressentir quelque émotion et sans donner un sens à ses oeuvres. D’autant que l’intéressé a fortement contribué à modeler le panorama tauromachique français actuel
Pierre Molas assuma, de 1977 à 1995, la présidence de la commission taurine de Dax, après avoir été l’un des fondateurs de la Peña Taurine Dacquoise.
Peut-être est-il nécessaire de se replacer dans l’esprit de l’époque.
Jusqu’en 1975, l’Espagne est murée dans le franquisme. Les contacts avec le monde taurin d’outre-Pyrénées n’ont rien d’évident : le mundillo reste désespérément fermé. Il faut être introduit pour rentrer en relation avec ses protagonistes. Il eût été alors impensable d’envisager de se présenter à la porte d’une ganadería en tant qu’aficionado « indépendant ».
Pour approfondir sa passion, pour parvenir à l’Eden du campo, il fallait impérativement un truchement. Le sésame, le passeport indispensable jusqu’au début des années 80, c’est avant tout l’appartenance à une peña taurine et le soutien d’un mentor qui veuille bien vous recommander. On n'intégrait pas comme l’on voulait une peña. Les femmes en étaient a priori exclues. Il fallait être parrainé, et susciter en outre la sympathie et l’adhésion de la majorité des socios, voire de leur totalité, et l’on sait combien la sélection peut être intransigeante quand elle est confiée aux médiocres. Il en demeure toujours quelque chose, et beaucoup se glorifient autant de leur appartenance à la Peña Trucmuche, que s’ils avaient reçu la boutonnière rouge. On a les rêves et les ambitions qu’on peut !
A partir du milieu des années 70, les peñas se sont multipliées. A Dax, en 1975, il n’existait que la Peña Taurine. Cinq ans plus tard, elles étaient demi-douzaine.
Toutes les peñas dacquoises volent nolent sont héritières de la Peña Taurine. Toute une génération d’aficionados, la plus ardente et féconde sans doute, est fille de la Peña Taurine, où elle a fait ses armes et appris ses fondamentaux lors des conférences ou accoudée aux tonneaux du chai Moras au Sablar. Ce lieu mythique (et à l’époque unique en France) qui a le premier adopté – et pour cause vu sa fonction – la dénomination de bodega, complètement banalisée de nos jours.
A la sortie des corridas, s’y succédaient et s’y affrontaient sur les barriques, lors de tertulias épiques, les Pelletier, Dumont, Clarac, ou déjà le jeune Darrieumerlou. Le public pouvait à loisir interpeller, questionner, protester.
En cours de soirée, dans l’incandescence éthylique d’une ambiance surchauffée à la vinométrie surélevée (hygrométrie est impropre…), on osait affronter les tribuns tertulieurs, et batailler des heures durant avec un Claude Pelletier, en hurlant pour se faire entendre, sur les mérites ou les disgrâces comparées d’un Paquirri et d’un Viti, sur les acceptions de la caste, sur les origines d’un sang, sur la vérité d’une véronique.
On entrait blanc-pampelonais, on sortait rose-clarete ! (L'affreux Ricard n’était pas encore de mise.) On profitait d’une promiscuité complice pour tâter une croupe, et l’on se délectait de la baffe que le voisin encaissait sans comprendre ! On y croisait des babas en transit de Katmandou, des poètes tragiques et ténébreux, des garces voluptueuses et irrésistibles (souvent les détentrices des croupes...), des pécheurs en ciré, un cosaque sans monture, une ballerine-saxophoniste en tutu, rangers et gants de boxe, et même, une fois, une cordée alpine qui entreprenait la face nord d’un empilage de futs vénérables.
Dans le fond, sur l’estrade, se succédaient l’orchestre de la 6ème flotte US, les fanfares d’Archi, les bandas et le « Peter bémol Jazz » qui entamait des bœufs anthologiques avec « Belisse » Bonnefond, Daniel Guchan, « Babe » Molas, et son frère… Pierrot au piano. Toute une époque… genre tontons flingueurs : « Y’en a ! »
Initiateur, avec sa bande de copains, du premier jazz-band (en 1941), de la première banda, de la première peña, de la première bodega dacquoise, Pierre Molas a su également faire passer la tauromachie à Dax (et dans le Sud-Ouest) d’un stade artisanal à une réputation nationale.
Des 3, 4 corridas annuelles, on est passé à plus d’une dizaine de spectacles en tous genres. Pierrot a su transformer une audience locale en une renommée transfontalière. Que cela plaise ou non, le fait demeure que Dax a joui dès lors d’une réputation de premier plan dans le monde taurin professionnel, à l’égal de Nîmes, juste un cran en-dessous des 4 ou 5 plazas « majeures » d’Espagne. C’est à celui que les professionnels ibériques appelaient respectueusement Don Pedro qu’elle le doit !
Son sens de l’amitié et de la convivialité ont amplement conditionné l’émergence d’un nouveau type de rapports entre empresa et torero. Auparavant, en France tout au moins, la relation était quasi uniquement commerciale et distante et s’opérait par l’entremise exclusive de l’apoderado. Reprenant les entreprises d’un Marcel Dangou, Pierrot Molas a su nouer des liens intimes et familiers. Ces amitiés réelles et sincères avec Paquirri, Ruiz Miguel, Ortega Cano ont produit des résultats positifs, en ce qu’elles ont autorisé Pierre Molas à toujours demander plus, à obtenir des dépassements, à réaliser des combinaisons qui ont souvent enchanté les aficionados, même si elles se monnayaient trop souvent par la répétition fastidieuse de certaines têtes durant la temporada.
La voie ouverte par Pierrot était intéressante : confronter des figuras avec des toros plus respectables que ce qu’ils avaient coutume de toréer. Certes il a façonné cette « Dax touch », ce goût dacquois qui réjouit tant de monde et en irrite presque autant, mais contrairement aux dérives ultérieures, il ne s’est pas contenté de confectionner de faciles carteles de luxe, il s’est essayé et a parfois réussi à les rendre originaux et attrayants.
On est actuellement accoutumé aux mano a mano, aux 1 contre 6. Compulsons les carteles des années 1980 et nous constaterons que ce type de formule a été impulsé et régulièrement utilisé par Dax, quand nulle autre plaza ne les proposait. Il fallait quand même oser faire affiche, hors d’Andalousie, du trio à risque Curro Romero, Rafael de Paula, Manzanares. Un grand coup, un succès absolu : la plus belle bronca du demi-siècle.
Il faudrait toutefois nuancer : cette évolution, ces choix ne se sont pas opérés d’eux-mêmes, la pression croissante de l’Afición l’y contraint bien souvent.
En Espagne comme en France, l’Afición se lassait de plus en plus des « sardinades » outrageusement aféitées des années 1970 qu’on lui servait régulièrement. Il a fallu quelques broncas épiques, des protestations de masse pour faire changer des toros sans trapío et sans cornes. Pierre Molas, « Dieu », comme nous l’appelions malicieusement entre nous, n’a pas toujours apprécié, ses apôtres non plus… La vie des « insurgents » fut loin d’être un long fleuve tranquille.
Pour autant, bon gré mal gré, c’est sous son gouvernement que les traditions immobiles ont entrepris de se mouvoir. En même temps que les toros se « trapisaient », que les pitones se « réastifinaient » (ou qu’on aféitait avec plus de talent !), la commission taurine a commencé d’intégrer en son sein quelques représentants des peñas (arbitrairement désignées tout de même !), les présidences se rajeunissaient, le dialogue se nouait, les élevages se diversifiaient.
Nous nous frottâmes moult fois, nous engueulâmes à foison, avec la courtoisie qui sied à l'ancien qui, malgré tout sait, et au jeune homme qui, en dépit de tout croit savoir. Il n’en demeure pas moins que dans son genre, et dans son style, Don Pedro eut du génie, de même qu’il témoignât toujours d’une afición indiscutable.
Dans le sillage des grands vaisseaux volètent toujours quelques goélands opportunistes. Puissent-ils reconnaître, ces ternes et tristes volatiles, que la route qu’ils empruntent, d’autres en ont tracé le cap, avec de tout autres ambitions et un tout autre talent.
Bon vent Don Pedro ! Et qu’aux cotés de Francisco Rivera Paquirri, ton ami, tu partages pour l’éternité la brise de la marisma et le bouquet d’une fraîche manzanilla.
Xavier Klein

26 septembre 2008

Lettre à Siné


La copie d'un courrier adressé au dessinateur Siné vient de nous être transmise par un architecte nîmois bien connu. C'est tout simplement succulent et, évidemment, je ne résiste pas au plaisir de vous la faire partager sans attendre...

Monsieur Siné,
Je vous écris pour vous dire que j’ai fait une connerie, une belle connerie en signant cet été la pétition, suite à votre éviction de Charlie Hebdo.
Les raisons spécieuses invoquées par le sinistre Val et ses affidés, les gesticulations grotesques des bien-pensants germanopratins, les répugnantes coulées de glu consensuelle, tout cela, et j’en passe, me faisait dire : la canicule n’est pas propice à former des pensées claires, mais tu as bien fait de parapher en faveur du vieil agité et contre les Grandes Têtes Molles !
Mais voilà ! Je découvre aujourd’hui que vos mobiles et vos méthodes n’ont rien à envier à ceux de vos détracteurs. Pour ne rien vous cacher, j’en suis même à me demander si, tout bien pesé, vous n’êtes pas aussi con que les cons magistraux contre lesquels vous ferraillez.
Quand j’ai lu votre bafouille au boss de Libé, aussi baveuse et grasse qu’une omelette au lard, sur le thème : il faut virer fissa Jacques Durand et nettoyer vos colonnes de ses chroniques taurines morbides, c’est un art et une manière pour le moins singuliers qui m’ont soudain sauté aux yeux.
Je vous reconnais d’autant plus volontiers le droit de manifester votre hostilité à l’égard de la corrida que je ne suis pas moi-même aficionado. Le problème est qu’en vous en prenant à Durand, vous vous êtes attaqué à un journaliste dont la mesure et le sérieux, la sûreté de jugement et l’indépendance d’esprit ne sont pas contestables.
J’observe que vous manquez de discernement mais encore, et surtout, de courage. Pourquoi n’avez-vous pas écrit à Durand tout le mal que vous pensez de sa prose ? (Ceci dit en passant, comparer la vôtre à la sienne relèverait de la pure cruauté.) Du coup, je me perds en conjecture : Monsieur Siné, auriez-vous donc pour règle de ne vous adresser qu’aux plus grands ? Ou bien souffririez-vous d’un irrépressible penchant pour la délation ? (Probablement les deux, mon capitaine !)
Ce n’est pas tout. Il se trouve que je vous découvre aussi, comme on dit, bas de plafond. Vous avez manifestement l’esprit aussi borné qu’un croisé, je veux dire qu’un de ces abrutis, et ils sont légion, qui confondent corrida et combat de coqs. Dans son papier paru dans le premier Siné Hebdo, le camarade Onfray a raison de tirer la sonnette d’alarme à propos des « crétins utiles ». J’ai le regret de vous dire que je dois désormais vous compter au nombre de ceux-là : car mettre son pouvoir au service des intégristes anti-corrida n’est pas plus honorable que de le mettre au service du libéralisme.
Vous êtes, dites-vous, libertaire, inconditionnellement libertaire. La belle affaire ! Je tiens que libertaire n’est pas un qualificatif ni une appartenance dont vous puissiez vous prévaloir. Remplacez donc, je vous prie, libertaire par imposteur, alors les mots auront retrouvé leur sens et les choses leur place.
En exergue de votre hebdo, vous avez reproduit la belle formule de Jarry : « L’indiscipline aveugle et de tous les instants fait la force principale des hommes libres. » Cette pensée, Monsieur Siné, elle vous va comme un tablier à une vache. Ecrivez plutôt : « L’aveuglement de tous les instants fait les grands cons et les conserve.»
Et si d’aventure vous daignez venir visiter nos lointaines provinces barbaresques, puisque vous avez en horreur les toros autant que les pédés, pour votre distraction, on vous indiquera volontiers où ont lieu les concours de mangeurs de melons et de cracheurs de noyaux d’olives.
Je ne vous serre pas la main.
Serge Velay (Nîmes)

PS : mon chèque d’abonnement à SH qui était déjà prêt, nous le boirons à la santé des hommes libres.

Et si nous parlions toro ?


Le très sérieux et actif Centro de Investigación del Toro de Lidia – CITL (Centre d’Investigation du Taureau de Combat) a récemment rendu public le lancement, prochainement, d’un projet intitulé « Caracterización genética y morfológica de encastes de la raza de lidia en situación de riesgo en Castilla y León » (identification génétique et morphologique d’encastes de la race de combat en situation de risque en Castilla y León), qui sera mené par une équipe dirigée par Marta Hernández Pérez.
De façon générale, l’objectif poursuivi est d’identifier les encastes en risque d’extinction dans la communauté de Castilla y León, dans le but d’établir un programme de préservation de ces origines que l’on peut malheureusement qualifier d’espèces en voie de disparition, alors qu’elles constituent la base de la diversité du taureau de combat. En effet, il est bon de se rappeler qu’il existe parfois, génétiquement parlant, plus de différences entre deux élevages qu’entre une ganadería de braves et un troupeau de… moruchos.

A ce titre, les scientifiques impliqués auront pour mission :
- d’abord, d’identifier les individus qui se rapprochent le plus des prototypes respectifs de la caste Jijona et Morucha-Castellana (nous leur souhaitons bien du courage !), et des encastes Gamero Cívico, Vega-Villar, Santa Coloma et Saltillo (il y a là davantage de facilités), au sein des élevages qui conservent des animaux issus de ces origines encore aujourd’hui ;
- ensuite, de caractériser et de diffuser la valeur culturelle et historique de ces encastes, et
- enfin, de créer et de gérer une base de données.
L’étude sera menée pendant la période de janvier 2009 à décembre 2011.

Nous serions tenté d’ajouter, au-delà de la valeur culturelle et historique de ces encastes, leur valeur tauromachique, en ce sens que de nombreux élevages inconnus dans les produits desquels coule encore un peu de ces sangs prestigieux sont de nature à apporter l’originalité, la diversité et l’émotion qui font si souvent défaut dans nos arènes. Mais cela, ce n’est pas au CITL qu’il appartient de le cultiver ; c’est aux organisateurs de le faire, et aux aficionados de s’en réjouir.
Le CITL, quant à lui, réalise des études, des essais et des travaux d’investigation relatifs à divers sujets regardant l’élevage de taureaux de combat (alimentation, reproduction, aspects sanitaires, génétique, etc.). Il organise également des journées de formation, souvent en partenariat avec les universités de Madrid, León, Salamanca et Cáceres.
Pour ceux que cela intéresse et qui ne connaîtraient pas encore, il existe un fabuleux instrument très utile à notre passion, mis à notre disposition par le CITL : le “Centro Etnográfico y Bibliográfico Virtual del Toro de Lidia” (Centre Ethnographique et Bibliographique virtuel du Taureau de Combat). Vous y trouverez une mine d’informations passionnantes à cette adresse : http://www.cetnotorolidia.es/.

A notre bien modeste niveau, nous nous efforçons de faire découvrir quelques-unes de ces ganaderías, dans l’espoir un peu fol de les voir un jour fouler le sable de nos arènes. Si les débats sur la supposée opposition torista-torerista vous laisse froid comme les plaines de Castille au mois de février, vous pouvez toujours vous replonger dans Terre de toros et dans la section « Campos » de notre site. En attendant les prochaines nouveautés...

Hors sujet Aimer et apprécier avant tout le toro n'empêche pas d'aimer (ou pas) la tauromachie de José Tomás, et encore moins de nous faire l'écho d'opinions et de sensibilités différentes. Les semaines à venir donneront à ceux de nos lecteurs qui nous reprochent nos dérives d'échanger sur des sujets plus proches de ce qui, dans leur esprit, fait la spécificité de Campos y Ruedos. Espérons que cela sera davantage le cas que dans le passé...

Barcelone : José par Albert


Fantastique, inoubliable, historique, la tarde de Barcelone ? Oui ! N'ayons pas peur des mots. Et passés trois jours, rassérénés et redescendus de notre petit nuage, on ne peut que confirmer. Oui. On n'oubliera jamais cette tarde, comme celle du 5 juin à Madrid, comme celle du 17 juin de l'an dernier, comme les deux autres rabos de Barcelone, celui qu'il avait coupé, et celui qu'il aurait dû couper.
D'abord des toros très présentables. Núñez del Cuvillo est arrivé à ce miraculeux équilibre de toros avec du trapío, de la bravoure et de la noblesse qui avait fait de Baltasar Ibán les toros les plus demandés dans les années 70. C'est aujourd'hui la meilleure garantie de spectacle, d'émotion, parce qu'ils sont beaux, qu'ils ont de la mobilité, de la bravoure, de la force, et le cinquième fut le toro rêvé, et l'indulto, justifié malgré les opinions de quelques grincheux : deux piques, dont une où le picador s'y reprit à trois fois, le toro arc-bouté sur les pattes arrières, poussant et poussant, une charge longue, venant de loin et continuant loin après, infatigable après une longue faena, et une droite en or.
Et bien sûr un torero qui sut la canaliser. A gauche, avec quelques accrochages, ce fut moins bon. Mais ces trois séries de derechazos resteront à jamais dans nos rétines. S'il y a une perfection en tauromachie, c'est ce qui y a le plus ressemblé. Le toro cité de loin, venant au galop, la muleta bien plane et loin devant, et les canons du toreo en action : d'abord empapar, d'un mouvement du poignet qui happe le toro dans la muleta, puis cargar, la jambe légèrement avancée et le bras déviant la charge, et templar, lentement, avec l'accord exact, sans un seul enganchón dans les trois séries, et mandar, en envoyant le toro loin derrière et en bas, et courir la main d'un dernier geste du poignet avant de donner un pas pour ligar sans solution de continuité. Les olés de 20.000 personnes sortaient des entrailles, assourdissaient, la communion était totale, un de ces moments magiques qui arrivent rarement.
Il n'y eu pas que ces derechazos. Il revint trois fois aux naturelles, pour essayer de s'imposer aussi sur ce côté - et effectivement, la dernière série fut plus coulée, et surtout beaucoup d'autres choses, surgies de l'inspiration dans un tel moment : trincherazos, firmas, toreo à deux mains, filigranes artistiques avec même ce molinete inversé de Morante, pour finir en amenant le toro indulté lui-même jusqu'au toril par un bouquet de passes en marchant avec le toro comme l'aurait fait Domingo Ortega. Bien sûr, les oreilles et la queue symboliques.
Il avait été solide et en José Tomás habituel avec son premier, qui protestait davantage, une oreille.
Quand aux deux autres, peu à dire. Esplá comme, d'habitude, en vieux singe (savant et souriant) à qui on n'apprend plus à faire des grimaces ; Serafín Marín volontaire, bien même à la cape, et au sixième, après José Tomás, que vouliez-vous qu'il fît ? Un noble désespoir alors le secourut, et il lui coupa l'oreille.
La sortie, mémorable, les visages heureux, les grincheux, satisfaits, tel vieil aficionado avouant qu'il avait plus applaudi aujourd'hui que dans toute sa vie, et tous ces jeunes à leur première corrida jurant qu'ils reviendront : la plus grande victoire était gagnée.
Albert Taurel

Barcelone : Monumental péplum


Affiche Barcelone 21 septembre 2008Fallait-il absolument y être ? Ce n’était pas du masochisme, juste un instant d’ethnologie et puis, comme San Tomás, difficile de croire ce que l’on ne voit pas. Alors, j’ai vu. J’ai vu le Divin et ses disciples, j’ai touché aux mystères. J’ai vu l’ascension jusqu’aux limbes. J’ai vu la foule subjuguée, envoûtée. J’ai croisé de nombreux Nîmois frustrés, en manque de béatification, venus pour le voir, prêts pour l’extase. En partant, plus tard, j’en ai vu d’autres, des durs à cuire, des mécréants de longue date, convertis.
Je L’ai vu.
C’était dimanche, ils ont communié. La messe était dite.

Barcelone ne se déplace que pour lui. La veille, El Juli, maître de cérémonie, moins en odeur de sainteté, avait donné un récital devant une demi-arène. Aujourd’hui… Il est là ! Ils sont là !
La tauromachie, c'est Lui, sa profondeur, son calme, sa verticalité, sa majesté.
La dernière course d’Esplá, trente ans d’alternative, de stigmates et de combats, qui s’en soucie ? Rien, pas un regard. Manzanares remplacé, malade, pris de convulsions. Quelle importance ! Pour la doublure, Serafín Marín, l’oreille du régional de l’étape. Tous invisibles, effacés, oubliés. Expédiés, sans un salut, les faiseurs d’ombres, les voleurs d’icônes, les empêcheurs de vénérer en rond.

C’est au cinquième toro que tout a basculé. Ricardo a réagi le premier. « Ils vont demander l’indulto. » Sortant de ma torpeur, j’ai simplement répondu « Oui », comme une évidente fatalité. Nous étions sur le point d’y croire. C’est là qu’on a entendu la petite voix, minuscule, au milieu de cette faena qui devenait grande. On percevait les OOOOOLLLE, les cris et le début des transes. Deux ou trois séries encore, superbes, irréelles, venues d’ailleurs, d’un autre monde.

« ¡No lo mates! » Le demi-dieu Tomás avait capté. Un demi-dieu n’est pas la moitié d’un con, il a senti venir le coup. La voix est devenue suppliante, puis insistante, soudain puissante : « ¡No lo mates por favor! ... ¡No lo mates! » De plus en plus puissante, envahissante. La mayonnaise mystique était en train de monter.
Il a pris une interminable respiration, s’est écarté, est revenu, a cligné un cil, furtivement et tout s’est ralenti. Encore plus lent. Il a pris tout son temps pour avancer, mesurer, se placer, tendre le bras, toquer, pour réengager obstinément. Les gradins ont vibré, se sont cabrés, puis se sont soulevés. Un déchaînement de ferveur, un séisme.
Le soir était tombé, ils n'avaient d'yeux que pour Lui. La lumière tamisée frémissait à chaque passe. Chaque geste devenait merveilleux, extraordinaire, d’une infinie grandeur. La perfection sans âme des œuvres colossales, hiératiques et désincarnées. Un arrêt dans le temps.

Mais qui a vu le toro ? Qui l’a regardé seulement ? Qui a remarqué qu’il ne saignait même pas après deux « piques » ? Qui l’a vu boitiller à sa sortie ? Qui l’a vu trébucher souvent ? Qui a regardé ses cornes ? Qui l’a vu désarmer l’idole en fin de faena ? Les « enganchones », qui les a vus ? Qui ?
L’animal venait dans la muleta, il bouffait de la toile. Il venait et revenait, langue tirée. Non, pas pendante ! Laborieuse, appliquée. Dès qu'il le pouvait, il reprenait son souffle et repartait mufle au sol sans rechigner malgré des forces limitées. Un métronome. 'Idílico', c'est son nom, tout est dit. Comment lutter ?
Ils étaient tous identiques, ces toros, tous idylliques. Seul un démiurge pouvait les toréer ainsi. Des quites cintrés, millimétrés. Des séries à droite, à gauche, liées, cadencées, enroulées, des changements de mains, des trincheritas rêvées, de la dentelle. Certes, mais devant quoi ? Un ersatz de toro. Des passes absolues et vaines, sans le moindre danger, sans intérêt. « ¡Indulto! ¡Indulto! » Hystérie, délire, folie.

Monumental péplumEn trois passes on est au toril, la porte s’ouvre, l’animal entre, sagement. De la caste ? Un agneau.

Dimanche, Barcelone célébrait son culte dans la démesure, pour sa plus grande gloire et celle de son idole. Une superproduction hollywoodienne. Des milliers de figurants, des effets spéciaux ultrasophistiqués, un décor féérique, une star mythique, un combat de géant et un monstre gracié… en carton pâte, un faire-valoir de série B.

Messieurs les idolâtres, quand il n’y aura plus de Toros, avec quoi bâtirez-vous vos légendes ? Du sable ?

C’était le dernier jour de l’été, le ciel était doux, la foule transportée et heureuse, ivre de joie. Je me suis retourné et j’ai regardé partir Luis Francisco Esplá… vers l’automne. Adíos maestro.

* En cliquant sur l’affiche, vous pouvez l’agrandir et constater que tout était déjà écrit, seule la couleur du costume tient du hasard.

25 septembre 2008

José Tomás es grandeza… et aware aussi…




C'est José Tomás qui décide de ce que Jacques a dit.
Si Jésus n'est pas descendu sur terre depuis 2000 ans, c'est parce qu'il doit du fric à José Tomás.
Pour certains hommes le testicule gauche est plus large que le testicule droit, chez José Tomás, chaque testicule est plus large que l'autre.
La seule chose qui arrive à la cheville de José Tomás ... c'est sa chaussette.
Quand Google ne trouve pas quelque chose, il demande à José Tomás.
Les Suisses ne sont pas neutres, ils attendent de savoir de quel coté José Tomás se situe.
Le dernier homme à avoir serré la main de José Tomás est Jamel Debbouze.
Certaines personnes portent un pyjama Superman. Superman porte un pyjama José Tomás.
Quand la tartine de José Tomás tombe, la confiture change de côté.
José Tomás peut monter en bas.

José Tomás a déjà compté jusqu'à l'infini. Deux fois.
En fait, c’est Chuck Norris qui met le papier d’aluminium autour des barres de chocolat.

D'après notre pote Edouard Panet...
On peut cliquer sur la photo aussi...


Panneau !


C’est un peu comme un signal, l’annonce du début de l’histoire. Lorsque l’homme de piste s’avance vers les lignes blanches, avec son lourd panneau annonçant le nom du torero, l’âge, le poids du toro et le nom de l’élevage, il se trouve toujours chez les photographes, consciencieusement agglutinés dans leur burladero de la contre-piste, une âme plus confraternelle que les autres, ou moins distraite, pour lancer à la cantonade un tonitruant : « Panneau ! »

« Panneau ! » Et immédiatement, une nuée d’objectifs plus ou moins lumineux se tournent, comme un seul homme, vers ce panneau qui n’a rien demandé à personne, et sans aucun avertissement ni sommation, le mitraillent, comme ça, à bout portant. Des dizaines d’objectifs entrent en action, ça ne fait pas un pli. En quelques millièmes de secondes l’affaire est réglée. De quoi faire baver d’envie n’importe quel people ou politique en mal de médiatisation.
N’allez pas penser que ces panneaux représentent un quelconque intérêt photographique, esthétique, ou même taurin. C’est simplement que ce genre de cliché facilite ensuite l’archivage des fichiers et leur classement.
Cette pratique n’existait pas au temps de l’argentique, où le simple fait d’appuyer sur le déclencheur engendrait un coût non négligeable pour le photographe ou son employeur. Le numérique à changé tout ça, et le mitraillage en règle de ces panneaux en est bien entendu la conséquence.
L’explication de la pratique du « cri du panneau » est simple. Entre deux toros les photographes ont souvent bien mieux à faire que guetter l’arrivée de l’arenero. Certains allument une clope, ou la piquent au voisin. D’autres annotent leur calepin, ou cherchent dans les gradins les plus belles jambes de l’après-midi, le décolleté le plus pigeonnant, ou font semblant de raconter des choses très importantes au téléphone. Certains commentent même la course, d’autres les carences de l’organisateur que de toute façon leur rédacteur en chef se gardera bien d’évoquer ensuite. Bref, mille choses.
Le fameux panneau ne fait pas alors partie de nos préoccupations premières et il échappe très souvent à la vigilances des photographes. C’est pour cela qu’il se trouve toujours un esprit confraternel pour lancer à la cantonade le fameux : « Panneau ! »
C’est ce qui m’est arrivé le samedi 13 septembre dernier à Arles pour un toro du Juli. J’étais trop occupé – je ne vous dirai pas à quoi – pour me rendre compte de l’arrivée du panneau qui a bien failli m’échapper.
Et ce n’est que grâce à un « Panneau ! » un peu tardif que j’ai pu, dans un sursaut, le saisir, in extremis, comme ça, au vol, sans viser.
Ce n’est qu’après que je me suis rendu compte de l’intérêt du cliché, de l’inclinaison des gradins, de la position du panneau dans le cadre… A la suite de cette prise hasardeuse, je me suis concentré sur les panneaux suivants, en les cadrant de la même manière. Et le jour suivant également, avec des lumières différentes.

Allez savoir pourquoi mais cette photographie hasardeuse s’est mise à résonner en moi comme le signal du début d’une série à venir. C’est très chic ça la « série » en photographie. C’est même totalement indispensable pour tout photographe en quête de crédibilité.

Je me suis alors mis à réfléchir à un possible travail sur ce seul thème du panneau taurin. Et franchement, ce n’est pas plus débile comme concept que les boîtes de conserve merdeuses de Piero Manzoni. Oups, je blasphème là…
J’imagine parfaitement une galerie de Manhattan inaugurant une série de photographies très grand format présentant uniquement des panneaux taurins. Et je ne vous dis pas les prix !
Mes chers photographes de Camposyruedos, 2009 sera l’année du panneau taurin ou ne sera pas ! Je me verrais bien, en plein Céret de Toros 2009, sauter en piste pour aller shooter Jean-Louis Fourquet, les cheveux au vent, en plein maniement de panneau. Au 17 mm, avec les gradins remplis et le Canigou en arrière-plan, ça devrait avoir une gueule terrible ça, non ? En attendant je vous soumets une autre vision du panneau taurin, celle de Michael Crouser.

24 septembre 2008

De todo hay en la viña de CyR


Le fils de Joaquín Vidal nous confiait il y a peu combien son père lui avait appris à se méfier des mouvements de foule trop massifs et trop unanimistes. Nous évoquions alors l’hystérie suscitée par José Tomás depuis son retour. Hystérie d’autant plus mystérieuse qu’apparut chez certains sujets uniquement après le retour du phénomène et totalement absente avant. Ça nous a certes permis de nous amuser de retournements de vestes spectaculaires, mais plus pitoyables que flamboyants.
On ne peut évidemment s’empêcher de se demander quel éclairage Joaquín Vidal aurait pu donner à ce qui se passe aujourd’hui. J’ai bien ma petite idée sur la question mais, cela va de soi, devant l’impossibilité de me la faire confirmer je me la garderai pour moi. Je ne vais tout de même pas commencer à vous inventer de fausses informations. Les lecteurs de Camposyruedos méritent franchement mieux et plus de respect.

Cette méfiance des mouvements de foules trop unanimistes me fait irrémédiablement songer à un texte de Pierre Desproges sur la démocratie : « Moi-même, quand on me demande : « Êtes-vous démocrate ? », je me tâte. Attitude révélatrice, dans la mesure où, face à la gravité de ce genre de question, la décence voudrait que l'on cessât plutôt de se tâter. Un ami royaliste me faisait récemment remarquer que la démocratie était la pire des dictatures parce qu'elle est la dictature exercée par le plus grand nombre sur la minorité. Réfléchissez une seconde : ce n'est pas idiot. »

Vous avez bien compris qu’à Camposyruedos nous ne goûtons guère les mouvements moutonneux dans lesquels la doctrine accréditée voudrait bien noyer les aficionados et les faire marcher au pas d’un « Je pense donc tu suis. »
Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à José Tomás. Après l’avis de votre serviteur, celui plus décalé de Tendido69, vous allez pouvoir lire celui énervé de JotaC, ou celui bien plus satisfait de Marc Delon. Tout cela peut se croiser, se contredire, et s’opposer. Et c’est très bien ainsi. De todo hay en la viña de Camposyruedos. Et tant pis si ça perturbe la quiétude des observateurs. La photo qui illustre ce post a été prise à Barcelone dimanche dernier. Un jeune Lyonnais touche du doigt que l’immense majorité des fromages s’accordent avec du blanc et non avec du rouge. Rien à voir avec Rimbaud ou la déconstruction, quoique… En matière de déconstruction culinaire, il ne fait aucun doute que Ferran Adrià serait alors le Arthur Rimbaud ou le José Tomás de l’histoire.

23 septembre 2008

Toros y Vinos en BCN


Un peu en avance pour notre marisqueria dominicale, nous étions à la recherche d’une simple et fraîche caña avant d’entamer les hostilités. Sans même y penser, nous nous trouvons attablés, un peu par hasard, au comptoir d’un bar à vin à deux pas du Mercat del Born : La vinya del senyor.
Il existe en Espagne une expression pour dire la variété et la diversité des choses : De todo hay en la viña del señor.

De todo tiene la viña
Sacra y Real Majestad
De todo tiene la viña
Uvas, pampanos y agraz

Dire qu’il y a de tout dans cette La Vinya-là est un doux euphémisme. De tout, d’accord, mais que du bon ! De tout et plus encore à la vinya du senyor de la plaça Santa María. Même le Tempranillo à Madrid est très loin de lui arriver à la cheville. La carte de ce lieu, modeste et sans chichis, est totalement hallucinante, digne des plus grandes tables. Et encore j’en connais de nombreuses qui sont loin d'offrir pareille diversité. Et n’abordons même pas la question des cœfficients multiplicateurs.

Ça pourra vous paraître saugrenu comme idée d’avoir décidé de se faire un apéro, au coeur de la Catalogne, avec un Guiwurtz alsacien, juste avant d’aller voir toréer José Tomás.
Mais un Zind Humbrecht à 30 euros sur table on ne passe pas à côté sans le renifler et ça a permis à un jeune Lyonnais de toucher du doigt que l’immense majorité des fromages s’accordent avec du blanc et pas avec du rouge. Non mais ! La suite des événements a été plus classique avec un Albariño très hispanique, aussi vif et nerveux qu’un petit Saltillo de Moreno de Silva.
Et c’est Alain Graillot, un autre grand vigneron français, aficionado aux toros, à José Tomás et présent ce week-end à Barcelone qui nous a fait découvrir cette petite merveille dont j’ai honteusement oublié de noter les références. Faudra y retourner.

22 septembre 2008

Illuminations


L'oméga c'est lui... Hier, j'ai vu la faena que je rêve de cuajar un jour à Madrid, à Séville, à Franquevaux ou dans mon salon. Ce matin, sous la lumière blâfarde du métro, au milieu de tous ceux qui partaient à l'abattoir quotidien, j'étais malade, sale et fatigué par les kilomètres que je venais de mettre entre Barcelone et Paris ; j'étais en retard aussi. Je souriais tout seul en y pensant, en essayant de mettre un semblant d'ordre dans les flashs de la veille et sur le quai de la 14 à Gare de Lyon, j'ai tenté d'arquer mon corps et de ciseler une trincherilla aussi suave du plat de la main que celles de Barcelone. Fred me dit : "Le nombre de muletazos d'anthologie donnés ce matin dans les salles de bain en pensant à lui... J'ose à peine imaginer..." Tu m'étonnes !
J'ai rangé le carnet. Ça m'encombrait. Même sans prétention littéraire, il n'y avait rien d'autre qui venait qu'une vague transcription qui tirait du côté de la trahison. Inventer un nouveau langage, qui chante et qui bouge, essayer la poésie peut-être. Mais je n'avais pas la force de compter les pieds ni la présomption de déstructurer quoi que ce soit. Il aurait fallu pour cela partir de quelque chose et j'étais complètement démuni.

Respirons...

L'alpha de la tauromachie c'est le toro bravo, l'alpha couronné du fer d'Albaserrada ou celui de Zahariche, celui que vous voudrez, un autre peut-être... Hier, j'ai eu une idée de la fin de celle-ci, parce qu'hier, de toro il n'y eut que du "moderne", pas scandaleux, notez bien ! pas du "moderne" du Sud-Est français "abecerrado", non ! mais du "moderne" d'une arène d'une certaine catégorie, une plaza qui se tient à peu près bien à table. Hier, le toro est parti dans le "Blizzard of Ice", la "tempête" (An Eskimo showed me a movie, he'd recently taken of you, the poor man could hardly stop shivering, his lips, his fingers were blue... I suppose that he froze when the wind took your clothes and I guess he just never got warm. But you stand there so nice in your blizzard of ice, oh please let me come into the storm !*), balayé comme les 30 années d'alternative d'Esplá et sa probable dernière actuación ici, les efforts de Serafín Marín, essoré comme les 5 toros arrastrés, occulté comme les milliers de mouchoirs qui demandaient un indulto saugrenu, dénué de sens. "On ne peut plus donner de patte ? Donnons-lui le toro entier ! Et vivant !"
Ça ressemblait à une partouse géante comme celle de la foule venue assister à l'exécution de Jean-Baptiste Grenouille lorsque celui-ci "débouche le flacon" dans "Le Parfum" de Süskind, pour un peu, on serait allé chercher les 8 "antis" dérisoires sur le trottoir d'en face pour qu'ils profitent eux aussi. 'Idílico' était gracié, le monde, ennemis compris, pardonné de ses péchés. Hier il y avait un peu de toro donc, pas beaucoup, un peu. Nous avons même eu droit à un blanc, un vrai : ensabanado, pour clôturer l'après-midi, avec un fond de race et beaucoup de noblesse. S'il avait eu la chance de croiser Tomás, il aurait retrouvé le toril un peu égratigné lui aussi et tout le monde parlerait du "toro blanc". Hier n'importe quel animal un brin noble aurait eu la vie sauve au même prétexte d'avoir été touché par ce Tomás en état de grâce. Un scrofuleux guéri par sa foi en un monarque de droit divin. José Tomás est messie : il m'a montré la fin des temps.

L'oméga donc... On n'en a plus pour longtemps, certainement. Hier, c'était le faste viennois du début XXè : la palette dorée de Klimt, sans même le morbide visionnaire de Schiele, ce que Zweig appelait déja quelques années après "Le Monde d'hier". Luxe, calme et volupté, le relâchement, l'abandon, le paroxysme, le climax, le flottement au firmament de sa parabole d'un objet sur le point de chuter. Ceci ne sont que des indications... des idées pour vous faire la vôtre. José Tomás m'a tordu ; il m'a réduit en bouillie.

Hélène Galtier est venue au quite :
"Arthur Rimbaud ne voulait pas être Dieu. Il voulait être mieux que ça. Créer par exemple quelque chose comme un langage inédit à tout autre. Trouver le lieu et la formule. Avec les Illuminations il y est parvenu au-delà du possible, détruisant au passage des siècles de poésie. Arthur Rimbaud disloque et détruit le vers et devient en quelque sorte le fossoyeur de la poésie. Les Illuminations par leur grâce et leur magie consacrent la poésie aussi sûrement que sa propre fin..."
"A sa manière José Tomás agit de même. A force de pousser le toreo dans ses retranchements, il finira peut-être un jour par le faire disparaître."


Lisez la correspondance de Baudelaire et vous n'écrirez plus une lettre d'amour. Rimbaud c'est l'implosion de la poésie.
"Dans Génie Rimbaud écrit : "Il est l'amour, mesure parfaite et réinventée, raison merveilleuse et imprévue, et l'éternité." Ce génie dont parle Rimbaud n'est pas Dieu. Ce génie est l'ailleurs, là où se trouve le lieu et la formule. Là où se trouve peut-être José Tomás que nous acceptons de suivre parce qu'il "nous a connus tous et tous aimés. (...) lui qui nous aime pour sa vie infinie"...
"Ô ses souffles, ses têtes, ses courses ; la terrible célérité de la perfection et de l'action (...) Son jour ! L'abolition de toutes souffrances sonores et mouvantes dans la musique plus intense" écrit Rimbaud. Il est effrayant d'avoir la faculté d'envisager cet ailleurs avec José Tomás... Il n'est pas impossible qu'il en coûte l'existence-même de la tauromachie.

Il est l'affection et l'avenir, la force et l'amour que nous, debout dans les rages et les ennuis, nous voyons passer dans le ciel de tempête et les drapeaux d'extase. (...) Son corps ! Le dégagement rêvé, le brisement de la grâce croisée de violence nouvelle !

* Extrait de "One of Us Cannot Be Wrong" de Leonard Cohen.


Découvrez Leonard Cohen!

Tomás Agbar


Je vous mettrai en ligne, ce soir, les images de la corrida de Barcelone du dimanche 21 septembre 2008, avec bien sûr la deuxième faena de Tomás. Je ne vous en dirai pas grand-chose. Je me suis contenté d’y prendre grandement mon plaisir et la photographier. C’était grand, très grand parfois. Muletazos templés et surtout des passes liées et enchaînées dans quelques mètres carrés de terrain. Quelques enganchones également mais minoritaires. On s’arrête, on se replace, et on y replonge. Et puis sutout l’émotion de la profondeur des muletazos lorsqu’ils sont suaves et interminablement liés les uns aux autres.
Adolfo Rodríguez Montesinos, qui a assisté aux deux événements, m’a dit avoir préféré le 5 juin à Madrid, avec un ensemble plus complet, notamment à gauche, et avec plus de toro également ; mais un Tomás « en la misma línea »…
Ah oui… et puis il y eut cet indulto aussi. Pour un peu je l’oubliais, volontairement bien sûr. C’est la première fois que j’assiste à pareil dérapage. Sur le moment ça m’a fichu KO debout. Je me suis dit : « Merde, ce truc-là va donc tout gâcher ? »
Ce qui m’a le plus étonné, c’est que la grâce du toro a été demandée – c’est ainsi que je l’ai ressenti – plus comme un prix au torero qu’au toro. Et sauf si ma mémoire me trahit je n’ai à aucun moment senti le public se mettre réellement avec le toro. Cette grâce était donc, dans le fond, sans objet. Mais immédiatement orchestrée par José Tomás, elle devenait inéluctable, même si elle restera aux yeux de quelques-uns totalement hors de propos.
La faena de Tomás me restera, le toro non. C’était un toro normal qui a pris une pique et un picotazo, et s'est ensuite révélé vif, mobile et allègre. Un bon toro pour voir toréer, noble mais pas idiot, excellent sur la corne droite, un toro normal, rien de plus. C’est Tomás qui a été grand, le toro simplement propice.

21 septembre 2008

Cornada pour Viallat


S’imposer une petite séance de rangement un samedi après-midi peut parfois avoir du bon. Vous êtes tranquillement installé dans votre fauteuil et vous regardez, perplexe, la pile poussiéreuse de magazines et de journaux posée en équilibre instable au pied du canapé. Ça ? Vous jetez. Et ça ? Aussi. Ça ? Non, ça vous gardez.
Vous l’avez cherchée quelquefois — sans trop y croire à la longue —, vous vous êtes demandé souvent où elle avait bien pu passer et vous venez, comme par enchantement en cette tarde d'été finissant, de remettre fortuitement la main sur... une chronique d’Olivier Cena paru dans un vieux Télérama — Télérama sans la chronique de Cena ne serait pas Télérama, et vous ne l’achèteriez pas.
Quand j’appris au printemps dernier que Nîmes avait choisi de célébrer "son" Claude Viallat (Nîmes 1936), en lui confiant notamment la réalisation de l’affiche de sa temporada, je m’étais (re)mis fébrilement en quête de ce précieux papier qui émettait de salutaires réserves sur la démarche picturale du Nîmois, et jouait (déjà) l’arlésienne...
Voulant voir dans cette découverte inespérée faite en pleine feria un signe, et parce qu’il n’est jamais trop tard, je m’empresse de la partager en l'allégeant — ce dont vous ne me tiendrez pas rigueur — de quelques lignes sur... Takashi Murakami !

« La chronique d’Olivier Cena
Gris d’angoisse
Au fil des ans, le support a légèrement évolué : les bâches, simples surfaces de toile brute, sont maintenant des morceaux de tentes militaires avec leurs sangles et leurs petites fenêtres fermées. La présentation aussi a changé : la bâche a fait place à des toiles superposées. Mais le motif demeure identique depuis quarante ans : des empreintes colorées en forme de haricot. Claude Viallat, qui fête cette année ses 70 ans, reste pionnier de la théorie qui fut à l’origine du mouvement Support/Surface, dont il fut l’un des créateurs au milieu des années 60, théorie fondée sur la répétition de motifs simples sur un matériau libéré du cadre et du châssis. Seules demeurent les variations de couleurs et leurs harmonies, ce que Claude Viallat maîtrise parfaitement. Mais au-delà de cet aspect technique, quel est le désir du peintre ? Que veut-il nous transmettre ? En 1979, Francis Bacon confiait à David Sylvester (1) que « la seule chose qui me fasse avancer, c’est le désir de travailler — de travailler sans but... Si vous n’avez pas de sentiments religieux ou quelque chose de ce genre, comment ne pas penser que la vie est totalement futile — et c’est encore plus patent avec l’âge, parce qu’on a perdu les plaisirs de la jeunesse. Ce qui est flagrant, bien que je sache que cela ne veut rien dire, c’est que j’aime travailler, j’aime la possibilité d’invention, de faire advenir quelque chose. Non que je pense que cela ait quelque valeur que ce soit, mais parce que cela m’excite ».
Que peut-il advenir dans l’œuvre de Claude Viallat que l’artiste ne sache pas depuis longtemps déjà ? Le résultat — la mutiplication d’un motif géométrique en forme de haricot — est à la fois chatoyant, plaisant, prévisible et ennuyeux — c’est-à-dire décoratif. Et le peintre, répétant le même geste depuis quarante ans, semble avoir perdu l’excitation de faire, ce plaisir de travailler sans but dont parle Bacon. Il illustre. Il s’illustre lui-même. [...]
Le peintre d’origine serbe Vladimir Velickovic, d’un an plus âgé que Claude Viallat, ne cesse de préciser sa vision du monde. Il aurait pu se contenter de décliner les œuvres du début des années 70, inspirées par les photographies de Muybridge, qui assirent sa réputation, mais le devenir du monde l’inquiète et la peinture l’excite toujours. La folie et la violence des hommes l’effraient et le poussent à chercher d’autres images expiatoires : hommes crucifiés et terres désolées en feu où ne vivent plus que des corbeaux. Les regarder pourrait être insoutenable s’il n’y avait la beauté de la lumière sépulcrale, l’élégance du geste et du trait, la somptuosité des gris, que sais-je encore ? le grand talent d’un peintre qui jamais ne renonce.
(1) Francis Bacon à nouveau, éd. André Dimanche. » Télérama - Décembre 2006

« Chatoyant, plaisant, prévisible et ennuyeux — c’est-à-dire décoratif » : en voilà des mots bien choisis pour qualifier le "spectacle strass et paillettes" voulu, défendu et vendu par "Nîchmes" (cherchez pas !)...

En plus
— Un lien « chatoyant » sur la prochaine exposition de Claude Viallat à Clermont-Ferrand, du 20 octobre prochain au 15 janvier 2009 ;
— Un autre somptueusement « sépulcral » sur une exposition passée de Vladimir Velickovic à Anglet en décembre 2006/janvier 2007. Celle-là même qu’Olivier Cena annonçait au bas de sa chronique ;
— Et tant qu'on y est, l'enseignant et architecte Luc Baboulet dressa, dans la revue Vacarme (n°19, printemps-été 2002), un "portrait critique" fort instructif du célébrissime Jean Nouvel, affichiste plus que poussif du solo de SB.

Image
Olivier Cena faisant référence à la « multiplication d’un motif » (Viallat), ainsi qu'à Eadweard Muybridge (Velickovic)... Ici, la séquence photographiée du galop d’un bison © Wikipédia

19 septembre 2008

Sospechoso de pitones


Novillos de Manolo González, faiblards, nobles, mobiles. Une novillada sans histoires. Je n’ai pas particulièrement photographié, plutôt tenté du très gros plan, qui relève plus du hasard qu’autre chose. Mais c’est amusant.
Pour ce genre de cornes, les journalistes espagnols - pas tous non plus - disent « sospechoso de pitones ». Evidemment dans ces cas-là on n’affirme rien, on ne démontre rien. Au mieux, ou au pire plutôt, on fait partager ses doutes.

« El quinto, sospechoso de pitones y áspero, no le dejó lucirse. » Joaquín Vidal, El País – 05/02/1988.

On clique sur la photo.

18 septembre 2008

Un indulto comme un steak, et puis un coca aussi…

Ce fut assez curieux comme ambiance. Déjà il faisait un sale temps, il pleuviotait, il faisait froid. Le début d’un triste automne qui s’annonce, une arène au trois quart vide et des toros qui ont plus tendance à se traîner qu’à affirmer leurs origines. On ne pouvait pas dire que l’ambiance était des plus électrique. Une course sérieuse mais vulgaire. Ça sentait vraiment la fin de saison.

Le troisième Margé confirme le peu de force de ses frères, deux picotazos, deux simulacres. Ce n’est plus bien grave. On commence à en prendre l’habitude. A la muleta l’animal sera d’une grande noblesse. Il n’humilie pas particulièrement, ne fait pas non plus l’avion. C’est peut-être pour cela qu’il ne tombe pas. Et puis il n’a pas été piqué, et forcément ça aide. Par contre il se retourne loin, très loin après la sortie de la passe. Et ça aussi ça aide, surtout Salvador Vega qui n’en attendait probablement pas autant mais qui ne sut pas non plus en profiter vraiment.

Une histoire qui roule, pépère, et le respectable qui se chauffe vite. Mais ça aussi, surtout à Nîmes, il y a longtemps qu’on en a pris l’habitude. La fin de faena se profile, Salvador Vega reste lui aussi très profilé, marginal et lointain, lorsque subitement « tres indocumentados » comme dirait mon ami Bastonito, allez donc savoir pourquoi, se mettent en tête de réclamer un indulto.
Le pire est que c’était demandé sans conviction, sans passion, un peu comme on demande un steak à la serveuse de la cafétéria du bord de l’autoroute. Un steak s’il vous plaît, avec des frites, et puis un coca aussi. Tout cela était d’un vulgaire.
Salvador Vega qui sent le coup médiatique à porté de lame montre son épée au public, fait mine de s’interroger, balance trois passes de plus et demande un steak au président qui lui rétorque par un premier avis. La mayonnaise ne prend pas. Aujourd’hui la serveuse n’avait plus de steak, alors on s’est contenté d’une vuelta, sans passion, presque dans l’indifférence. Une vuelta vulgaire. Le reste de la course fut pire.

Je n’ai pas photographié aujourd’hui. Alors je vous illustre ce post par un souvenir des Margé dans les corrales vicois. C’est toujours ça de gagné...

17 septembre 2008

Voyage au bout de l'afición (III)


« ÁNGEL NIEVES GARCÍA » ou comment mettre tous ses œufs dans le même panier, à Mayalde (avril 2008).

« Tu vas voir... ». Depuis notre départ, les collègues me répétaient régulièrement ces trois mots qui prenaient tout leur temps. Ce que j’étais censé voir au terme de notre périple dans le Campo Charro, j’ai tenté pendant trois jours de me l’imaginer. Mais qu’allais-je voir de si... de si quoi au juste ?

C’est devant leurs prunelles ébahies que je sortis ma « Michelin », eux qui partent au campo comme ça, la fleur au fusil, sans carte(s). Soyons clairs, l’un ne s’en souciait guère, l’autre en possédait une qui ressemblait furieusement à celles de l’époque de la découverte des Amériques par Christophe Colomb — avec de drôles de hiéroglyphes rajoutés au crayon. Sur ma « Michelin » donc, on y trouve Cabeza de Diego Gómez, Tenebrón ou Narros de Matalayegua et on peut parfois y apercevoir des toros. Ils me montrèrent un point — ce n’était pas un toro — à côté duquel je lus « Mayalde ». « C’est là... » laissa échapper un des aventuriers, et moi, je ne savais plus trop si je voulais y aller, à Mayalde.

Situé entre Salamanque et Zamora, entre El Cubo de Tierra del Vino et Peñausende, entre le A et le S de Castilla, entre Río Tormes et Duero, je fis opportunément remarquer à mes compagnons que pousser jusque là-bas, jusqu’au point, jusqu’au milieu de rien, ça rallongeait bougrement le trajet, qu’il ne nous fallait pas trop traîner, que ma femme pouvait accoucher d’un moment à l’autre, que... « Il faut que tu voies ça ! » me lancèrent-ils de concert, histoire de couper court à toute velléité de fuite. Crachin et brume matinale persistante, forêt de grues pour projets immobiliers pharaoniques — la brique, une affaire qui marche —, centres commerciaux et stade de foot, nous contournions Salamanque par le nord — cela dit, j’aurais juré que l’on évitait Bilbao, Milano ou Glasgow. En cette mi-avril, la N 630 qui tire tout droit au nord pour mourir dans les Asturies se révéla piégeuse — attention travaux — et mortifère — paysages désolés de part et d’autre. Ouais, comme on a bien fait de filer à Mayalde ; une fois rentré c’est décidé, je prépare les cartons, je boucle les valises et j’embarque mon p’tit monde, direction : « Vous êtes prêts les enfants ? — Mayaldééé ! — Tu vas voir, chérie... ».

Des fenêtres sans volets, des rues sans passants, des murs sans crépi, une église sans croix — non, non, l’église porte bien sa croix car pour vivre là il faut avoir la foi —, des toits sans tuiles, une fontaine sans eau : bienvenue à Mayalde, un pueblo sans âme de moyenne montagne plongé dans la grisaille où, dans le plus pur style local, Ángel Nieves García a choisi d’y bâtir casa et ganadería. Il serait hasardeux de prétendre vouloir traduire ici avec justesse ce qui l’a amené, au cours de la temporada 2003/2004 — autant dire hier dans le temps ganadero —, à poser la première pierre de ce fol projet, à réaliser une partie de son rêve1 en jetant son dévolu sur tout ce que la cabaña brava compte, via San Martín2, de Santa Coloma — Buendía, Graciliano, Coquilla, Saltillo, Vega-Villar ! Cette propension au « tout ou rien », c’est tout Ángel, ça ; cet enfant à qui la maman vient de donner son argent de poche de la semaine, et qui le liquide en bonbons le lendemain lundi sur le coup de onze heures et demie ; cet homme qui, pas mécontent que la fermière lui ait généreusement offert une douzaine d’œufs, décide en rentrant de les casser tous pour faire une omelette du feu de Dieu. De sa douzaine et pour sa maison, Ángel ne conserva que le blanc du dernier. Tandis que je refermais la portière d’une main, l’autre se tendit vers celle d’Ángel qui me saisit le bras — parce qu’il est des hommes à qui vous tendez la main et qui vous prennent le bras.

Autant la veille chez Paloma et « Rafa » de Terrones — un genre différent — nous dénotions quelque peu, toutefois sans complexes, l’un avec ses baskets crotteuses, l’autre avec son pull élimé et moi avec mon pantalon sur lequel le molosse de José Ignacio avait copieusement bavé lors de l’étape précédente — sans le quite de « Rafa », le monstrueux mâtin s’en serait allé avec une de mes jambes —, autant chez Ángel, les barbes plus longues d’un millimètre en sus, nous passions pour d’aimables premiers communiants. Chaussures de sécurité fatiguées, combinaison de mécano d’un bleu immaculé et bonnet de marin couvrant le cheveu cárdeno — évidemment —, Ángel nous accueillit comme des rois du pétrole. Disons-le sans manières : à l’exception de la chaleur humaine et de la gentillesse distillées à haute et sincère dose par Ángel, sa femme et son fils, tout nous parut ici relativement déglingué, ni fait ni à faire voire franchement bordélique.

Revoir la tête du collègue cartographe « savourant » le fromage maison les fesses fragilement posées sur une chaise à rempailler sous les yeux d’une nymphe à demi nue armée d’une tronçonneuse Stihl illustrant le mois d’avril du calendrier fixé à même la couche d’isolant ; me remémorer celle du photographe « sirotant » son jus noir tout en scrutant les chaussettes séchant derrière la fenêtre et la pendule en formica installée sur une télé ayant connu Smith et Carlos brandissant leurs poingts gantés sur le podium du 200 mètres des JO de Mexico ; repenser à Ángel faisant griller du pain dans la cheminée avec une pince en fer forgé puis le recouvrant d’huile d’olive pendant qu’il priait épouse et fiston d’apporter au plus vite tout un tas de victuailles que nous serions bien en peine d’ingurgiter ; ces instants de vie, j’entends les conserver tous précieusement et avec affection dans un coin de ma mémoire ― je pourrai dire ainsi le privilège que j’eus de partager un petit-déjeuner gargantuesque sous la yourte d’une famille d’éleveurs de yacks des hauts plateaux mongols !

D’après les amis, outre le visage plus lisse du fils et la faconde plus sage du père, pas grand-chose n’avait changé depuis l’année dernière. Ángel avait promis le carrelage et le plafond mais le carrelage et le plafond attendraient. Il avait assuré à sa femme qu’il y aurait l’électricité partout... une fois le toit terminé — il était particulièrement satisfait de la pièce où sèchent les chorizos. Nous saluâmes une dernière fois Madame — un sourire au moins aussi étendu que la Cordillère des Andes découpait son doux et rond visage d’indienne d’où pointait la gêne — puis nous prîmes place dans deux engins brinquebalants à quatre roues motrices qu’Ángel et son fils engagèrent sur une piste jaunâtre semblable à un courant alluvionnaire dans l’estuaire d’un de ces grands fleuves. Nous étions au printemps et pourtant c’était l’hiver : ciel gris, sol durci, odeurs enfouies, extrémités engourdies ― j’ai frissonné en entendant les chants caverneux qui préfigurent les batailles monter des bois vers lesquels nous nous dirigions, et je compris alors que je n’avais encore rien vu...

Trois virages et deux portails plus tard, j’ai vu deux novillos en charger un troisième sur des dizaines de mètres jusqu’au bas de la butte. J’ai vu Ángel descendre de voiture au milieu du cercado comme si de rien n’était — nous nous sommes dit qu’un jour il y resterait. J’ai vu le superbe semental au regard de psychopathe — « un hijo de puta » dixit notre poète ganadero — et le novillo « battu » le corps lézardé de profondes balafres. J’ai vu trois vaches, ces vilaines, se crêper le chignon, des becerros tenant à peine sur leurs pattes se battre en duel et des toros fouiller la terre de leurs cornes pour se soulager. J’ai vu un Méxicain. J’ai vu, à contre-jour, des monolithes de chair et d’os monter la garde là-haut sur la colline, des toros à l’air renfrogné reculer discrètement, nous tourner le dos ensuite, s’éloigner enfin de leur démarche puissante et chaloupée dès que l’on s’approchait d’un peu trop près. J’ai vu sortir du bois, au ralenti, des bêtes faites et re-faites qui, par leur seule présence, leur seule prestance, auguraient des combats âpres et valeureux — Ángel était fier comme un pape et il y avait de quoi. J’ai vu sa fascination pour le Paco Camino de Madrid dans ses improbables naturelles esquissées juste avant notre départ. J’ai vu sa détermination, sa joie toute mélancolique. J'ai bien vu qu’il comptait secrètement sur mes compagnons de route pour l’arracher de l’anonymat, et forcer le destin, et agrandir le cercle des « contacts », et augmenter ses chances de voir un jour prochain ce si beau bétail fouler les ruedos de France.

Entre ciel et terre dans la province de Zamora, à Mayalde et à ma grande joie, j’ai de mes propres yeux vu du Santa Coloma comme je n’en avais encore jamais vu. Merci pour tout Ángel, merci les gars !

1 La fiche de l’élevage sur Terre de toros où l’on peut lire qu’Ángel Nieves carresse deux rêves : « lidier en France puis à Madrid ». ¡ Suerte ganadero !
2 La fiche de San Martín sur Terre de toros.

En plus
La galerie sur le site ;
En 2007, Campos y Ruedos avait déjà rendu visite à Ángel Nieves : Il parle au reflet de la lune... & la galerie.

Images © Camposyruedos
Un tío sort du bois Ángel par El Batacazo Lui, la temporada prochaine, s’il ne se fait pas tuer par un frère...

16 septembre 2008

Le vent comme prémices


Une corrida concours devrait être un summum tauromachique, une fête qui attire les spectateurs et comble d’aise l’aficionado. Ce n’est tout de même pas n’importe quelle course, c’est le retour aux origines, à l’essentiel, au Toro.
Dimanche, dans les arènes d’Arles, ces considérations ont été chassées, comme les nuages, par le frais mistral. Les gradins étaient très aérés, une assistance clairsemée, des illusions emportés par les rafales. La veille, le temps n’était guère meilleur, mais il y avait les vedettes, c’était plus people. Et les toros ? Quelle importance.
Le cartel du jour est à la hauteur, moins tendance, plus adapté aux circonstances : Luis Francisco Esplá, Javier Valverde, Sergio Aguilar : des batailleurs.
Et des toros, pas exempts de reproches mais des toros, tous piqués trois fois, le Victorino à quatre reprises.

Le premier, 'Falseto', un Murube de 550 kg à la corne droite douteuse donne rapidement des signes de mansedumbre, fuyant les capes. Placé pour les piques, en allongeant la distance à chaque reprise, il se révèle définitivement fade. Esplá banderille sobrement. A la muleta, le toro tarde à charger, sans implication et sur la défensive. La faena offre peu de perspectives. Il tombe, prêt du toril, après une habile estocade et un descabello. Selon la formule consacrée : "sin pena ni gloria".

Entrée plutôt fracassante contre les planches de 'Pies de Liebre', un colorado de Miura. 620 kg, beau spécimen de cette nouvelle génération des toros de Zahariche, plus en rondeur. Que sont devenus les grands échalas efflanqués aux cornes épaisses ? L’attitude est vive, mobile, le Miura fixe tout ce qui bouge. Il trébuche pourtant à plusieurs reprises, sans marquer une réelle faiblesse. La première pique est de belle facture, agrémentée d’une bonne poussée. Les deux suivantes sont médiocres, le toro gratte le sol et tarde à démarrer. On note l’excellente présence du jefe de lidia, Esplá, comme souvent, comme toujours. Valverde entame une faena essentiellement droitière, gagnant le centre. Le toro engage la tête mais les charges sont courtes. En réponse à un spectateur qui lui fait remarquer l’absence de naturelles, le torero effectue deux brèves tentatives. Le vent ne facilite rien. Valverde conclut d’une belle estocade moins efficace que prévu. L’animal longe les planches, en manso puis s’affale après trois descabellos sous les balcons du couple Yonnet. Dommage que le torero scande chaque passe d’un râle tonitruant qui finit par devenir franchement désagréable. Pour le reste, une honnête faena à un Miura banal. Salut aux tiers.

'Contador' de La Quinta pèse 560 kg. Court de tête il n’aurait pas dû figurer dans une corrida concours. Il est piqué de manière calamiteuse, sans lidia, à la va comme je te pousse. Les banderilleros passent et repassent avant de planter le nombre de palos réglementaire. Aguilar profite de la noblesse du bicho. Il alterne les séries de passes sur les deux mains, en partie gâchées par de nombreux accrochages. Par instant sa tauromachie de lenteur, sur les cornes, emporte l’adhésion d’un public qui jamais ne chavire. Des frémissements soit, mais on frémissait déjà… de froid. Pinchazo, estocade, courte pétition et hop ! Une oreille. Ah bon ? Présidence rapide !

Veredero et EspláA ce stade, nous attendons encore la caste. Heureusement, elle arrive avec 'Veredero', un joli bonzaï de Victorino, annoncé à 500 kg. 100% Saltillo, vif et collant. Difficile pour Esplá de s’en dépêtrer. Placé pour les piques 'Veredero' est obnubilé par le torero. Les deux premiers puyazos sont donnés au passage, un n’importe quoi de cariocas. Il est temps pour Aurelio García de prendre une retraite bien méritée. Elle devrait suivre celle de son vétéran maestro dont on annonce la despedida. Pour les deux puyas suivantes, le toro, enfin fixé, vient de loin entre alegría et hésitation. La cuadrilla pose les banderilles, en couverture le précieux et discret Domingo Navarro, tout en efficacité. 'Veredero' se retourne comme un chat. Esplá, accrocheur et combatif, engage la muleta sous le mufle, sans rompre. De bout en bout l’homme et la bête entretiennent un dialogue sur le fil du rasoir. Une demi-lame immédiatement reprise par une épée entière judicieusement placée et on retrouve notre talentueux roublard. La piste se vide, 'Veredero' meurt seul, au centre, foudroyé. Re-hop ! Courte pétition. Oreille. Sans doute celle des adieux pour une faena méritoire.

'Segundito', le Guardiola Fantoni qui avance en piste ses 540 kg ne sera qu’un interlude. Fade en quittant le toril, il le restera constamment. Valverde et ses troupes vont l’escamoter. Le torero demande même le changement de tiers après la deuxième pique. Refusé par une présidence en pleine crise de fermeté. Perpétuellement « encogido », le toro semble frigorifié, plus sûrement décasté.

Secretario au chevalLe dernier, un bel Escolar de 535 kg, 'Secretario', plus Santa Coloma que Saltillo, vient frapper les burladeros puis se plante au centre de l’arène en attendant qu’on l’en déloge. Il répond instantanément aux appels et entre avec franchise dans le capote de Sergio Aguilar qui offre de belles véroniques templées, pieds joints. La première puya est sans conteste la meilleure de l’après-midi. Le toro se cambre jusqu’à repousser la cavalerie, avec classe, contre les planches. Il vient de loin pour la pique suivante et Luis Francisco Esplá le reprend pour le placer encore plus loin pour la troisième. On aurait aimé le voir lors d’une rencontre supplémentaire mais… Un moment d’inattention certainement, comme le changement de tiers alors que le toro n’a que trois banderilles sur le dos. Aguilar débute main gauche, en regagnant le centre sereinement. Les séries s’enchainent, les naturelles sont profondes et suaves, un début de faena parfaitement construit. Mais 'Secretario' s’éteint ou est-ce Aguilar qui l’asphyxie ? Et la fin perd en densité. Une bonne estocade, le toro meurt au centre, bouche cousue, en brave. Re-re-hop ! Oreille, qui honore un torero énigmatique à la tauromachie inégale.

A l’issue de la course trois prix sont décernés :
Meilleur toro : 'Secretario'. Quelle remarquable temporada pour José Escolar Gil ! On a cependant croisé d’autres toros plus complets en d'autres plazas.
Meilleur picador : Ángel Rivas pour sa prestation face au Miura. Discutable.
Prix coup de cœur à Sergio Aguilar qui sort a hombros.

Un palmarès plutôt honnête mais quelques remarques s’imposent.
Une corrida concours engage le sérieux d’une arène et nécessite un palco à la hauteur de l’événement. On peut, on doit déclarer « desiertos » des prix lorsqu’ils ne sont pas complètement mérités. L’histoire taurine n’en sera pas changée. Cette course se résume à un duel entre Albaserrada, intéressante et de bonne tenue. Pour autant, elle ne passera pas à la postérité.
Pour autant, en emporte le vent… avec ou sans trophées.

Retrouvez les photos de Solysombra à la rubrique RUEDOS.