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21 septembre 2013

Barrancos


Ma découverte de Barrancos a débuté il y a bien longtemps avec les mots de Pierre Dupuy dans la revue Toros, puis ceux de Jacques Durand dans Libération.

Barrancos est un village improbable du bout du monde du Portugal, là où les Lusitaniens passent les toros au fil de l’épée. 
Barrancos… Un village perdu dans un territoire isolé de tout, tellement isolé qu’il ferait paraître immense ce grand pays pourtant si petit. Un village cerné par le Porço Preto et les oliviers, luxe suprême. Barrancos, dont les deux « r » se roulent à la portugaise, entre la jota espagnole, sèche, et les « r » roulés. Deux « r » qui restent coincés sur le haut de la langue, contre le palais.

Grégoire Fabvre, qui vit chez nous, au pied du pic Saint-Loup, a eu un jour l’idée lumineuse d’aller se perdre à Barrancos, caméra à l’épaule, accompagné d’un preneur de son. De ses voyages il a fait un film, étonnant, émouvant, profond, superbe. Alors Barrancos est devenu autre chose qu’un nom ou un symbole, autre chose que le village de la résistance. Barrancos est devenu une envie de voyage et de territoire vierge, de retour aux sources.

Passara, le film de Grégoire, est distribué par les éditions Atelier Baie. Le contact fut donc facile, les échanges immédiats, et l’envie de partir tourna rapidement à l’obsession. J’avais l’impression de discuter avec un type qui venait de marcher sur Mars, et depuis que j’en suis revenu, j’ai le sentiment d’être allé moi aussi sur cette autre planète. Sensation délicieuse, entêtante et déjà empreinte de nostalgie. Saudade. Ça n’a rien à voir, mais le lendemain, pour mon retour sur terre, Ugo Ceria, un poète italien qui vit à Madrid, m’expliquait qu’il n’existe pas de Pessoa espagnol. Finalement, si, ça a peut-être à voir.

Ma préoccupation principale étant les images, j’ai beaucoup interrogé Grégoire pour savoir comment envisager ces courses de deux toros et comment pouvoir photographier au plus près de l’action. 


« Salut François,
Pour pouvoir accéder à la piste, il y a quatre possibilités, que j’ai expérimentées, aussi galères les unes que les autres :
— La première, très rock’n’roll : avec les jeunes, perché sur les rondins, sous les places assises. À la sortie du toro, on ne voit rien. Il fait cinquante degrés, c’est la panique, impossible de faire des images. En revanche, on est au cœur de l’action, c’est très sympa. Dès que le toro est canalisé, après les banderilles, on peut alors sauter en piste sans problème et même s’asseoir sur le sable pour regarder la faena. C’est une bonne expérience à vivre qui permet de faire de superbes images dans le dernier “tiers”.
— La seconde : derrière les rondins amovibles, entre la sociedade “du haut” et l’église. C’est par là que passe l’arrastre. On est “quiché” debout tout au long de la course et, à moins d’être arrivé très tôt (au moment où ils fixent les rondins pour fermer l’arène) on ne voit rien à part des nuques. Le seul intérêt est de pouvoir accéder à la piste en même temps que l’arrastre.
— La troisième : être dans l’une au l’autre sociedade. Là encore, il ne faut pas espérer voir grand-chose de la course, mais on peut accéder facilement à la dépouille du toro.
— La quatrième : le top ! L’emplacement depuis lequel j’ai filmé les courses présentes dans Passara, derrière le burladero de la banque. C’est l’endroit idéal, mais, pour m’y faire accepter, il m’aura fallu deux ans, quatre voyages à Barrancos, boire un verre avec chaque habitant du village, prouver mon afición, apprendre à parler le dialecte barranquenho, aller à la messe… Je plaisante, mais c’est un peu ça… Tu peux tenter le coup. Pour cela, il faut que tu rencontres Hernani, ou son collègue dont j’ai oublié le nom. Ils travaillent à la banque. C’est en quelque sorte leur place réservée. Hernani est sympa ; il passe ses journées à s’éclipser de son guichet pour aller boire et jouer aux cartes. Il peut être lourdingue, mais je pense qu’il m’aime bien. En lui montrant tes bouquins et en lui parlant de Passara, ça peut le faire. Il supporte le Sporting. De notre côté, sauf retournement de situation, nous ne descendrons pas cette année. On reste en contact. 
À bientôt.
Grégoire. »


07 septembre 2013

Ben voyons ! (II)


Merci à Romain Tastet et à Gloria pour son post sur Facebook !
C’est traduit en russe — pas sûr qu’on y perde grand-chose…



Les Bijoutiers du clair de lune de Roger Vadim,
avec Brigitte Bardot, Alida Valli, Stephen Boyd,
José Nieto, Fernando Rey (Fr., It., 1958, 1 h 35)

03 septembre 2013

Ben voyons !


Oh, certes, le cliché n’est pas de bonne définition, et je suis même incapable de vous dire d’où il sort (que son auteur me pardonne), mais il suffit tout de même pour comprendre qu’il fut une époque où la sainte éthique ne l’étouffait pas, notre Brigitte. Peut-être que son ambition de l’époque aveuglait sa très pure vision sur les horreurs de ce monde sanguinaire et cruel, et qu’au fond l’arrivisme et la quête du succès la protégeaient outrageusement des éclaboussures de la dignité.

Après tout, que ne ferait-on pas pour un quart d’heure de gloire, au moins ! En fait, c’est désormais prouvé, l’amour-propre ne fait visiblement pas partie de son monde. Malgré cela, on pourra se consoler en imaginant qu’en ces temps innocents une once de compassion pour ses semblables bipèdes humains coulait peut-être encore dans les veines du monstre blond le plus sexy de l’histoire du cinéma. 

Enfin, moi ce que j’en dis, c’est que les antis, c’était mieux avant…

27 juillet 2013

Bernadette


Dans Le Monde du 27 juillet, Jacques Mandelbaum rend hommage à Bernadette Lafont, « la petite Nîmoise » : « Très triste matinée pour le cinéma français. C’est qu’elle était diablement attachante, Bernadette Lafont, qui incarnait une liberté, une insolence, un goût du risque et un mépris de la bienséance dont on sent bien à quel point ils manquent aujourd’hui, dans une époque à la fois vendue et pudibonde. »

Jeanloup Sieff lui avait déjà rendu hommage du temps de sa jeunesse, avec un inoubliable portrait que vous retrouverez dans la monographie du photographe, Demain le temps sera plus vieux.

02 juillet 2013

Taurophilie


« La cinéphilie, même tenue dans les réseaux les plus laïques, est empreinte d’une grande religiosité dans ses cérémonies. Sans doute est-ce là l’identité même de cette pratique : comment voit-on les films, à quelle place dans la salle, dans quelle position, suivant quel cadrage intime, comment anime-t-on une séance, comment se déplace-t-on en bande, comment partage-t-on ce journal intime du regard par la conversation, par la correspondance, par l’écriture ? » — Antoine de Baecque et Thierry Frémaux

Image Piazza Grande, Locarno (Suisse) — Wikipédia/Festival del film Locarno. Du 7 au 17 août 2013, lors de la 66e édition du festival tessinois, le Léopard d’honneur sera remis au réalisateur allemand Werner Herzog.

11 mai 2013

Génial


Superbe aux yeux de glace, Talavante, mèche laquée ramenée vers l’arrière en vague et costard Smalto ouvert façon golden boy en roue libre, zone dans les rues bleues de la capitale espagnole, conscient qu’il est maintenant face à son destin, conscient qu’il a jeté lui-même sa peau dans la cage aux fauves, par honneur, par fierté, par torería et par tout ce que vous voudrez… Parce qu’il ne peut plus reculer, il avance, pas après pas, les yeux dans le vide, le cœur gros et le compte en banque pesant… Des toros gris, puissants et furieux, zèbrent ses pensées… Regard perdu sur la ville, quelques millimètres de vitre et, là, le vide… glacial, infini. Au fond, l’avenir, le destin — le sien… Le rendez-vous est pris, ce sera le 18 mai… à Las Ventas… Madrid. 

Génial, vraiment génial, cher Alejandro, je te l’accorde, mais, après ça, faudrait voir à pas te rater si tu veux pouvoir circuler toujours aussi sereinement dans les rues de la ville, sans déclencher la poilade… ou la compassion. 

Suerte, Maestro. 

09 mai 2013

Tyrannosaure vs Éléphant, hommage à Ray Harryhausen


Encore un post pour les amateurs de bizarre ? C’est bien ça. Au jeu du « Mort ou pas mort », je n’aurais pas parié grand-chose sur le souffle de Ray Harryhausen il y a une semaine, et pourtant, comme le veut l’adage, quelques heures avant sa mort il était encore vivant, et son décès est survenu voici deux jours au bout de quatre-vingt-douze années d’une vie que l’on imagine bien remplie. Biberonné à Télérama dans mon enfance, j’avais suivi les conseils du magazine un jour de diffusion de Jason et les Argonautes, et m’étais justement délecté du combat entre les Argonautes et les squelettes (nés, si je me souviens bien, des dents de l’hydre ou autre fantaisie), véritable chef d’œuvre de bricolage animé.

À son actif, Ray avait réalisé image par image les effets spéciaux de quelques dizaines de films (pour la plupart très passables), ces fameuses série B dont on fantasme le souvenir : une interminable glace italienne, un cinéma de village en été, une voisine arborant le décolleté de Sofia Loren dans une robe à pois obnubilant inexplicablement les pensées de vos dix ans. Des années 1940 à l’orée des années 1980 (avec le très mauvais Choc des Titans), Ray fit œuvre de magie vingt-quatre fois par seconde à coups de maquettes, d’animaux préhistoriques et de monstres zarbi avec, en prime, le loisir de lorgner sur la robe de Raquel Welch lors du tournage d’Un million d’années avant J-C, ce qui n’était pas rien… Aurélien Ferenczi lui rend un très bel hommage sur son blog.

Le rapport avec la paella ? Il est tiré par les cheveux, comme souvent, mais nous allons intéresser la chose. Ray Harryhausen réalisa les effets spéciaux de l’improbable La Vallée de Gwangi, dont je viens de découvrir le pitch saisissant sur Wikipédia : « À la fin du XIXe siècle, aux États-Unis, un groupe de cow-boys découvre et part explorer une mystérieuse vallée peuplée de créatures préhistoriques (animées par Ray Harryhausen), notamment un Eohippus, un stégosaure, un ptéranodon et un Ornithomimus. Après de nombreuses péripéties, les aventuriers parviennent à capturer au lasso un tyrannosaure nommé Gwangi (lui aussi animé par Ray Harryhausen), le ramènent en ville dans une cage improvisée et l’exposent dans un cirque. Mais le dinosaure parvient à s’échapper, se bat contre un éléphant (également animé par Ray Harryhausen) et sème la panique jusqu’à ce qu’on parvienne à l’enfermer dans une cathédrale, où il meurt au cours d’un incendie. » Rappelons que le LSD était en vogue, en 1969…

Si la corrida n’est pas un spectacle, comme dirait Laurent, le combat dans une arène entre un tyrannosaure et un éléphant vaut, lui, le coup d’œil, ainsi que le prouve cette vidéo. Trouvez-moi l’arène où cela fut filmé, et vous gagnerez un SMS dédicacé live from Las Ventas pendant le solo de Talavante, le 18 mai. 



Indice 1 : Joséphine Douet m’a envoyé une photo de ces arènes il y a quelques années.
Indice 2 : Ne vous laissez pas abuser par les drapeaux.
Indice 3 : Initiales BB.

26 avril 2013

« Los Salvajes »


Un film d’Alejandro Fadel, avec Leonel Arancibia,
Sofía Brito, Martín Cotari, Roberto Cowal, César Roldan,
Ricardo Soulé (Argentine, 2012, 1 h 59)


25 janvier 2013

Le noir et blanc vous va si bien


Le noir et blanc vous va si bien, Maribel, et qu’importent les années… Le noir vous allait si bien, hier, quand il s’agissait de manipuler, de dominer ou bien encore d’empoisonner ; et le noir de vos cheveux, comme celui de vos lèvres — pur objet esthétique qui n’a nul besoin d’embrasser pour conquérir —, et le noir de vos pensées et complots ; le noir et blanc vous va si bien dans le Buenos Aires de carte postale et le Séville des années vingt, dans la prévenance et la perversion.

Cela vous étonnera-t-il, Maribel, de savoir qu’un jour de longue novillada de Moreno de Silva à Las Ventas la première chose qui me vint à l’esprit, quand Ugo me présenta son ami acteur, fut de lui demander s’il vous connaissait ? Le noir et blanc vous va si bien, Joaquín, quand vos novillos sont légers et vifs, prompts à la charge et combatifs en diable, quand ils ont trop à donner et à comprendre pour les toreros. Noir, blanc, cárdeno, qu’importe… Je me souviens de ces ports altiers et de ces mufles effilés de mantes religieuses querelleuses et rusées. Les novilleros, eux aussi, pensaient à vous, Maribel, tapie dans l’ombre de la chambre, digne de connaître les faiblesses et les échecs ou d’entendre les trois avis. Vous étiez ce rempart, cet arc-boutant contre tous les excès du désespoir, l’empathie même, un calice pour le chagrin… Et vous voici, hier, à l’affiche encore, inquiétante comme le sont parfois les femmes pour qu’on les aime : vénéneuse, irrésistible. C’était vous la mante religieuse, sauvage et déterminée, outrancière juste ce qu’il faut. Joaquín, me croirez-vous si je vous dis qu’hier, à la sortie de Blancanieves, j’ai pensé à vous, à Carcassonne et à Madrid ? À cette époque où vous ne sembliez pas gaver vos toros pour les amener à Céret, et ceux-ci nous renvoyaient à des temps que nous fantasmions déjà, ou encore. 

Le noir et blanc vous va si bien, à Séville, en silence et en mantille. Cette autre carte postale, où la photographie est souvent prodigieuse, dans les bois et les corrals, où l’interprétation est «templée», expressive, et le propos tragique, émouvant sans jamais perdre la nécessaire distance. 

Le noir, le blanc, Séville et Buenos Aires. L’estampe et vos cartes postales. 

L’émotion et le temple. La distance. 

_____________

Si la hâte n’était pas l’apanage des voleurs et des mauvais toreros, je vous conseillerais, amis lecteurs, de courir voir Blancanieves, de Pablo Berger (avec Maribel Verdú !), sorti en France ce mercredi 23 janvier. Allez-y donc, mais d’un pas mesuré et déterminé.



14 décembre 2012

En hommage à…


En hommage à Maurice Herzog, Campos y Ruedos y Bollocks rediffuse ce soir Dolores Aguirre, la colère de Dieu (novillada de la Saint-Ferréol 1995 à Céret).



#NeverMindTheBollocksWeAreTheSexPistols
#OnSenBatLesCouillesOnEstCamposYRuedos
#MeImportaTresCojonesSomosCamposYRuedos
#DesSommetsOnEnAAtteintNousAussi #MaisOnDiraPasDeQuoi
#AnarquiaEnLasPlazasDeToros
#PunkNoEstaMuerto
#AnnapurnaPremier8000
#KlausKinskiPresente!
#DiosSalveElMuseoReinaSofia
#PasDeDoigtsPasDeChocolat

Image Werner Herzog, Die Große Ekstase des Bildschnitzers Steiner, 1974.

25 septembre 2012

Lumières !


En cliquant sur l'image, vous accèderez à une séquence cinématographique filmée par les frères Lumière. Les toros étaient berrendos en negro, les chevaux laissaient tripes et boyaux sur le sable et c'était il y a plus de cent ans. Comme ils disent à la télé, bon film.

08 septembre 2012

« La Grande Espérance », le IXe congrès du PCF (1937)


Rebutés par les carteles arlésiens, vous avez préféré renoncer à tout déplacement au bord du Rhône ce week-end. Cependant, une pointe de nostalgie vous étreint en ce moment même car, en tant qu'aficionado de goût, vous éprouvez une tendresse certaine pour l'amphithéâtre d'Arles. Heureusement, sur Campos y Ruedos, l'ennui, le hasard et la curiosité nous mènent parfois vers des sites étranges… Ne me demandez pas ce que je foutais sur le site Web du PCF (bon, j'y cherchais les possibilités de visite du siège de la place du Colonel-Fabien), mais j'ai fini par taper « corrida » dans le moteur de recherche du site d'archives cinématographiques — j'ai quelques obsessions comme celle-ci. 

Donc, si les arènes d'Arles vous manquent, à partir de la quatrième minute de ce film vous vous y verrez transportés au moment de Noël 1937 avec au programme défilés, farandoles, course camarguaise, L'Internationale et un discours de Marcel Cachin. Gradins assez garnis.

Bref, une curiosité…

31 août 2012

« Um Homen do Ribatejo »


En cherchant autre chose, on tombe sur ça : le Ribatejo, la Lisière du Tage, les campinos et les toiros.


13 juillet 2012

La nuit la plus courte


À Marc,

« Tout portrait se situe au confluent d'un rêve et d'une réalité. » Georges Perec

Toros de José Escolar Gil dans les corrals — Céret, lundi 9 juillet 2012 — JotaC

À les voir là, posant tranquillement pour l'objectif, apaisés, le flanc de l'un fraternellement collé contre l'épaule de l'autre, prévenants et attentionnés, difficile d'imaginer qu'il y a quelques heures, quelques instants à peine, ici, c'était la foire d'empoigne : un foin de tous les diables, une baston mémorable, une rixe colossale, une phénoménale algarade, emphatique et barbare, en un mot une sauvagerie.
— Ça a pété tout de suite, dès la sortie du camion, nous confiait, ébranlé, un membre de l'ADAC encore sous tension. Après, ça n'en finissait plus. Impossible de les arrêter. Je n'avais jamais vu un bazar pareil pour un débarquement… Quelle pétaudière !
— Pire que le débarquement en Normandie ?
En homme d'expérience, il a encaissé la boutade sans broncher avant de reprendre le cours de son épique récit. Joignant l'éloquence du geste à la concision de la parole, il a vivement secoué la main dans l'air frais du petit matin, de haut en bas et de bas en haut, par saccades, de haut en bas et de bas en haut comme s'il se brûlait.
 — C'était chaud bouillant !
Le mutisme qui suivit en disait long sur l'âpreté de l'assaut. Puis le silence fut à nouveau troublé par le mouvement fébrile d'une main battant l'espace, de haut en bas et de bas en haut.
 — Les flammes de l'enfer !
La nuit avait été rude pour les braves.
Épuisé, le soldat du feu s'était assis à califourchon sur la selle de son fougueux destrier. Un casque protecteur vissé sur le crâne, ses imposantes paluches gantées d'un épais cuir noir caressaient tendrement l'encolure poussiéreuse d'un scooter 125 customisé, sagement attelé près du mur. Absorbé par ses rêves, absent, le cavalier éclectique revivait son épopée nocturne, lâchant de temps à autre des commentaires incrédules.
— Incroyable… Qu'est-ce qu'ils se sont mis… Une avoinée pareille, ça ne se conçoit pas ! D'habitude, les deux premiers s'accrochent… La chaleur, le stress du voyage, la faim, la soif, les nerfs, qui sait ? Ils s'expliquent, se talochent, se torgnolent, se bourre-piffent à l'envi… Selon le tempérament, ça castagnent plus ou moins fort ! Quand se pointe le troisième, quand il ramène son mufle, parfois ça dérouille encore, mais, en règle générale, ça se calme assez vite. Après ça roule ! Cette fois, rien à faire. Sept Escolar, sept têtes de lard ! Autant de larrons, autant de marrons… Un foutoir !
Marqué par l'intensité des luttes de la veille, le vétéran belluaire sentait la lassitude l'envahir et la confusion le gagner. Il prit une courte pause pour remettre un peu d'ordre dans son esprit embrouillé.
— Du jamais vu… On a mis les deux lances en action… On les a arrosés pendant des plombes ! À la fin, c'était plus un corral, c'était une rizière. C'était Diên Biên Phu. On a frôlé le drame.
Le souffle court, inondé de sueur, Lancelot de l'ADAC s'est encore interrompu quelques secondes, consterné.
— Quelle faute grossière !  Fallait pas qu'il entre… Pas comme ça, pas à ce moment-là… Après, c'était trop tard, forcément trop tard… Quelle erreur d'appréciation ! 
— Qui ça ? C'est qui qui devait pas entrer ?
— L'autre bestiasse ! Un baraqué bourru taillé dans la mauvaise foi, un poivre et sel ombrageux, plutôt poivre que sel, chaud comme la braise. C'est lui qui a foutu le feu !
— Faut pas vous en vouloir… Vous pouviez pas prévoir, la nuit, tous les cárdenos sont aigris !
— T'as fini de dire des conneries ! Tu crois qu'on s'est marré ? Ce toro, c'était une plaie à quatre pattes, la réincarnation animale de Monsieur Beretto. Tu sais qui c'est Monsieur Beretto ? Tu le connais Monsieur Beretto ?
— Non. 
Brusquement, véhément, excédé par la plaisanterie, il s'est cabré. Son bourrin mécanique aussi. 
 — Si tu sais pas qui est Monsieur Beretto, t'as qu'à demander au mayoral, c'est lui qui est avec les toros.
Il a mis les gaz et s'est tiré à fond de train. On entendait dans le lointain le run run d'une conversation.
— Mon pauvre amigo, vous êtes la perpétuelle victime de l'esprit querelleur de vos contemporains, hein ? On vous cherche, on vous provoque, on vous persécute… Une sorte de fatalidad, c'est bien ça ?
Sí señor.
— Il est donc vrai, Señor Berettoro, que c'est la troisième fois cette année, et la dernière j'espère, que vous êtes poursuivi pour coups et blessures.
— À qui la faute, Señor mayoral, hein ? Moi je roulais tranquillement des mécaniques, doucement, et ces messieurs qui me brûlent la politesse et m'emplâtrent ! Je dis stop. Bon, je souligne, courtoisement, l'infraction. Je souris, quand cet espèce de possédé commence à me dire un tas de gros mots que je n'ose même pas vous répéter, Señor mayoral ! Il a traité ma mère de grosse vache ! Bon, j'ai peut-être eu tort de lui retourner une petite droite, mais c'est tout, Señor mayoral.
— Et, c'est ainsi que vous lui avez fendu la couenne et ouvert l'arcade sourcilière ?
— Eh bien, on vient tout juste de m'enlever les fundas et j'ai oublié que je ne les avais plus, voilà.
— Hum… Mais, dites-moi, les cinq autres, les témoins ?
— Mais, ils m'ont traité de brute, Señor mayoral !

Surréaliste !

>>> Libre adaptation des dialogues de Michel Audiard… Alors, ne nous fâchons pas, et profitons pour l'heure d'une galerie photos sous la rubrique « Ruedos » du site, en attendant l'arrivée, dimanche, du véritable héros de cette histoire : Fernando Robleño.



24 juin 2012

En peu de mots #12


Il fait froid

Alpes italiennes (Trentin - Haut-Adige)
Des mains épaisses. Un bol de soupe. Des yeux bleus injectés de sang. Le silence. La caméra suit un homme au travail, un fardeau de paille jeté sur l'épaule. Il fait froid. Et gris. Cinquante ans à cultiver un lopin de terre ingrate, nourrir des poules, élever trois bêtes. Il est seul — sur la montagne, sous les sommets, face à lui-même. Il marque un temps d'arrêt, regarde la vallée. Il relève la casquette. Il va parler… Il parle : « Avant, il y avait trois familles. Là, là et là-bas. L'une après l'autre elles sont parties. Un jour, j'ai dit à mon père que j'allais partir moi aussi. Il m'a dit : “En voilà une manière de me remercier de t'avoir élevé ici.” Vous savez… la vie est dure par ici. » Les mots ricochent sur les rochers. Il fait froid. Il est le dernier.

Les photographies de Christophe Agou présentées au musée d'art Roger-Quilliot de Clermont-Ferrand1 ne montrent pas autre chose que cette séquence du film Alpi projeté lors du festival du cinéma de Brive : un monde oublié qui se meurt, « celui des petits paysans reclus sur leurs terres, guidés par le seul rythme de la nature2. » C'est triste, et beau. 

1 Exposition prolongée jusqu'au 19 août 2012.
2 Vidéo Arte.

16 mars 2012

En peu de mots #05


Avec notamment Michel Subor © Le Pacte
Le dernier hiver

De retour du campo, il faut de nouveau se colleter avec le quotidien ; on a presque envie de rien. On reçoit les nouvelles, aussi tristes soient-elles, sans émotion particulière ; on subit.

Au milieu d'un chapelet de messages, j'ouvre machinalement, comme chaque semaine, la lettre d'informations des cinémas Rex — le nom du chien chez Infante da Câmara —, dans laquelle, une fois n'est pas coutume, le synopsis d'un film à voir retient mon attention : « Quelque part sur un plateau isolé. Johann a repris la ferme de son père. Il y consacre tout son temps et toute son énergie. Aux portes de l'hiver, l'équilibre fragile de son exploitation est menacé. Johann se replie sur lui-même, fuit les êtres qui l'entourent. Prisonnier de son héritage, il continue à accomplir les mêmes gestes et tente d'aimer comme il peut l'univers dans lequel il vit, au moment même où ce monde est sur le point de disparaître. »

04 juillet 2011

La valise mexicaine


Rappelez-vous, en 2008 Campos y Ruedos vous contait l'incroyable histoire d'une valise contenant deux boîtes bourrées de négatifs appartenant aux photographes Robert Capa (1913-1954), David 'Chim' Seymour (1911-1956), Fred Stein (1909-1967) et Gerda Taro (1910-1937).

Destin heureux d'une valise perdue à Paris en 1939, retrouvée à Mexico en 2007, et qui donne lieu, cet été à Arles, à deux événements :
— la projection en avant-première mondiale, au Théâtre antique le mardi 5 juillet à 22h15 (demain !), du film de Trisha Ziff, et
— la tenue, au Musée départemental Arles antique du 4 juillet au 18 septembre, d'une exposition réalisée par l'International Center of Photography de New York.

>>> Le filmL'exposition (cliquer à gauche sur "Documents" puis "La valise mexicaine") | Le portfolio sonore

Affiche © Les Rencontres d'Arles

13 avril 2011

Le Cochon


Dans le ciel cévenol, à l'aube, par la cheminée du mas une colonne de fumée s'est échappée.
Les portes ont claqué. Quand quatre hommes sont venus le chercher il a grogné — l'un d'eux lui a ligoté une patte, un autre le museau. De son repère non sans mal ils l'ont extirpé. Sur le muret de pierres et de lauzes, par la force et sur le flanc, ils l'ont immobilisé. Clopes au bec ou bérets sur le chef, dans les volutes de fumée tous ont dit être prêts. Le seau on a approché ; dans le cou la lame a pénétré. Des entrailles les grognements ont jailli, et le sang a giclé — les mains, les bottes, le tablier il a salis. Saigné, les quatre pieds ficelés et rassemblés, pour la pesée les hommes l'ont suspendu. Sur deux bassines et une porte en bois son dernier souffle il a rendu. De la peau ébouillantée par panaches la fumée s'est élevée ; rasé de près au couteau, puis essuyé, sur un lit de paille fraîche on l'a couché. Tranchée, rincée, dans la montée d'escalier sa tête on a accrochée — réservée. Enième cigarette, nouvelle tournée et la pluie s'est mise à tomber. Attirés par l'odeur de viande chaude, la ronde des chiens a commencé. Sur un linge immaculé les cuisses on a déposées. Ouvert comme un livre — la tranche cassée — il a offert ses tripes au boucher. Le lard récupéré et la peau enroulée — les jambons encore à préparer —, de chair à saucisse les boyaux on a garnis ; de gras et de pâtés les bocaux on a remplis.
Dans la nuit cévenole, jusque tard, par la fenêtre du mas les paroles d'une chanson à boire s'envolent.

*  *  *  *  *  *  *

Entre 1966 et 1980, Jean Eustache (Pessac 1938 – Paris 1981), cinéaste étiqueté Nouvelle Vague, réalisa une petite vingtaine de films : des courts, des moyens, des longs et un très long métrages (La Maman et la Putain, Grand prix spécial du jury à Cannes en 1973). Samuel Brussel, éditeur et écrivain, se souvient que « Jean Eustache était un grand solitaire dont le malheur fut de n’avoir pas su s’accommoder du crétinisme ambiant de son époque (critiques, producteurs, etc.). Plus d’une fois, dans ces béates années 1970, j’entendis cet anathème qui le désignait “de droite”. Je crus comprendre qu’être “de droite” pouvait signifier, dans le meilleur des cas, ne pas avoir le talent de se prostituer. »

Image Capture du film Le Cochon de Jean Eustache & Jean-Michel Barjol / France / 1970 / Documentaire / Noir & blanc / 50 minutes © Festival du cinéma de Brive

06 août 2010

Cría cuervos


Cría cuervos, pour le commun des français, c’est probablement le film mythique de Carlos Saura. Le Madrid des années soixante-dix, l'enfance de la petite Ana témoin de la mort de ses parents. Une Espagne encore franquiste. La jeune actrice, Ana Torrent, est depuis devenue une superbe femme (voir photo ci-contre), actrice de profession.

Cría cuervos, c’est évidemment la chanson du film, Porque te vas, entêtante, inoubliable, interpretée par Jeanette.

Cría cuervos, c’est aussi un proverbe espagnol dont personne n’est vraiment capable de vous expliquer une origine qui, dit-on, se perdrait dans la nuit de temps médiévaux.
Cría cuervos y te sacarán los ojos dit le proverbe.
Ce qui peut se traduire par : élève des corbeaux et ils te crèveront les yeux.

Aujourd’hui, s’il y en a un qui doit le méditer ce proverbe, c’est bien Stéphane Fernández Meca qui vient de se faire piquer Alberto Aguilar par un autre rapace, Bernard Domb, plus connu sous le nom de Simon Casas.
Vous aurez remarqué que sur Campos y Ruedos nous n'avons pas pour habitude de commenter ce qui se passe dans les cuisines du mundillo. En fait, nous en avons cure. Mais alors là !

Stéphane Fernández Meca, matador de toros vaillant et retiré, a sorti du rien le petit Alberto.
Il l’a même soutenu une année à blanc, suite à une salle blessure à l’entraînement. Et puis il l’a lancé, pour de bon, pour de vrai. Pas pour rire.
Saint-Martin-de-Crau, Vic-Fezensac, Céret... Un vrai plan de bataille, une vraie ambition, une vraie trajectoire, un vrai projet.
Entre temps, Stéphane Fernández Meca avait eu la mauvaise idée de se présenter à l’adjudication des arènes de Nîmes.

Adjudication. Adjudication n’est pas un proverbe espagnol sorti de la nuit de temps médiévaux. Adjudication n’est pas un terme espagnol barbare. Adjudication est juste une procédure très contemporaine prévue par nos lois très républicaines. Une procédure dont la subtilité républicaine, justement, doit échapper à quelques taurins professionnels comme le sieur Domb.

Alors, pour se venger de l’effronté, le sieur Domb lui pique le petit Alberto dont on peu craindre qu'il finisse par payer l'addition finale.
Cosas de toros comme on dit dans ces cas-là. Oui, mais bon. Minable tout de même. Minable et bien dans l’air du temps taurin actuel, mais quand même.
Quant au petit Alberto, on se dit qu’il doit en avoir moins dans la cabeza que dans la taleguilla. En tout cas on lui souhaite une trajectoire plus glorieuse et surtout plus longue que celle, par exemple, et au hasard, d’un certain Carmelo.
Vous ne connaissez pas ? Normal...

Cría cuervos y te sacarán los ojos... y mi corazón se pone triste contemplando los taurinos...

NDLR Photographies (Google images) d'Ana Torrent aujourd'hui et de Jeanette il y a longtemps...

02 mai 2010

Dans le cercle du Minotaure


Dans le cercle du MinotaureJ’ai charrié tant de sang, tant de chair et de feu que le soleil n’aveugle plus mes yeux.
Face à la peur et au silence, dans les volutes de poussière, je suis le monstre qui se dresse au centre du disque solaire.
Seul, dans le tumulte d’un monde où dansent l’ombre et la lumière.
Je suis venu vendre ma peau, cher.
J’avance en suivant l’empreinte du temps, la mémoire du sable, la trace de l’absolu frappé par l’éphémère.
Seul, je ressasse chaque pas depuis les entrailles de la terre et j’avance vers la lumière.
J’ai déchiré la chrysalide qui ne me protégeait de rien, ni de la peur, ni du silence, ni de la douleur de la chair.
J’avance l’âme nue, seul, vêtu de lumière.
J’avance dans ce reflet du monde où ne peut vivre que le feu.
J’avance, lame nue pour pénétrer ta chair.

Toro, il est temps que la corne croise enfin le fer dans un ultime corps à corps entre les ombres et la lumière.
Le cercle se referme. Lequel mordra la poussière ?
Si ce n’est toi, c’est donc...

Tuer ! Tu es ce monstre solitaire.



Le Minotaure et Picasso par Juan Pablo Etcheverry.

Illustration Dans le cercle du Minotaure © JotaC/Campos y Ruedos