21 septembre 2013

Barrancos


Ma découverte de Barrancos a débuté il y a bien longtemps avec les mots de Pierre Dupuy dans la revue Toros, puis ceux de Jacques Durand dans Libération.

Barrancos est un village improbable du bout du monde du Portugal, là où les Lusitaniens passent les toros au fil de l’épée. 
Barrancos… Un village perdu dans un territoire isolé de tout, tellement isolé qu’il ferait paraître immense ce grand pays pourtant si petit. Un village cerné par le Porço Preto et les oliviers, luxe suprême. Barrancos, dont les deux « r » se roulent à la portugaise, entre la jota espagnole, sèche, et les « r » roulés. Deux « r » qui restent coincés sur le haut de la langue, contre le palais.

Grégoire Fabvre, qui vit chez nous, au pied du pic Saint-Loup, a eu un jour l’idée lumineuse d’aller se perdre à Barrancos, caméra à l’épaule, accompagné d’un preneur de son. De ses voyages il a fait un film, étonnant, émouvant, profond, superbe. Alors Barrancos est devenu autre chose qu’un nom ou un symbole, autre chose que le village de la résistance. Barrancos est devenu une envie de voyage et de territoire vierge, de retour aux sources.

Passara, le film de Grégoire, est distribué par les éditions Atelier Baie. Le contact fut donc facile, les échanges immédiats, et l’envie de partir tourna rapidement à l’obsession. J’avais l’impression de discuter avec un type qui venait de marcher sur Mars, et depuis que j’en suis revenu, j’ai le sentiment d’être allé moi aussi sur cette autre planète. Sensation délicieuse, entêtante et déjà empreinte de nostalgie. Saudade. Ça n’a rien à voir, mais le lendemain, pour mon retour sur terre, Ugo Ceria, un poète italien qui vit à Madrid, m’expliquait qu’il n’existe pas de Pessoa espagnol. Finalement, si, ça a peut-être à voir.

Ma préoccupation principale étant les images, j’ai beaucoup interrogé Grégoire pour savoir comment envisager ces courses de deux toros et comment pouvoir photographier au plus près de l’action. 


« Salut François,
Pour pouvoir accéder à la piste, il y a quatre possibilités, que j’ai expérimentées, aussi galères les unes que les autres :
— La première, très rock’n’roll : avec les jeunes, perché sur les rondins, sous les places assises. À la sortie du toro, on ne voit rien. Il fait cinquante degrés, c’est la panique, impossible de faire des images. En revanche, on est au cœur de l’action, c’est très sympa. Dès que le toro est canalisé, après les banderilles, on peut alors sauter en piste sans problème et même s’asseoir sur le sable pour regarder la faena. C’est une bonne expérience à vivre qui permet de faire de superbes images dans le dernier “tiers”.
— La seconde : derrière les rondins amovibles, entre la sociedade “du haut” et l’église. C’est par là que passe l’arrastre. On est “quiché” debout tout au long de la course et, à moins d’être arrivé très tôt (au moment où ils fixent les rondins pour fermer l’arène) on ne voit rien à part des nuques. Le seul intérêt est de pouvoir accéder à la piste en même temps que l’arrastre.
— La troisième : être dans l’une au l’autre sociedade. Là encore, il ne faut pas espérer voir grand-chose de la course, mais on peut accéder facilement à la dépouille du toro.
— La quatrième : le top ! L’emplacement depuis lequel j’ai filmé les courses présentes dans Passara, derrière le burladero de la banque. C’est l’endroit idéal, mais, pour m’y faire accepter, il m’aura fallu deux ans, quatre voyages à Barrancos, boire un verre avec chaque habitant du village, prouver mon afición, apprendre à parler le dialecte barranquenho, aller à la messe… Je plaisante, mais c’est un peu ça… Tu peux tenter le coup. Pour cela, il faut que tu rencontres Hernani, ou son collègue dont j’ai oublié le nom. Ils travaillent à la banque. C’est en quelque sorte leur place réservée. Hernani est sympa ; il passe ses journées à s’éclipser de son guichet pour aller boire et jouer aux cartes. Il peut être lourdingue, mais je pense qu’il m’aime bien. En lui montrant tes bouquins et en lui parlant de Passara, ça peut le faire. Il supporte le Sporting. De notre côté, sauf retournement de situation, nous ne descendrons pas cette année. On reste en contact. 
À bientôt.
Grégoire. »