Faut-il l’écrire encore ?
Les saisons de
toros défilent et les mêmes consternations paradent chaque année, malgré nous, passionnés masos et autoflagellés. Ça commence à Donostia avec cette presque traditionnelle
concurso de ganaderías. Ça commence en niveaux de gris, des cimes vertes du Jaizquibel jusqu’au béton « 100 % pur brebis » des laides arènes d’Illumbe. Laides ? Euphémisme ! Au sous-sol du complexe taurino-cinématographo-commercial, deux bars façon « club » de perdition nocturne se disent merde, vulgairement, sans chichi ni exotisme aucun. Au milieu, les retrouvailles des flagellants bourdonnent dans un écho étouffé d’un modernisme sans imagination. Faut vraiment aimer les
toros !
Des
toros, il y en avait quand même. De tout, rien de complet mais certains présentaient un réel intérêt... et pas toujours ceux que l’on cru de prime abord à la lecture du programme. Fernando Cruz blessé (à Valencia), c’est Antonio Barrera qui le suppléait, en toute logique évidemment tellement ce fin torero, ce grand
lidiador a prouvé ses mérites ces dernières années ! Passons.
Padilla ? Passons également car il fit ce qu’il savait faire, un peu de communication (voire beaucoup trop), beaucoup de gesticulations et un
violín, évidemment... Il est toujours là, incontournable encore (malheureusement) pour s’envoyer ce que les autres refusent, reconnaissons lui au moins cela.
López Chaves était à Illumbe hier mais son chemin, de moins en moins caillouteux, ne croisa que l’ombre d’un
victorino, que dis-je, le mirage lointain d’un Albaserrada, invalide dès la première passe de cape et seulement bon, par la suite, à exhiber deux pointes en étoiles, stupidement peu filantes.
Avec eux, à côté d’eux plutôt, des ersatz de cuadrillas qui devaient avoir trop longtemps traîné leur guenilles le long d’un des deux bars, au sous-sol. La CFA2, la promotion d’honneur balancées en Elite... Ça détonne mais ça n’étonne plus personne malheureusement. Au début, ça ressemble à un bal des débutantes, les capes roses virevoltent en ronde, rivalisent entre elles à tous les coins de burladero, donnent de la couleur au gris ambiant. Le
toro, lui, il danse sans connaître les pas, comme une débutante mal préparée. Après, le vulgaire devient loi, un charivari, forcément bordélique, se fait maître de danse. On interrompt la course allègre vers le cheval par un
capotazo ignare, on colle des
remates cinglants au moment des
palos, ça fait
capea de village... en corrida concours. Quand vient l’heure de prendre l’épée, aux ordres on imagine, l’amateur se rue sur la débutante pour la faire tourner une dernière fois, avant l’estocade ! Bravo, encore bravo.
C’est le sérieux qui a le plus manqué à cette corrida concours. Le sérieux, le respect (une fois de plus) de certains canons de la
lidia, l’envie aussi.
Il n’y eut pas de
toro complet, n’en déplaise à un site espagnol baba de Domecq et de
faenas interminables. 'Solterón' de Fuente Ymbro fut un
toro fort intéressant mais pas forcément un grand brave. De manière générale dans cette course, l’allégresse prévalut sur la bravoure pure, cette bravoure qui fait mettre les reins à un
toro de combat malgré la souffrance du châtiment, oui le
toro souffre quand même… Qu’il s’agisse du Palha, superbe
chorreado en verdugo, du Cebada Gago ou de l’Alcurrucén, tous partirent avec allant et envie depuis le centre du
ruedo. Personnellement, leurs poussées me déçurent par le manque de puissance et d’insistance et par une propension à sortir seul de la lutte. Cependant, comme me le faisait remarquer assez justement mon voisin et ami, le mur sur lequel viennent buter et s’éclater les
toros ne fait rien pour les mettre en confiance. C’est une autre triste réalité mais Illumbe, comme tant d’autres places, mériterait de se pencher sur le problèmes de ces "rideaux de fer" destructeurs et écoeurants pour les braves. Certains montrent du doigt le principe même de la corrida concours qui viderait les
toros à la pique, ne laissant rien de leur caste pour le dernier tiers. C’est un faux procès dicté par la mode actuelle des
faenas sans fin. Le problème n’est pas dans le fait de faire trop piquer les
toros, le problème réside dans l’exécution même des piques et dans les conditions de leur réalisation. Si les
piqueros savaient faire leur travail, s’ils savaient piquer à l’endroit requis et non pas dans les reins, s’ils ne s’amusaient pas à carioquer et à vriller, la pique serait un formidable
tercio prompt à emballer tous les publics. Si les
empresas avaient un soupçon de réflexion, elles se dépêcheraient de choisir des chevaux plus légers et plus mobiles. Si les cuadrillas faisaient leur boulot avec sérieux, elles ne casseraient pas les
toros dès leur entrée en piste. Si les maestros étaient professionnels, ils ne discuteraient pas pendant les piques, ne se recoifferaient pas pendant le
tercio de banderilles, attendant, certains avec une impatience avérée, que sonne l’heure de la muleta laissant ainsi leurs subalternes maltraiter l’animal. Le problème est là et pas ailleurs et l’on se fout comme de l’an 40 qu’une
faena dure 10 passes ou 200 passes.
Faut-il l’écrire encore ?
A cette corrida aux grises teintes, seul le bleu qui décorait les mules donna quelque couleur. Une
arrastre d’opérette anima notre ennui et nos désillusions. Comme un troupeau d’adolescentes pré-pubères à la vue d’Apollon, nos mules, presque pottock pour l’une, franchement cheval pour l’autre, s’ébouriffèrent les naseaux en découvrant les cadavres tout chaud des
toros morts pour rien. Comme chez Bartabas, dans une ronde incontrôlée, elles allèrent, emballées, paniquées... grandioses et ridicules. Sur les gradins, ça y allait du sourire, du rire, un moment de bonheur.
-
Chez nous, y’a que ça qui fonctionne, les mules !, se hasarda notre voisin montois.
- C’est bien vrai... mais le problème c’est qu’on s’en sert pour les piques, rétorqua son voisin
.
Ça a du bon ces premières corridas de saison en fin de compte, les potes sont là à nouveau... en bas c’est pas terrible mais au-dessus de cette agaçante mêlée, ça rigole plein de caste !
>>> Vous pourrez retrouver sous peu une série de clichés de cette corrida concours dans la rubrique
RUEDOS du site.