02 mars 2007

Ah, malice quand tu nous tiens...


Qu'il me soit permis de publier ce commentaire reçu la semaine dernière sur ce même blog et d'y répondre...

Monsieur,
Merci de l’intérêt que vous portez à l’émission Face au toril et de l’attention avec laquelle vous avez regardé, dans le dernier numéro le reportage intitulé "La question de la grâce". Je suis moi-même un lecteur plutôt assidu de Campos y Ruedos dont j’apprécie la pertinence et l’impertinence. Et c’est un honneur de faire un programme regardé par des gens de qualité ! J’ai bien noté votre malicieux conseil, mais je n’ai pas l’intention pour l’instant de "courir" chez Juan Pedro Domecq. Du reste, c’est vous qui trouvez "géniales" les paroles de Fernando Domecq, pas moi. Nous nous sommes contentés de les recueillir et de les diffuser. Cela ne préjuge en rien de notre point de vue sur la question. En revanche, vous reconnaîtrez que c’est "grâce" à notre émission que les positions de cet éminent éleveur ont pu être connues du plus grand nombre (vous-même, peut-être ?). Vous relevez un passage du commentaire faisant état de l’unanimité du callejón à propos de la grâce obtenu par 'Desordenado', toréé par Ponce à Murcie. J’ai donné cette indication parce qu’elle est le reflet de la réalité, et aussi parce qu’elle vient tout de suite après ce commentaire, je me cite : "Desordenado, ça fait désordre, n’a subi qu’une petite pique et il est sorti tout seul de sa rencontre avec le cheval, comme un qui fuit la bagarre. En plus, il s’est cassé la figure tout seul au début de la faena, comme un quelconque mou du genou". C’est vous qui indiquez que le point de vue du callejón est "un gage de reconnaissance et de qualité", pas moi. Je ne regrette pas d’avoir intitulé le reportage "La question de la grâce". Il me semble que les réactions qu’il provoque (dont la vôtre !) justifient ce choix. Je reconnais volontiers que mon but n’est ni de "mettre en perspective les abus de l’indulto", ni même de conduire quelque "réflexion" que ce soit. Nous essayons simplement – objectif immodeste – de tenir la chronique du petit monde des toros comme il va. Je ne sais pas du tout si "l’afición" n’est plus intéressée que par les "records". Contrairement à vous sans doute, je ne dispose d’aucune étude me permettant de déterminer ce qui l’intéresse le plus. Et pour tout vous dire, je m’en fiche un peu. En outre, nous nous efforçons de nous adresser à tous les téléspectateurs, qu’ils soient ou non aficionados. Nous pensons qu’il n’est pas nécessaire d’être marin pour regarder (et apprécier Thalassa). Nous espérons qu’on peut regarder Face au toril sans être un aficionado chevronné. Ce qui nous guide dans les choix de nos reportages, c’est notre seule curiosité. Et nous essayons de faire en sorte que cette curiosité soit aussi libre que possible. Nous avons la chance, depuis maintenant 20 ans, de faire cette émission avec le soutien constant des directions successives de France 3 Sud. Nous n’avons à faire, au moment de choisir les sujets, qu’à des contraintes de budget et de planning. Je me répète : notre libre curiosité est notre seul guide. Voilà pourquoi nous ne courrons certainement pas chez Juan Pedro Domecq. Bien à vous.
Joël Jacobi

M. Jacobi,
J’ai coutume, lorsque des lecteurs postent des commentaires sur ce blog, d’employer le tutoiement, c’est peut-être l’anonymat de la toile qui veut ça. Ce soir, face à tant d’honneur du seul fait de votre présence en ce lieu (certes virtuel), j’agirai comme Espartaco usait de le faire avec Antoñete (du temps où Espartaco était numéro uno de l’escalafón !), j’emploierai donc le "usted". Voyez-y toute ma considération au moment de vous écrire tous les mots qui vont suivre.
Tout d'abord je tiens à vous écrire que vous avez tort !
Personnellement, je me rendrai chez Juan Pedro Domecq dans les, disons, deux mois à venir, más o menos. Pour quelle raison me direz-vous ? Mais parce que le Jean Pierre remet le couvert en mars à Morón de la Frontera et que ça fleure bon l’indulto tout ça, voire même une doublette lors du même spectacle (vous remarquerez que je ne nomme pas cela une corrida de toros), sait-on jamais ? Ça va concurrencer le Fernand à force ! Ainsi, peut-être serait-il envisageable que Face au toril élabore une série de reportages intitulée : "La guerre des frères" ou "Brother’s in arms" ou "Un Domecq peut en cacher un autre" ou même, oui osons, "Je vous salue Domecq pleins de grâce"… J’ai bien noté moi aussi que mon conseil était "malicieux" et sachez que je prends acte de vos remarques, elles aussi malicieuses, me semble-t-il. C’est de bonne guerre !
Je prends acte tout d’abord de cette phrase écrite et lue par vous dans le reportage "Desordenado, ça fait désordre, n’a subi qu’une petite pique et il est sorti seul de sa rencontre avec le cheval, comme un qui fuit la bagarre. En plus, il s’est cassé la figure tout seul au début de la faena, comme un quelconque mou du genou". Je l’avais relevée mais je ne l’ai pas citée car elle me semblait bien légère et bien seule dans l’intégralité du document. Elle m’a même paru tomber comme un cheveu sur la soupe, trop isolée, trop solitaire sans doute. Cependant, je vous accorde que j’ai mis le doigt sur ce qui m’avait agacé dans le reportage et c’est peut-être un peu facile. Je bats donc ma coulpe… pas trop longtemps quand même.
Ecrire que le point de vue du callejón est "un gage de reconnaissance et de qualité" était, je pense que vous l’aurez compris étant donné que vous êtes un lecteur "plutôt assidu" de Camposyruedos, une note d’humour ou de malice, comme il vous plaira. Ecrire également que le Fernando distille de "géniales" paroles sur l’indulto relève du même cheminement, dicté comme souvent sur ce blog, par la dérision.
Pour le reste, je vous accorde que "grâce" (j’ai bien aimé vos guillemets à cet endroit) à vous un certain nombre de téléspectateurs connaît mieux les "positions de cet éminent éleveur" sur l’indulto mais je vous avoue ne pas être entièrement convaincu par la démarche. Vous écrivez que vous ne faites pas Face au toril pour le seul public aficionado (de toute façon c’est aussi un public aux multiples facettes) et que vous espérez "qu’on peut regarder Face au toril sans être un aficionado chevronné". Bien, je ne peux que louer ce parti pris d’ouverture et de volonté d’étendre notre passion à d’autres cercles de personnes. Néanmoins, après ce reportage, que restera-t-il chez le téléspectateur lambda comme souvenir de l’émission ? Certainement pas votre phrase isolée et pourtant fort à propos mais plutôt l’idée qu’il y a un éleveur en Espagne qui est si balaise que les maestros ne veulent même plus porter le coup de grâce aux bestiaux qui naissent chez lui. Il leur restera l’idée que l’indulto s’octroie à des animaux qui courent sans fin après une muleta capable de faire des centaines de passes. Il conserveront l’idée que la "grâce" n’est pas quelque chose d’aussi "extra-ordinaire" que cela (ce que cela devrait être en définitive). Et puis, sobre todo, ils garderont en eux l’idée que l’indulto ne s’applique qu’à des animaux de troisième tiers et peut-être même que pour eux, la corrida se résumera à cela. C’est là que mon désaccord est le plus grand. Votre émission est une émission de télévision, de ce fait elle est fondée sur le pouvoir de l’image. Evidemment il y a votre voix, évidemment il y a vos textes mais finalement c’est l’image que viennent voir les téléspectateurs, vous en conviendrez j’imagine. Alors, pourquoi ne pas montrer les tercios de piques dans ce reportage ? Ils me paraissent pourtant fondamentaux, primordiaux, pour déclarer un indulto. Pourquoi ne pas montrer à ceux qui découvrent la corrida qu’un toro indulté peut être "mou du genou" et sortir "seul de sa rencontre" ? C’est aussi cela la triste réalité de ces indultos de pacotilles qui fleurissent aujourd’hui. Certes, je comprends que l’on ne puisse pas tout montrer. Faire des choix est difficile. Peut-être aussi que les droits télé des chaînes espagnoles coûtent chers (je ne connais pas bien le sujet je l'avoue) et qu’ils imposent de n’exposer que "l’essentiel" (donc la faena aux yeux de beaucoup) ? Peut-être mais tout de même.
Enfin, j’ai également conscience que votre émission ne soit en rien une émission à but éducatif ou plutôt pédagogique. Ainsi, je salue votre logique dictée par "la curiosité" "aussi libre que possible", c’est à peu de choses près cette même logique qui nous porte à Camposyruedos, mais je reste persuadé que la curiosité, flanquée d’un zeste de liberté, n’empêche pas de montrer les choses avec un peu de recul et d’analyse ; ne serait-ce que pour créer des interrogations chez vos téléspectateurs. Mais nous touchons là un débat plus large sur le rôle et la place de la télévision dans la société.
Voilà donc, rapidement, ce que je désirais vous répondre M. Jacobi. Je lisais il y a quelques jours une critique cinématographique concernant le dernier film de Clint Eastwood, Lettres d’Iwo Jima. A priori amateur de ce grand cinéaste, l’auteur de l’article concluait pourtant en ces termes : " …on aime et respecte Clint, mais pas au point de visiter pendant deux heures vingt-deux un monument aux morts". J’ai alors pensé à votre émission, avec qui j’ai eu la chance de grandir et qui mérite le plus grand respect mais vis-à-vis de laquelle j’ai été déçu quand elle m’a contraint à passer une dizaine de minutes à regarder un campo de miraculés absurdes. Mais Clint va se reprendre…
Sachez enfin que nous aussi sommes sous le couperet de "contraintes de budget et de planning" et c’est d’ailleurs ce qui me cause un grand regret. Celui de ne pouvoir offrir à nos lecteurs la possibilité d’enregistrer les commentaires vocalement car ça aurait eu de la gueule tout de même d’avoir la voix de Face au toril rien que pour nous... Cela aurait été "bat" comme disait Gabin !
Bien à vous et à bientôt sur Camposyruedos
Laurent Larrieu