30 octobre 2008

Jorge (II)


Le rebond blogosphérique existe, en voici la preuve. CyR présente Jorge, le Ciego rebondit opportunément sur Curro, et CyR rebondit, une fois encore, sur Madrid et sur Curro. Cositas de la web, rebonds blogosphériques. Seize ans après, tout ceci nous aura permis de revivre des émotions que, sans doute, nous ne pensions pas si lointaines. Ludo était donc à Las Ventas, le 2 octobre 1992. Ce n’était pas en septembre Ludo, c’était en octobre. Peut-être nous y sommes-nous croisés, en bas du tendido 5 ou au bar del 7. Non, à cette époque les bars ne portaient pas encore le numéro des tendidos. Le jour d'avant nous nous étions ennuyés avec Ponce et six toros, Ponce et ses derechazos à l’infini comme l’écrira Vidal le lendemain. Le lendemain, le jour du Curro. Ce n’est qu’en me replongeant dans les archives du País que je me suis souvenu que le solo de Ponce était la veille.
De Curro je me souviens de ce trincherazo, de quelques passes de toreo fondamental, le kikirikí, un changement de mains. Des flashes me reviennent, ils ne m’ont jamais quitté en fait. Et c’est plutôt bon signe ça dans le désordre des souvenirs. De ce jour-là je me souviens des balcons du haut du 7, surchargés de romarin, de ce volcan venteño, rugissant, rauque et puissant, de Curro sortant comme un diable de l’infirmerie. Nous nous sommes ensuite attardés sur les gradins pour laisser la plaza se vider. Nous n’avons pas pris le métro à Ventas. Nous somme montés, lentement, jusqu’à Manuel Becerra. Je me souviens du brouhaha, des gens heureux, de l’excitation qui nous animait, de l’électricité dans l’air. Nous nous demandions ce que Joaquín Vidal allait bien pouvoir en dire. De son compte rendu je me souviens essentiellement d’une formule qui disait plus ou moins que lorsque Curro torée al natural il n’est nul besoin d’envoyer un fax aux andanadas pour leur annoncer la bonne nouvelle. Les emails n'étaient pas encore à l'ordre du jour, les portables non plus. Ce fut donc la dernière oreille coupée par Curro Romero à Las Ventas. Peut être, Ludo, nous y sommes-nous croisés, il y a seize ans. Les blogs n’existaient pas encore et nous étions loin de nous imaginer jusqu’où nous mèneraient ce que l'on n'appellait pas encore "les nouvelles technologies". Lorsque de retour en France je leur ai annoncé que j’allais acheter un ordinateur pour lire le País ils m’ont tous pris pour un jobard… L’Espagne était très en avance, Curro Romero éternel, et Joaquín Vidal en avait écrit ceci :

“Eso es torear. Tres minutos después de iniciada su faena al cuarto toro, Curro Romero ya había hecho todo el toreo. Tres minutos después de iniciada su faena, ya había dado más variedad de pases que cuantos se hayan podido ver en la temporada. Y eso, precisamente eso, es torear. La tarde entera, el año taurino íntegro, desde Valdemorillo a la feria presente,una década ya viendo cómo los toreros prologan sus faenas doblando por bajo a los toros -siempre igual, cada día la misma cantinela-, allá penas si son pregonaos o boyantes, tienen poder o quedaron moribundos, y allí estaba ese Curro impredecible y único haciéndose presente en el tercio para dictar una de las más importantes y más esclarecedoras lecciones que se hayan dado en la historia de la tauromaquia contemporánea. El primer muletazo al torito noble fue un estatuario, seguido de dos ayudados por alto cargando la suerte, un cambio de mano, y, de ahí en adelante, ya todo sería una explosión de técnica y de inspiración toreras en ese Curro incombustible, y en los abarrotados tendidos, el asombro y el clamor. Los pases se iban sucediendo sin pausas, sin dudas y sin reiteraciones, andándole al toro hasta los medios con la trincherilla, el pase de la firma, el molinete, el redondo... Y, despué, sin solución de continuidad, el toreo al natural.

Eso es torear al natural. Así se cita al toro, sin necesidad de que lo anuncien fanfarrias; ni de avisar al orbe que esté atento y se disponga a aplaudir, y se pasme, porque uno va a torear al natural; ni de hacer dengues o contonear jacarandas; ni de ponerles un fax a los de la andanada comunicándoles la buena nueva. Apenas rematado el pase en redondo ya tenía Curro la muleta en la izquierda, ya le estaba cargando la suerte al toro, ya le templaba el viaje, ya lo llevaba embebido en las bambas de la pañosa chiquita, y ya ligaba el natural, y otro, y otro, hasta abrochar la serie por alto, por bajo, con el de pecho, con el trincherazo, con el kikirikí, con el ayudado rodilla en tierra.

Dos tandas de naturales ejecutó Curro Romero y las dos desde la naturalidad. De ahí le viene el nombre a esta suerte, que es la fundamental del toreo: natural. Sin cadereos ni ringorrangos; sin poner posturas cañís, como acostumbran los pegapases cada vez que aciertan a sacar dos medias rabanadas seguidas, y a eso lo llaman por ahí profesionalidad o arte. Incluso en el desplante fue natural Curro: una breve parada frente al toro vencido, una mirada de soslayo, y se distanciaba un poco para tomarse un respiro y marcar un tiempo en la creación del arte.
En solo tres minutos (la faena entera no duró ni cinco) ya había dictado su lección de toreo completo (incluidos apéndices, notas marginales y bibliografía recomendada) y ya tenía la plaza revuelta ése Curro genial y cumbre. Cuadró, se echó fuera a cambio de cobrar un pinchazo hondo, se encunó en el siguiente intento y entonces el toro no le perdonó. Cuando pretendía escapar del embroque, le enganchó por el muslo y le pegó un volteretón terrible. Cayó Curro sobre el cuello y quedó conmocionado en la arena. De súbito se agolparon en las mentes todos los negros presagios, todos los recuerdos recientes de los infortunados Julio Robles y Nimeño, porque el torero, tumbado boca arriba y a merced del toro, se había quedado yerto.

Hubo milagro
Acudieron presurosas al quite las cuadrillas, y mientras las asistencias se llevaban a Curro a la enfermería, dobló el toro. El público pidió la oreja, que concedió el presidente, y el banderillero Guillermo de Alba emprendió con ella la vuelta al ruedo.
Apenas llevaba recorrido un cuarto de redondel y aconteció lo inesperado: apareció en la arena Curro Romero, que bajaba de los cielos. Hubo de ser un milagro: ¡no tenía nada! Nada, salvo el golpe. Pero los golpes no les duelen a los toreros buenos si es el precio que han de pagar por un triunfo memorable en Madrid. Y Curro, nimbado de gloria, resucitado e Ileso, tomó la oreja recién ganada, miró en torno, engalló el cuerpo, y anduvo. Ruedo adelante anduvo, complacido, firme y visiblement emocionado, en medio de un clamor. Parecía imposible, después de aquel trastazo morrocotudo que acababa de sufrir.

Seguramente no lo llevaron a la enfermería sino a Lourdes…

… Dios bendiga a Curro por no haber caído en la tentación de convertirse en un pegapases derechacista nunca jamás en su vida. Y por haber enseñado al mundo lo que es torear. Ese Curro, exclusivo e imperecedero, repite otra igual, y sube a los altares.”

29 octobre 2008

Jorge


J’ai connu Jorge il y a une vingtaine d’années. Il y a décidément pas mal de choses ou de personnes que je connais depuis une vingtaine d’années. Je ne suis pas certain que ce soit bon signe ça. De Jorge, je me souviens parfaitement de nos premiers échanges : Madrid, un mois de février, froid, plaza de Santa Ana. Je descendais avec un ami en direction de la calle Echegaray. Avant de prendre la route pour Valdemorillo il y avait d’abord un détour par La Venencia, pour une media de manzanilla. Ça aussi c’est une curiosité. Il faut faire attention en Castille car en demandant une manzanilla, selon où vous vous trouvez, il se peut que l’on vous serve une infusion. A La Venencia, vous n’avez aucune inquiétude à avoir, aucun risque que l’on vous serve une infusion.
C’est ainsi que j’ai croisé Jorge, pour la première fois, un matin d’hiver, avant une novillada à Valdemorillo. C’était à l’époque de ses colonnes mondaines dans le Diario 16.
Jorge, plus tard Vicente, ensuite Didier, le Nantais abonné à Las Ventas depuis plus d’une vingtaine d’années, vingt-sept nous préciserait Jorge. Pour lui aussi le temps passe. Tous de La Venencia. Todos con Jorge en La Venencia, y con un puñadito de pocos incondicionales...
Il y a déjà quelques temps que l’idée de faire un truc sur Jorge me travaillait, mais sans savoir réellement par où commencer. Avec la complicité de Didier Claisse, nous avons pensé que Vicente Llorca serait le mieux à même, car lui et Jorge sont de vieux amis. Alors voici son texte, traduit par Didier. Je vous indiquerai prochainement comment lire la version originale, en castillan.

Avec Jorge Laverón, on est certain qu'il sait de quel torero, novillero ou becerrista nous parlons.
- Jorge, qui était ce torero de Felanitx ?
- Gabriel Nadal.
- Jorge, j'ai vu un torero de Muro que personne ne connaît.
- Tu as vu Salvadorillo, et tout le monde le connaît.
- Jorge, l'autre jour dans un tentadero, il y avait un gros type de Almendralejo.
- C'était Manolo, et on l'appelle le Curro Romero d'Almendralejo.

Evidemment, comme ça, pas de discussion possible, et le cénacle se retire, boudeur.

Cependant, l'encyclopédisme laveronien a d'autres avantages.
- Jorge, quand a débuté Tomás Pallín ?
- Pendant l'été 1982, avec une corrida de Tulio.
- Il me semblait bien... Et, voyons voir, quand ai-je débuté, moi ?
- Toi, tu n'as pas encore débuté, mets-toi ça dans la tête.
- Je me disais aussi...

Ce que personne ne sait, c'est quand Jorge a vu sa première corrida. Lui dit qu'il était encore en couches, dans une feria de Málaga (ça ne pouvait pas être ailleurs) où son oncle l'emmena voir Rafael Ortega. Les mauvaises langues disent qu'en réalité c'était El Espartero qui était à l'affiche.

Peut-être. A partir de cette date mythologique, que ce soit El Espartero ou celui de San Fernando qui toréait à Málaga, Jorge a tout vu.
- Sûr que vous n'avez pas vu le torero de mon village.
- Et quel est votre village, brave homme ?
- Muñoz, dans le Campo Charro.
- Alors soyez plus précis. Parce que de Muñoz, il y avait Joselito Muñoz, bon torero, qui a toréé une corrida après son alternative à Peñaranda, et Salvador Herrero, qui avait réussi à débuter en novillada piquée. Auquel faites-vous allusion ?
L'homme de Muñoz marmonne quelque chose et s'en va ; sans payer.

Personne ne sait combien de corridas a vu Jorge. Et encore, sans compter les novilladas, becerradas, encierros, rejoneo, les festivals et les capeas, qui étaient nombreuses.
- Jorge, y'a un novillero qui torée demain au Boalo. On dit que c'est un phénomène.
- Allons le voir. Tu as une voiture ?
Et Jorge allait au Boalo.
On ne sait pas si le novillero était un phénomène. Ce qui est sûr, c'est que Jorge l'avait vu.

Et c'est comme ça qu'il a commencé, en ayant déjà vu tout le monde, quand il a débuté sa carrière de critique taurin dans le journal El País, vers 1976. Là il a fait quelques saisons, avec le regretté Joaquín Vidal. Ensuite il est passé au Diario 16. Le Diario fut, en ces années-là, le journal le plus taurin de toute la presse espagnole (après La Gaceta de Salamanca, bien sûr). Là, sous la direction de Barquerito, ils publiaient des pages et des pages d'informations et de vade-mecum taurins. Jorge chroniquait quelques corridas. Mais surtout, il se rendit célèbre par ses deux colonnes favorites : l'une était un bref compte rendu de ce qui s'était passé, où il résumait arbitrairement et catégoriquement la corrida (celle d'un certain jour devint célèbre, intitulée "Qui n'aime pas Curro n'aime pas sa propre mère"). La seconde était la colonne mondaine, où pouvaient apparaître aussi bien le ministre de l'intérieur que le tavernier de La Dolores. Tout ça sur la même page, évidemment. Les gens achetaient le Diario et confiaient : "La première chose que je regarde c'est la colonne de Jorge". Et se mêlaient la terreur et l'espoir d'y apparaître, jamais avoués bien sûr.

A cette époque, Jorge écrivait dans les journaux du groupe Correo, "La Voz de Almería", son préféré, "El Diario de Córdoba", "La Gaceta", etc. Il donnait aussi des conférences. Et à une époque où proliféraient les tertulias taurines après la corrida, Jorge eut la sienne. La plus extravagante, la plus arbitraire et la plus courue qu'on ait jamais vue à la San Isidro.

Cela se passait au Lola, le célèbre bar du quartier de Lavapiés, dont il fallait ouvrir les portes à deux battants pour laisser place au public, fervent et convaincu, qui s'y entassait. Y venaient les toreros amis de Jorge, diestros qui dédaignaient en général toute autre tertulia. Par-là est passé El Inclusero, Antonio Sánchez Puerto, Joselito, Curro Vázquez, quelque Dominguín… Nous n'avons jamais réussi à savoir à quelle heure devait finir la tertulia. Ce qui est sûr, c'est que le bar a fermé au bout de trois mois. Nous ne croyons pas que ce soit lié.

Le Diario 16 aussi a fermé, comme chacun sait. Jorge travailla alors au groupe El Correo, à La Razón, à l'agence EFE, à Toros por la Gran Vía, ou dans des revues spécialisées. Et aussi lors d'une mémorable réapparition dans El País, en 2006, une année ou le journal récupéra enfin la tradition des années 80, où le supplément taurin fut le plus cultivé et divertissant de la presse espagnole. Dirigé cette fois par José Suárez Inclán qui sut réunir dans ses pages les signatures nationales les plus notables de littérature et d'opinion. Pour disparaître l'année suivante, avec la suppression drastique de cette section.

Cependant, si les apparitions de Jorge dans la presse journalistique se faisaient plus rares, il n'en fut pas de même pour ses livres, édités soit à petits tirages chez des éditeurs confidentiels, soit chez de grands groupes à distribution plus populaire. En 1988 il avait publié un opuscule, "La tauromaquia de Antoñete", où, sur un ton lyrique et admiratif, il épanchait sa fascination pour le toreo du maestro de Las Ventas. Fascination répartie à parts égales entre ce toreo classique, pour la crème des aficionados, et sa façon de vivre, également classique (à sa façon), et réservée aussi au petit nombre. Loin d'une découverte tardive de Chenel pendant ses dernières saisons, Jorge évoquait ces années où il toréait deux, une ou aucune corrida, pour "une petite poignée d'inconditionnels".

Ensuite vinrent les livres - manuels de tauromachie. "La historia del toreo", "El toro de lidia", "La lidia", ou le "Diccionario de términos taurinos". Dans ces livres, malgré leur but de divulgation, Laverón ne pouvait s'empêcher d'inclure quelques-unes de ses opinions, personnelles et catégoriques, réservées aux aficionados.

Nous apprîmes ainsi que sa sainte préférée était Santa Coloma (aujourd'hui un peu diminuée). Que El Inclusero avait toréé comme bien peu d'autres. Que José Luís Ramos était le meilleur torero de Salamanque, après El Viti. Que Paco Ceballos avait été un des meilleurs, et des plus éphémères, diestros de Málaga. Ou que le berceau du toreo, comme chacun le reconnu par la suite, était Albacete, qui avait donné à l'histoire le plus grand nombre de diestros, et les meilleurs. Malgré sa situation dans La Mancha. Quelques pages plus avant, Jorge racontait que l'authentique dynastie du toreo classique était celle des Amador – Cortés. Et peu après il nous obligeait à suivre Manolo Amador et Manuel de Paz où qu'ils aillent, ce qui à la vérité, n'entraînait pas de nombreux déplacements.

Et ce livre collectif inclassable que fut "A los toros", préfacé par Joaquín Vidal. On y parlait de cirques romains et de rituels païens, d'élevages disparus et des traditions du campo. Et Jorge y parlait de ses toreros : ceux qui durèrent, une certaine après-midi, le temps d'un quart d'heure de gloire, mais dont lui se souviendra toujours.

D'Eugenio, le coiffeur de la rue Echegaray, il ne se souvenait même pas l'avoir vu (entre autres choses parce que personne ne l'a vu). Mais ça ne l'empêcha pas d'affirmer qu'il toréait plus artistiquement que Curro Romero et Rafael de Paula réunis. Mais avec un peu moins de témérité, pour dire la vérité.

Jorge Laverón est supporter de l'Atlético de Madrid, connaisseur de la bonne littérature, spécialiste d'histoire américaine, lecteur de Ignacio Aldecoa, excellent poète et enthousiaste de la boxe. Et ami de Manuel Alcántara, le meilleur écrivain de Málaga de ces derniers siècles, comme lui.

Ces dernières années, malgré ses chroniques écrites, la meilleure était celle d'après la corrida, arbitraire et précise. L'arbitraire seul mène à l'exactitude, et à l'érudition. Après la course, Jorge était entouré de quelques aficionados voulant connaître son opinion.

- Jorge, Morenito a été super, d'accord ?
- Il a été nul, il continue à donner des mantazos.
- ...
Le lendemain nous lui demandions :
- Comment était Morenito hier ?
- Très bon. Du toreo véridique.
L'un de nous s'offusquait :
- Tu ne disais pas ça hier.
- Ni aujourd'hui. Vous n'y connaissez rien et vous ne pouvez pas comprendre.

Les aficionados se taisent. L'après-midi les questions reprennent.
- Jorge, de qui étaient les dernières corridas de Sánchez Bejarano à Madrid ?
- De Luciano Cobaleda et Charco Blanco. Comme les premières.
- C'était un torero classique, non ?
- Classique et excellent. Il a coupé dix oreilles à Las Ventas.
- Avec ce bétail.
- Avec. Charco Blanco, c'est ce qui appartenait à Enriqueta de la Cova.
- Pour prendre son pied.
- Pour triompher, oui.

C'est ainsi que les choses se passent. C'est ainsi que nous continuons à apprendre.

Jorge se promène sur la place Santa Ana.
- Jorge, il y a une novillada demain à Villa del Prado.
- Qui torée ?
- Un type dont on m'a dit beaucoup de bien. De Sotillo.
- Et bien, allons-y.
Et nous partons à Villa del Prado.

Quelqu'un lui a proposé d'écrire sur ses toreros, ceux du quart d'heure de gloire. Il y travaille. Le livre sortira un jour. En attendant, Jorge aime les bons toreros, évidemment. El Juli est une vedette, Fundi aussi. Joselito fut la vedette, deux ou trois saisons. Rincón quelques autres. D'abord Caminista, il confesse désormais préférer toujours plus El Viti.

En son temps il fut de l'andanada del 8. Ils allaient y siffler El Cordobés et encenser Antonio Bienvenida. Ce monde aujourd'hui a bien disparu.
- Qui appréciiez-vous à l'époque, Jorge ?
- Le plus classique, c'était Rafael Ortega. Mais moi, j'ai toujours été partisan d'Antoñete.
- Et le reste du public ?
- Pour les autres, d'abord Bienvenida. Ensuite personne. Ensuite El Viti... Mais je crois qu'au fond, celui qui leur a toujours plu c'est Curro Romero. Le truc c'est qu'ils n'osaient pas le dire.
- Ouais.
- Et Curro Vázquez. C'est celui-là qui a le mieux toréé.
- D'accord.

Une après-midi de San Isidro quelqu'un proposa d'aller à un festival à El Barraco. Le programme de Madrid était celui de toujours. Nous sommes allé à El Barraco, du coté du col de Somosierra.
Ce jour là il neigea sur la sierra. Dans les arènes, entre vent et grésil, toréaient les frères Mora et les cousins Cancela. Un festival d'Albaserrada, quand même. Il n'y avait que nous dans cette tarde hivernale. Ils nous brindèrent tous les taureaux.
- Vous êtes drôlement connus par les toreros, non ? - demanda une amie qui nous accompagnait.
- Ce n'est pas qu'ils nous connaissent, petite. C'est qu'il n'y avait personne d'autre, répondit Jorge entre deux frissons.

Ainsi passent les saisons. Il neigea à El Barraco et les arènes étaient vides. A Madrid, il ne se passa rien.

Et toujours, Jorge se promène. De la place Santa Ana à la place des Cortés. Pour le poète et ganadero Fernando Villalón le monde se divise en deux : Cadix et Séville. De même ici, le monde se répartit en deux : rue Echegaray par en haut et rue Echegaray par en bas. Le reste est silence. Traverser la Carrera de San Jerónimo est une aventure, traverser la Gran Vía, impensable.

- Comment vois-tu la temporada, Jorge ?
- Bien. Il y a un novillero français, Tomasito, qui va casser la baraque.
- Si c'est toi qui le dit.

Nous continuons notre promenade. Dimanche il y a une novillada à Las Ventas. Deux gars de La Mancha et un colombien qui promet.
- "Que peuvent bien faire les anglais le dimanche après-midi ?...", se demande Jorge au beau milieu de la place.

- "Que peuvent -ils bien faire ?", nous demandons-nous, songeurs.

Vicente Llorca, ganadero


28 octobre 2008

Monty Alexander


Ce qu’il y a de bien avec les concerts de jazz c’est que rien n’est improbable. Tenez, prenez le cas de Monty Alexander. Ce type ne parle peut-être pas à l’oreille des chevaux, encore moins à celle des toros, mais il semble parler à son piano. Et le plus curieux, c’est ce sentiment d’écouter son piano lui répondre. Etonnant.
Du coup, lorsque le trio s’est mis à revisiter cette musique devenue célèbre grâce à une panthère rose, je suis persuadé que personne ne se serait étonné de voir débarquer une panthère.
Un soir d’automne, en pleine semaine, un piano en guise de cheval, un pianiste jamaïcain avec des santiags qui nous joue la panthère rose, un concert à guichets fermés, dans un hangar agricole, en pleine Camargue, ou pas loin. Sur le programme il y avait marqué : Jazz and wine…
Je conçois que ça puisse paraître surprenant comme soirée. Et pourtant, le hangar agricole, plein comme un œuf, était bien là, et le pianiste jamaïcain également, avec son piano. Quand Stéphane Kochoyan est monté sur scène pour annoncer qu’on allait écouter un monstre de pianiste, il y avait quelque chose dans l’air, quelque chose de pas ordinaire. Alors, lorsque Monty Alexander s’est mis à parler à son piano, et que son piano lui a répondu, alors là oui, tout ça est devenu complètement improbable.
http://www.jazzysud.book.fr/

27 octobre 2008

333


vendredi congé Brive paternité péage Migala rocade Stade Toulousain piémont Ruffin La guerre des classes Pyrénées soleil Soumoulou retrouvailles Opel sacs de voyage Astra sacs de couchage Bayonne Fnac Anglet carte Biarritz aéroport retard abrazo tapis bagage Biriatou Yannick BlackBerry biscuits crépuscule cafés Stimorol Valladolid Ángel tartines hôtel samedi bouteilles présidents Mayalde Santa Coloma œufs au plat tout-terrain fil à linge chiens tracteur enfant remorque paille erales biberon caresse guarismo pluie cigarette Repsol Forfoleda Benito moustache La Milanera afición Contreras Rincón vacas pienso patas negras Laurent Nikon portraits casquettes placita foie gras tinto détonations amitié invitation coup de cœur campo Llen chapelle brioches Coquilla rapaces Buendía pelea rustres Alfonso carte verte sourire barbe blanche euros grimace Terrones Paloma recorte Cadena soulagé dondon mayoral camion lumière grands espaces Clairac équilibre trou déséquilibre attention 70 74 75 76 palpitations mur La Glorieta La Source fumée caña cartes caña calendrier soupe piquette "hierba" télé pegapasismo Zaragoza musique caña Bacardi Limón dimanche caña Bacardi Limón murubes Bacardi Limón Bacardi Limón Bacardi Limón trop plein réveil dur hasta luego stop Dafalgan Saltillo cerf dormir fou rire re-stop vieux fou Coca-Cola Graciliano Buenamadre Cabrera Saltillo 306 trapío casse-croûte herradero cadavres Marcillac mouches coup de cœur (bis) Las Veguillas barcial encinas Morille Matías semental La Corte berrendo fers peto étrier cabestros El Bar de Isa ColaCao détour Murube demi-tour barbelés cyclotouristes congrès trafic chips Ávila remparts Moralzarzal GPS Manzanares El Real Thomas annuaires Fernando Palha personnage Concha y Sierra pelages Bananero Macarena photos voix lundi Javier tío Veragua Kio Madrid Aurelio averses jaboneros papillon brume chaton lago Colmenar Viejo forteresse Cancela torero negocio Flor de Jara travaux cárdenos Santa Coloma cercados tristesse pain saucisson vin retour Guadalix autoroute sierra sieste Burgos car pause frontière parking hall pincement Temple merci tarte poireaux repos bébé ventre lit mardi Ségo évier impôts jurons ventouse contact Béarn marché Tarbes hypermarché librairie formule essence nationale radar Auch pétanque Mermet Monaco Yacht Show platanes Montauban routier Cahors Manset Brive 9 heures automne hiver printemps Jaén

Image Castille © Yannick Olivier

26 octobre 2008

Jean-PedrO le torO borrachO

La semaine dernière Jean-PedrO le torO a fêté son indultO en faisant l’apérO, avec un vinO rosadO. Mais comme Jean-PedrO n’a pas l’habitude d’abuser du rosadO, il est complètement borrachO et se arrastra por el suelO. Un torO borrachO y vomitandO. Pobre Jean-PedrO torO indultadO pero borrachO. Hasta LuegO. Nos vemos domingO próximO.
Episode 1
Episode 2

25 octobre 2008

Trois morceaux de jazz à New York City


«
Messieurs, vous n’avez que trois morceaux... ensuite, terminé !»
C’est chaque fois pareil, dès que nous avons en ligne de mire une pointure, un gros poisson, le temps imparti aux photographes est limité, très limité.
Personne à ce jour n’a été capable de m’expliquer réellement pourquoi, si ce n’est que c’est clairement et méticuleusement imposé par les managers, imprimé noir sur blanc dans les contrats.
C’est curieux je dois dire. Je comprendrais plus aisément que l’on nous interdise carrément, mais pourquoi trois morceaux, ou deux, ou cinq minutes ? Mystère.
J’imagine le service d’ordre des grandes arènes françaises nous faire le coup : « Messieurs ! Aujourd’hui toréé… José Tomás ! Alors vous n’avez que trois toros… ensuite, terminé ! »
Malaise et frustration. A la réflexion je me dis qu’il est même étonnant que le monde taurin n’ait pas encore songé faire quelques misères aux photographes. Il est fort probable que la faible manne financière qu’est susceptible de générer cette activité en soit l’explication la plus plausible.
Dans le cadre des concerts de jazz, les choses sont ainsi réglées, il n’y a pas a discuter : "Messieurs, vous n’avez que trois morceaux..."
Alors c’est le stress, et la frustration à venir. Il y a le problème du choix de l’angle, un choix primordial qu’il sera difficile d’améliorer, et qui peut s’avérer fatal comme ça a été le cas pour moi, vendredi soir, pour le concert d’un monstre de batteur : Roy Haynes. Alors on a fait ce qu’on a pu.
Roy Haynes un p’tit gars de quatre-vingt-deux balais qui a débuté sa carrière dans les années 40, qui a joué avec Luis Russell, Luis Armstrong, Billie Holiday, Miles Davis, Charlie Parker, John Coltrane, et cetera, et cetera. Roy Haynes, quatre-vingt-deux balais et un charisme qui n’a d’égal que son énergie, qui semble inépuisable. Deux heures de concert. Le type t’annonce que tu n’as que trois morceaux, et dès que ça commence tu comprends que tu as choisi la pire place pour shooter, et que tu ne pourras plus bouger… On a fait ce qu’on a pu. Roy Haynes qui entre deux morceaux discute avec le public, s'amuse avec lui, et s’en prend au type qui a imprimé le programme et lui reproche les fautes d’orthographe concernant les noms de ses jeunes musiciens : « Ces gars-là arrivent de New York city ! Alors ça aurait été bien que leurs noms aient été correctement écrits !... bon… alors... What you want to listen to now ?… Any other question ? »
Je me demande s’il est possible de photographier dans les clubs de jazz de New York City, juste trois morceaux.

La corne

24 octobre 2008

CampoBravo


Deux nouveaux blogs donc et un nouveau site internet à peine entraperçu dans les liens des arènes de Las Ventas.

Son thème est le toro, plus particulièrement au campo. Autant vous dire que ça a l'air intéressant et illustré de nombreuses photographies.

Bonne visite.

C'est par là : http://www.campobravo.es/.

22 octobre 2008

Premier tiers, la révolution en marche


L’année 2008 aura été marquée par les discussions sur le premier tiers, c’est un fait. Du début de temporada avec de notables corridas-concours aux débats hivernaux lancés par la FSTF en passant par l’utilisation polémique de la pique andalouse à Beaucaire, le tercio de varas fut et est au cœur des tertulias. Les intentions des intervenants ne sont pas toutes identiques, évidemment. Si de nombreuses personnes cherchent des solutions pour valoriser ce tiers, d’autres tentent discrètement une dévaluation pour viser à l’anéantissement. Soit. Mais sans naïveté, parler du premier tiers est indéniablement une bonne chose. Et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, parce que pratiquer le premier tiers comme il se pratique à présent est intolérable. Poursuivre dans le sens actuel n’aboutira pas seulement à la mort de celui-ci mais également à la disparition de la tauromachie. Ainsi, remettre en question le tiers actuel est légitime. Cela est risqué, pour sûr, car toute remise en question induit des pertes ou des gains. Mais, sans évolution, la mort est assurée. Alors qu’avons-nous à perdre ? Une mort plus rapide mais nous avons aussi à y gagner la survie. N’ayons pas peur et risquons-nous donc à cette remise en question.

La tauromachie a évolué sans pour autant que ces règles ne subissent de profondes mutations. Ainsi, le tiers de piques est en proie à un immense décalage entre la théorie et la pratique, un éloignement qui lui est très préjudiciable. Les habitudes augmentant ce côté néfaste. Là n’est pas l’objet de mon argumentation mais un exemple s’impose tout de même pour bien comprendre les aberrations actuelles. Jadis, la bravoure était différente et l’on s’attachait principalement à savoir si le toro allait ou non au cheval. Et une fois au cheval, il y restait relativement peu de temps. Mais aujourd’hui, pratiquement tous les toros partent au cheval et y restent aussi longtemps qu’on les y laisse. Ces changements ont révolutionné les conséquences des piques mais aussi les critères de jugement de la bravoure. Les exigences se sont accrues. Ce qui importe désormais pour jauger un toro, c’est de voir sa manière de charger et de pousser. Malgré cela, le premier tiers n’a pas eu droit à son évolution qui aurait permis de le réviser pour garantir le but pour lequel il fut créé : jauger la bravoure du toro. Il n’a pas eu cette chance et a dû s’adapter anarchiquement. Et quelle fut cette adaptation ? Fondamentalement, une diminution du nombre de rencontres pour répondre à l’allongement de celles-ci. Alors que son évolution logique aurait dû tendre au contraire vers un raccourcissement des rencontres pour en maintenir le nombre.

Restons-en là pour l’instant sur l’analyse technique du premier tiers car il semble important d’aborder le sujet par un autre versant. A chaque problématique tauromachique, lorsque nous engageons une réflexion, nous avons tendance à nous précipiter sur les détails. Avez-vous remarqué ? Reprenez un tract de l’ANDA pour vous en convaincre. Emportés par notre passion, nous nous lançons trop souvent corps et âme dans une énumération minutieuse des problèmes. Distance entre toro et picador, mauvais placement de la puya, montage des piques frauduleux, etc. Ces arguments sont légitimes, certes, essentiels même, mais cette observation microscopique des défauts peut faire oublier l’essentiel.
Avec un peu de recul, il peut être pertinent de se demander si ces fautes ne sont pas les conséquences au lieu d’en être les causes. Et de fait, s’attaquer aux conséquences avant d’avoir résolu les causes apporte très peu d’effets correcteurs. Pour imager le contexte, les aficionados qui se préoccupent des ces problèmes seuls sont comme des pompiers qui éteignent un feu. Leur action, aussi méritante soit-elle, reste locale et n’empêche en rien de nouveaux départs de feu.

Tentons de décanter le sujet. Pourquoi le premier tiers est-il systématiquement saboté, bâclé ? Peut-être tout simplement parce que personne n’y trouve d’intérêt ! Prenons le torero. Qu’a-t-il à gagner dans un déroulement correct du premier tiers. Rien, bien au contraire, il a tout à y perdre. S’il valorise son adversaire, il prend le risque que le public prenne partie pour le toro et le déconsidère injustement. Prenons en exemple Luis Miguel Encabo qui pâtit de nombreuse fois de ce phénomène. Le voir être sifflé après une faena jugée en-dessous alors qu’il s’était auparavant démené pour mener un premier tiers dans les règles est une récompense bien cruelle, vous en conviendrez. Qu’a-t-il gagné à démontrer un tel engagement ? Des reproches et simplement des reproches. Venons-en au picador maintenant. Aura-t-il une prime s’il pique correctement ? Une reconnaissance de son supérieur ? Non, bien-sûr que non. Tout au plus raflera-t-il des applaudissements et… une grosse bronca de son torero pour lui avoir volé la vedette. Et pourquoi donc ? Parce que son supérieur, le torero, n’a rien à gagner dans un déroulement correct du spectacle. Le principe est humain. Le décrire ne revient pas à le blâmer, mais il convient de le comprendre pour penser à d’éventuelles solutions.

La problématique peut être transposée à d’autres thématiques : professionnelle, familiale, ou autre. Pour changer les choses, apporter des améliorations ou couvrir des objectifs, il n’existe pas des solutions mais une solution. Une et une seule : INTERESSER. Par contre, il existe différentes manières d’y parvenir, l’intéressement pouvant être perçu de diverses façons : argent, valorisation, etc.
Nos amis Cérétans nous ont montré l’exemple avec grand brio cette année. Voulant promouvoir le premier tiers, ils affichèrent en piste le nom du picador. Au sens strict de l’information, la chose peut paraître anecdotique, n’apportant rien de plus que le simple fait de lire le programme. Mais il faut dépasser cette vision simplifiée de l’acte cérétan. Car cette pancarte n’est pas destinée au public mais au picador. Au-delà de l’aspect informatif, il faut ici voir un acte de reconnaissance, l’attachement d’un intérêt particulier à la personne du picador qui a pour but d’initier une motivation spécifique. Nous sommes ici dans un exemple d’intéressement où l’on valorise la profession.
Ceci n’est qu’un exemple et il y a de nombreuses autres manières de créer l’intéressement. Evidemment, plus l’intérêt suscité est important et plus les chances de réussite sont fortes. Et qu’est-ce qui importe le plus dans une arène pour un professionnel ? Les oreilles. Oui, les oreilles. Je vous entends déjà. Oh moi les oreilles, peu m’importe. Et c’est à mon sens un tort. Car il s’agit là d’un vecteur universel qui étalonne la qualité du spectacle et la transporte au-delà des murs d’une arène. Peu importe les justifications des trophées, volés ou mérités. Ce sont eux qui classent un spectacle, qu’on le veuille ou non. Et surtout, ce sont eux qui motivent les professionnels.
Ce ne sera pas pour nous montrer qu’un toro est brave qu’un torero se défoncera. Soyons lucides.
Mais il le fera pour couper un trophée. Car mener un premier tiers dans les règles n’est point une épreuve insurmontable. Bien au contraire. J’oserais même dire qu’il s’agit d’une tâche aisée comparée à certaines faenas d’infirmier qui relèvent plus de la magie que du toreo. Morante de la Puebla nous l’a encore démontré récemment et avec une grande facilité, allant jusqu'à convaincre les plus sceptiques. Il ne s’agit pas d’un problème de compétence mais bien de motivation.
Ma solution ? Vous l’avez devinée j’imagine. Elle est extrêmement simple, aussi simple que le guarismo pour vérifier l’âge des toros : inclure le premier tiers dans l’attribution des trophées. Il convient de débattre comment, selon quels critères. Mais pourquoi ne pas valoriser d’une oreille l’exécution brillante d’un premier tiers ? Et au contraire, empêcher l’octroi de deux appendices, si celui-ci est bâclé.
En intéressant ainsi les toreros, je suis sûr que nous assisterions à de bien meilleurs tiers. Et les bienfaits se dénoteraient bien au-delà. Fini l’aspect concurrentiel des peones vis-à-vis de leur maestro puisque les points gagnés par ceux-ci leur profiteraient. Pour le coup, le torero payerait comptant une mauvaise action de sa cuadrilla, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. La cuadrilla ne serait plus cantonnée au rôle de révélateur mais d’acteur et les meilleurs picadors et peones se retrouveraient avec les meilleurs toreros. Et le toro ? Il sera forcé de suivre l’évolution. Les éleveurs seront obligés d’élever un toro qui supporte un vrai premier tiers pour permettre aux toreros de briller. Tout autant qu’ils sont aujourd’hui obligés de produire des toros nobles pour permettre la faena. Bien plus que le premier tiers, la tauromachie tout entière en serait revalorisée.

Vous n’y croyez pas ? Rassurez-vous, personne ne croyait au guarismo avant le congrès de 1968.

Alfonso y el estribo


Dans une toute récente et intéressante contribution sur le premier tiers, À propos de piques et de butoirs / Deuxième partie, Marc Roumengou s’élève contre un certain nombre de points essentiels à ses yeux (et aux nôtres) dont, entre autres, la pratique éminemment néfaste du picador consistant à « imprimer un mouvement de "marteau-piqueur" à la garrocha (les Espagnols appellent cela mete y saca) » qui « n’est interdite par aucun des 2 règlements précités » (Reglamento de Espectáculos Taurinos & Règlement Taurin Municipal). N’ayez crainte M. Roumengou que si nous ne l’avions peut-être pas encore évoquée ici, nous ne manquons toutefois jamais l’occasion de rappeler avec force aux castoreños que nous ne goûtons pas, mais alors pas du tout, leurs méthodes de bouchers indélicats !

Toujours au sujet du premier tiers, toujours au sujet d’un fait grave mais parfaitement occulté celui-là, Alfonso Navalón (Huelva 1933 - Salamanca 2005) tenta d’interpeller en son temps le monde taurin sur « le crime de l’étrier de pique ». « Navalón no era un santo... » et n’était pas non plus réputé pour ses bonnes manières, son sens de la diplomatie ou de la modération. Aussi, concernant l’article décapant qui suit, non daté mais vraisemblablement écrit fin XX°-début XXI°, il évoque un étrier, le droit, pesant « más de treinta kilos » ! Il n’y allait certes pas par quatre chemins et ne faisait pas dans la dentelle mais quand même ! Ce chiffre ultra voire ridiculement élevé pour être vrai1 fut aisément contredit par un test ultrascientifique réalisé à Morille chez Matías Carretero par un quart de Campos y Ruedos. De leurs petits bras ultramusclés, deux d'entre nous soupesèrent la bête en fer puis, ultrasérieux, nous demandâmes tous l’avis du ganadero qui, dans un froncement de sourcil plein de surprise, nous annonça quelque chose comme : « un poco más de tres kilos ». Et tous les quatre, ultrasoulagés, d’approuver sur le champ cette réponse ultraprécise et proche de nos estimations, quoiqu’ultra-éloignée du chiffre avancé par l’"ultra" de la critique taurine.

Plus sérieusement, lorsque l’on a cet indestructible engin entre les mains, on frémit à l’idée d’imaginer ce que peuvent "ressentir" les toros qui viennent s’y fracasser le crâne ! Les picadors ayant, dans un moment d'égarement, l’heureuse attitude de citer le toro de face, puis très fréquemment la fâcheuse manie de positionner leur monture perpendiculairement à sa course en ne portant le fer avec "tout" leur poids qu’une fois le contact toro-peto sur le point d'être réalisé, il n’est pas aberrant de croire que certains d’entre eux, sur ordre ou non de leur matador, s’arrangent pour présenter sciemment l’étrier au toro2 avec la nette et condamnable volonté de réduire rapidement et significativement sa puissance3...

Cela étant dit, vous trouverez ci-après une tentative de traduction, ce qui, soit dit en passant, doit bien faire marrer les collègues. Bref, les hispanophones ont à leur disposition le texte original d'Alfonso Navalón en cliquant sur ce dernier lien puis sur « Las mejores críticas » et enfin sur « El crimen del estribo de picar. El 60 por ciento de los toros sufre fracturas de cráneo ». Bonne lecture à toutes & à tous.


« Le crime de l’étrier de pique. 60 % des toros souffrent de fractures du crâne

Comme nous évoluons dans un monde d’ignorants ; comme la majorité des responsables chargés de veiller à la décence de la Fiesta et, surtout, à l’intégrité du toro ne remplissent pas leur devoir, la plus grande aberration du combat du toro continue d’être impunie ; celle qui, chaque tarde, fait que de nombreux toros arrivent au troisième tiers avec de graves lésions qui rendent pratiquement impossible tout "jeu normal" à la muleta. Il se trouve qu’il y a plus de trente ans je dénoncai dans les plus grands journaux nationaux qu’un crime était en train de se jouer à la pique. Qu’il y avait beaucoup plus grave que les piques dans la pointe de l’épaule, la carioca et le fait de fermer la sortie au toro afin de laisser l’animal à moitié invalide avec pour unique finalité la recherche du triomphe commode du torero en échange de toute la vigueur du toro. Que personne ne voulait se rendre compte du funeste rôle de l’étrier de pique4 : une quille d’acier contre laquelle le toro s’écrase. Et comme il nous est possible de l’observer, le picador retire son pied protégé par l’armure de fer pour laisser seul ce bloc de plus de trente kilos contre lequel le toro donne des coups de cornes, se causant de graves lésions, parfois mortelles — il ne reste plus qu’à puntiller le toro au sortir du tercio de piques. Et ce que les personnes attribuent à de l’invalidité n’est rien de plus qu’une mort anticipée survenue contre la masse de l’étrier.
Au campo, il ne se trouve plus un seul ganadero tientant les mâles ou les vaches avec ce modèle, criminel, utilisé dans les arènes. Dans tous les élevages5, un morceau de pneu est posé afin de réduire les effets du choc. Il y a trente ans de cela, je proposai que cette pratique soit adoptée dans l’arène. Mais comme ceux chargés d’élaborer le règlement et de le faire respecter ne savent pas ce qu’est un toro, personne n’a souhaité prendre de mesures contre cette cruauté dont est victime le toro chaque tarde durant. Cela sans compter toutes les nombreuses fois où les toros s’abîment les yeux et arrivent à la muleta en manifestant des symptômes qu’ils n’avaient pas au moment du reconocimiento.
Lors de ma réapparition après sept années d’absence à la feria de San Isidro, une nuit je rencontrai dans une tertulia le fameux taxidermiste Justo, qui dissèque la plupart des têtes de toros importants — commande du torero pour commémorer un triomphe à Madrid ou du ganadero qui veut perpétuer dans son salon le comportement d’un exemplaire exceptionnel. Justo reçoit dans son atelier les têtes de ces toros remarquables et, pour réaliser son travail, commence par les décharner et leur enlever la peau pour ensuite modeler le plâtre en l’ajustant à l’anatomie du toro et le reproduire le plus fidèlement possible. Après avoir enlevé la peau du front, la première chose que Justo découvre ce sont les marques fatidiques de l’étrier de pique. Il me confia ceci à la fin d’une tertulia à Puerta Grande, que dirige mon fraternel compagnon José Antonio Donaire, un de ces rares chroniqueurs qui n’a pas honte de confesser en public qu’il apprit beaucoup lorsque nous travaillions ensemble à Informaciones.
Ce que je vais vous dire, Justo l’a dit il y a quelques jours de cela en public : 60 % des toros qui arrivent dans son atelier souffrent de fractures du crâne ou de graves fissures au front, conséquences du choc contre le néfaste étrier de pique. Il paraît incroyable qu’il y ait eu tant de réformes du Règlement (par les politiques incompétents successivement en poste) et que personne n’ait remarqué que l’étrier de pique, avec ses trente kilos en forme de quille, se révèle être beaucoup plus dangereux que tous les maux que l’on impute communément au malheureux tercio de piques (pique actuelle criminelle ou poids démesuré du caparaçon et des chevaux percherons). Si 60 % des toros exceptionnels qui arrivent à l’atelier du taxidermiste, après avoir survécus aux ravages causés par les picadors, ont le front partagé en deux, il ne reste plus qu’à se demander quel est le pourcentage de toros qui arrivent à la muleta sans les conditions physiques minimales pour pouvoir charger.

Les éleveurs
Je crois que lors de la dernière assemblée de l’"Unión nacional de Afeitadores de Toros de Lidia" une requête fut portée à la connaissance de l’Autorité Incompétente afin que le tercio de piques soit réformé. Au bout de tant d’années passées à baisser leurs pantalons face aux exigences honteuses des figuras (si no afeitas, no lidias), ils se sont rendus compte, outre cette pique criminelle (qu’ils réclament à présent pivotante afin d’éviter les boucheries auxquelles nous assistons chaque tarde) et hormis leur demande de limiter les poids du caparaçon et des chevaux, qu’ils se devaient d’exiger que l’étrier de pique soit recouvert de caoutchouc. ¡ Ya era hora que se bajaran del burro ! Il est invraisemblable que quelque chose de si grave soit passé inaperçu aux yeux des aficionados exigents qui implorent le respect de l’intégrité du toro, centrant leurs protestations sur l’afeitado et la manière de piquer, mais qui n’ont pas remarqué les ravages de l’étrier en fer. Cela dit, les aficionados ont une excuse, parce qu’ils apprécient la lidia depuis leur tendido. Ce qui est impardonnable, c’est que les éleveurs eux-mêmes et les vétérinaires chargés de l’examen post-mortem dans les abattoirs ne dénoncent les graves lésions du front et de la vue.
Les critiques
Ce qui serait logique, c’est que les chroniqueurs taurins aient déjà dénoncé cette calamité de la lidia. Mais n’allons pas leur demander la lune. La plupart de ces chroniqueurs écrivent sur les toreros et en savent très peu sur les toros. Ils vont plus fréquemment déguster des plateaux de fruits de mer avec les apoderados qui les soudoient que goûter la vérité des pâturages où l’on peut apprendre le secret de la vie du toro. Quand un chroniqueur se rend au campo, c’est seulement comme spectateur adulateur d’un tentadero pour féliciter l’éleveur de "l’excellent jeu des vaches approuvées" en contrepartie d’un repas et de flatteries. Ou en accompagnant la figura du moment. Les chroniqueurs de toreros n’ont toujours pas remarqués que, dans les tentaderos, l’étrier de pique était recouvert de caoutchouc. À présent, il faut que ce soit un taxidermiste qui leur explique, via son expérience professionnelle, les conséquences du choc contre cette masse de fer.
Les télévisions
Mais je me doute bien que de nombreuses années passeront avant que ne disparaisse des ruedos ce monument mortifère. Car, à l’heure qu’il est, le public et les critiques sont davantage disposés à proclamer que l’émotion "de cirque" née des manoletinas ainsi que la façon dont José Tomás se fait accrocher la muleta à presque chacune de ses passes représentent l’essence même du toreo. Ici tous avalent et se taisent. Si ces imbéciles de lèche-culs qui dirigent les retransmissions télévisées parlaient, ne serait-ce qu’une fois, des ravages de l’étrier et prenaient des gros plans de la collision du toro contre ce dernier, nous ne continuerions pas à subir cet abus. Mais les gros plans et les ralentis servent exclusivement à remontrer les cogidas des toreros, afin d’impressionner le public, ou les muletazos donnés avec le pico et le pied en retrait comme s’il s’agissait de la vérité suprême du toreo. Ils trompent le public et humilient le toro.
Les politiques
Comme toujours, les politiques ne s’informent de rien et, tarde après tarde, vivent en parasite dans le burladero privilégié des callejones pour laisser impunis ces mauvais traitements : parce que les politiques sont toujours plus ignorants que les critiques adulateurs. À propos des politiques, que fait, toutes les tardes dans toutes les ferias, Enrique Múgica fumant son cigare ? Je ne crois pas que la responsabilité d’un Défenseur du Peuple soit d’être présent avec tant d’assiduité dans tous les callejones. À l’image d’Ignacio Aguirre Borrel qui, lorsque commençait la temporada, abandonnait son bureau pour aller de feria en feria à la solde du contribuable. Je vous soumets là l’exemple de deux hommes politiques représentatifs de la "fausse gauche" et de la "droite suceuse" qui passent pour être de bons aficionados et sous les nez desquels se consument, tarde après tarde, les grandes fraudes du toreo sans qu’il n’aient jamais rien entrepris pour les éviter. À cette paire de malotrus, qu’est ce que ça peut lui faire l’étrier en fer ? » Alfonso Navalón

1 À noter, sans rire, qu’il pourrait s’agir d’une éventuelle erreur du copiste...
2 Pour signifier une marque de mansedumbre et/ou de genio du toro, il n’est pas rare de lire l’expression : « hacer sonar el estribo », en français « faire sonner l’étrier » ou le « faire chanter » (sic). Le genre de musique dont on se passerait bien...
3 Lire à ce propos la réflexion menée par Marc Roumengou dans l’article en lien (le premier).
4 « Los estribos serán de los llamados de barco, sin aristas que puedan dañar a las reses, pudiendo el izquierdo ser de los denominados vaqueros. » : seule description de l’étrier contenue dans les règlements espagnols (Real Decreto & Nuevo Reglamento Taurino de Andalucía). Le Règlement Taurin Municipal (art. 61) ne disant pas autre chose. Appréciez le « sin aristas que puedan dañar a las reses » ; ça ne coûte rien de l’écrire...
5 ?!?

Images À l’instar des bateaux, d’où le « de barco » des règlements espagnols, l’étrier est très souvent pourvu d’une "quille" (photo du haut © Manon) plus ou moins imposante, ou peut avoir un fond plat, mais c’est plus rare. Les deux "flottant" pareillement et produisant sans nul doute les mêmes effets L’exemple par l’image avec un escolar à Vic. « Traseraaa ! » Muy tr... © Camposyruedos

Faute !


Une fois n’est pas coutume, la mailing list interne de Campos y Ruedos a vu rouge tandis que j’enfilais mon pyjama... Vous faites ch... les gars ! Bien, les quelques lignes qui suivent sont ainsi, en grande partie, motivées par le dernier édito1 de M. Viard, particulièrement... discutable.

Gendre idéal d’âge mûr — celui auquel on reçoit prix et flatteries —, impeccable sous tous rapports et omniscient car riche de plus de trente ans d’afición (inclinez-vous pauvres gueux !), M. Viard semble mal vivre l’apparition des blogs taurins — requalifiés en forums pour mieux les discréditer (?) à moins qu’il ne confonde à dessein posts et commentaires (?) — et ne pas supporter davantage que l’on puisse penser différemment de lui. Depuis un an environ2, régulièrement, trop fréquemment sans doute, tel un gamin à qui l’on disputerait le jouet préféré, il dégaine son clavier et commet dans un tout autre style ce qu’il reproche à ses victimes trentenaires aigries et amères. Le voici donc, très sûr de lui-même, qui stigmatise et les « analphabètes ignares » (sic) — pléonasme quand tu nous tiens —, « démagogiques » voire « irrespectueux » et « la frange ultra qui [...] fait preuve d'un analphabétisme qui laisse pantois » !

Ce qui me laisse pantois, M. Viard, c’est lorsque vous écrivez sans état d’âme : « De même que pour écrire il faut d'abord apprendre grammaire et vocabulaire ». Admettons, mais sachez M. Viard que « sud-est » et « sud-ouest », faisant référence à une « partie d’un pays située dans cette direction »3, s’écrivent avec des majuscules ; que « spectacle » prend bien évidemment un « s » dans « la plupart des spectacle » ; que « quelque soit » se lit beaucoup mieux en décollant le « que » du « quel » ; que vous perdez les pédales en nous gratifiant de « perdre la pédales » ; que « quelque » ne prend pas de « s » dans « quelques temps » ; que le premier « o » de « cotoyé » se coiffe en revanche d'un chapeau — il fait parfois chaud au palco — ; que « la science infuse ne se décrète pas [elle] s'acquiert tout au long d'un parcours studieux » constitue un bel exemple d’antinomie car comment apprendre ce qui, par définition, relève de l’inné, et (enfin !) que « de bonne bases » n’est pas correct.

« Et il est malsain, je pèse mes mots » — la formule vous appartient —, de fonder sa critique en portant le fer sur la grammaire et le vocabulaire quand on accuse soi-même des lacunes dans ces matières. Allez, souriez quoi ! Tout ceci au fond n’est pas bien grave quoiqu’un peu minable, j’en conviens. Une seconde d’inattention et c’est la cornada !

1 Le torisme intelligent, édito du 21.10.2008.
2 L'aficion critique, édito du 25.10.2007.
3 Le Petit Robert.

Image Chez le Marqués de Albaserrada © Camposyruedos