28 octobre 2010

Prix Mallarmé 2010


Chaque année depuis un certain nombre, l'Académie Mallarmé décerne à un auteur contemporain d'expression française le prix de poésie du même nom. Après le Prix Nobel de littérature récompensant un Mario Vargas Llosa ami de la Fiesta, les mallarméens ont tout récemment choisi le leur : Robert Marteau (1925) pour son recueil Le temps ordinaire (Champ Vallon, 2009). Remis lors de la prochaine et imminente Foire du livre de Brive — les amoureux des petites fabriques de bouquins passeront leur chemin —, le lecteur ébloui et envoûté de Pentecôte1 (Gallimard, Collection Blanche, 1973) ne ratera pas l'occasion d'aller toucher des yeux le récipiendaire du Prix Mallarmé 2010. Auteur en 2007 de Sur le sable. Toros, toreros, toreo aux éditions Mémoire Vivante2, Robert Marteau y livrait une vision pleine de spiritualité de la tauromachie : « Comme la peinture la tauromachie est maniement d'abord mais où l'âme est hautement impliquée, car il faut la tenir et même la maintenir plus haut que le cœur. À qui lui demandait comment il se décidait à entrer dans le cercle où déjà le fauve avait pénétré, Luis Miguel Dominguin répondait : "Parce que je suis déjà mort." Et cela se lie parfaitement avec ce que dit le chamane : "Va libre celui-là seul qui se guérit de sa mort dès sa jeunesse." Et tel était bien le but de l'initiation du jeune Indien d'Amérique du Nord. »

Enfin, il n'était décemment pas envisageable de clore ce post sans vous livrer un poème — Soupir — de Stéphane Mallarmé (1842 – 1898) :

Mon âme vers ton front où rêve, ô calme sœur,
Un automne jonché de taches de rousseur,
Et vers le ciel errant de ton œil angélique
Monte, comme dans un jardin mélancolique,
Fidèle, un blanc jet d'eau soupire vers l'Azur !
— vers l'Azur attendri d'Octobre pâle et pur
Qui mire aux grands bassins sa langueur infinie
Et laisse, sur l'eau morte où la fauve agonie
Des feuilles erre au vent et creuse un froid sillon,
Se traîner le soleil jaune d'un long rayon.


1 Si certain-e-s parmi vous ont lu et aimé Le rivage des Syrtes de Julien Gracq, La grande peur dans la montagne de Charles-Ferdinand Ramuz ou Le chant du monde de Jean Giono, alors ils savent ce qu'il leur reste à faire...
2 Le 25 septembre dernier a paru le second tome des chroniques taurines de Robert Marteau : Entre sable et ciel. Toros, toreros, toreo, Éditions Mémoire Vivante, 2010.

Image © Mémoire Vivante

Victime de la grève


Une victime inattendue de la grève aura été Carlos Cazalis. Pas de Cazalis dans Le Monde Magazine de dimanche dernier. Par contre, en feuilletant, on pouvait lire un article sur les animalistes...

Beaucoup nous ont écrit pour s’étonner de cette absence. Normalement ce sera pour le prochain...

26 octobre 2010

Après "Tuer le père", comment écrire au Père Noël et être sûr qu'il nous réponde ?


A tous les aficionados (et aux autres aussi) qui ont des enfants. Noël approche et vous aimeriez que le Père Noël vienne chérir la chair de votre chair. Oui mais voilà ! Vous ne savez pas comment le joindre ni où lui écrire. Et vous avez aussi envie de lui dire d'arrêter les cadeaux qui font du bruit ou qui sont des attentats au bon goût. Qu’à cela ne tienne, le Président du machin, le chargé de communication de grandes arènes françaises du Sud-Est, le photographe des pieds vers la tête, le peintre en plein air, l’économiste du monde taurin, l’égoïste rassembleur de brises marines, le pourfendeur des antis méchants qui ont le couteau entre les dents, l’écrivain introuvable, le re-fondateur de la généalogie taurine... bref, celui que la fourrière d’Azpeitia n’a pas reconnu cet été comme il devrait ou aimerait l’être a la solution ! Oui, lui, encore une fois. Ecrivez-lui par le biais de sa fenêtre politico-taurine sur le Net et il transmettra. Et même, il se pourrait qu’eu égard à son aura galactique il puisse en toucher deux mots à des politiques espagnols dès la semaine prochaine. Ecrivez-lui, il transmettra et le Père Noël sera chez vous le 25 décembre. Il est-y pas fort le phare alternatif ? Non mais !

Dessin © Jérôme 'El Batacazo' Pradet/Camposyruedos.com

24 octobre 2010

Tuer le père



Vendredi, c'est Laurent qui nous annonçait la nouvelle d'un « Et allez ! encore un et par n'importe lequel ! » accompagné d'un lien et d'une grossièreté inconnue de sa bouche jusqu'à ce jour... Le lendemain, c'est Javier qui divulguait l'information à toute la blogosphère taurine par un post tenant en un hyperlien de trois mots — « Tú también, Victorino » —, et illustré d'un slogan familier ici... Aujourd'hui dimanche, dans un commentaire au post précédent, c'est Ludo qui communique le lien et enfonce le clou : « Hasta la A coronada... »

>>> Le lien : « Victorino enfundará sus toros » par Antonio Díaz.

Image Un Victorino... bientôt avec des fundas — une pensée pour le vaquero © Campos y Ruedos

23 octobre 2010

Comme ils disent


Aller au campo le matin et voir les toros avec des fundas, ça donne envie de rentrer à la maison et de se consacrer à autre chose. Fernando Cuadri

L'origine de l'utilisation des fundas est un problème juridique : les ganaderos ont dû se défendre de la permanente présomption de culpabilité de manipuler les cornes. L'inénarrable Borja Domecq (Jandilla) lors du dernier Congrès mondial des éleveurs de taureaux de combat, organisé aux Açores (Portugal) du 21 au 23 octobre 2010.

. . . . . . . . .

Vous pouvez aller lire, accessible en page d'accueil du site de la FSTF depuis au moins trois semaines, le rapport d'activité sur les travaux de recherche INRA - AFVT1 : « La faiblesse musculaire et les chutes des taureaux de combat pendant la corrida, nutrition des taureaux et stress oxydant. » Prenez le temps car sa lecture est non seulement intéressante mais aisée. Et pour vous remercier d'avoir atteint la dernière des quinze pages de leur « rapport », nos scientifiques à la pointe de la recherche et du progrès vous offrent in fine ce morceau de bravoure (parenthèses maison) : « La préparation alimentaire des taureaux de combat telle que nous l’avons définie doit s’intégrer dans les techniques modernes (...) d’élevage au même titre que les rations mélangées « unefeed » (bon appétit), la mise en place des « fundas » (boouuuh !!!), l’application rigoureuse des programmes sanitaires (un casse-tête), l’entraînement (!?), l’amélioration du confort (sic) durant le transport et le séjour (re-sic) dans les corrals, pour que le taureau sorte dans l’arène avec toute son intégrité physique (ben voyons !). »2

Moi... qui pensais qu'à vouloir s'occuper du toro comme ils préconisent de s'en occuper n'était pas la meilleure des garanties de le voir sortir « dans l’arène avec toute son intégrité physique »...
Toi... qui viens d'avoir la furtive et désagréable impression de lire un de ces propos lénifiants sur la notion de « bien-être animal » dont on te rebat les oreilles depuis deux ou trois ans...
Vous... qui vous imaginiez l'élevage du toro comme le dernier refuge où les « innovations » profitant à des marchands au service d'une logique productiviste ne passeraient jamais...

Moi, toi, vous... nous quoi, en naïfs invétérés, en indécrottables romantiques, en éternels ignorants, en affreux réactionnaires, nous pouvons aller nous rhabiller !

1 Institut national de la recherche agronomique – Association française des vétérinaires taurins. Cette dernière a récemment octroyé son prix 2010 (le premier) à l'ADAC — des mauvaises langues (mais lesquelles ?) prétendent que l'association cérétane l'aurait reçu pour avoir réussi la performance de présenter trois ganaderías con fundas sur quatre courses...
2 Messieurs, quand on s'adresse à des aficionados, le choix des mots, ça compte.

Image Des Tulio pas « modernes » © Laurent Larrieu/Campos y Ruedos

22 octobre 2010

Carlos Cazalis, photographe


Carlos Cazalis est mexicain, et photographe. Nous l’avions très rapidement évoqué il y a quelques semaines. Vous pourrez le découvrir ce week-end dans le supplément du Monde qui présentera son travail sur José Tomás.
Un sujet taurin, dans Le Monde Magazine, et pas pour parler de cornada tragique, ou d’interdiction — enfin on espère —, la chose est assez rare pour être signalée.
Carlos est aficionado, mais il n’est pas photographe taurin. Il est photographe tout court, photographe professionnel, récompensé par de multiples prix pour son travail, dont le World Press Photo Award en 2009.
Allez sur son site, pour fouiner, fouiller et vous y perdre. Vous découvrirez ses séries sur les mégapoles, ses portraits ukrainiens, Haïti... Trop de choses pour tout évoquer ici.
Visitez et vous verrez que son travail sur Tomás n’est qu’une infime partie de sa production photographique. Lorsque nous avons invité Carlos à venir s’exposer sur Campos y Ruedos, nous aurions évidemment pu lui demander de présenter ses clichés sur José Tomás.
Mais en fouinant nous avons découvert une autre série, moins mise en valeur, peut-être plus intime et sans doute plus émouvante, plus étonnante : les forcados d’Évora. Et c’est ce travail-là, absolument superbe, que nous avons eu envie de partager ici.
Après plusieurs années à photographier la tauromachie espagnole, Carlos s'est mis en recherche de quelque chose de plus authentique, de plus proche des formes anciennes des jeux taurins. La nécessité d'un retour aux sources par la recherche de traditions sans doute moins en prise avec la modernité, et donc moins édulcorées, où la peur est plus perceptible. Alors Carlos a pris la route, direction le sud du Portugal, Évora, à la découverte des forcados.

"Ils ont été avec moi extrêmement courtois, hospitaliers. J'ai commencé à photographier un entraînement, avec des vaches, une chose très agréable à voir.
Ma première impression a été de penser qu’ils étaient des brutes épaisses, ce qui les a ensuite beaucoup amusés lorsque je le leur ai avoué.
J'ai rapidement assisté à une cuite terrible qu'ils ont prise tous ensemble. Il y avait là quelques nouveaux qui ont dû improviser un petit théâtre, une sorte de rituel d'entrée dans le groupe.
Aux arènes, ce qui m'a fasciné ça a été de voir leur peur de l'inconnu.
Un matador se confronte lui aussi à de nombreux problèmes, mais, c'est son métier, et il en connaît bien les risques et sait comment les affronter.
Les forcados sont des amateurs. Ils ne reçoivent pas de paye, et ont beaucoup à perdre dans l’histoire. Ceci étant, la passion que tu peux voir dans leur regard est unique et fascinante.
Je suis parvenu à comprendre qu'ils puisent une force terrible dans cette peur collective qu’ils transforment en courage collectif. L'amitié qui les unit est la chose la plus forte que j'ai connue. Il s’agit d’une union des forces, de fraternité, de familles qui se connaissent. Depuis un village natal commun, tout se conjugue en une sorte d’épreuve et de lutte contre le toro. C’est sous-jacent, à tout moment, aux arènes et dans leurs vies de tous les jours.
C'est toujours une grande joie pour moi de faire désormais ce voyage, et me retrouver au milieu d’eux qui me traitent maintenant comme un des leurs.
En réalité, je dis toujours qu'ils sont comme ma famille du Portugal, et grâce à eux j'ai connu des villages, et les coutumes de leur pays que jamais je n'aurai pu vivre de façon aussi intime.
Ils sont dans une certaine mesure une force très importante de la culture portugaise car ce pays est encore terriblement enraciné à sa terre, et je le trouve merveilleusement authentique à l'heure où nous vivons dans un monde tellement matérialiste.
Pour eux, être forcado, c'est beaucoup plus qu'affronter un toro, c'est une façon de vivre, de conjuguer l'amitié, les unions, les familles, et les cuites qu'ils prennent ensemble à la fin de chaque repas, et qui ne font que renforcer leurs liens.
Et ils n'ont pas peur d'assumer leurs défaillances. Dans les repas qui suivent chaque corrida, il n'y a pas de meilleur forcado que celui qui reconnaît publiquement ses erreurs devant les autres, et promet de faire mieux à la prochaine course, pour le bénéfice de tout le groupe.
En Espagne, le matador est un héros solitaire, au Portugal les forcados sont des guerriers qui vivent leurs vies pour la gloire du moment, entourés de leurs meilleurs amis."

Justement Carlos, nous sommes là très loin de ton travail sur José Tomás, héros très solitaire comparé à ces forcados.
Tu le vois comment, lui, par rapport aux autres matadors ?

"Je le vois très différent. Mais ce qui me le fait paraître différent n'est pas nécessairement son toreo, mais peut-être cette disposition à une constante recherche d'une vérité et d'une pureté dans ce qu'il fait. Et je crois que, de ce point de vue, c'est la même chose qui existe chez les forcados, un authentique désir de tout donner pour le toro, ce qui est peut-être la seule façon d'aller au-delà de ce qu'il est, de lui-même.
José Tomás représente pour moi une grande vision du passé, celui d'une éducation perdue dans le monde matérialiste et de consommation dans lequel nous vivons.
Il est une sorte de héros solitaire que nous aimons, que nous envions et qui nous autorise aussi à détester tout ce qu'il représente, mais sans lequel, cependant, nous sentirions nos vies bien vides. Il est notre cœur et notre âme en conflit."

>>> José Tomás, les forcados d’Évora, tout ça sous l’œil, l’objectif et le talent de Carlos Cazalis : 
- pour les photographies de Tomás, rendez-vous sur le site de Carlos rubrique EPHEMERA ;
- pour les forcados d’Évora c’est sur le site de Campos y Ruedos en rubrique PHOTOGRAPHIES ;
- des galeries, ici ou ailleurs, Le Monde Magazine ce week-end, en attendant forcément des livres sur les forcados ou sur José Tomás, tout cela en préparation. Des projets que nous suivrons évidemment de très près.

Hasta muy pronto Carlos.

21 octobre 2010

Cinq ans


21 octobre 2005, 21 octobre 2010. Cinq ans, l'âge d'un toro adulte.

20 octobre 2010

Un monument historique, un supermarché


Nous vous causons trop rarement d'architecture ici pour que vous ne jetiez pas un œil attentif à ce post... Il s'agit donc d'architecture, d'architecture moderne et plus particulièrement des menaces qui pèsent sur un bâtiment remarquable de Claude Parent — un centre commercial1 situé à Sens, dans l'Yonne. Oui, vous avez bien lu, les Sénonaises et les Sénonais pourront peut-être prochainement se vanter d'acheter leur beurre et leur PQ dans un monument historique2 ! Finalement il n'en tient qu'à nous, et avouez que le jeu en vaut la chandelle...

Que cela vous intéresse ou pas, la démarche est la même !
1/ Vous contactez David Liaudet — le grand initiateur de cette belle et importante initiative — en lui laissant une adresse postale (ex. : « Bonjour, une carte postale SVP. Merci. Vos nom et adresse. »
2/ Il se fera un immense plaisir de vous envoyer une carte postale (gratuite) que...
3/ Vous renverrez aussitôt.

Coût de l'opération : un timbre-poste, autant dire que dalle quand on pense aux milliards d'euros perdus par an par l'Etat... Oups, je m'égare !

La balle est désormais dans votre camp pour que la France entière soit au courant. Parlez-en autour de vous, au marché, au stade... dans les manifs...

1 Si cela doit permettre de vous convaincre, pensez « arènes » — qui soit dit en passant ressemblent très souvent à des supermarchés où l'on vous propose des promos d'enfer sur les piques et où l'on vous vend des passes et encore des passes, avec de la musique en fond sonore.
2 Un Carrefour à l'heure qu'il est.

L'indispensable adresse : david.liaudet@orange.fr.

Image La fameuse carte postale © Architectures de cartes postales

Et glou, et glou, et glou...


C’est la saison. Presque en même temps que la rentrée littéraire, en même temps que l'arrivée tonitruante de l’expo Jean-Michel Basquiat, les clubs taurins divers et variés fêtent la sortie, enfin, la fin de saison. Les classiques prix de l’automne, plus vraiment commentés depuis la sortie de l’ANDA.
Bon, cette année c’est un peu différent. Les clubs taurins Ricard du Sud-Est, hips, ont fait très fort.
Meilleur lot de toros : les Margé de Palavas. Corrida non piquée d’après nos sources.
Accessit aux Daniel Ruiz d’Arles. C’est-à-dire que là on confirme la tendance lourde du toro non piqué. Hips !
Et puis on inaugure aussi avec un meilleur lot d’erales.
Pour 2011, Campos y Ruedos suggère bien humblement de créer un prix à la meilleure capea, au meilleur becerro et même au meilleur lot de vaches.
Mais la cerise sur le gâteau, hips, c’est l’encouragement donné à la S.A. Jalabert pour la magnifique décoration des arènes lors de la corrida goyesca.
Encouragement à quoi exactement ? Mystère... Y aurait-il un rapport direct avec le passage de la Fiesta au ministère de la Culture ? Peut-être. Les CTPR critiques d'art, voilà qui promet.
Et glou, et glou, et glou... Hips...

18 octobre 2010

Tirages en ligne


Depuis que Campos y Ruedos existe, 8 ans pour le site et 5 pour le blog, nous n'avions jamais proposé à nos lecteurs la possibilité de se procurer des tirages photographiques. La raison en est simple : nous n'avions tout simplement pas les outils techniques pour organiser cela de manière satisfaisante. Nous avons donc publié notre premier livre, avant même de proposer le moindre tirage — la charrue avant les bœufs en quelque sorte. Mais le hasard des rencontres fait qu'à compter d'aujourd'hui Campos y Ruedos ajoute une corde à son arc : le tirage photographique, et pas n'importe quel tirage.

Depuis 2007, il existe à Arles un atelier, l'atelier d'un véritable artisan, situé au cœur de la ville, à deux pas des arènes, créé et dirigé par le même homme : Christophe Laloi — diplômé d'une maîtrise d'histoire de l'art puis élève à l'École nationale supérieure de photographie d'Arles, il est le créateur du festival Voies Off, le off des Rencontres d'Arles. De l'extérieur, le lieu apparaît si discret qu'il pourrait passer inaperçu. De l'intérieur, on touche purement et simplement au must du traitement des images et du tirage photographique : scanner Hasselblad Imacon, papiers de rêve à fort grammage, sans oublier le savoir-faire de Sunghee pour le traitement des fichiers.

Avec les artisans de Voies Off nous entrons dans l’univers du tirage d’art, celui qui utilise les mêmes techniques d’impression haut de gamme souvent mises au service de musées et d'institutions prestigieuses. Tous les tirages des photographies de Campos y Ruedos seront réalisés sur papier Hahnemühle FineArt, papier épais à pH neutre composé de fibres naturelles pour une conservation exceptionnelle. Ce papier repousse encore plus loin les standards en terme d’intensité des couleurs, de valeurs tonales et de définition, en particulier pour les tirages noir et blanc. Bref, nous avons decidé de nous faire plaisir !

Vous pouvez donc désormais accrocher en toute confiance Campos y Ruedos à vos murs.

Rendez-vous à la boutique.

Liens utiles :

16 octobre 2010

La mort, le dimanche


La chambre était un cocon. La frêle lumière de la lampe de chevet valait presque le crépitement d’un feu de cheminée. Les motifs invraisemblables des vieilles tapisseries se fondaient aux ombres que l’on projetait dessus avant de se coucher.
Le lit de bois, massif, robuste à dix enfances, était un monde que l’on s’apprêtait à conquérir au péril de nos rêveries sous les gros édredons gonflés de plume d’oie.
C’était l’hiver. C’était les vacances. C’était l’âge et c’était l’heure de Michel Strogoff, des ours tués à mains nues, du vent que lançait le pôle nord et qui piquait de mille aiguilles la troïka qu’attendaient le lac Baïkal et Irkoutsk. Irkoutsk ! C’était l’autre rive du lit, autant dire le bout de la terre, autant écrire une autre vie.
Un soir, avant que la nuit ne l’emporte, un livre était là. La veille, il n’y était pas. Il n’existait pas. C’était un gros livre, épais, sans image. La couverture était une photographie toute simple, en noir et blanc jauni, d’un vieux portant le béret et assis sur un tout petit tabouret de bois. Des types comme ça, j’en connaissais et ils n’avaient aucune chance face à Michel Strogoff, face à son manteau de fourrure et face aux ours tués à mains nues. Des types comme ça, ils étaient de chez nous, sur la même rive du lit que moi et j’étais persuadé que cette rive je la connaissais. C’était le titre d’ailleurs, Chez nous, en Gascogne. Joseph de Pesquidoux. Du Houga, Bas-Armagnac. C’était donc ici la Gascogne et ce livre, ancien, c’était certain, parlait de cet "ici". Qu’est-ce qu’il pouvait bien raconter de trépidant sur ici ? Ici n’était pas la Sibérie. Ici, Michel Strogoff n’aurait eu à affronter que la ridicule agressivité d’un jard trop arrogant ou la digestion, il est vrai parfois dantesque, d’un repas de famille. Au-delà, Michel Strogoff se serait mis à contempler les Pyrénées en fantasmant sur l’aventure ratée de sa vie ici.
Mais j’avais tort.
Car ici attendait 'Caracola'*. Et j’abandonnais Michel Strogoff sur l’autre rive de mon monde, de l’autre côté de l’édredon. Ici, d’autres drames se jouaient, loin des turpitudes de la neige glacée et de la nuit blanche sur Irkoutsk. Ici, la mort rôdait. Ici, la mort s’appelait 'Caracola'. Elle tuait le dimanche. Elle tuait en public et on courait la voir tous les dimanches. De jeunes aventuriers nés ici gonflaient le torse face à elle, levaient les bras au ciel et faisaient scintiller les brodures de neige de leur pauvre boléro rapé par tant de dimanches à affronter la mort. De face, loin d’elle. Un cri, un léger saut sur place pour attirer son attention, les bras levés au ciel, les brodures de neige pour tout l’or du monde et attendre. Attendre sans broncher qu’elle leur fonce dessus sous les regards noirs comme leur béret des vieux sortis de la photo pour venir voir la mort, le dimanche. Attendre et s’écarter, au dernier moment, tourner sur soi pour la faire passer, la saoûler, la tromper. Ecarter. Survivre à la mort lancée comme un obus, survivre à 'Caracola'. Le dimanche.
La course landaise existe toujours. Michel Strogoff a dû rejoindre Irkoutsk. La Sibérie doit déjà être blanche. La mort rôde toujours le dimanche vers ici, en Gascogne, et les bérets n'ont cessé d'être noirs.

* D'après Joseph de Pesquidoux, la vache 'Caracola' était d'origine navarraise et venait de la légendaire ganadería de Carriquiri. Depuis le début du XXème siècle, les ganaderos landais se sont largement servis en Espagne et la vache brave, mère et soeur du taureau de combat, est maintenant la seule (hormis quelques camarguaises) à pouvoir se prétendre "vache landaise". Sur la deuxième photographie, des vaches de la ganadería Coran en 1925 dont certaines ne peuvent renier leur ascendance navarraise. La photographie est extraite de l'ouvrage Derrière la talanquère, écrit par Robert Castagnon et illustré par Georges Papigny.

A lire Joseph de Pesquidoux, Chez nous. Travaux et jeux rustiques, Plon, 1920 & Robert Castagnon et Georges Papigny, Derrière la talanquère, Nogaro, 1977.

Quelques liens sur la course landaise Le site de la Fédération française de la course landaise (FFCL) & un blog très sympa et complet animé par Marylène : Passion coursayre.

>>> Retrouvez sur le site www.camposyruedos.com une galerie consacrée à la course landaise dans la rubrique PHOTOGRAPHIES.

Photographie Écart dans les arènes de Donzacq en juillet 2010 © Laurent Larrieu/Camposyruedos.com

Durán


Il fait un froid de canard ce matin, le ciel est plombé, c’est une de ces journées à ne pas mettre un Madrilène dehors. On ne sait même pas si on verra les Fraile cet après-midi, vu comme la pluie menace. Et c’est la der des ders de la saison.
Patio de caballos, la queue des aficionados de tous pelages pour le sorteo. La petite porte, l’escalier, encore une porte, menue et à double battant, comme celle d’une salle de classe à la Jules Ferry. Après, l’espace et une grande respiration silencieuse. Les corrales.
Vingt-cinq ans qu’il use ses manches sur les barrières de Madrid. Il a dû être assez beau, à ses "y tantas", il a encore la prestance andalouse de qui a grandi à Sanlúcar. Les yeux pile de ce bleu d’orage des photos de Manon, celui des corrales de Madrid, délavé par le frottement de millers de culs de toros.
Don José Manuel Durán, doyen des vétérinaires à Las Ventas. Bien sûr qu’il voulait être torero et pas véto. Pourtant, son père l’était avant lui, et à Las Ventas aussi. Au moment de se décider, il a finalement rangé ses trastos pour toréer avec sa blouse dans les couloirs de la fac. Pas de toros là-bas. Le bovin se porte manso. Faut de l’afición pour faire ce métier, et pas qu’un peu.

On se balade de portes en couloirs, il se raconte. Les Chopera, quand il a commencé. Le "Toro Grande de Madrid." Ouais, pas convaincu, on perdait les caractéristiques de chaque encaste. Santa Coloma et Atanasio, c’est quand même pas tout à fait pareil... Lui, son truc, c’est d’essayer de récupérer les spécificités. Tout en zigzagant au milieu du mono-encaste Domecq. Il peste contre les nouveaux riches qui ont fait de ce sang une bouillasse à haute toréabilité, et remarque que les figuras pourraient quand même faire le geste, de temps en temps, de mouiller leur chemise devant des bestioles un peu couillues. Il voudrait que ça vibre, que ce soit de nouveau la magie. "Esto es una equación, y la x es el toro." Faut le déchiffrer, ce x, et pour ça, il faut de l’afición. On y revient. Aujourd’hui, il a le sourire qui frétille. Il y a des Graciliano dans les chiqueros. Des mecs sérieux, comme il aime. "Quand tu les regardes, faut que tu voies un señor toro, pas un gamin. Un athlète, avec le cul serré, les défenses bien armées, tout en muscle, la queue qui touche presque terre. Hasta el rabo, todo ha de ser toro."
Pour lui, l’afición se meurt. Le public a changé, il vont aux toros, mais plus pour voir des toros. De toute façon, les gens ne savent plus les différencier. Ils viennent voir des toreros, mais torero, aujourd’hui, c’est un job comme un autre. Faudrait que les novilleros se jettent au feu, comme avant, avec l’habit détruit, la rage sur la face et le métier qui rentre à coups de corne dans le derche. Là aussi, la Sainte Afición que les jeunes n’ont plus.
José Manuel regarde passer les toros, les après-midis où il est de service. 6, 7, 8... jusqu’à 11, une fois. "A Madrid, y en a toujours 15 ou 20 en réserve."
Et il fait quoi, le véto, en hiver ? Il reprend sa clinique de "petites bêtes" en attendant le printemps.

Texte & photographie © Joséphine Douet

14 octobre 2010

Cornada dans le mille-feuilles


L'hiver sera long, nul besoin de l'aller passer dans des coins isolés lointains et sans réconfort pour le sentir ou le deviner. La montagne russe de notre moral va s'infléchissant déjà. Le noir caillou d'une déprime légitime et bien méritée prête d'ores et déjà le flanc à ces saisons de carences en tout genre qui, lentement, vont le polir et le lustrer des mois durant. Si je parle de coins reculés, c'est que ce que j'appelle hiver, ici, constitue comme un exil temporaire pour notre communauté. Rivés par le froid, l'obscurité, l'absence d'occasions, nous ne nous verrons guère. Une Elbe récurrente sans même une menace définitive ; une pause. Alors, comme si blottis loin de tout nous pouvions venir à manquer, notre chère Joséphine nous enverra des photos de Madrid, son Madrid et un peu du nôtre. Des cartes postales muettes, ou vaguement griffonnées. Muettes mais éloquentes. Eloquentes comme cette première. La photo est une alchimie tout comme la tauromachie, ces "choses" des explications desquelles il faut à tout prix se prémunir. Prends ta claque, profite et tais-toi. Ramasse les cendres de ton illusion et retourne bâtir d'autres chimères qui partiront encore en fumée. Qu'importe ! Joséphine nous envoie donc des provisions pour nous maintenir à flots, des sucreries amères ou démodées, quelques copeaux bien caloriques de Madrid, clichés langoureux ou d'acier et autres preuves que l'hiver passe aussi par là-bas, quoique nous persistions à en douter.
Ce soir, nous attaquons donc par le dessert, un mille-feuilles dont Joséphine nous a balancé les restes et qui ne faisait pas très envie en début de repas. Un dessert exposé dans une vitrine réfrigérée : le genre de montage qui, dès le menu, sent le traquenard et la vanille de synthèse. Il faut imaginer tous ces rendez-vous taurins ensevelis sous la colle et l'actualité "au(à la)-suivant(e)", ces centaines de toros occis, de matadores quittant le ruedo tête basse, bien après les aficionados pressés. Anniversaire, Saint Isidore, Presse, Bienfaisance, été dangereux, dimanches trop similaires, confirmations, opportunités vénéneuses et 8 Nations : "Combien de toreros, combien de capitaines / Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines / Dans ce morne horizon se sont évanouis..." Un tapis, épais comme ça, d'affiches périmées entassées les unes sur les autres, badigeonnées de colle transparente par un employé même pas aficionado, un carton de souvenirs compressés et amidonnés, un mille-feuilles comprimé, pour navette spatiale ou solitaire autour du monde. Pas même un nouveau concept.
Et pour ces Graciliano et leurs bourreaux, la gloire éphémère de ternir au pâle soleil et gondoler à la pluie hivernale. Triste Hispanidad que les cousins Américains ignorent. Un passant (même pas aficionado non plus, qui sait ?) a voulu emporter quelques pages de ces souvenirs indigestes : tentative soldée par un coq salmantin fendu en deux et l'ombre d'une cornada à Vilches.
Pronostic grave.

Photographie © Joséphine Douet pour Campos y Ruedos  

Photographie sans paroles (XXXIX)


img084

13 octobre 2010

Bienvenue au club


Un certain Daniel Hernanz que je ne connais pas et que je ne lirai sans doute plus, vient de publier sur un portail taurin un article titré : "El ayatolá Esplá".

Et Dani de s'en prendre aux dernières déclarations du maestro concernant l'état du toreo et son passage à la Culture. J'avoue l'avoir parcouru bien trop rapidement pour en penser grand-chose. Bienvenue au club Maestro Esplá.

Presque en même temps, le même portail, et les autres aussi, titrent sur la rencontre qui a eu lieu ce jour entre quelques toreros et le ministre de l'Intérieur. Il semblerait donc que la tauromachie va passer du ministère de l'Intérieur à celui de la Culture. Lorsqu'on sait l'intérêt du Premier ministre Zapatero pour la chose taurine, on se dit qu'il voudrait les précipiter dans le néant qu'il ne s'y prendrait pas autrement. Quoi qu'il en soit, dans un futur proche "ce seront donc les contrebandiers qui rédigeront le règlement des douanes". Super ! Allez, encore un petit effort, nous y sommes presque.

Alimaña


Au risque que notre cher Xavier s’émeuve encore de tant de populisme (sic) sur Campos y Ruedos, il nous accordera que les politiciens de nos villes taurines ont définitivement achevé de décrédibiliser l’association les regroupant. La preuve ? Il paraît qu’ils viennent de rendre public les résultats des analyses de cornes de la saison... 2009. Nous sommes fin 2010, autant dire début 2011.
La preuve ? Tout le monde s’en fout des analyses de cornes de la saison 2009. D'ailleurs, nous n’en parlons même pas. La photo ci-dessous n’a rien à voir. C’est juste histoire de mettre une vieille photo que j'aime bien. Robleño jeune, à Madrid, avec une alimaña de chez Victorino, une des dernières sans doute. Et je me dis qu'aujourd'hui il serait bien improbable de refaire la même photo. Une rareté quoi.

alimanaweb

10 octobre 2010

Jean-Louis


À court d'idées (et de contrats) pour son poulain, l'apoderado de Javier Conde, le taurino sévillan Manuel Álvarez Canorea, compose le numéro du gominé le plus célèbre de l'escalafón : « Allo, Javier ?
— C'est lui-même.
— J'ai une course à te proposer (il marque un temps en laissant entendre un raclement de gorge) dans la capitale.
— ...
— Allo ?
— J'écoute.
— Le jour de la fête nationale1 ! Pour la confirmation d'un Aztèque.
— Et avec ?
(nouveau raclement de gorge) Des Fraile.
(sortant de sa réserve) Oh ! mon ami Moïse !
— Heu, non, ce n'est pas Moïse...
(visiblement inquiet) Nicolas ?
— Non plus... (d'une voix basse) C'est Jean-Louis.
Bip, bip, bip, bip... »

Les apoderados d'El Fandi, El Juli, El Cid, Enrique Ponce, Alejandro Talavante, Morante de la Puebla, Daniel Luque, Sébastien Castella, Francisco Rivera Ordóñez, Rubén Pinar, Miguel Tendero, El Cordobés, César Jiménez, Cayetano, Luis Bolívar, Matías Tejela, Finito de Córdoba, Jesulín de Ubrique (vous l'aviez oublié ?), Joselito Adame, Salvador Vega, El Capea et El Cordobés hijo n'auraient pas imaginé le quart d'une seconde leur faire pareille proposition ; les médecins de Julio Aparicio, José María Manzanares et Miguel Ángel Perera auraient dit clairement non, pas question ; il se murmure que José Tomás aurait oublié, pour de bon, ce qu'est un toro, et Juan Bautista confirmé sa présence à Sangüesa ce jour-là ; Juan José Padilla, Rafaelillo, Antonio Ferrera et d'autres, grands princes mais trop nombreux à énumérer — qu'ils nous pardonnent —, auraient préféré laisser leur place à des collègues moins gâtés, et, enfin, l'inénarrable imprésario d'Alberto Aguilar aurait répondu à l'empresa madrilène qu'elle pouvait aller se faire foutre...
Au bout du compte, les noirs, costauds et fort rares Graciliano2 de Juan Luis Fraile seront passés au fil de l'épée par l'illustre inconnu Alfredo Ríos 'El Conde' (comte mexicain qui, pour confirmer à Madrid, était prêt à s'envoyer « n'importe quoi » !), Luis Vilches (avec deux contrats cette année, il aurait hésité à entamer une grève de la faim avant d'apprendre que Madrid lui offrait une occasion inespérée de relancer sa carrière) et Eduardo Gallo (l'éternelle promesse du toreo « parrainée » par César Rincón serait en proie à une profonde dépression depuis plusieurs années déjà)...

1 El Día de la Hispanidad, le 12 octobre.
2 Fossiles vivants du campo...

>>> Une fois n'est pas coutume, nous vous redirigeons vers ces portails publicitaires sans intérêt où il est beaucoup plus aisé de rencontrer un torero sur son lit d'hôpital qu'un toro sans fundas : « Toros para Madrid de Juan Luis Fraile » & « Los toros que lidiará El Conde en Madrid » (Carolina, si votre père voyait ça !).

Images Dans les corrals de Las Ventas le 23 août 2009, détail d'un Juan Luis Fraile portant la marque du fer sur le haut de la cuisse (guarismo impair), alors que l'unique guarismo pair l'a en bas... Précision Après avoir observé les photos de l'apartado des toros 2010 — le 4° montrant le flanc gauche —, les guarismos pairs portent le fer en haut de la cuisse à l'exception d'un (?), tandis que le seul guarismo impair l'a lui aussi en bas ! Si quelqu'un connait les us et coutumes de la maison... Le lot de Fraile de 2009 donc, complété par deux Ana María Cascón — l'autre devise partageant le campo des Graciliano —, fut combattu par les « seconds couteaux » Carnicerito de Úbeda (tiens, Úbeda), Francisco Javier Corpas et Serranito © Juan 'Manon' Pelegrín  Si vous souhaitez vous rendre à « Cojos de Robliza », finca des Fraile,  en provenance du Portugal sur la E-80/A-62, tenez-vous prêt à prendre la prochaine sortie, la 269 pour « Robliza de Cojos », lorsque vous apercevrez ce panneau © François Bruschet

Madrid, 1er juin 2001


La veille ou l’avant-veille nous nous étions ennuyés à Nîmes avec des Victorino Martín, déjà. Tout le monde s’en foutait. Les prévisions pour le lendemain à Madrid étaient aussi délirantes que les prix de la revente.
A La Venencia, huit heures avant la course, Jorge n’avait pas de place. Didier en était assez contrarié. Il ne se doutait pas que cela ne faisait que commencer.
A la porte du desolladero, sept heures avant la course, Adolfo Martín avait la tête des mauvais jours.
— Elle est comment ta course Adolfo ?
Sa moue en disait déjà trop. Je crois bien qu’il a grincé entre ses dents : chica. Il ne s’est pas attardé, déjà trop contrarié. Tout était déjà trop. Tout devait être trop de toute façon, même l’échec en y réfléchissant. Mais sept heures avant la course personne n'y songeait.
Six heures avant la course Jorge avait désormais un sésame et l’ambiance était comme jamais.
Cinq heures avant la course dans les bars de Madrid, la revente délirante. Et il ne serait passé par la tête d’absolument personne qu’expectación pouvait rimer avec decepción, sauf peut-être dans celle de José Tomás. Mais où était José Tomás ?
Vingt minutes après la course Joaquín Vidal décidait de titrer : "José Tomás tiene el mayor fracaso de su vida."

09 octobre 2010

Con su permiso, don Joaquín


Par où commencer ?
Comment le prendre ? A la rigolade ? Au tragique ?
Au sérieux certainement pas.
Il y a quelques jours, invité par la fondation du Juli, Bernard Domb, plus connu sous le sobriquet de Simon Casas, s'est laissé aller à tenter de salir la mémoire de Joaquín Vidal : « L’aficionado spectacteur (sic) a le droit de critiquer. Mais toujours en aimant la Fiesta. Pas en la détruisant. Je vais être clair. Il y a un journaliste, qui a une plaque dans les arènes de Madrid, qui a passé sa vie dans le journal El País à dire des mensonges pour détruire la fête des toros. »
Faut-il en rire ou en pleurer ?
Dans l’absolu, en rire évidemment.
 Car, probablement sans même s’en rendre compte, Bernard Domb a insulté, pêle-mêle, Curro Romero, Rafael de Paula, Luis Francisco Esplá et même Joaquín Sabina si je me souviens bien. Excusez du peu.
Par contre, d’après nos sources, il semblerait que Carla Bruni-Sarkozy et Javier Conde aient été épargnés.
L’affaire n’est donc pas si grave qu’il n’y paraît.
Je vais vous raconter une anecdote, vraie évidemment.
 Lors de la dernière adjudication des arènes de Madrid, Bernard Domb, plus connu sous le sobriquet de Simon Casas, fit la tournée des popotes, comme un vulgaire politicien, qu’il fut d’ailleurs, éphémère, dans notre « pays de cons » (sic), serrant des mains, cirant les pompes de ceux qu’il méprisait hier et qu’il mépriserait demain.
Il la voulait tellement cette place qu’il s’abaissa même à vouloir devenir membre de l’association El Toro de Madrid. Simon Casas, membre de l’association El Toro de Madrid. Il paraît que le burlesque revient à la mode.
Le problème, c’est que pour devenir membre de l’association El Toro il faut deux parrains, et il n’en trouva aucun. Le burlesque a ses limites.

Maintenant, je vais vous raconter une autre anecdote, vraie également, cela va de soi.
Après la disparition de Joaquín Vidal, ladite association El Toro de Madrid édita un petit recueil, précieux et rare, d’une centaine de pages. Un hommage.
La couverture et la quatrième de couverture avaient été réalisées, gracieusement, par un peintre espagnol, Luis Francisco Esplá, qui à l’époque était aussi matador de toros.
Le livre fut présenté à Las Ventas, en présence de personnalités et de l’Afición. Salle comble.
A l’extérieur, alors que l’hommage avait déjà commencé, se présente un artiste, un vrai, pas un burlesque, un torero, Rafael de Paula — Rafael Soto en vérité.
Ne voulant pas perturber la cérémonie par une apparition trop remarquée, Rafael Soto attendit dehors, et envoya un ami lui chercher son exemplaire. Et il se retira, discrètement, son ouvrage sous le bras, avec la couverture peinte par le peintre Esplá. Con su permiso, don Joaquín.
Des anecdotes commes celles-ci, je pourrais vous en remplir des pages. Mais puisque les meilleures choses ont une fin et que les plus courtes sont les meilleures, en voici une dernière, très courte.
Il y a peu, un vieux banderillero à la retraite me disait la chose suivante : « Simon ? Directeur des arènes de Madrid ? Non. Je vais te dire une chose. Dans la vie, nous avons tous des ennemis, c’est normal. Mais lui, il en a trop. Il ne sera jamais directeur des arènes de Madrid. »
Le vieux banderillero a peut-être raison, peut-être pas. Je ne sais pas.
De toute façon, cette Fiesta est trop moribonde pour que cela signifie désormais quelque chose. Alors il se pourrait bien, au bout du compte, que nous finissions un jour par devoir en pleurer.

>>> Pour lire tranquillement Vidal, et s'en faire une idée, on peut commencer par se connecter au site des Fondeurs de Briques : Joaquín Vidal, Chroniques taurines, Les Fondeurs de Briques, 2010, 14 €.

Mario Vargas Llosa


Vous le savez tous, Mario Vargas Llosa est le dernier Prix Nobel de littérature.
Du coup, forcément, certaines choses vont prendre une certaine ampleur.
Et puis un Prix Nobel aficionado, ça a quand même une autre gueule que Mylène Demongeot ou Paulette Dubost. Ne parlons même pas de BB. Bon allez, je vais laisser ça à nos courageux pourfendeurs d’antis. Du grain à moudre inespéré pour eux.
Une autre ampleur disais-je.

¿Por qué, en el reciente debate suscitado por este asunto, quienes defendemos las corridas hemos estado tan reticentes y tan parcos y prácticamente dejado el campo libre a los valedores de la abolición? Por una razón muy simple: porque nadie que no sea un obtuso o un fanático puede negar que la fiesta de los toros, un espectáculo que alcanza a veces momentos de una indescriptible belleza e intensidad y que tiene tras él una robusta tradición que se refleja en todas las manifestaciones de la cultura hispánica, está impregnado de violencia y de crueldad.

Le Nobel m’excusera pour cette traduction maladroite :
« Pourquoi, dans le récent débat sur l’interdiction, nous qui sommes les défenseurs des corridas avons été aussi réticents et aussi laconiques, laissant le champ libre aux partisans de l’abolition ?
La raison en est simple : parce que toute personne qui n'est pas obtue ou fanatique ne peut nier que la corrida, un spectacle qui atteint parfois des moments d'une indescriptible beauté et intensité, porte en elle une forte tradition qui se reflète dans toutes les manifestations de la culture hispanique, et qui est imprégnée de violence et de cruauté. »

Ça va mieux en le disant, non ? Heureusement qu’il est nobelisé le type...

08 octobre 2010

Ici sévit une mafia


Personnellement, je ne connaissais pas Joaquín Vidal. La première fois que nous nous sommes rencontrés, Joaquín Vidal était seul, assis sur les gradins de Las Ventas, seul au milieu de rien sous un poncho martyrisé par les trombes d’eau qui donnaient l’illusion que le béton fondait de désespoir. Il était seul. Il était une photo. J’ai aimé cette photo. Non pas ses qualités techniques et/ou esthétiques mais j’ai aimé cette photo pour ce qu’elle montrait. Un homme seul sous une pluie de titan en train de regarder une corrida de toros. J’ai lu Joaquín Vidal après notre rencontre. J’ai aimé ce qu’il écrivait sur ces corridas qu’il regardait sous la pluie. J’ai toujours été méfiant [et je le suis toujours] à l'égard de ceux qui admirent, de ceux qui ont des maîtres, de ceux qui vouent une passion démesurée à d’autres. Mais il faut bien le reconnaître, Joaquín Vidal savait de quel bois est fait le toreo. Et sa plume, comme les grandes plumes, ne se contentait pas d’écrire ou de décrire. Il y avait un discours derrière les mots. Sa plume écrivait et sa plume parlait. D’autres ont essayé d’écrire pour parler d’eux toujours...
Avant que d’autres amis n’écrivent à ce sujet, et je sais qu’ils le feront mieux que moi, savourons ces quelques lignes de Joaquín Vidal et laissons le vent du sud les porter peut-être à un organisateur de spectacles qui sévit dans une ville depuis peu déclarée "taurine" :
"Or ce quidedroit n’a pas la moindre intention de faire une quelconque enquête, même si, pendant toute la feria — et il y a vingt spectacles —, sont sortis des taureaux suspectés d’avoir été aféités, des taureaux d’une invalidité suspectée, des lots entiers de corridas suspectés d’avoir été drogués au vu des symptômes de faiblesse générale, de somnolence et de défaut de coordination dont ils souffraient." (in Ici sévit une mafia)

Photographie Détail du livre de Joaquín Vidal, Chroniques taurines, traduit de l'espagnol par Virginie Girard aux éditions Les Fondeurs de Briques (2010).

Fuck them all !


L'homme est à genoux face à 500 plombes de barbaque tiède. Une demie tonne de combats, d'illusions de toute une vie, la sienne... Il est vide, froid et sec et préserve le peu de force pour maudire la Terre, ses saints, le président, sa mère et sa descendance. Ses rêves sont là, entamant leur décomposition sur le sable, dans une marre de sang noir et épais, et toutes ses croyances avec. Et lui, l'homme, une effluve de formol dans les naseaux, regarde ses espoirs soupirer et enrage...

'Áspero' est mort à Úbeda, et Justo Hernández le pleure.

Ils n'auraient pas dû. Non, il ne fallait pas le laisser crever, dégueuler sa vie, rouler sous le fer du maestro Luque, car le bestiau venait de passer deux dizaines de minutes et deux avisos à sauver chèrement ses burnes !

Là-bas, plus haut, un peu au-dessus du peuple, ce panier à "trouducs" zélés qu'on appelait palco, venait fiérotement de décider du sort du vaillant cornu d'un NON d'empereur romain, pouce vers le bas, et ne daigna même pas se référer à ceux qui habituellement savent, à ceux qui habituellement voient, à ceux qui habituellement comprennent ce qui est bien pour la fiesta brava.

Finalement, non, non et non, les 3 compères en avaient décidé autrement, préférant mettre tout un public, tout un mundillo et sa Fiesta chérie, dans une rogne sévère, en échange de 3 ou 4 lignes raides sur Mundotoro, qui sait, ou peut-être simplement à cause d'une sensibilité plus pesante, moins volatile, voire moins "moderne". On scelle les pactes qu'on veut, ou qu'on peut, pour les raisons qu'on veut, ou qu'on peut.

En refusant de prolonger la vie d''Áspero', ceux-ci ont clairement dressé le majeur à la foule beuglante endimanchée, au CAC40 mundillero et à ce système estampillé "moderne" si bien rodé, si bien en place... sans doute trop, et depuis trop longtemps.

C'était sans compter sur ce palco d'arène de bouseux qui aurait eu le goût acide de refuser la grâce d'un toro que la majorité bien-pensante avait vu grand, avait vu beau et bon et qu'elle voulait pour elle, pour son bon plaisir ! La fameuse majorité qui a toujours raison, venait de tomber sur un os... pas lisse, hélas...

Alors oui, peut-être 'Áspero' méritait-il de vivre et de niquer à couilles rabattues, à l'ombre des pins d'Alaraz, sans doute même... mais peut-être que non. J'en sais rien et vous non plus. Au fond, tout le monde s'en fout, puisque personne ne le dit vraiment. Pas même Mundotoro, qui préféra s'en tenir aux jérémiades d'un ganadero pourtant pas vraiment aux abois, quand on y pense...

N'empêche que ce jour-là, en Úbeda, 3 mecs solidement anonymes et burnés comme des limousins de concours avaient choisi de botter le fion de cette épouvantable "modernitude", envers et contre tous, du boucher de la plaza Vázquez-Molina, au camarero de la Casa Juanito, en passant par Monsieur Garcigrande himself, le maire, ses adjoints, ses généraux et ses 70 vierges, et l'on ne saura jamais vraiment s'ils ont eu raison ou pas, mais ils l'ont fait, ils ont dit non, par conviction, et c'est bien ça qui compte.

Ce jour-là, en Úbeda, on se souviendra que la "bien-pensance" populaire a beuglé longtemps, mais en vain, que Justo Hernández, ganadero vedette de Garcigrande n'a pas eu raison, et que Daniel Luque, matador de toros y figura del toreo, non plus... Le mundillo a dû se résigner et abdiquer. Tout un symbole, en fait.

07 octobre 2010

Les Cuadri pour Saragosse


Sur son site Toro en el campo, Raúl Castro nous donne à voir les huit toros des Hijos de D. Celestino Cuadri élus pour représenter la devise andalouse lors la prochaine Feria del Pilar de Saragosse.

Sur son blog Del campo al chiquero*, il nous permet de les apprécier mieux, en plus grand — précisons que 'Bola', 'Berreón', 'Lagunero' et 'Remendón' faisaient partie des dix prévus pour Madrid.

Le lot très « en type » qui aura été constitué sera combattu au « Coso de Pignatelli » le jeudi 14 octobre à 17h30 par les matadors Rafael Rubio 'Rafaelillo', Domingo López Chaves et Javier Castaño.

Et maintenant amusez-vous à les retrouver dans la profonde et corpulente galerie — près de soixante photographies — immortalisant la visite de Campos y Ruedos à « Comeuñas » en mai dernier.

* Co-fondé avec Josemi (reportage au campo remontant à mars 2010...).

Image Les 42 et 46 devraient être du voyage en Aragón © Campos y Ruedos

06 octobre 2010

Lucas (II)


Nous vous avons déjà présenté Lucas, à l’occasion d’un habillage de Juan del Álamo. Aujourd’hui c’est le Ciego, incontournable figure de notre blogosphère taurine qui y revient.

Lucas... Aujourd’hui, tout le monde l’apostrophe en disant « Lucas ». Mais pour moi, Lucas, c’est Jean-Luc.
Je connais tout d’abord de lui ce petit secret d’éphéméride qui roule dans l’ombre de tout aficionado a los toros de verdad : celui de la première montée aux arènes.
C’était à l’époque des courses du 1er-Mai montées par la peña des Arsouillos sur le sable des — not yet — arènes Maurice-Lauche d’Aire-sur-l’Adour. Avant cela, avec Lucas, on se voyait, de reojo, de bringue en pochetronnade dans ces fêtes étudiantes où personne n’a vu un type avec un livre sous le bras. Lui parlait histoire de l'art. Il donnait aussi des conseils en bricolage et en raccourcis pour aller, par exemple, avec célérité d’Artiguelouve au Poteau de Lanne. Jovial et sombre. Méticuleux et emporté.
Il m’avait vu, donc, avec Jacques Bacarisse et d’autres de feu le Cercle taurin palois nous délecter d’une de ces faenas d’hermine et de taffetas que cousait parfois ce grand tailleur de José María Manzanares. Les aiguilles appartenaient à la maison Rojas, Gabriel pour nous servir. Peu de monde, alors on était descendu se caler en barrera avec la banderole sang, noir et or. C’est là qu’il nous avait repérés. Oh, il ne s'est pas lancé à nos trousses à la fin de la tarde. Pas le genre. Il a digéré et cuvé ce qu’il venait d’encaisser. En grand animal solitaire, ce qu'il aime toujours à être d'ailleurs. Il y avait de quoi.
Quelques jours plus tard nos routes se croisent dans une énième nouba. Je sens qu’il brûle de me faire part de quelque chose. Il se lance. Tout ce qu’il a vu et ressenti ce Dimanche semble avoir bouleversé sa vie. Il me raconte qu'il est venu en terres aturines amené par un ami d’enfance, un Montois, Jean-jacques Loustauneau. Cette après-midi-là sera sa pierre de voûte. Un aficionado est né.
On était rock’n roll à l’époque. Enfin, eux surtout. Jean-Luc se baladait alors en pleine Madeleine montoise avec un casque blond, peroxydation vintage tipo Billy Idol et les tiags en tendido en guise de mocassins, c’était un peu « too much ».
Un jour, toujours flanqué de Loustauneau, on part à Madrid en camion-couchette, cahin-caha. Oloron, la vallée d’Aspe, le Somport d’avant le tunnel, la descente sur Huesca, 80 km/h à tout casser de moyenne, transhumance des passions, on s’arrête. Zaragoza, le « Tubo », les bourrelets du chanteur de cuplé dans la salle aux colonnades en mica, le réveil dans le plus Zurbarán des levers de soleil du monde. Les deux comparses devisent. J’écoute. Ortega Cano c’est Elvis Costello et Brautigan, Manzana c’est le sentier lumineux et Stefan Zweig ! Olé ! C’est parfait ! Ces types sont barjots !
A Las Ventas ce fut Paula, la confirmation de Cepeda et l’éclosion novilleril de Ponce. Paula, c’est parti pour la vie depuis lurette pour moi, mais le petit ver ne s’attrape pas comme cela, sa chasse est difficile... Il faut dire qu’on l’a un peu vu au paseo, pas trop devant les taureaux et plus du tout sous la pluie de coussins à sa sortie ; alors, bien sûr, Jean-Luc n’y croit pas trop.
Il faudra un festival à Villeneuve-de-Marsan pour que, d’émotion, il déchire son mouchoir pour que je puisse avec lui réclamer le rabo pour le chaman de Jerez. J’étais encore venu a los toros avec un vieux kleenex morveux et ça, Lucas, ça le mettait en pétard.
Dans la malle pleine de souvenirs il y a aussi la soirée de siphonnage gratis — au moins deux caisses de fino — dans la cave du Cercle taurin dacquois, à l’époque sanhédrin du mundillo de notables de sous-préf’. Ils avaient convié un pauvre hère à se faire saigner les doigts sur une guitoune à deux balles pour jouer djobi-djoba. Quand j’ai commencé à cracher « A un anciano le peguueee… » le visage du type s’est éclairé, Lucas a fait claquer le jaleo et nos verres n’ont plus connu la misère. C’était comme un fer à souder ces moments-là.
Il y en eut de plus durs. La cohabitation fut parfois houleuse. On n'était pas des caractères entiers pour rien.
Pourtant c’était lui que j’appelais pour filer à Pampelune juste pour voir les taureaux au Gas. On finissait notre nuit garés devant le poste frontière et sa barrière baissée à Arneguy en rêvant au bout de pain qui ferait saigner le jaune d’œuf qu’on laperait en suçotant des yeux les hanches des mordantes Navarraises.
Je crois aussi me rappeler qu’on en a planté des piquets virtuels dans le champ à côté de la maison familiale près de Marciac. Il voulait y mettre du bravo ! et toujours avec ce souci du détail, de l’approche carrée et précise de la problématique. Même pour un fantasme aussi romantique à la Fernando Villalón !
Et puis les capeas. Saint-Sever, Bascons, Estibeaux, Brocas, Pomarez... la voiture et zou ! on retrouvait les prácticos qui s’étaient déjà « cherchés la vie » : les Deck, Sodore, Michel Bertrand, « El Litri », « Une pase un palo », Pons. On croisait des apprentis-novilleros et des débutants avec du lait qui leur sortait encore du nez... Lionelito, Aizpurua, Labarthe, Cañada, Lescarret plus tard. J’aimais y aller avec lui parce que, toujours dans cet esprit de l’amour du « bien hecho, bien dicho » il pliait les capotes comme personne. Alors que moi... j’étais le roi de l’esclavina en portefeuille.
Le monde de l’organisation fériale lui a même ouvert ses bras. Pour les refermer sévèrement. Trop droit, trop romantique.
Puis les étudiantes ont glissé des serre-têtes dans leurs cheveux, ont mis des cardigans, les nuits sont devenues des soirées, la vie semblait nous dire qu’il fallait dorénavant jouer sérieux. Tu parles !
Je me suis mis à écrire.
Jean-Luc à commencé à me lire. Il ne trouvait ça pas mal, même bien.
Il a appris à écouter Camarón et moi Costello.
J’ai testé la sagesse de rester aux portes des tendidos et des tertulias, il s’est mis à courir dans les callejones avec le dos un peu courbé en émettant à mi-voix un « Voy... voy, voy, voy » comme autrefois il disait : « one... two, one, two, three, four ».
Après toutes ces années, sans GPS ou d’heures fixes, avec juste l’envie et la certitude de profiter d’instants précieux on se retrouve. Au coin d’un bar, d’une table, dans l’embrasure de la porte coulissante du fourgon des piqueros. On s’embrasse malgré le regard narquois des lanciers. On parle. Puis il repart.
Quand il s’éloigne je pense invariablement que je ne sais toujours pas monter un estaquillador convenablement et que lui peut réciter la liste des ganaderos du second groupe sans fourcher. Je pense que quand il lit Jim Harrison sur la banquette arrière de la fourgonnette — s'il ne la conduit pas lui-même vers Nîmes, Badajoz, Calasparra ou Madrid — eh bien je dors. Je pense « qu’un coup de dés jamais n’abolira le hasard » alors qu’il s’apprête à nouer un chignon postiche à un type en bas roses qui va tenter de mettre des parenthèses de lenteur dans un affrontement où le sang n’a pas qu’une odeur.

Des amis sont partis, d’autres non. Il a toujours conservé ce feu prométhéen d’un premier jour du mois de Marie et c’est pour cela que Jean-Luc, petit à petit, s’est mué en Lucas. Lucas de Extremadura. Lucas de Salamanca. De Talavante, de Juan del Álamo. Sans esbroufe. Avec sincérité. Lucas de siempre mais Jean-Luc de toujours.
Desde aquí le doy un abrazo grande.
Ludovic Pautier

>>> Sur le site www.camposyruedos.com, rubrique PHOTOGRAPHIES, retrouvez une galerie de l'habillage du novillero.