La corrida est un théâtre à ciel ouvert (quoique parfois). Il y a les acteurs principaux, le
toro et les stars ou parfois simples premiers rôles, et puis la troupe, ceux que le cinéma nomme les seconds rôles. L'histoire est souvent la même, tragique forcément et menée en trois actes. La troupe qui encadre le maître reste souvent dans l'ombre des chroniques ou critiques taurines. Les
peones ne sont que très rarement évoqués, mis à part quand il s'agit de saluer une belle pose de banderilles ou d'invectiver un "frêle"
puntillero. Le reste passe à la trappe, le rideau tombe.
Et pourtant, et pourtant ! Le labeur du péonage est essentiel dans la
lidia d'un
toro de combat et certains aficionados savent encore applaudir la conduite d'une charge à une main (rarissime cependant).
Dès que le
toro sort du toril, toute la troupe s'ébroue discrètement, la
montera à peine en vue derrière le
burladero. Nous avons tort, à mon sens, de ne pas prêter plus d'intérêt aux comportements de ces seconds rôles qui, eux aussi, faut-il le rappeler, prennent de sincères risques.
Mais dans cet univers si particulier des toreros, ce sont tous des toreros, il y a ce me semble, deux catégories : les
peones et les
"peores". Le jeu de mot était facile, j'en conviens. Chacune de ces deux catégories n'étant évidemment pas hermétique l'une à l'autre et il est aisé de comprendre qu'un
peón qui sera excellent une
tarde puisse devenir un infâme tricheur le jour d'après.
Tout commence dès l'entrée en piste de celui qui devrait toujours être la star de l'affiche, le
toro. La logique voudrait qu'il puisse se déplacer à son aise dans le
ruedo afin que le maestro et ses aides aient le loisir d'observer ses réactions. Ce temps doit être court mais bien réel. Or, l'on assiste presque invariablement au même cirque. A peine la tête a-t-elle franchi la talenquère que le
toro est appelé qui à droite, qui au fond, qui à gauche. Mais il y a pire!
Dans les années 1980-1990, à l'époque où Bayonne avait fait des Fraile un étendard de sa féria aoûtienne, il était de coutume de voir un ou même deux
toros se casser une corne en tapant sauvagement contre un
burladero. Spectacle navrant que ces estampes diminuées, bons pour la case abattoir. Plusieurs fois, la suspicion s'est abattue sur certains
peones qui donnaient un lâche et discret coup de cape au moment où le
toro passait à leur niveau. Acte volontaire ? Erreur ? Difficile à dire en vérité. A qui profite le crime ? Peut-être au matador content de faire sortir le
sobrero (souvent d'un élevage différent) et de trouver là un prétexte à expédier la chose toutes affaires cessantes. Peut-être, sait-on jamais.
Certains maestros, dépassés ou manquant d'
entrega, laissent le soin à un
peón d'amener le
toro au cheval. Passes courtes par le bas,
recortes anachroniques et destructeurs à ce moment-là de la
lidia, voilà la scène qui nous est alors proposée. Nonobstant, on pourrait dire la même chose de ces matadors qui accueillent leur adversaire, dès la sortie du toril, par des
chicuelinas comme Juan José Padilla ou César Jiménez qui avait coutume de le faire étant novillero (je ne sais pas s'il continue, n'ayant pas eu l'occasion de le voir récemment).
Durant les piques, le cinéma continue. Observez bien certains subalternes se placer derrière le
burladero (au niveau du cheval) pour inciter la bête à charger la cavalerie. Padilla, toujours lui, aime le faire aussi, en corrida-concours...
Et l'on arrive au plus insupportable car le plus flagrant et le plus visible. Le placement d'un
toro pour les poses de banderilles. Pantomime de lidia ! Le
toro reçoit alors des dizaines de passes sans fondement, le plus souvent des passes basses et cassantes, peut-être volontaires. Comment voulez-vous qu'après l'épreuve de la monopique assassine actuelle et après ces passes qui sont déjà une
faena à elles seules, le
toro puisse répondre décemment aux cites du maestro ? N'oublions pas également que ces passes, si mal données souvent, peuvent induire l'apparition de "défauts" dans le comportement d'un
bicho jusque-là franc. Ces pratiques sont malheureusement devenues monnaie courante. Pour s'en rendre compte, il suffit d'observer les réactions d'un matador qui a décelé que son opposant pouvait lui permettre le triomphe. Le
toro est alors relativement épargné lors du second tiers et il n'est pas rare d'entendre le maestro crier sur un peón donnant trop de passes.
Vient la partie "comique" de cette pièce en trois actes. Acte III donc. Prenons par hasard Antonio Barrera,
matador de toros apodéré par la
casa Chopera. Un certain dimanche du mois de mars 2006, M. Barrera se retrouve face à un
toro "sin pena ni gloria" des Herederos de Don Celestino Cuadri Vides. La charge est franche quoique lourde et le torero nous ennuie au plus haut point. Pas une étincelle, peu de
dominio ni de conduite de la charge, bref une
faena de plus qui attise les baillements. Tout-à-coup, et quasiment dès le début du troisième tiers, s'élève un
"biiiiiiiiiieeeeeeeeeeeeennnnnnnnnnn" du
callejón. Les regards cherchent, furètent, puis découvrent le caprin ou l'ovin, comme vous voudrez. Le
peón de Barrera, en transe certainement, a gueulé (il n'y a pas d'autre mot) tout au long de ce travail qui fut l'incarnation de l'insipidité. Pauvre Barrera, déjà en-dessous ; comment n'a-t-il pas demandé à son aide de la fermer ? Le ridicule ne tue pas, on le sait. Ce genre d'anecdote devient de plus en plus familière dans les
ruedos. Cela va de ces cris gutturaux aux demandes menaçantes de pavillons et récompenses depuis la contre-piste (les
empresas et
apoderados ne sont d'ailleurs pas en reste). Souvenez-vous, public vicois, de ce tour de piste honteux d'El Andaluz qui pensait réparer l'injustice faite à son maestro Richard Milian. Ces
peones sont les
peores, je le maintiens.
Enfin, puisque la mort clôt la représentation, il faut bien évoquer ici les subreptices manoeuvres de quelques sbires qui, depuis le
burladero, donnent un coup de cape assez clair pour que le
toro aille dans la bonne direction au moment de l'entrée
a matar. N'en jetez plus la coupe est pleine ! Faut-il souligner, à décharge, que nombre de ces agissements sont purement et simplement commandités par les matadors ? Oui, il faut le dire et le redire, les ordres tombent toujours d'en haut ! J'en oublie certainement mais déjà longue est la liste. Les temps m'inspirent peu d'espoir de voir changer ces pratiques et je préfère garder en moi l'image de ces
peones qui, là, ne sont pas les
"peores", déboulant sur le sable pour sauver la peau d'un compagnon, quel qu'il soit.
¡Eso sí!