À sa droite, un membre de la Junta saisit le micro qu’on lui tend et assure que cette dernière s’est efforcée de monter les meilleurs
carteles possibles, des
carteles à la hauteur, bien évidemment, de la qualité de l’
afición bilbaína... Un mot sur le micro antédiluvien qui, une fois la surprise passée, participe grandement au charme terrible de cette cérémonie en diffusant un son métallique insolite. Le politique de service ayant remercié son auditoire, il transmet le micro à l’aficionado (dont je n’ai point retenu le nom) chargé de présenter l’élevage du jour. Une présentation à l’image de la tenue vestimentaire du monsieur : très classique.
Drriiing !!! Aucun doute permis, il ne peut s’agir d’un portable qui, soit dit en passant, restera impérativement fermé. La sonnerie est aussi désuète que le microphone ! Les choses sérieuses vont pouvoir commencer. Tous les repères dans l’espace vont être donnés à partir de ma place, quasi idéale
2, car elle permet de voir les trois ouvertures par lesquelles les
toros seront successivement menés. Bang ! La porte de droite (non visible sur la photo et située en face des officiels) s’ouvre aussi violemment que celle d’en face à gauche (en haut à gauche sur la photo) est ouverte calmement et simultanément, à l’aide d’une corde, par l’homme en blanc voisin du président. Un
cabestro muy tardo finit par pointer son mufle et traverser la fosse pour rejoindre le corral en face à gauche, puis par retourner (les deux portes étant maintenues ouvertes) d’où il vient, et ce, deux fois de suite. À la troisième, le voici accompagné de deux
toros. Cette scène se répètera quatre fois, car quatre fois deux
toros plus le sonnailler défileront sous vos yeux. Bang ! La porte de droite se referme, celle d’en face à gauche s’ouvre et, via un passage par la fosse, les trois cornus s’engouffrent dans le corral ainsi découvert et s’y retrouvent emprisonnés, car notre homme en blanc a repoussé, immédiatement mais sans empressement, la porte à l’aide d’une perche. Malgré la rapidité des bêtes et l’efficacité des hommes, j’ai pu apercevoir un
toro, bien ingrat et un peu nerveux, charger notre cher et "brave"
cabestro qui a, avec beaucoup d’expérience on l’imagine, prestement esquivé l’agression. Aussitôt, le
corralero tire sur sa corde pour libérer un des
toros dans la fosse. Ceux-ci, ne trouvant pas d’issue, sont instinctivement attirés par la seule sortie possible, à savoir la porte par laquelle ils sont arrivés. À ce moment-là, les deux
toros convoitent la place dans la fosse qui n’en accueillera qu’un seul... Eh bien, il faut avoir assisté une fois dans sa vie d’aficionado à
la faena del corralero vestido de blanco, consistant à manœuvrer la lourde porte du corral à l’aide d'une perche, pour (sa)voir comment il est possible d’empêcher, et avec quelle délicatesse, un taureau de combat de 540 et quelques kilogrammes d’aller où il veut !
La bête est là dans toute sa majesté, menaçante, inquiète et frémissante. Elle hume l’air, contient sa colère, agite les oreilles, bascule ses cornes en arrière et le
morrillo enfle. Tandis que nous scrutons son armure fine et
limpia, son dos fort et
cárdeno, sa silhouette sèche et
musculada, le chef d'orchestre Matías González nous donne son ordre de sortie (ou s’il est
sobrero, son rang ; les
sobreros,
muy serios bien entendu, appartenant à la même
ganadería : quel luxe !), le nom de son matador ainsi que sa carte d’identité (numéro, nom, date de naissance, pelage et poids). Une fois les mots envolés, la porte coulissante (en haut à droite sur la photo) glisse et invite le
toro à rejoindre son
chiquero. C’est au tour de son frère de pénétrer dans la fosse et de nous ravir du même spectacle. Une mise en scène précise, huit fois répétée, toujours différente.
L’impressionnant ballet terminé,
don Álvaro Martínez Conradi reçut droit au cœur, en guise de félicitations et de remerciements, les applaudissements nourris de l’assistance. Cette dernière quitta les lieux pour se rendre massivement aux corrals — les lots que j'y ai vus, au travers de persiennes "tue-photos", me parurent bien fades, même à Bilbao, en comparaison de celui que je venais d’admirer. En effet, ce dimanche matin, huit
cuajados et
entipados toros Santa Coloma-Buendía de l’élevage de La Quinta éblouirent la fosse. Certes, la situation en hauteur écrase et permet très difficilement de juger de la juste stature des bêtes, mais quand la nette sensation d’avoir vu, comme ce fut précisément le cas, huit fois les mêmes
toros vous étreint, quelque chose vous dit que l'on ne vous a pas servi des sardines de la
ría voisine. La grande homogénéité de ce lot excellemment présenté et
limpio valait à elle seule le déplacement. Dans le fond, qu'importe si l’après-midi la course ne fut "pas bonne"...
Enfin, et comme l’a si justement écrit Thierry Vignal dans son
Petit guide du pèlerin de l’apartado
à Bilbao, cet
apartado « vous donne le sentiment que la tauromachie est tout de même autre chose qu’un divertissement ; que ce n’est ni du cirque, ni du cinéma, mais autre chose. Pour le reste, l’
apartado se vit ; il ne se raconte pas. »
1 Discours rituel (les noms propres changeant) piqué dans
Petit guide du pèlerin de l’apartado
à Bilbao, de Thierry Vignal,
TOROS n° ? (désolé, mais je n’ai qu’une photocopie à ma disposition).
2 Se placer à la gauche des officiels vous permettra certes plus sûrement de capter le regard des bêtes qui, lorsqu’elles viennent de pénétrer et d’être emprisonnées dans la fosse se retournent instinctivement vers la porte refermée ; mais il devient problématique et peu judicieux de prendre en photo les
toros, particulièrement stressés (il n’est pas rare de les voir déféquer) et tous sens en éveil.
Épisodes précédents Cliquer sur
L’apartado à Bilbao (I) & sur
L’apartado à Bilbao (II) ; bien conscient du décalage existant entre la publication de ces lignes et la fin des Corridas Generales, je tâcherai pour l’année prochaine de rédiger un résumé...
Image Un La Quinta dans la fosse aux
toros ©
Campos y Ruedos