« Le pays de mon enfance ».
- « C’est décourageant, ils ne feront jamais le plein ici » me glissait un ami en début de corrida. L’
afición aturine se cache et se demande sans cesse qui elle est. Elle ressemble à ses arènes, bordées par l’Adour qui aime les
toros jusqu’à son embouchure mais dissimulées par une armée de platanes ombrageux. Pour nous, jeunes du coin, elles furent un terrain de jeux, un lieu initiatique. On faisait l’apéro tout en haut en regardant le fleuve. Mille fois on y a refait le monde, nos voix remplissaient le vide du
ruedo. Quand l'ivresse était là, nous étions toreros,
toros, dans la nuit, cachés par les platanes, protégés par l’Adour. On escaladait les grilles comme des voleurs de poules, ça nous faisait bien rire au retour quand il fallait descendre. Je repensais souvent, dans ces moments précis où l’équilibre devient incertitude, à la photographie de ces mômes de Madrid, collés comme des araignées aux motifs mudéjars du
coso venteño ; tout ça pour voir un bout de corne. L’
afición !
Pourtant, l’
aficón aturine se cache et se demande qui elle est. Les arènes Maurice Lauche ne se remplissent pas, même Victorino échoua. Aire n’a pas de ligne éditoriale, elle n’en a jamais eu. C’est ainsi, une valse d’
empresarios, un ballet de la magouille. Chopera, Piles/Yonnet, Casas, Folque de Mendoça, tous s’y sont écorchés. L’éleveur portugais a réveillé l’espoir. Un espoir
torista, Victorino et les Palha. Que demandait le peuple ? Tout alla
"a menos", jusqu'à l'insulte immonde de cette corrida tronquée de l'année 2005. Des palha afeités, coupés, escobillés. La
fiesta tronçonnée. Le
mayoral faisait la tronche en voyant le Nikon, on sut vite pourquoi. Folque de Mendoça est un tricheur, il n’y a pas d’autres mots. Il ne fut pas le seul. Une année, Aire ouvrait les bras à la légende Pablo Romero. Le gris des Gallardo se couvrit d’un rouge sang honteux, les cornes pleuraient l’intégrité dès leur entrée en piste. Pitoyable !
Sans ligne éditoriale, sans idée directrice, point de salut.
2006. Welcome M. Lartigue.
Vamos a ver.
Corrida-concours de
ganaderías. Bonne idée, initiative heureuse.
Il y avait un peu de tout question
encastes. Du Vega-Villar (Paco Galache), de l’Urcola (Caridad Cobaleda), du Pinto Barreiros par Yonnet, du Juan Pedro Domecq (Gallon), du Jandilla (Blohorn) et enfin du Santa Coloma
ibarreño (Hermanos Clemares). La variété est l’intérêt de ces corridas, le contrat était rempli sur le papier. Néanmoins, organiser une concours, c’est s’assurer que l’éleveur fusse de la partie. C’est s’assurer qu’il a choisi lui-même son
bicho, qu’il joue le jeu. Mais nous sommes à Aire, malheureusement. Il semblerait que M. Lartigue, qui travaille en collaboration avec M. Jalabert, ait des lots de
toros à écouler. Clemares, Galache, on en voit partout cette année. Etrange, étrange. A mon avis, ça ne coûte pas très cher tout ça.
Victorino Martín vient de racheter une moitié de l’élevage de Paco Galache, la partie Vega-Villar qui passa un temps entre les pattes d’un certain Encinas. Le
paleto veut certainement adoucir ses Monteviejo et il a, semble-t-il, frappé à la bonne porte. Il lui faudra cependant régler les problèmes de faiblesse.
Le Galache, bien dans le type Vega-Villar, bas, fin et bien armé a montré un joli caractère tout au long de sa vie publique. Il prit deux piques en
bravito, deux piques ternies par une faiblesse crescendo. Vilches distilla deux ou trois gestes sévillanissimes mais la main ne put jamais tomber.
Quand se présenta le Caridad Cobaleda, on me glissa à l'oreille :
"Tu te souviens de cette rumeur sur la 14ème vertèbre des Miura ?". Oui, je m'en souvenais. J'avais du le lire dans
Miura de Tío Pepe. Le mystère sans fond, comme souvent à Zahariche. Toujours est-il que ce Caridad avait, lui, sa 14ème vertèbre. Un cou comme un yoyo, une pauvre paire de
pitones gris, le manque de
trapío dans tout son désespoir. Un
toro sans caste, pas vicieux pour autant, une flatuche des temps modernes. Il permit cependant d'assister à la plus belle pique de la journée. A la base du
morrillo, elle fut toute de maîtrise cavalière, une contention ferme dans la mobilité. Amaya usa d'un
toreo profilé, sans fond comme le mystère
miureño. Toujours décentré, déviant les trajectoires à la périphérie, il ennuya son monde.
Douce france ! Lescarret versus Yonnet !
Hubert Yonnet était là, sur les
tendidos, paraît-il. Ça doit gonfler de voir ça. Un
toro élevé pendant 4 ans, un
toro con trapío, armé correctement avec un vrai moteur. Mal mis en
suerte aux piques, trop encasté dans le dernier tiers pour un Julien Lescarret débordé et petit bras, le Yonnet fut pourtant l'animal de l'après-midi, un vrai
toro de combat. Hubert Yonnet doit être un homme sage et savoir qu'il y aura encore beaucoup de ses
toros qui finiront ainsi, sans que leur valeur puisse être reconnue.
And the winner is ! Un noiraud tout bas de la famille Gallon, mal armé, pas très beau. Sa charge est longue et nette, Vilches se régale déjà.
1ère pique : le
toro part avec allégresse, rencontre la monture, sent la piqûre dure et puis... rien, c'est fini. Deux secondes de pique, la
plaza est debout. Quelle beauté, quel dosage ! Je frémis.
2ème pique : le Gallon, toujours alègre, pousse mieux qu'à la première. Le châtiment doit durer trois secondes de plus. Génial, déchaînement des mains. Je vais pleurer je crois.
3ème pique :
regatón ! Oui, regatón ! Oh la la ! Le
tercio de l'année. Erection.
Vilches mangea de ce bonbon.
Toreo stylé,
temple, le "dessin" est arrondi et la
pata si sévillane, ici en bords d'Adour. Evidemment, le
torito obtint le prix. Evidemment, le
piquero décrocha aussi le trophée pour... n'avoir pas piqué. Hubert Yonnet doit vraiment être un homme sage et raisonnable.
On parle souvent d'harmonie pour qualifier le
trapío, d'équilibre des lignes, des formes. Le
toro de Blohorn était venu donner un cours, que dis-je une conférence, sur ce que n'est pas le
trapío. Démonstration verlan, quasi absurde. Sa tête surnageait trois étagères au-dessus du cul, un cul de la famine. Quelle laideur ! A croire qu'on l'avait lipposucer, avec une rage excessive. Amaya refit du Amaya, à la banlieue du sitio adéquat.
L'ultime de Clemares était laid lui aussi. Un grand corps lourd avec une tête... anodine. Ouh la vilaine chose ! Lescarret refit du Lescarret. Un coup je te fais deux naturelles correctes et puis vas-y que je trépigne et voilà un
molinete. Un terrain à gauche... oh, et puis non, on va aller là-bas à droite... à moins que... Triste Lescarret que le pays défend, malgré tout, malgré tout ça.
M. Yonnet doit être un homme raisonnable et sage, c'est certain. Mais les prix n'ont pas d'importance en définitive.
M. le président, l'an prochain, ayez l'obligeance d'interdire à la
banda de jouer pendant l'
arrastre des
toros. Que les mauvaises traditions montoises restent "au Moun". Nous avons le droit, nous les passionnés, de pouvoir applaudir un toro, de le siffler si bon nous semble ou de faire entendre le silence. Pensez-y !
En rentrant, l'Adour était plus noire, il y a eu de l'orage plus haut, c'est sûr.