14 juin 2006

Viconographie (II)


Si un fleuve coulait à Vic, je me serais appuyé sur le pont, au-dessus de l’eau claire, j’aurais déplié une paille géante quatre couleurs et j’aurais siphoné le tout d’un trait, d’un souffle, en faisant même du bruit à la fin pour finir et ne pas en laisser, comme les mômes qui agacent leurs parents.
J’avais soif de tout ce qu’on avait bu cette nuit.
Le dimanche matin, c’est "Vic-Fezensec" !
Corrida-concours, "Domingo de Resurección" en Gascogne, sans croix ni couronne d’épines, un dogmatisme heureux de la bravoure et de la caste, seulement, et c'est déjà tant.
Cette corrida-concours ne fut pourtant pas digne de ses sœurs de 2005 et surtout de 2004.
Le choix des encastes était intéressant sur la feuille de match car il permettait aux passionnés d’apprécier le combat de deux pensionnaires Coquilla, chose rare par les temps qui courent. Que nenni !
Rendons tout de même hommage à ces Vicois qui ont résolu aujourd’hui l’abracadabrantesque problème de la langue bleue. Vic et "nulle place ailleurs" !
Selon nos sources, le staff du CTV se fournit désormais du côté du Wyoming, Etats-Unis. Le trajet est plus long mais là, pas de mesquineries moucheronesques.
En troisième position sorti donc un toro annoncé de Valdefresno, venu tout droit du Yellowstone. Toro coquet de surcroît, mise en pli de mariage (carifosco), manucuré comme une héritière andalouse, une vraie laideur à quatre pattes.
« Un bison ! » s’exclamèrent nos voisins, rang 9. 650 kilos (au moins) de viande et deux bananes bien mûres pour arrondir le tout. En 1994, le second Dolores Aguirre Ybarra avait été remplacé par un truc semblable (mais plus haut) de La Cardenilla, un « bison » lui aussi, tout frisotté et tout con, un manso perdido.

Les autres furent présentés correctement, "na' más".
Le Justo Nieto, calcetero, lucero, quoique différent des cousins de Barcial car plus haut et plus fin, entra en piste avec la corne droite totalement escobillée. Ça craint !
Le Valverde était commun et le Zaballos armé large.
Les Coquilla, par Sánchez-Arjona et Sánchez-Fabrés, sont restés inédits. Le premier fut changé par un assez bel exemplaire de Diego Garrido ; le second, asaltillado, ne montra pas grand-chose, à moins que ce ne soit "l'espoir" Iván García qui nous rendit aveugle. Je penche pour la seconde option.

Les Armagnacs d’Eauze, alignés comme dans un bus vertical, sont vêtus de rouge et blanc. Un canotier dit qui ils sont. Devant eux, c’est Mozart qui nous montre sa perruque, un ersatz de Wolfgang, hommage au maître. Ils auraient pu jouer le « Requiem » mais c’eut été trop beau encore en comparaison avec le spectacle dans la fosse. Il y a mille façons de rendre hommage et même un piquero peut être Amadeus, trois minutes dans sa vie.

'Trublión' s’élança comme Wagner aurait lancé ses Walkyries, une furie dévastatrice. Au tapis rossinante. Violent !
El Pimpi remonta ; les gammes étaient faites, lancez les violons. La pique fut énorme, maîtrisée, "a caballo levantado" puis douce et harmonieuse, Mozart niquait Wagner. De la grande musique de bois et de fer.
Ovation de gala, évidemment. La seule de la matinée, la seule méritée d’ailleurs.
Après Mozart, le rock ? Même pas. Le Fundi se contenta d’être là, surtout à son second (mise à mort à la Javier Conde). Un passage par Vic pour les stats. Même en chef de lidia, il ne fut qu’à moitié présent. Ça arrive.
José Ignacio Ramos est un bon tueur. On se passait le mot rangs 9 et 10, ça rassure quand on voit le reste. José Ignacio Ramos tua mal, très mal. Ça arrive.
Iván García est un jeune prometteur. On se passait le mot rangs 9 et 10. Il est blond et pour paraphraser Arthur Rimbaud, « on n’est pas sérieux » quand on est blond et torero. Ça fonctionne mal, c’est comme ça. Iván García fut mauvais, débordé et sans recours. Ça arrive.
« T’as vu, ils ont piqué les serviettes du resto ». Ça y est, le n° 25 ou 26 du rang 10 se réveille. C’est dimanche matin, d’habitude il n’est pas là. "Vic-Fezensec" pour lui aussi mais un peu moins cette année, alors il est là.
Le 26 ou 25 rectifie : « ils ont même embarqué la nappe, plus de respect de nos jours ». Et vertes les serviettes, très vertes et nombreuses à notre gauche, en plein cagnard.
« T’imagine, les mecs ils pensent à venir ici avec déjà l’idée de faire changer les toros, au cas où ». Là, le 26 ou 25 est vraiment outré, ironiquement outré. Ce n'est pas faux finalement, ni cette réflexion ni la demande légitime de personnes passionnées et qui agitent un pañuelo verde.
Rang 9, tendido sol, à gauche le toril, à droite la présidence, au milieu les questions. On serre les paluches devant, derrière, ceux qui ne sont pas abonnés observent le manège.
« C’est quoi ce matin les toros ? »
- Des Espioja.
- Connais pas ! ». Ça rime !

Aux premières chaleurs, la mouche est bienheureuse. Il y a du bovin pour jouer en bande, six morceaux, du choix moyen, mais six morceaux quand même. La mouche est bienheureuse en ce samedi bleu mais son trépas est proche, imminent. Elle furète, alègre, se pose sur un oeil, décolle puis revient. Une mouche quoi. You gonna die... la mouche ! Gobée, happée par la plus grande bouche de ce coin de Gascogne, toujours en alerte, prête au crime. Savalli est enthousiaste, la bouche grande ouverte, trop ouverte. L'enthousiame novilleril est louable, la morgue injustifiée, insupportable.
Un "violín" à son premier fait entrer Padilla dans le callejón. Brindis oblige et les mouches se planquent pour ne pas finir dans ce gouffre de l'autosatisfaction. Padilla, que certains nomment "Palidia" (clin d'oeil), distille ses conseils. Aucune importance, Savalli fait n'importe quoi ou à peu près. Peu centré, jamais croisé, ramené sans cesse en querencia, il se leurre et leurre le public qui tape des mains comme à Guignol. Effarant ! 2 novillos, 3 oreilles, 500 mouches portées disparues.

Benjamín Gómez était là. Ah bon ? Tu l'as vu où ?
Et Esteve ? Bof, ma foi, il resta en retrait, pas dérangeant pour deux sous, ni pour Savalli "bocabierta", ni pour son second novillo relativement noble et collaborateur.
Une matinée de toros pépère, comme on en voit souvent. Une "ballade des gens heureux" qui n'en finissent pas d'applaudir tout et son contraire et surtout son contraire. Pas une pique en place, des cariocas de gala et tout le monde il est content. Et ces novillos, mon cher, ne les méritaient-ils pas tous ses claquements de mains ? Ah ma bonne dame !
Rafael Da Silva quitte le ruedo, castoreño en main, la plaza est droite comme un i, le point c'est le soleil.

'Velonero' observe quelque part, à l'ombre. Qui le regarde là ? Il doit être écoeuré. C'est l'autre qu'on encense. Pourtant, pourtant, pourtant.
La première fois, il a dézingué le Da Silva d'un pet, juste du bout de la corne gauche. Et vlan ! La fois d'après, il a poussé bien droit, la tête fixe longtemps, très longtemps, comme 'Garapito'. L'autre, il lui a collé la pyramide bien dans l'épaule gauche, là où il ne faut pas. On ne peut pas dire qu'il n'avait pas le loisir de rectifier le Da Silva vu la distance si courte de la mise en suerte. Bravo la cuadrilla. Oui, il doit être écoeuré et pas qu'un peu même. La troisième fois, il a fallu que ça gronde pour qu'il y ait une troisième fois. Stupide présidence. Heureusement, Encabo avait compris le bruyant mais juste message. Troisième fois donc. Mieux que les autres encore, droit vers devant, les yeux dans les "oeillets", pas à pas, sûrement. La plaza comme un i, le point c'est le soleil. Et dans l'épaule !
Stupide présidence, l'arme devait être retournée.
Rafael Da Silva quitte le ruedo, bon cavalier, piètre viseur. La plaza comme un i. Le reste, je m'en fous. 'Velonero' fut bon, brave et encasté (même avec sa charge la plupart du temps à mi-hauteur). Padilla et ses padillesqueries habituelles, Lescarret dépassé et ces Charro de LLen dépareillés, grands et sans réel trapío. Le reste, je m'en fous, sincèrement. Merci 'Velonero' !
De Vic vers les Landes, le soir après la corrida, la lumière rouge orange fuit vers les Pyrénées encore blanches. Le Gers est beau, "hil de pute". On reviendra l'an prochain parce que 2006 ne pouvait pas être 2004 et n'est pas 2007. C'est aussi simple que cela les toros, une évidente incertitude et puis... le Gers est beau, "hil de pute".