Dans la vie, il y a les cow-boys, et les indiens. Et moi, du fond de ma cour de récré, je me sentais généralement l'âme du bon, du pur, du rasé de près, mèche blonde parfaitement ondulée sur mon front de visage pâle, plus à mon aise dans le rôle de la sainte nitouche puritaine, au colt pas feignant et plutôt habile, que dans le rôle de l'infâme sauvage, hurlant comme un veau, à peine frusqué d'une peau de raton laveur en guise de cache-burnes, trois plumes d'aigle dans une tignasse hirsute et grasse, avec pour seule ouverture sur le monde extérieur, le scalp frais d'un yankee...
C'est culturel et de plutôt bonne guerre, dans le sens où, instinctivement, l'on se fie d'abord à ce qui nous rassure parce que ça nous ressemble.
Et puis, les années passent, et j'ai ouvert quelques bouquins et entendu trois palabres, passé des nuits entières avec Lévi-Strauss, Lewis Morgan, Bastide ou Voltaire, et me suis tourné vers l'autre, l'inconnu, celui que personne ne voulait incarner dans nos jeux de drôles. Ce sauvage, à l'apparence d'humanoïde et au mental de marcassin, m'est apparu sous un nouveau jour, et j'ai même fini par le trouver "bon".
En effet, j'ai parfois été stupéfait par tant de pertinence, de connaissance, d'esprit, et même ai-je compris que je lui devais beaucoup, tant dans mon confort quotidien, que dans ma modernité, et j'ai été ému d'apprendre que les miens ont été souvent plus barbares avec lui et ses frères que je n'aurais imaginé cela possible de sa part.
C'est l'Histoire de l'Homme. Celui qui parle fort et bâti des églises a souvent eu tendance à faire fermer la gueule du petit bronzé rigolo à grand coup de pétoire, pour mieux violer sa femme et faire réciter trois Pater et deux Ave à ses mioches.
On ne refera pas le monde, surtout pas l'Histoire, mais ceux qui l'ignorent ou en seraient perplexes, ceux-là, oui, me posent un velu problème.
Qu'ils ne sachent pas me peine, mais j'assimilerais davantage leur perplexité à une maligne affaire. Voici donc où je veux en venir :
Il y a donc les cow-boys et les indiens, et puis, dans une toute autre mesure, convenons-en, il y a les "toréristes" et les "toristes". Je la ferai courte en vous rappelant que la mythologie taurine, façon presse libérale autorisée, définit le "toriste" de l'an 2000 comme anti Domecq névrosé et frustré, alcoolique et gueulard insatiable, fâché avec la savonnette, ignorant et intellectuellement fade puisque n'ayant aucun penchant pour le Beau, pour l'Art ou les finesses de l'Esprit. Etre abject manifeste et connard improbable, le toriste a le don de friser les rouleaux de celui auquel tout l'oppose : le torériste. Celui-ci, à l'inverse, incarne le raffinement, jouit en se pinçant les lèvres pour ne pas pas réveiller le voisin, danse la valse de Vienne et ne pète que dans la soie. Il sait les choses et les comprend puisqu'il les théorise himself, aime le beau geste, désavoue l'excès et n'hésite pas à retourner les manches de sa chemise Sorteo pour mieux tendre la main à son prochain. Voyez donc où l'on en est...
Vous n'êtes ni l'un ni l'autre ? C'est normal... Pourquoi ? Parce que ni l'un ni l'autre n'existe. Ou si peu. Juste une vue de l'esprit de médias mi-girouettes mi-petits-bras qui, en manque d'affection d'un auditoire qui, jusque-là, les baisouillait jusque sous les aisselles, assurent désormais que le torisme est une "mode", une "fantaisie", voire un "lobby" qui serait à l'origine de la décadence de la diversité génétique du ganado bravo ! Car ce que l'on vous révèle enfin sur la nature déjà nauséabonde du toriste, c'est que l'énergumène n'aurait en fait attrait que pour l'exagération physique d'une bête enflée, aux pitones raides comme les perches de Twickenham, prompts à égorger une armée mongole au moindre balancement de teston, et que c'est pour cette raison-là que la pluralité de l'intarissable patrimoine génétique taurin, s'est réduite à "peau de zob" ! Or, ce farouche et méprisable individu, que l'on nomme occasionnellement "ayatollah", n'existe pas plus que les promesses électorales d'un président en campagne.
L'intoréabilité à tous prix de bestiaux plus tordus qu'un dictateur libyen dont on vous dit que ces toristes raffolent, est, selon toute raison, un leurre de gratte-papier, une rumeur d'ivrogne, une manière grossière d'enterrer l'épagneul dont vous vous êtes évertués à affirmer qu'il avait la rage.
La notion de torisme n'est pas née sur un échantillon aussi grossier de théorie pâtissière, vous vous en doutez. Ni plus ni moins que ce torériste enchanteur qui, pour le coup, ne serait que grâce et bienveillance dans cette affaire. Ce serait, pour tout dire, un peu facile. De là à penser que ceux qui l'affirment nous prennent pour des canards sauvages, il n'y aurait qu'un pas, un seul. Franchi...
Qu'on se le dise, ce torisme-là est autrement plus profond et raisonné. D'abord, il y a le toro, de trapío sans excès, dans le type de la "maison", c'est-à-dire correspondant aux particularités physiques de sa lignée (ce qui induit une connaissance minimum de la généalogie brava), ensuite, son traitement avant et pendant le combat, et, surtout surtout, son intégrité (encore faut-il vouloir s'en émouvoir). Puis, viendra sa lidia (impliquant un certain sens de l'observation physique, comportementale et psychologique quant à une situation donnée). Comme vous le voyez, juste un basique concept qui s'évertue à replacer théoriquement le toro au centre de toute pensée en tant que protagoniste essentiel et fondamental, tout en encourageant, je l'assure, toutes autres notions engageant l'évolution du toreo, à la seule condition que ces dernières s'adaptent à l'élément incontournable autour duquel tout doit s'articuler : le toro intégral. Ainsi, le torisme ne s'est donc justifié historiquement que lorsque l'évidence du "combat avant tout" s'est vue remise en cause par une notion nouvelle et plus rafraîchissante : l'Esthétisme. Quand le Beau est venu de la gestuelle, l'Esthétisme est né au sein du dictionnaire taurin, et a engendré, par défaut, le torisme. Rien de grave en somme, si ce n'est qu'avec le temps, cet Esthétisme a acculé le torisme dans un rôle de gardien du temple, ce qui, vous l'avez compris, empêche depuis les fossoyeurs du mundillo, de mener trop paisiblement leurs tristes besognes.
Ainsi, je vous l'affirme, cet abruti sanguinaire que la presse « baraque à frites » s'obstine à discréditer pour mieux défendre ses intérêts, cet être improbable, ce sauvage hirsute sans fond ni contenu que l'on affuble d'un accoutrement de toriste (qui induirait qu'à l'inverse le torériste aille aux arènes pour y abhorrer le toro), fait clairement la différence entre Domecq et Juan Pedro, entre un petit Santa Coloma cornicorto et un immense Miura corniabierto, un toro grand, gros et très armé avec un toro de trapío, bien fait, dans le type. Car, cet infréquentable toriste, c'est vous, c'est moi, c'est l'aficionado, ni plus ni moins, qui, par essence, s'est passionné d'abord pour l'Art de combattre... le toro.
Ensuite, il devient Belmontien ou Galliste.