Autour des arènes de Céret, le 13 juillet 2008.
« Viens Olga, on va voir si c’est ouvert… Mince, c’est fermé… Tu vois le monsieur tout en blanc, là ? C’est le boucher.
— Où ?
— Là, avec les bottes blanches.
— Comment il s’appelle ?
— Le boucher… c’est le monsieur qui découpe les
toros… »
Un silence un peu plus grand que ma fille s’étire ; elle venait de mettre la main sur celui qu’elle cherchait.
En juin dernier, dans «
Juin 1933, Le Toril », nous avions vu que le journal toulousain émettait de gros doutes sur les poids des novillos de Moreno de la Cova communiqués par l’organisation vicoise. Celle-ci annonçait une moyenne de 305 kg (poids « en canal » ou poids de carcasse) tandis que les Toulousains revoyaient cette moyenne à 275 kg, après s’être enquis du
« poids vif des bichos au passage à la douane »... Et dire que dans son article,
Le Toril ne nous donne pas ses chiffres ! Cela aurait été une aubaine et une bonne vieille règle de trois aurait suffi pour avoir une idée de la proportion poids vif/poids « en canal »
1. Qu'importe, en partant du principe que la définition actuelle d’une carcasse doit ressembler de très près à celle de 1933, et qu’une carcasse de bovin, qu’il soit brave ou non, reste et demeure une carcasse de bovin, nous allons tenté d’attribuer un poids vif moyen au lot de novillos de Moreno de la Cova combattu à Vic en 1933
2.
C'est quoi une carcasse ? D’après le
Dictionnaire des sciences animales établi par le
Cirad, il s’agit du
« corps d'un animal abattu pour la consommation humaine après dépouillement, éviscération et enlèvement de la tête, des pieds, de la saignée (parties de muscles entourant le point de saignée), des mamelles et des organes génitaux. […]
Elle est constituée par l'ensemble du squelette (moins la tête et les extrémités sectionnées au milieu des carpes et des tarses) et des muscles ; les reins […]
, la hampe, l'onglet (diaphragme) et la queue restent adhérents à la carcasse. » Voilà, c’est ça une carcasse, et pas autre chose.
En espagnol,
« en canal » signifie carcasse... Ancien vétérinaire des arènes de Bayonne, Pierre Daulouède
3, à propos d’une corrida de Miura sortie en 1983 à Lachepaillet, affirme :
« Ces toros
pesèrent vifs : 541, 470, 571, 648, 624 et 567 kilos, soit 573 de moyenne (chiffres déduits des poids en canal représentant environ 60 % du poids vif : 325, 282, 343, 389, 374 et 340 kilos). » Citation ô combien précieuse puisque le poids vif, comme il l’est clairement exprimé, a été évalué à partir du poids de la carcasse.
En 1955, dans
La vida privada del toro, Luis Fernández Salcedo, abordant la question de l’augmentation journalière du poids du
toro, écrit :
« Les premiers [qui seront lidiés à Madrid]
auront augmenté leur poids de 80,5 kilos en sept mois, soit une carcasse prenant 0,380 kilos par jour, ce qui équivaut à 0,638 kilos en vif avec un rendement de 60 % ».
Le règlement taurin en vigueur actuellement (Real Decreto 145/1996) indique que le poids minimum des
toros à combattre dans les arènes de 3° catégorie devra être de
« 410 kg à l’arrastre
, ou de 258 kg, son équivalent « en canal ». » Ainsi, la carcasse constitue(rait) 62,9 % du poids vif, et un
toro ayant rendu un poids « en canal » de 336 kg pesait 534 kg, contre 560 avec un pourcentage de 60. La différence n’est certes pas énorme mais elle n’est pas non plus négligeable.
Quid du controversé
règlement andalou ? Bien décidé à ne rien faire comme les autres, il dit que
« le poids minimum des toros
sera […]
de 410 kilos dans les arènes de troisième catégorie et les portatives, ou de 235 kilos, son équivalent « en canal ». » Du coup, la carcasse représente(rait) environ 57,3 % du poids vif, et un
toro ayant rendu un poids « en canal » de 336 kg pesait 586 kg…
Soyons (très) pragmatiques et considérons que la « vérité » se situe probablement, sans doute, peut-être, allez savoir !, au milieu, soit à 60,1 %. Même si, personnellement, j'aurais bien coupé la poire en deux entre les 60 % de Daulouède et Salcedo et les 62,9 % du Real Decreto (61,5 %).
Située à une quarantaine de km de San Sebastián, Azpeitia est une petite ville basque (Guipúzcoa) dont les arènes classées en 3° catégorie renseignent, à
l'autorité compétente de son gouvernement, le poids « en canal » des
toros qui y sont lidiés.
En 2007, deux corridas, l’une de Palha (31 juillet) et l’autre d’Ana Romero (1er août), sont programmées. En appliquant le pourcentage de 60,1 %, la course de Palha, pesée à 288 kg de moyenne « en canal » (259 kg pour le plus léger contre 315 kg pour le plus lourd), rend une moyenne poids vif de 479 kg (431 kg pour le plus léger contre 524 kg pour le plus lourd). Toujours avec le même pourcentage, la course d’Ana Romero, avec une moyenne de 336 kg « en canal » (321 kg pour le plus léger contre 346 kg pour le plus lourd), affiche une moyenne poids vif de 559 kg (534 kg pour le plus léger contre 575 kg pour le plus lourd).
On le voit, en contextualisant — Palha envoyant un lot correspondant à la catégorie de la
plaza, tandis qu’Ana Romero prépare et amène en terre basque sa tête de
camada —, ces chiffres n’ont rien de choquant même si les Buendía peuvent apparaître un poil (sinon deux) trop lourds. Le
bajito et magnifique
‘Cacerolito’ de la corrida-concours 2009 de Saragosse pesait 526 kg (323,5 kilos « en canal » avec un rendement de 61,5 %).
En juin 1933, ces coquins de Vicois annoncèrent
« que les six [novillos de Moreno de la Cova]
avaient fourni 1.830 kilos de viande, soit une moyenne de 305 par animal », à savoir, en appliquant toujours le pourcentage de 60,1 %, une moyenne poids vif de 507,5 kg. Après vérification, les Toulousains du
Toril rectifièrent
« à 275 kilos de moyenne le poids des six La Cova du 4 juin, allant, toujours à [leur]
avis, de 260 le troisième à 300 le dernier. » Par conséquent, ce 4 juin 1933, le lot de novillos de Moreno de la Cova aurait pesé — j’ai bien écrit « aurait pesé » — en moyenne 457,6 kg, allant de 433 le troisième à 499 le dernier.
Ce qui, par exemple et en comparaison, correspond grosso modo aux moyennes actuelles des novilladas présentées par l’
empresa Pagès à La Maestranza, qui, soit dit en passant, possède une balance assez épatante puisque les novillos, comme le stipule le règlement taurin andalou, n’y dépassent jamais la demie-tonne
4 !
Dans un prochain post, plus court et moins « lourd », nous tâcherons d’examiner quelques cas aussi contradictoires que curieux. À suivre donc…
1 Si vous lisez l’expression « poids net » quelque part, entendez-la comme l’estimation du poids « en canal » d’un
toro bel et bien vivant. Si cette estimation est correcte, elle sera alors, sinon égale, très proche du poids « en canal ».
2 Pour des raisons évidentes que chacun imagine aisément, il est hautement aléatoire, voire intellectuellement malhonnête, de prétendre vouloir donner le poids vif de ces animaux plus de 70 ans après leur apparition dans le
ruedo vicois...
3 Pierre Daulouède,
Les carnets du vétérinaire ou la corrida à l’envers, Peña Taurine Côte Basque, 1996, p. 26.
4 Le règlement taurin espagnol, lui, fixe le poids maximum des novillos lidiés dans des
plazas de 1ère catégorie à 540 kilos. Cette année,
le poids des novillos de Cuadri combattus à Séville étaient les suivants : 495, 497, 498, 495, 499 et 492 kilos ! Bizarre, vous avez dit bizarre ? Rappelons que, sur ce point (poids vif maximum des novillos),
le règlement taurin municipal français (2007) est aligné sur celui d’Andalousie (2006)…
Au Pays basque, la limite est fixée à 475 kilos ! Manquerait plus qu’une Communauté autonome place la barre à 460 kilos, une autre à 420, etc.
Images Non, ce n’est pas Céret © Campos y Ruedos
● Rembrandt /
Le Bœuf écorché, 1655 / 94 x 69 cm © Musée du Louvre
● El desolladero 2, album Flickr ©
Toros en Burgohondo