Non loin du rayon des produits congelés consommables jusqu’à hier, au coin de la zone pansements, brosses à dents, capotes et lubrifiants, au détour des cris de marmots qui hurlent leur envie du dernier fusil mitrailleur à air comprimé recyclé dans les usines du trou de balle de la Chine, le long des soupirs ereintés de mamans devenues, un gros sac bio à la main, criminelles en puissance, derrière l’horripilente (c’est fait exprès) remontée de rayon d’une mémé en purée, s’alignent, dans un classement que seul comprend le chef du rayon fruits et légumes, les revues du moment. Lire, se sentir être humain, vivant ! Lire.
« Pour sa survie dans l’arène, le toro de Saltillo devra s’adapter et évoluer selon les goûts du public actuel... »
— Eh, petit ! Approche, écoute... Viens gamin... FERME TA GUEULE, rejoins ta mère, tu la vois là-bas, c’est elle qui remue la mémé... CASSE-TOI et file-moi ton flingue, j’ai de grands projets pour lui ! File-moi ton flingue je te dis !
Lire, se sentir être humain... Une clope... J’ai plus le droit !
Le toro de Saltillo je m’en vais le dessouder à la sauce Rambo époque Festina pour pas qu’il s’adapte, pour qu’il reste inconstant, surprenant, imprévisible, pour qu’il reste un toro de combat. Qu’il crève après tout, il crèvera au moins comme un toro !
Tatatatatatatatatata... Super ces nouveaux fusils mitrailleurs. Ça doit être l’air comprimé chinois !
Le frigo est plein. Entre deux olives fourrées aux anchois, on se dit que les gosses d’ici rêvent bizarre, de fusils mitrailleurs à air comprimé chinois et on se demande les yeux dans le fond d’un bordeaux ouvert à la va-vite si les gosses chinois ne rêvent pas, eux, d’une deuxième chaîne de télévision.
Sur la photo d’Oriol Maspons1, le gosse, quand il dort, il doit voir des toros partout jusqu’au plafond et les petites qui se retournent pour le voir finir sa passe, elles doivent rêver qu’elles sont ses amoureuses au torero en chaussettes blanches. Rêver de toros, c’est une autre manière de hurler qu’on est un homme, ça se fait pas en rayon et ça épate les filles.
Elle est belle cette photo et le môme il est tellement tordu dans sa véronique qu’on voit presque le toro déplacer l’air et emporter l’étoffe. Ca doit être un Saltillo le toro ! C’est le genre de truc qu’on se dit à soi-même en préparant la bouffe, en allumant le gaz, en mettant le couvert pendant que la nuit est là, déjà. Oui ! Un Saltillo énorme et méchant et qui plonge comme un missile dans le drap d’un torero en chaussettes blanches qui veut faire son grand devant trois pisseuses de son âge, le bon dieu pour témoin. C’est un Saltillo, c’est sûr.
Une olive a glissé sous la table basse du salon, l’anchois a dû s’échapper et le poste vomit en boucle les nouvelles rassurantes de l’hernie discale de Johnny plongé depuis quelques heures dans un coma artificiel à L.A.. La France a peur, elle s’inquiète évidemment et Laetitia, l’animal de compagnie de l’opéré exilé, ne peut rien déclarer aux médias tant son émotion est intense. L’anchois est resté dans l’olive, y’a des soirs comme ça, on a de la veine. Manquerait plus maintenant que la Bernadette jaunie comme ses pièces ne lance une campagne de soutien pour les disques lombaires du chouchou national ! C’est incroyable ce que l’air comprimé chinois rend ces fusils mitrailleurs crédibles. Vautré comme un romain orgiaque, une main caressant le bordeaux maintenant réchauffé, l’autre prodiguant de sensibles douceurs à mon nouveau jouet chinois, je n’arrive pas à concevoir que l’on puisse écrire de telles conneries sur les Saltillo ! Tatatatatatatatatata...
Nikos nous rassure, Jojo irait mieux mais Laetitia refuse toujours d’aboyer.
Le médecin qui a soigné Jojo s’est fait casser la gueule. Décidément, c’est pas terrible la pizza de la veille. Et puis il y avait trop d’oignons. Tiens un petit coup pour le fun… Tatatatatatatatatata... Marche trop bien.
Je ne veux plus lire depuis l’épisode du supermarché. Depuis que l’anchois n’a pas quitté l’olive sur le tapis du salon, je me sens en veine et je voudrais pas gâcher tout ça. Ne rien faire, ne rien risquer, la position vautrée favorise les chanceux, je le ressens à cet instant. Pour s’en convaincre, je regarde de loin cette photo de Xavier Miserachs. Elle a pas l’air en veine la gonzesse ? Elle cuit détendue sur le sable d’une plage de Lloret de Mar sans se soucier qu’un certain Ángel Peralta va toréer dans ce haut lieu de la corrida mondiale. Et elle y est même pas la gonzesse à la corrida ! Elle y va pas, elle reste là à sécher comme un saucisson d’âne du Poitou. Et elle a raison je me dis, la main toujours très caressante pour mon jouet qui marche super bien, de toute façon, à 1000 contre un que c’étaient pas des Saltillo ce jour-là à Lloret de Mar. Tatatatatatatatatata... Dézingués les Saltillo modernes, assassinés les Miura soumis, occis les Cuadri civilisés et les Victorino du fils. Tatatatatatatatatata...
Je savais qu’il y avait trop d’oignons. C’est des trucs qu’on ressent mais on se laisse dominer quand même. Après on regrette, c’est toujours pareil. La nuit est vraiment là, le silence l’accompagne, l’air comprimé chinois me donne des hauts le cœur à moins que ce ne soient les oignons ou les anchois peut-être. Après tout, je ne sais pas si lire ne me ferait pas du bien. Ne pas être superstitieux. Soigner le mal par le mal. Adiós Madrid. Un petit bouquin de 19982, sans prétention, sans décorum, sans forfanterie. Un titre nostalgique pour une plongée dans le Madrid taurin, des arènes au campo via les tabernas, obligatoirement. Un siècle de Madrid de toros en peu de pages, avec les mots passionnés de deux Madrilènes, loin de l’exhaustivité et de l’érudition savante. Un petit livre simple pour se reposer des oignons, des hernies discales et des Saltillo adaptés... Avant d’éteindre, un dernier pour la route... Tatatatatatatatatata... Même la nuit ça marche.
1 Vous pouvez retrouver les photos de Oriol Maspons et de Xavier Miserachs dans une collection de livres consacrée aux meilleurs photographes espagnols : La Fábrica. A découvrir en particulier les "sin título" noir et blanc de Matías Costa, un toro mort de Genín Andrada et, pour les fans, une photographie de la Casa Patas de Madrid par José María Díaz-Maroto. Ne manquez pas aussi, et surtout, les noirs et blancs de Pep Bonet. Le site Internet : http://www.lafabrica.com/.
2 Andrés de Miguel & José Ramón Márquez, Adiós Madrid, Paseos por el Madrid taurino, Ediciones la Librería, 1998.
2 Andrés de Miguel & José Ramón Márquez, Adiós Madrid, Paseos por el Madrid taurino, Ediciones la Librería, 1998.