31 juillet 2012

Afición de Gascogne


À Jean-Luc Laboudigue et aux Gascons fiers de l'être,


Entendre les tibles et fiscorns de la cobla cérétane sur le Paseo du génial Comelade, c'est défier toutes les premières lignes du monde à Gilbert Brutus ou Aimé Giral, le poing serré sur le cœur et dire : « Nous, les Catalans… »
Entendre les gaïtas de Bilbao enroulant la pose des banderilles sur des aurochs magnifiques dans des ruedos gris austère, c'est traquer à la rame la baleine à travers houle et tempête jusqu'au Saint-Laurent et la harponner enfin de sa main en disant : « Nous, les Basques… »
Quand j'ai entendu la flûte qui rythmait le pas du banderillero face à ces bestiaux lusitaniens dignes des plus spectaculaires bas-reliefs crétois, mon cœur et mes tripes ont enfin senti l'intense brûlure amoureuse que ma terre porte à la bravoure, à la force, à la beauté du combat et l'amour du défi. De la pinède infinie aux Pyrénées en passant par les collines de Chalosse, tout ici chantait le courage des combattants de l'arène et la rude tendresse des gens de chez nous. Immense témoignage et superbe initiative que seuls les couillons ignares et autres peuilloutres gênés d'être nés quelque part ont sifflé comme un outrage à l'accent qui roule, au cancanement des oies, à Rachou de Mouscardes, à la morsure sucrée du Floc, au quillet du Guit de Montfort, au souvenir de notre ami Charlie Couralet, au toupin de garbure fumant, à la souche de chêne dans la cheminée, au pin tenant tête au vent de l'Atlantique, à la cloison nasale tordue de tous ceux qui ont trébuché devant « Fédérale » et aux arcades gonflées de ceux qui serraient les dents pour mieux encaisser les tampons barbares du regretté Lansaman.

Voir ces tíos lusitaniens galoper dans ce ruedo coincé entre le Gave et les Pyrénées, couilles en avant et tronche sauvage au vent, nuages accrochés aux pitones, prêts à péter comme des brutes dans tout ce qui leur cache la vue sur l'horizon ; les regarder ainsi s'éclater de bonne grâce le groin sur les petos dans des tercios hommages à l'art de piquer au son de la douce ritournelle de notre valeureuse Gascogne, c'était comprendre que cette terre avait enfin trouvé le moyen d'éclater aux yeux de notre monde et d'affirmer crânement, menton haut, œil vif et moustache du fier mousquetaire : « ¡Que soy! »

« Approche, Bertrandou le fifre, ancien berger ; / Du double étui de cuir, tire l'un de tes fifres, / Souffle et joue à ce tas de goinfres et de piffres / Ces vieux airs du pays, au doux rythme obsesseur, / Dont chaque note est comme une petite sœur, / Dans lesquels restent pris des sons de voix aimées, / Ces airs dont la lenteur est celle des fumées / Que le hameau natal exhale de ses toits, / Ces airs dont la musique a l'air d'être un patois ! […] Écoutez, les Gascons… Ce n'est plus, sous ses doigts, / Le fifre aigu des camps, c'est la flûte des bois ! […] C'est le lent galoubet de nos meneurs de chèvres !… / Écoutez… C'est le val, la lande, la forêt, / Le petit pâtre brun sous son rouge béret […] Écoutez, les Gascons : c'est la Gascogne ! »

Ces mots de Cyrano à ses cadets aux portes d'Arras, fils de Fébus ou d'Arnaudin, joueur de flûte, aficionados de Gascogne, je vous les dédie.

Le tango des joyeux bouchers


Ronda, le tango des joyeux bouchers, par Joséphine Douet. Si là y'a pas photo…

30 juillet 2012

Aficion'Ado — Saison 2


Pour les minots en mal d'émotion qui auraient déjà explosé vingt-cinq fois tous les niveaux de Warcraft dernière génération, la Peña Alegría de Dax, jamais avare en distribution gratuite de sensations fortes, propose à ses pupilles et aux nouveaux aventuriers soucieux d'alimenter le débat taurin dans la cour de récré la version 2012 du projet Aficion'Ado ! En effet, afin d'accompagner les jeunes désireux d'affûter leur regard sur l'art de Cúchares, les socios de la célèbre peña dacquoise proposent de les accompagner chaque matin de novillada non piquée pendant la féria aoûtienne, pour les guider dans l'appréhension du monde taurin et les aider à mieux percevoir, ou d'une manière plus avisée, le déroulement du spectacle en piste, ainsi que les petits détails qui s'y dissimulent et qui font souvent toute la différence. Prenez un temps d'avance et rejoignez Aficion'Ado ! L'idée est simple, aficionada, gratuite, rondement menée, et donc BONNE. What else ?

Et puisque nous, à Campos y Ruedos, les projets taurino-éducatifs c'est tout ce qu'on aime, alors on dit : « Bravo la Peña Alegría ! »

Sachez toutefois que les places sont comptées, mieux vaut donc mettre le match de beach-volley féminin sur pause et plonger dès à présent sur votre iPhone 4G pour contacter Jérôme Lalanne (Grand Gourou, initiateur du projet, et… bureau des plaintes) au 06 80 68 25 49.

Bilbao, masterclass con Joséphine


Masterclass : dans ces cas-là on le dit en anglais, ça le fait mieux.
Vous connaissez évidemment Joséphine Douet, bien française. Vous connaissez Peajes et Alma herida, âmes sur lesquelles je reviendrai très bientôt, sans oublier évidemment les photographies de mode et les portraits.
Eh bien Joséphine sera à Bilbao les 21 et 22 août, rien que pour vous, rien que pour ceux qui souhaitent s’immerger deux jours dans son univers photographique — site totalement refait depuis pas plus tard qu'aujourd'hui.

>>> Pour plus de renseignements, vous inscrire, c’est par là.

La tauromachie est de gauche


La tauromachie est de gauche ! ou devrait l’être. Elle tend de plus en plus à droite mais son essence est de gauche. De la main gauche s’entend. La naturelle est LA passe de troisième tiers ; celle qui a le plus de logique technique pour préparer le toro à recevoir l’estocade. Elle lui apprend à sortir vers la gauche, c’est aussi couillon que cela. La tauromachie est de gauche même si la main qui porte l’épée est la droite. « C’est la main gauche qui tue », dit l’adage populaire. « Vox populi vox dei » : ce n’est pas toujours vrai mais en ce cas précis, oui.
Dans les petites et coquettes arènes de Garlin (64), le novillero Juan Leal a démontré par l’absurde, ou par excès de zèle ou par surenchère spectaculaire, que la mise à mort d’un toro, en l’occurrence un novillo de Hoyo de la Gitana, se doit de respecter certains canons et reste le moment paroxysmique de la lidia d’un taureau de combat.

L’élève de l’école taurine d’Arles a tout simplement oublié que les toros se tuent avec la main gauche dans un ultime croisement (celui du bras droit et du bras gauche) dont l’objectif est de conduire la tête du toro avec la main gauche, justement, pour s’ouvrir le chemin du garrot et porter le coup de lame. Il s’agit de guider la charge de l'animal — de la conduire, c’est le mot —, de lui dicter sa loi et non pas, comme l’a montré Juan Leal, de vouloir le pourfendre à tout prix pour entrer une épée dans son intégralité (peu importe l’emplacement, malheureusement). Loin de moi l’idée de critiquer l’engagement, la fougue et l’audace de Juan Leal, mais sa plongée systématique sur le frontal de l’animal sans tenter de détourner la tête du bicho avec la main gauche relève plus d’une démarche d’inconscience que de l’art tauromachique. Le public l’a oublié mais l’acte de tuer un toro n’est pas là que pour permettre d’accorder des trophées. Tuer un toro est un temps technique majeur conditionné par vingt minutes de lidia préalables. Plonger sur un toro n’est pas toréer.

Parentis 2012


La féria de Parentis-en-Born approche et les novillos ont été débarqués. Cette année au menu : Valdellán, Raso de Portillo et Flor de Jara. Le Santa Coloma est tendance !

Allez-y ! on aime Parentis.

¡Suerte Parentis!


>>> Le site de l'Association des aficionados de Parentis pour visionner les vidéos des embarquements et les photos des débarquements des novillos.

Garlin - STOP - Novillada Hoyo de la Gitana - STOP


Garlin - STOP - Novillada Hoyo de la Gitana - STOP - Mauvaise - STOP - Pico pico Juan Leal - STOP - Piques nulles - STOP - Garlín de los Arroyos del Río del Campo de la Sierra - STOP - Galerie en ligne - STOP - www.camposyruedos.com - STOP - Rubrique « Ruedos » - STOP

29 juillet 2012

Quatre années


Quatre ans… Quatre années de croyances, de doutes, d'illusions, de désillusions, de blablas sans fins, d'auréoles tenaces sous les bras façon 33 tours, de coups de gueules sanglants et de réconciliations anisées. Toutes ces bornes roulées, ces demis bien frais avalés et autant d'heures à convaincre ces dames de la nécessité de partir pendant quelques jours avec les potos, mais en célibataires, pour reluquer pendant des heures des tonnes de barbaques aux pitones comme des fourches du diable depuis le fauteuil poussiéreux d'un pickup inconfortable et dégueulasse… Quatre ans de tout ça, pour ça, mais aujourd'hui je vous le dis, mesdames, bien plus qu'une énième gueulante cuissue à cause d'une rentrée nocturne trop matinale, ce que vos julots, darons, lardons, ex, futurs, collègues et amants méritent, c'est bien votre bénédiction !!!
Car voyez-vous, mesdames, ce que vos hommes ont offert à la petite troupe de joyeux drilles festifs des samedis orthéziens, c'est d'abord de voir dans un cercado coincé entre une piscine municipale et un rond-point con d'être aussi rond, les spécimens les plus remarquablement rêches du panel taurin actuel, présentés comme un défilé militaire nord-coréen. Et ça, croyez-moi, ça ne veut pas rien dire… Demandez aux abonnés des plazas lounge des contrées voisines ! Eh oui, qu'on se le dise et répète, le « Kleenex team orthézien » a réussi le pari de sortir une corrida de toros de tenue supérieure, quand les copains d'à côté se cachent historiquement derrière des arguments même pas à la hauteur de la plus pathétique des blagues Carambar. Dois-je me rassurer pour autant de les avoir tous vus au creux du callejón béarnais ? On verra bien…

Je ne suis pas dupe, António da Veiga Teixeira a certainement plus à jouer dans le ruedo orthézien que Victoriano del Río ou Núñez del Cuvillo dans n'importe quel autre, mais après tout chacun son credo, et puis en fait chacun sa merde, aussi…
Ceci dit, nul ne niera que le magnifique lot de toros portugais de Veiga Teixeira recruté par les sergents de Xavier Klein ne sera pas chanté comme ayant été le plus brave ou le plus noble de l'histoire, mais assurément comme le plus audacieux, le plus respectueux par sa forme et sa présence d'une foule toujours plus nombreuse. Peut-être un rapport cause/conséquence, allez savoir ?…
Ainsi donc, les toros de Veiga Teixeira étaient superbes et l'on frôlait le lleno. Et puis, et puis, j'avoue que l'ensemble m'a plutôt laissé sur ma dalle, et que si j'ai cru rêver en voyant cette baston emportée par ce fou premier de 'Passionarito' face à un grand Robleño emportant tout sur son passage depuis son triomphe catalan, l'on vit ses compères se dégonfler au moment du troisième tiers. Certains me parlent d'un tercio de varas fort appuyé, ce à quoi je réponds que, là encore, l'influence des souples voisins a trop contribué à déformer la vision de ces tristes sires qui auraient dû louer la renaissance d'un premier tiers fort bien entretenu tout au long de l'après-midi. Des varilargueros soucieux des choses bien faites, des cites soutenus, des gestes opportuns, et même quelques batacazos, au point que l'on put véritablement juger des compétences braves des bestiaux portugais, qui poussaient fort et sauvagement, sans pour autant être jugés braves. Nul n'échappa au contrôle technique sérieux et appliqué, ce qui est, là encore, une prouesse de la part des organisateurs béarnais. Décidément, on dirait que les temps changent ! Ne pas s'en satisfaire serait faire preuve d'une mauvaise foi décourageante… Je vous laisse juge. 
Mais avouez que jusque là, lecteurs cyriens, cela ressemble déjà fortement à un bon moment de tauromachie, un après-midi réussi.

On pourra toutefois se questionner sur la présence du beau Paulita, qui passa un peu à côté du sujet, et des vrais talents de Serafín le catalan, qui ne me fit ni chaud ni froid, malgré une oreille grasse et velue… Mais, qu'on se le dise, l'essentiel orthézien se situe bien ailleurs, car il faut avant tout comprendre ce qui se trame réellement dans l'ombre depuis le début de l'ère Klein. Ainsi, je n'ose imaginer que celui-ci n'ait pas eu la malice de s'entourer volontairement de quelques tronches un peu compétentes en la matière, entre jeunes loups élevés sous la mère et vieux singes aux idées claires et avisées à qui on ne la fait plus depuis belle lurette, en passant par les fortes têtes et autres « vieux chalutiers » de haute mer — ce subtil agrégat ne pouvant en aucune manière s'apparenter à une bête coïncidence. Quatre années de prise en main et autant de succès, on peut dire que le palmarès interpelle… Pourtant, la politique n'y est certes pas des plus fleurie, des plus encline à séduire la masse ou à secouer les naseaux du haut-Béarn, mais c'est peut-être pour cela qu'elle est bonne. Simplicité et authenticité, sans compromis apparent, on avance humblement mais avec l'inquiétude perpétuelle que les choses soient faites pleinement, selon les convictions, selon une certaine idée de l'afición a los toros, selon une idée précise de pourquoi on a décidé de faire venir des toros à Orthez.

Il ne reste plus à la cité de Fébus qu'à apprivoiser son afición locale, son auditoire, afin que le petit peuple ne monte plus en tendido par hasard, pour y cuver sa bière chaude, mais qu'il prenne pleinement conscience de la valeur du spectacle qu'on lui présente chaque fin de juillet et qu'il sache mieux apprécier l'évidente subtilité d'une pose de banderilles « gascoune », face à des tíos de catégorie, au doux et fier son de la flûte landaise.
Quatre ans seulement, où l'on ne peut plus parler de hasard ou nier que la cité béarnaise est en train de gagner son pari aficionado. Parentis et Céret ne sont plus seules, elles peuvent compter désormais sur Orthez. Nous, on en redemande, et même on vous soutient, n'en doutez pas.

27 juillet 2012

Charlie


Charlie (23 juillet 1936 - 23 juillet 2012),

Je te tenais la main au milieu de cette foule calme qui attend les toros. Nous déambulions lentement dans les allées toutes vertes qui courent à la plaza de toros de Dax. J’étais minot, bien habillé par maman ; tu lui avais dit qu’il fallait toujours être bien habillé pour une corrida. Nous devions penser aux mêmes choses, j’en suis certain, et elles se résumaient en quatre lettres : t, o, r, o.
Devant les arènes, il y avait des étalages de bouquins, de revues, d’affiches. Tu t’arrêtais bien devant et tu cherchais, tu fouillais. Tu savais ce que tu voulais. Je savais ce que tu voulais. Nous voulions la même chose. Des toros ! Des toros en couverture, des toros en photos à l’intérieur, des toros au campo. Des toros ! Notre revue préférée, c’était Aplausos, avec cette cabeza en haut à droite et ses clichés pris dans le violet du printemps andalou et… Miura. Les premiers que j’ai vus, c’était là, dans Aplausos avec ma main dans ta main. Tu me montrais comment ils étaient faits, tu m’expliquais que leur morrillo il était foutu comme ça, pas comme chez les autres, et que la papada, ben il n’y en avait pas. J’étais à la messe, j’en avais plein les yeux des miuras.
Après, on devient grand. 
Après, on ne tient plus la main de personne quand on va aux toros. 

Après, je vous ai regardés me rejoindre à Vic, à Bayonne, à Bilbao, à Pamplona. Tous les deux, toujours, ensemble. Quelqu’un m’a dit il y a peu que votre présence était rassurante, ou comme une évidence. Je n’aurais pas dit mieux et c’était plus pour moi : deux mains qui ont fait de moi un homme, à votre image, à lui et à toi — je le souhaite de tout mon cœur peiné.

Aujourd’hui, San Fermín console sainte Madeleine et, chez Miura, à « Zahariche », j’entends que les toros hurlent au vent, aux pierres et aux lézards qu’ils sont un peu plus orphelins.

Adichat’s Charlie…


26 juillet 2012

A tourada branca


À Charlie...

Tu l'avais pourtant dit, José : « Un toro, c'est noir. » Mais ceux-là, ils étaient blancs. Blancs comme des tarbais. Blancs comme un Hollandais à Seignosse avant que n'arrive juillet, blancs comme cette page avant que je n'y gratte ces conneries que vous lisez. Un peu pitchouns, c'est vrai, avec leurs petits culs de crevettes, et leurs yeux de Bambi grands ouverts sur ce ruedo magnifiquement ensoleillé entre le Gave et les Pyrénées. On aurait dit des gosses qui avaient fait un caprice d'une semaine pour ne pas avoir à bouffer ce que maman leur mettait dans la gamelle. Mais les petits toros de Don Fernando Palha sont blancs, qu'on se le dise, et c'est bien pour cela qu'on les aime. Car ils sont de sang Veragua, sang d'autrefois mais sang de roi.
Je vous l'avoue, nous éprouvions tout de même quelques craintes à l'idée de les voir tempêter dans cette matinée béarnaise. Toujours pareil avec les paris fous, les défis incertains. Mais les sangs royaux le sont à jamais, et nous avons dû admettre la supériorité du mental sur la forme. Les petits toros blancs de Don Fernando Palha venus de Lusitanie et de sang Veragua nous ont ravis. Superbes de robes et de caste, tous offrirent leur rigueur personnelle, leur enthousiasme non civilisé à se jeter dans les petos, leurs charges franches dans tous les tiers, leur faim jamais rassasiée de muleta, et, au final, on finit par craindre même pour les deux courageux bipèdes, Imanol Sánchez et Iván Abasolo, qui, n'abdiquant toutefois jamais, devaient également renoncer à leurs rêves les plus fous de toreo velouté et enchanteur. Pour ce rendez-vous-là, il était bien question de se cramponner fort et de ne jamais perdre le regard des novillos lusitaniens, quitte à perdre de vue le sitio et les placements arrogants sur des terrains qui ne sont pas les vôtres. Griller la politesse ou poser un pied sur l'ombre d'un jabonero et c'était un aller simple aux enfers. Un peu de pico, un peu le cul de biais, la muleta douteuse, et les démarrages à faire pâlir Usain Bolt à la moindre allusion du cornu, mais on ne pourra pas nier qu'ils donnèrent le peu qu'ils avaient, et si c'étaient seulement ça, c'était déjà ça. On notera par exemple qu'Imanol Sánchez se faisait soulever sur chaque épée, à force de tout offrir à son adversaire. Il n'y a qu'à voir les photos. À ce jeu-là, pourtant, c'est Iván Abasolo qui obtint le douteux privilège, dont il se serait bien passé, je pense, et qui, à Orthez, est pourtant bel et bien offert comme une reconnaissance, de tuer la cinquième et dernière des petites terreurs de Don Fernando, magnifique petite machine de guerre ensabanada aux armes roses, longues et effilées que l'on préférerait avoir en photo sur la cheminée qu'à passer par le fil de l'épée pour assouvir son afición, un beau matin béarnais, entre le Gave et les Pyrénées.
Je me souviendrai longtemps de la « roupa de fazenda » et la gueule sauvage du magnifique mayoral portugais qui, saluant avec honneur et fierté, arborait crânement sur son torse vermeil les armoiries de la terre ancestrale de son maître et le souvenir d'un sang venu d'un temps où l'Amérique n'existait pas, le sang Veragua, sang d'autrefois mais sang de roi. 

Parabéns e boa sorte, Dom Fernando, que deus vos guarde e que vossos touros brancos continuem dando emoção à aficion.

C'était (presque) parfait


À Charlie et Fix,

Ce samedi 21 juillet, le toro ‘Passionarito’ a déplacé le centre du monde des arènes de Céret à celles du Pesqué le temps d’un combat homérique — si la cause de ce déplacement résidait dans l’exécution du tercio de varas, inhérentes imperfections incluses, alors le ruedo orthézien fut le centre du monde de 18 h 30 à 21 heures. Après une sortie très attendue, qui ne présageait rien de bon pour les hommes en costume, le colosse châtain aux yeux noirs a toisé l’assistance avec le calme indéfinissable du condamné à mort. À chaque coup de cape, le Veiga Teixeira cherchait l’ouverture pour décocher l’uppercut vengeur et fatal. Du haut de sa monture navarraise, maniable et de corpulence raisonnable, le picador a tardé à pénétrer dans le rond pour affronter ce diable de toro à la devise rouge et noir — avait-il la sensation de monter à l’échafaud ? la crainte de rejoindre la liste des varilargueros victimes de la corne ? Guidé par son afición a los toros, Fernando Robleño a orchestré le duel d’une manière telle que l’équité du combat fût rétablie. Mû par la volonté de renverser et d’étriper, de tuer, le rustique buffet portugais a pris une pique du genre de celles, si exceptionnelles, qui chauffent le ventre, embuent les yeux, affolent les cœurs, comblent de joie. La première pique d’une série de quatre rondement menée, série qui aurait pu en compter cinq, six, sept ; un éleveur satisfait et incrédule, qui remercie tous ceux lui ayant permis de voir ses toros au premier tiers : que demander de plus ? J’ai entendu ici et là que ce rude Veiga Teixeira avait eu de « mauvaises manières » — devrions-nous nous réjouir des bonnes manières d’un toro ? —, qu’il avait été manso, manso con casta… Ah bon ? peut-être, et alors ! Caillé et bien armé, ‘Passionarito’ était un taureau de combat puissant et dur de pattes, imprévisible et brutal parce qu’animal, d’une grande présence et avec un fort penchant pour le centre (du monde), le digne héritier de ceux qui peuplent mon modeste panthéon personnel : ‘Amador’, ‘Clavisero’, ‘Mimoso’… Le n° 319 a semé la peur ; celle ressentie par des banderilleros dépassés, pour qui j’ai éprouvé quelque chose comme de la compassion. Ses charges vives et répétées de fier combattant imposaient le respect ; c’est pourquoi, loyal et décidé à en découdre, le matador madrilène a commencé sa faena de la main gauche. Quoique court et intense, le travail à la muleta a été conclu par trois ou quatre paires de passes en trop, suivies d’une épée tombée, elle-même précédée d'un pinchazo sincère. Ému par la beauté anachronique du combat de ‘Passionarito’, j’ai applaudi et salué l’enlèvement de sa dépouille. Ensuite, j’ai pensé partir.

NOTA 1. — Évoquer certaines cornes astillées et encourager l’éleveur à continuer d’ignorer les maudites fundas.
NOTA 2. — Mentionner les piques placées en arrière du morrillo sans mésestimer la valeur des picadors.


>>> Voir la galerie de la corrida de Veiga Teixeira à Orthez sur le site, rubrique « Ruedos ».

Photographie Laurent Larrieu

Le détail et le geste : una tarde con Fernando Robleño


« Au delà du possible, au delà du connu »La Voix, Charles Baudelaire


Je déplore que les (fines) allusions bilingues perdent toute leur saveur lorsqu'elles sont expliquées en long, en large ou en travers… En espagnol, le terme « detalle » signifie, au sens figuré, une attention pour quelqu'un. Un geste élégant et gratuit. Si certains toreros bâtissent une carrière sur des détails rares, voire même sur l'intarissable excitation jaillissant de l'attente de ceux-ci, nul ne peut à cette heure dire si la carrière de Fernando Robleño se trouvera relancée par le monumental detalle de s'envoyer un lot plus que sérieux d'Escolar Gil sur le sable cérétan, mais nombreux nous sommes à le souhaiter depuis le 15 juillet 2012.

Filons plus avant la métaphore et la sémantique. En décidant de tuer six toros dans le ruedo de Céret, le torero a transcendé et revisité le terme de « geste », outrepassé son acception moderne, bousculé les genres et renversé l'étymologie (du latin gestus) en accomplissant l'exploit, l'acte véritablement héroïque, que le latin désignait par gesta, puis qui devint la geste, soit le récit médiéval relatant les hauts faits d'un personnage historique. Voici donc ce terme aussi essoré qu'un lot cárdeno d'Albaserrada en cette fin de week-end. Le geste pur et total, quand d'ordinaire le mundillo et sa valetaille de rimeurs s'épuisent en effets de manche.
Naturellement, le tour de force fut tout autre qu'une une pirouette linguistique, Fernando Robleño pesa toute la corrida durant sur le destin de cette après-midi, de son entrée en piste jusqu'au descabello final, et imposa à tous la décision de son esprit et la fermeté de son attitude par la plénitude d'un toreo technique, engagé et sincère, tel qu'il ne semblait exister que dans les livres, les comptes rendus de corridas inédites ou les souvenirs des grands moments d'un maestro colombien.

Si l'exploit lui-même mériterait l'édition d'une épopée en bonne et due forme — en in-folio et enluminures, et chants immémoriaux de trouvères et d'aèdes —, la simplicité de la démarche et le toreo épuré incitent autant à la rigueur qu'à la modestie et à la justesse dans l'éloge. La richesse du moment, en faits bruts comme en émotions et sentiments générés, mine dangereusement le chemin de l'écriture. Si le torero culmina en deux faenas extraordinaires et différentes, celle qui lança la corrida face à 'Calerito' et celle qui la clôtura face au somptueux 'Caloroso', son entrega et sa décision ne faiblirent jamais, tant à la cape qu'à la muleta, dans la lidia et l'engagement à porter l'estocade.

L'homme pénétra dans le ruedo le visage peint d'une volonté criante et refusa de céder un pouce à l'un de ces six toros. La mesure de l'attitude contrastait avec ce visage déterminé, venu pour remporter chaque bataille d'une guerre qu'il avait lui-même déclarée. Seule, peut-être, l'impatience d'obtenir l'autorisation de la présidence d'entamer les hostilités pour la première faena trahit dans ses gestes l'état d'esprit dans lequel se trouvait le torero. Il existe un néologisme hérité du jargon taurin espagnol pour désigner cet état d'esprit : mentalisé, comme si toute sa vie avait tendu vers ce rendez-vous. Dès les premières passes de muleta, la sincérité entrevue à la cape, cette détermination teintant le regard de folie, transparurent dans la précision des trajectoires et la proximité du toro. Ce fut alors le moment le plus riche en art, dans ce sens généralement galvaudé par les taurins de faire joliment les choses. 'Calerito' n'ayant d'autre choix que de se rendre à la puissance de la muleta.

Ainsi commença le cycle…

Au fur et à mesure des toros, le visage du torero se grisa de fatigue, sans se départir de cette lueur furieuse et précise dans le ciel livide de son regard, à même de faire perdre le sommeil à des camadas entières de toros. Il n'y eut guère de clarté dans le comportement du lot, nul toro ne fut véritablement brave au cheval en dépit des conditions parfaites de mises en suerte, nul toro ne fut terriblement manso mais chacun développa une personnalité propre, riche comme un rapport d'autopsie et plus opaque qu'une psalmodie coranique. De toro en toro, Robleño s'employa à défaire ou trancher des nœuds gordiens, psychanalyser des demi-tonnes de muscles, faire s'inféoder des guérillas, éteindre des incendies, ranimer des braises ou faire marcher des colonnes récalcitrantes, usant pour cela non pas de ficelles mais d'une technique à la fois pléthorique et rayonnante de sincérité s'épanouissant dans un toreo corto et intemporel. Ce ne fut pas un mince exploit que celui d'avoir tenu en haleine quatre mille personnes pendant deux heures et demie avec pour seule fantaisie une magnifique réception à la cape en quelques véroniques genou ployé. Pas un quite superflu, pas un afarolado, ni même un molinete, mais un souci permanent du placement et du replacement, de la perfection du cite, du ligazón et du dominio face à un lot pour lequel ces termes prennent tout leur sens. La variété, nous l'avons vu, se trouvait, non pas dans les « figures » (quel terme misérable !) mais dans la lidia, le toreo et « les tout puissants accords de leur riche musique ». Jamais, je crois, ne flotta dans l'arène la fétide et gênante impression qu'il y avait en piste plus à prendre ou à donner.

Cependant, à mesure qu'avançait la course et que se creusaient les traits, les rascladors prenaient plus de temps entre chaque toro et la « Santa Espina » fut durant deux minutes une véritable bénédiction. Quand, telle une bombe, et ainsi que ses frères, sortit 'Caloroso', estampe de six cents kilos qui manqua s'assommer à un pilier des tablas, le frisson du « grand » toro parcourut le public, mais, quand débuta la faena, ce n'était plus que l'amère conviction de voir un toro éteint qui s'était emparée des mêmes gradins. Au fil des planches et à l'abri du vent, Robleño dicta à son adversaire les passes et les séries que celui-ci ne semblait ni vouloir ni pouvoir permettre. Et, de fait, il ne permit ni ne donna rien, mais dut se rendre au pundonor d'un torero qui n'entendait pas remater son exploit autrement qu'en apothéose. La faena et l'épée firent tomber en toute justice deux oreilles qu'aurait justifiée la seule répétition des efforts, mais la paire de mouchoirs qui tomba instantanément ne devait sa prompte sortie à rien d'autre qu'à cet ultime combat. J'avais douté avant la corrida, j'étais à ce moment-là incrédule à l'idée d'avoir vécu pareil moment.

Fernando Robleño laissa alors tomber le masque de poussière, de fatigue et de volonté pour célébrer avec une humble et humide sincérité ce moment d'exception. Le public, quant à lui, désespérait de ne pouvoir faire plus de bruit. Les arènes ne se vidèrent que très longtemps après…

À suivre.


Photographie Florent Lucas

25 juillet 2012

Feuille à feuille


Campos y Ruedos, c'est comme le bon vin, une fois tiré, il faut forcément le goûter. Nous vous proposons un effeuillage virtuel, pour vous rincer l'œil à défaut du gosier, sur quelques planches du volume 03 qui vient de paraître au début du mois de juillet.
Après avoir résolu quelques problèmes informatiques (merci Coco !), nous sommes en mesure de vous présenter le nouveau livret en page d'accueil du site. Vous connaissez le système : il suffit de cliquer pour voir les pages tourner toutes seules. Vous trouverez aussi les informations nécessaires afin de vous procurer la version papier de ce qu'il convient d'appeler, Le Livre. Et un livre, vous le savez, nous l'avons déjà longuement décliné, c'est utile pour quantités d'usages quotidiens.
Un livre, c'est comme un couteau suisse mais en mieux. Un livre, ça peut tout faire, ça peut même rendre intelligent. Un couteau suisse, non ! Y'a rien d'écrit sur un couteau suisse. Y'a juste une croix. Oui, oui ! Bon, c'est sûr, y'a le tire-bouchon avec le couteau suisse. Certes ! Mais qui vous dit que pour l'achat de 8 745 exemplaires de Campos y Ruedos 03 nous ne vous offrons pas un tire-bouchon, hein ? Qui vous le dit ? Vous n'avez qu'à prendre contact et vous verrez bien…
Notre éditeur, Atelier Baie, fortement lié au monde du vin, lui qui publie la revue In Vino, ne reculerait sans doute devant aucun sacrifice. Il ajouterait, pour vous être agréable, un cadeau supplémentaire pour chaque palette de 250 cartons commandés. Certainement un objet de bon aloi, simple et de bon goût, le bec verseur antigouttes en inox dont vous rêviez pour la fête des Pères… À vous de jouer, le bon de commande au format PDF est à votre entière disposition, ici même.
Rendez-vous sur la page d'accueil pour feuilleter tranquillement quelques extraits du troisième tome.
N'hésitez pas non plus à parcourir toutes les rubriques où vous attendent de nombreuses galeries : « Campos », « Ruedos », « Photographies », et ça, ça n'a pas de prix… D'ailleurs c'est gratuit !
À propos d'effeuillage et de prix, vous remarquerez qu'aucune demoiselle, légère et court vêtue, n'accompagne la promotion de ce merveilleux ouvrage à haute valeur tauromachique. Elles commençaient à devenir exigeantes, alors on les a envoyées se rhabiller…

24 juillet 2012

Fernando Palha em Orthez


Il y avait 5 novillos de Fernando Pereira Palha. Tous ont fièrement vendu leur peau bariolée.

D'autres que moi y reviendront certainement, mais vous pouvez dès à présent vous rendre sur le site, rubrique « Ruedos », pour parcourir la galerie consacrée à cette novillada.

21 juillet 2012

La guerre


Donnez-m'en 6, donnez m'en 100 ou 1 000, je les briserai d'un coup de ma lame, et vous chanterez pendant des siècles ce jour de bataille où tous furent de fiers et rudes combattants. Que les âmes des vaincus soient glorifiées à jamais et que mon nom évoque à chacun le souvenir de ce jour de sueur, de terreur et de sang. C'était la guerre, et je l'ai gagnée. 








20 juillet 2012

Fernando Robleño (II)


Aujourd’hui sur Mundomachin.

Un aficionado — ¿Ha tenido ya alguna repercusión el éxito cosechado? ¿Has recibido la llamada de algún empresario? 
Fernando Robleño — Siento decirte que no, que no me ha llamado nadie aún. He recibido miles de llamadas de todo el mundo, de aficionados, de profesionales, de periodistas, pero de empresarios ninguno. 

(Un aficionado — Est-ce que ton succès a déjà eu des répercussions ? As-tu été contacté par un imprésario ? Fernando Robleño — J'ai le regret de te dire que non, personne ne m’a appellé. J’ai reçu mille appels de tout le monde : des aficionados, des professionnels, des journalistes, mais aucun imprésario.)


Photographie Florent Lucas

19 juillet 2012

Tertulia por WhatsApp


Au milieu d'un dialogue :

Fred — J'essaie d'écrire quelque chose au sujet de la corrida de dimanche, mais c'est pas très facile.

Bego — Pues sí, es complicado. Yo me quedo con la supervivencia de un torero, con el afán de ser y estar en torero a pesar de todas las vicisitudes que ha pasado fuera y dentro de la plaza, antes y después de Céret. A pesar de que sabe que su futuro no va a cambiar y de que los empresarios lo seguirán relegando a cuatro carteles al año y a corridas duras, Fernando se sobrepuso a todo eso y demostró que con ganas, valentía y pundonor se puede todo en esta vida. Creo que la corrida del domingo fue una lección de vida más que de torero. De lidia también, por supuesto, pero yo capté un mensaje que va más allá de los toros. Es lo que yo sentí. Por eso sus compañeros corrieron a sacarlo a hombros, porque quisieron reconocerle toda la lucha de años y años. Yo creo que vieron reflejado en él sus propias luchas personales.
(Oui, bien sûr, c'est compliqué. Je garde l'image de la survie d'un torero avec la soif d'être torero, aujourd'hui et toujours, malgré toutes les vicissitudes qu'il a pu connaître dans et en dehors des arènes, avant et après Céret. Même s'il sait que son avenir ne changera pas et que les imprésarios continueront à le cantonner à quatre carteles chaque année et à des corridas dures, Fernando a dépassé tout cela et a prouvé qu'avec de l'envie, du courage et du pundonor, tout est possible dans cette vie. Je crois que la corrida de dimanche a été une leçon de vie plus qu'une leçon de torero. Une leçon de lidia aussi, bien sûr, mais j'ai perçu un message qui va bien au-delà des toros. C'est ce que j'ai ressenti. C'est pour cela que ses compagnons ont accouru pour le porter en triomphe, en reconnaissance de la lutte qu'il a menée des années durant. Je crois qu'ils ont vu en lui le reflet de leur propres combats personnels.)


Photographie Fernando Robleño saluant lors de la corrida d'Escolar Gil, Céret 2011. 

18 juillet 2012

Céret centre du monde


J’étais gamin et la télévision encore en noir et blanc. Je me souviens de Salvador Dalí, avec face à lui trois ou quatre encostumés, un peu coincés aux entournures, en train de discuter métaphysique.
La métaphysique me passait très au-dessus, mais le visage de Dalí m’impressionnait.
Je me souviens de ce passage où le Maître a haussé les sourcils et s’est soudain exclamé qu’il était important d’évoquer, je cite, le trou du cul comme élément primordial d’une discussion sur la métaphysique. 
Ce à quoi l’un des encostumés lui a répondu, sans doute sans trop y penser, qu’il serait peut-être judicieux d’évoquer également le trou du nez.
Colère du Maître : "Mais qu’est-ce que le trou du nez vient donc faire dans une discussion sur la métaphysique ?"
Silence gêné de l’interlocuteur. 
Pour le gamin que j’étais, tout ceci devenait clairement surréaliste. Il m’arrive même de me demander si je n’ai pas rêvé…
C’est ce même Salvador Dalí qui a décrété que le centre du monde se trouve à la gare de Perpignan.
Ben, il s’est planté le Maître.
Pour le trou du cul et la métaphysique, je ne sais pas, mais pour le centre du monde Dali s’est planté d’une bonne trentaine de kilomètres. Le centre du monde, ce n’est pas à la gare de Perpignan qu’il se trouve, mais à Céret, dans la piste des arènes.
 

Partout on nous explique que le mouvement est irréversible. Partout on nous explique que le premier tiers c’est terminé, que le toro est désormais de troisième tiers, bref, que les piques on s’en fout. Un toro qui prend trois piques ça n’existe plus. Que c’est surtout le public qui s’en fout. C’est irréversible on vous dit. Foutaise ! Ça pourrait se tenir, notez bien. Il suffit d’assister à quelques courses, à peu près n’importe où pour s'en convaincre et se désoler.
Sauf au centre du monde ! Et là, mystère, l’ADAC y est parvenu. L’ADAC est parvenu au fil des ans (ce n’est pas venu d’un coup, nous en avons été les témoins fidèles) à ce que les toreros arrivent ici avec l'idée d'offrir un tercio de piques digne ce nom et de mettre en pratique une lidia comme on n’en voit nulle par ailleurs.

Comment y sont-ils parvenus ? Mystère.
Seront-ils d’accord pour partager la formule forcément magique ? Allez savoir, mais ils y sont parvenus.
Tout est évidemment perfectible. De nombreux toreros n’ont pas encore compris que, pour la première pique, le toro devrait être placé bien plus près du picador qu’ils ont désormais coutume de le faire ici, de façon quasi systématique. Ils ne l’ont pas compris ou ne le savent pas. Ce n’est qu’à la seconde, puis à la troisième qu’on augmente la distance. Il faudra le leur dire.
Tout est perfectible. Mais ici l’espoir nous porte. Ici on se dit qu’il est encore possible de jouir pleinement de cette chose totalement anachronique qu’est le tiers des piques.

 
Photographie José Angulo

Photographie sans paroles (XCIV)


Et à présent...


... que nous voilà ragaillardis, en route pour Orthez !

17 juillet 2012

Communiqué de l'ADAC



El Chano


« Hier, j'ai pensé au Chano. Lui court, moi je trottine. Il nous est souvent arrivé de participer aux mêmes entraînements, et il a toujours plusieurs longueurs d'avance. Ce soir, je vais à une course et je n'ai pu m’empêcher de penser que nous allions encore nous y croiser. Je sais maintenant que ce ne sera pas le cas. Nous ne nous croiserons pas. Pas cette fois, mais la prochaine, peut être, en dépit des mauvaises nouvelles. J'espère que nous pourrons fouler à nouveau le même asphalte. 
J'espère te revoir devant un toro et entendre à nouveau le Rosco te crier : "Chano, laisse-lui l'avantage !" Parce que tu es de ceux qui peuvent offrir tous les avantages au toro et se tirer des embûches avec brio... Mucha suerte al Chano. »

Juan 'Manon' Pelegrín, texte & photo

16 juillet 2012

Un peu plus qu'un rêve


Ça a vraiment existé. 
Ça a eu lieu, un dimanche de juillet. Fernando Robleño a vraiment tué 6 toros d’Escolar Gil, comme dans un rêve, sauf que ce n’était pas un rêve. C’était pour de vrai… 

Lundi.
Je suis vaporeux, tant mieux. J’ai l’impression que le rêve continue. Surtout ne pas redescendre, surtout rester sur les hauteurs où ce petit bonhomme, immense hier, nous a menés, avec sa détermination, sa volonté et ses couilles. 

Fernando Robleño, Céret, Escolar, seul contre 6… Émotion, vérité, authenticité, grandeur de la Fiesta. Tout cela restera, pour toujours, gravé dans nos mémoires, nos rétines et nos souvenirs. 

Il n’y aurait presque rien à en dire tellement ce fut émouvant et authentique, jusque dans les imperfections, comme l’a écrit si justement Bernard. C’était vrai, on l’a vu, et il l’a fait. 
Je me le répète, comme pour me convaincre. Ça nous est tombé dessus, sans prévenir. 
On aurait presque envie de ne pas écrire après « ça ». Juste lui dire merci, à lui et à tous les autres qui nous ont offert « ça ». Spectacle total, lidia totale, du début à la fin… Respect. 

Il est des moments, rares, où les circonstances n’ont plus rien à dicter. Fernando Robleño était hier très au-delà des circonstances, plus fort, plus haut. Il l’a juste voulu. Il a décidé de vouloir et il a pu. 
Hier, Fernando Robleño s’est grandi en écrivant une des plus belles pages de l’histoire de ces arènes, qui nous sont si chères depuis déjà si longtemps. Simplement merci. Merci Monsieur Fernando Robleño de tant de bonheur. 

Photographie Florent Lucas

Fernando Robleño, la bande-son


En attendant que viennent les images, que nous viennent les mots...
(Faites abstraction de l'illustration du disque, du film...)



Tout n'est pas encore fini


On va laisser les choses tranquillement décanter.
On va savourer ce bonheur béat, et rare. Si rare.
On va essayer de dormir un peu, aussi.

Merci Fernando. Merci Céret.

On va en reparler.

Tout n'est donc pas encore fini ? Patience, on va y revenir.

Fernando Robleño


Torero, Torero, Torero, Torero, Torero y Torero... ¡6 veces Torero!


14 juillet 2012

Cuisine du terroir


Et c'est parti pour Céret de Toros 2012 ! Avec, cette année, une nouvelle recette : les boles de picolat… mais à la cerise, s'il vous plaît !

>>> Retrouvez la galerie (la dernière) de la novillada de Hros. de D. José María Escobar y Mauricio Soler Escobar dans les corrals sous la rubrique « Ruedos » du site.

 Toro sur le pont — Céret, mercredi 11 juin 2012 — JotaC

13 juillet 2012

La nuit la plus courte


À Marc,

« Tout portrait se situe au confluent d'un rêve et d'une réalité. » Georges Perec

Toros de José Escolar Gil dans les corrals — Céret, lundi 9 juillet 2012 — JotaC

À les voir là, posant tranquillement pour l'objectif, apaisés, le flanc de l'un fraternellement collé contre l'épaule de l'autre, prévenants et attentionnés, difficile d'imaginer qu'il y a quelques heures, quelques instants à peine, ici, c'était la foire d'empoigne : un foin de tous les diables, une baston mémorable, une rixe colossale, une phénoménale algarade, emphatique et barbare, en un mot une sauvagerie.
— Ça a pété tout de suite, dès la sortie du camion, nous confiait, ébranlé, un membre de l'ADAC encore sous tension. Après, ça n'en finissait plus. Impossible de les arrêter. Je n'avais jamais vu un bazar pareil pour un débarquement… Quelle pétaudière !
— Pire que le débarquement en Normandie ?
En homme d'expérience, il a encaissé la boutade sans broncher avant de reprendre le cours de son épique récit. Joignant l'éloquence du geste à la concision de la parole, il a vivement secoué la main dans l'air frais du petit matin, de haut en bas et de bas en haut, par saccades, de haut en bas et de bas en haut comme s'il se brûlait.
 — C'était chaud bouillant !
Le mutisme qui suivit en disait long sur l'âpreté de l'assaut. Puis le silence fut à nouveau troublé par le mouvement fébrile d'une main battant l'espace, de haut en bas et de bas en haut.
 — Les flammes de l'enfer !
La nuit avait été rude pour les braves.
Épuisé, le soldat du feu s'était assis à califourchon sur la selle de son fougueux destrier. Un casque protecteur vissé sur le crâne, ses imposantes paluches gantées d'un épais cuir noir caressaient tendrement l'encolure poussiéreuse d'un scooter 125 customisé, sagement attelé près du mur. Absorbé par ses rêves, absent, le cavalier éclectique revivait son épopée nocturne, lâchant de temps à autre des commentaires incrédules.
— Incroyable… Qu'est-ce qu'ils se sont mis… Une avoinée pareille, ça ne se conçoit pas ! D'habitude, les deux premiers s'accrochent… La chaleur, le stress du voyage, la faim, la soif, les nerfs, qui sait ? Ils s'expliquent, se talochent, se torgnolent, se bourre-piffent à l'envi… Selon le tempérament, ça castagnent plus ou moins fort ! Quand se pointe le troisième, quand il ramène son mufle, parfois ça dérouille encore, mais, en règle générale, ça se calme assez vite. Après ça roule ! Cette fois, rien à faire. Sept Escolar, sept têtes de lard ! Autant de larrons, autant de marrons… Un foutoir !
Marqué par l'intensité des luttes de la veille, le vétéran belluaire sentait la lassitude l'envahir et la confusion le gagner. Il prit une courte pause pour remettre un peu d'ordre dans son esprit embrouillé.
— Du jamais vu… On a mis les deux lances en action… On les a arrosés pendant des plombes ! À la fin, c'était plus un corral, c'était une rizière. C'était Diên Biên Phu. On a frôlé le drame.
Le souffle court, inondé de sueur, Lancelot de l'ADAC s'est encore interrompu quelques secondes, consterné.
— Quelle faute grossière !  Fallait pas qu'il entre… Pas comme ça, pas à ce moment-là… Après, c'était trop tard, forcément trop tard… Quelle erreur d'appréciation ! 
— Qui ça ? C'est qui qui devait pas entrer ?
— L'autre bestiasse ! Un baraqué bourru taillé dans la mauvaise foi, un poivre et sel ombrageux, plutôt poivre que sel, chaud comme la braise. C'est lui qui a foutu le feu !
— Faut pas vous en vouloir… Vous pouviez pas prévoir, la nuit, tous les cárdenos sont aigris !
— T'as fini de dire des conneries ! Tu crois qu'on s'est marré ? Ce toro, c'était une plaie à quatre pattes, la réincarnation animale de Monsieur Beretto. Tu sais qui c'est Monsieur Beretto ? Tu le connais Monsieur Beretto ?
— Non. 
Brusquement, véhément, excédé par la plaisanterie, il s'est cabré. Son bourrin mécanique aussi. 
 — Si tu sais pas qui est Monsieur Beretto, t'as qu'à demander au mayoral, c'est lui qui est avec les toros.
Il a mis les gaz et s'est tiré à fond de train. On entendait dans le lointain le run run d'une conversation.
— Mon pauvre amigo, vous êtes la perpétuelle victime de l'esprit querelleur de vos contemporains, hein ? On vous cherche, on vous provoque, on vous persécute… Une sorte de fatalidad, c'est bien ça ?
Sí señor.
— Il est donc vrai, Señor Berettoro, que c'est la troisième fois cette année, et la dernière j'espère, que vous êtes poursuivi pour coups et blessures.
— À qui la faute, Señor mayoral, hein ? Moi je roulais tranquillement des mécaniques, doucement, et ces messieurs qui me brûlent la politesse et m'emplâtrent ! Je dis stop. Bon, je souligne, courtoisement, l'infraction. Je souris, quand cet espèce de possédé commence à me dire un tas de gros mots que je n'ose même pas vous répéter, Señor mayoral ! Il a traité ma mère de grosse vache ! Bon, j'ai peut-être eu tort de lui retourner une petite droite, mais c'est tout, Señor mayoral.
— Et, c'est ainsi que vous lui avez fendu la couenne et ouvert l'arcade sourcilière ?
— Eh bien, on vient tout juste de m'enlever les fundas et j'ai oublié que je ne les avais plus, voilà.
— Hum… Mais, dites-moi, les cinq autres, les témoins ?
— Mais, ils m'ont traité de brute, Señor mayoral !

Surréaliste !

>>> Libre adaptation des dialogues de Michel Audiard… Alors, ne nous fâchons pas, et profitons pour l'heure d'une galerie photos sous la rubrique « Ruedos » du site, en attendant l'arrivée, dimanche, du véritable héros de cette histoire : Fernando Robleño.



12 juillet 2012

En peu de mots #13


Michonienne réflexion

À Sol y Moscas,

« Et j'ai envie de dire à ceux qui veulent pacifier la Bible, ce que Confucius répondait à une belle âme qui se plaignait de voir immoler les agneaux. Ce représentant de la SPA de l'époque s'indignait : “Mais pourquoi sacrifier encore un être vivant ?” Et Confucius lui avait fait cette réponse souriante : “Vous aimez les moutons, et moi, la cérémonie.” » Pierre Michon


Photographie de Ramón Masats (Caldes de Montbui, Barcelone 1931) issue de la série « Sanfermines » (1957-1960), actuellement exposée à Haro (La Rioja). Quarante-six ans après sa première édition (Espasa Calpe, 1963), « Sanfermines » a fait l'objet d'une seconde publication enrichie de cinquante clichés inédits choisis par Masats lui-même (La Fábrica, 2009).

J'éteins


Je mets le son au minimum. Je peux entendre le café couler. Je marche sur la pointe des pieds.
Les toros courent dans la foule, remontent Santo Domingo, traversent la Plaza Consistorial, jouent les funambules dans la Curva de Mercaderes et tracent groupés dans le faux plat de la Estafeta. La plaza s’ouvre d'un immense cri, les toros disparaissent. La cafetière ronronne, le café est  prêt. Je m’en sers une tasse. Le rideau roulant se lève sur un jardin en éveil imprégné des piaillements du lever du jour. Trois blessés par coup de corne. On fait le bilan du sang et de deux minutes de peur. Du fond de mon canapé, je regarde les ralentis de la télévision espagnole. L’encierro est ausculté comme un malade, sous toutes les coutures, dans toutes les sutures. Un IRM ne ferait pas plus. Les caméras sont partout, devant, derrière, dessous et maintenant au-dessus. Elles cherchent la chair trouée, l’Américain cloué, le Japonais éraflé, le sang sur les pavés et la corne énervée. La course n’existe plus. Ses codes, ses techniques, sa beauté ne peuvent rivaliser. L’image est choc comme un coup de croc et d’estoc. J’éteins.

Manolo Molés me fait penser à un guardia civil des années 1950 avec sa moustache bien noire. Je m’étonne que personne ne lui en ait fait la réflexion. Peut-être que si finalement. Il est souriant. Comme hier, il parle du « milagro » de San Fermín, de cette plaza pleine comme la rue Estafeta à 8 heures du matin, de ces 20 000 spectateurs qui sont là tous les jours. Finito de Córdoba acquiesce d’un « sí, estupendo » à ce point réjoui qu’on le croit à peine sorti de chez son chirurgien-dentiste.
Manolo Molés est content, ce qui jure avec sa tronche de guardia civil des années 1950. Les toros se sont « laissés faire » aujourd’hui. Finito a mal aux dents et renchérit d’un « sí, estupendo » post-épilation intégrale à la cire. Les caméras nous donnent du gros plan sur la corne qui a effleuré le bras du torero, sur le coup de patte à la sortie d’une passe, sur le mozo de espada qui voudrait un autre cœur, sur la brune qui gonfle les seins au passage du torero triomphateur. Les caméras sont partout et, au final, nulle part où il faudrait.
Manolo Molés est content. Il y a des grandes portes aujourd’hui. Il dit au revoir à Finito qui met du temps à comprendre le sens de ces mots. C’est peut-être pas les dents.
J’éteins.

11 juillet 2012

Jeu de l'été « Les 2 hyprocrisies »


Ce court passage contient deux hypocrisies enchaînées… Sauras-tu les découvrir ?

« Alain Afflelou, que nous avons joint au téléphone en fin de journée, a expliqué cependant qu'il ne retirait pas les 500 000 euros promis à la Ville de Bayonne : "On m’avait promis qu’il n’y aurait pas de corridas aux fêtes de Bayonne, or il y en a une le 28 juillet. Les associations anti-corridas ont annoncé vouloir boycotter mes magasins en France et en Belgique, j’ai donc décidé de retirer ma marque des Fêtes. Pas question d’être associé aux corridas, les fêtes le sont, je me retire. Les 500 000 euros que j’ai versé seront donc attribués à d’autres manifestations culturelles dans l’année, en dehors des fêtes." »

>>> L'article de Sud Ouest dans son intégralité, par ici.