Je mets le son au minimum. Je
peux entendre le café couler. Je marche sur la pointe des pieds.
Les toros courent dans la foule,
remontent Santo Domingo, traversent la Plaza Consistorial, jouent les
funambules dans la Curva de Mercaderes et tracent groupés dans le faux plat de la
Estafeta. La plaza s’ouvre d'un immense cri, les toros disparaissent. La
cafetière ronronne, le café est prêt. Je
m’en sers une tasse. Le rideau roulant se lève sur un jardin en éveil imprégné
des piaillements du lever du jour. Trois blessés par coup de corne. On fait le
bilan du sang et de deux minutes de peur. Du fond de mon canapé, je regarde les
ralentis de la télévision espagnole. L’encierro est ausculté comme un malade,
sous toutes les coutures, dans toutes les sutures. Un IRM ne ferait pas plus.
Les caméras sont partout, devant, derrière, dessous et maintenant au-dessus.
Elles cherchent la chair trouée, l’Américain cloué, le Japonais éraflé, le sang
sur les pavés et la corne énervée. La course n’existe plus. Ses codes, ses
techniques, sa beauté ne peuvent rivaliser. L’image est choc comme un coup de
croc et d’estoc. J’éteins.
Manolo Molés me fait penser à un
guardia civil des années 1950 avec sa moustache bien noire. Je m’étonne que
personne ne lui en ait fait la réflexion. Peut-être que si finalement. Il est
souriant. Comme hier, il parle du « milagro » de San Fermín, de cette
plaza pleine comme la rue Estafeta à 8 heures du matin, de ces 20 000 spectateurs
qui sont là tous les jours. Finito de Córdoba acquiesce d’un « sí,
estupendo » à ce point réjoui qu’on le croit à peine sorti de chez son
chirurgien-dentiste.
Manolo Molés est content, ce qui
jure avec sa tronche de guardia civil des années 1950. Les toros se sont « laissés
faire » aujourd’hui. Finito a mal aux dents et renchérit d’un « sí,
estupendo » post-épilation intégrale à la cire. Les caméras nous donnent
du gros plan sur la corne qui a effleuré le bras du torero, sur le coup de
patte à la sortie d’une passe, sur le mozo de espada qui voudrait un autre cœur,
sur la brune qui gonfle les seins au passage du torero triomphateur. Les
caméras sont partout et, au final, nulle part où il faudrait.
Manolo Molés est content. Il y a
des grandes portes aujourd’hui. Il dit au revoir à Finito qui met du temps à comprendre
le sens de ces mots. C’est peut-être pas les dents.
J’éteins.