Quatre ans… Quatre années de croyances, de
doutes, d'illusions, de désillusions, de blablas sans fins,
d'auréoles tenaces sous les bras façon 33 tours, de coups de gueules
sanglants et de réconciliations anisées. Toutes ces bornes roulées,
ces demis bien frais avalés et autant d'heures à convaincre ces
dames de la nécessité de partir pendant quelques jours avec les
potos, mais en célibataires, pour reluquer pendant des heures des
tonnes de barbaques aux pitones comme des fourches du diable depuis
le fauteuil poussiéreux d'un pickup inconfortable et dégueulasse… Quatre ans de tout ça, pour ça, mais aujourd'hui je vous le dis,
mesdames, bien plus qu'une énième gueulante cuissue à cause d'une
rentrée nocturne trop matinale, ce que vos julots, darons, lardons,
ex, futurs, collègues et amants méritent, c'est bien votre
bénédiction !!!
Car voyez-vous, mesdames, ce que vos
hommes ont offert à la petite troupe de joyeux drilles festifs des
samedis orthéziens, c'est d'abord de voir dans un cercado coincé
entre une piscine municipale et un rond-point con d'être aussi rond,
les spécimens les plus remarquablement rêches du panel taurin
actuel, présentés comme un défilé militaire nord-coréen. Et ça,
croyez-moi, ça ne veut pas rien dire… Demandez aux abonnés des
plazas lounge des contrées voisines ! Eh oui, qu'on se le dise
et répète, le « Kleenex team orthézien » a réussi le
pari de sortir une corrida de toros de tenue supérieure, quand les
copains d'à côté se cachent historiquement derrière des arguments
même pas à la hauteur de la plus pathétique des blagues Carambar.
Dois-je me rassurer pour autant de les avoir tous vus au creux du
callejón béarnais ? On verra bien…
Je ne suis pas dupe, António da Veiga Teixeira a certainement plus à jouer dans le ruedo orthézien que Victoriano del Río ou Núñez del Cuvillo dans n'importe quel autre, mais après tout chacun son credo, et puis en fait chacun sa merde, aussi…
Ceci dit, nul ne niera que le
magnifique lot de toros portugais de Veiga Teixeira recruté par les
sergents de Xavier Klein ne sera pas chanté comme ayant été le
plus brave ou le plus noble de l'histoire, mais assurément comme le
plus audacieux, le plus respectueux par sa forme et sa présence
d'une foule toujours plus nombreuse. Peut-être un rapport
cause/conséquence, allez savoir ?…
Ainsi donc, les toros de Veiga Teixeira
étaient superbes et l'on frôlait le lleno. Et puis, et puis,
j'avoue que l'ensemble m'a plutôt laissé sur ma dalle, et que si
j'ai cru rêver en voyant cette baston emportée par ce fou premier
de 'Passionarito' face à un grand Robleño emportant
tout sur son passage depuis son triomphe catalan, l'on vit ses
compères se dégonfler au moment du troisième tiers. Certains me
parlent d'un tercio de varas fort appuyé, ce à quoi je réponds que,
là encore, l'influence des souples voisins a trop contribué à
déformer la vision de ces tristes sires qui auraient dû louer la
renaissance d'un premier tiers fort bien entretenu tout au long de
l'après-midi. Des varilargueros soucieux des choses bien faites, des
cites soutenus, des gestes opportuns, et même quelques batacazos, au
point que l'on put véritablement juger des compétences braves des
bestiaux portugais, qui poussaient fort et sauvagement, sans pour autant être jugés braves. Nul n'échappa au contrôle technique sérieux
et appliqué, ce qui est, là encore, une prouesse de la part des
organisateurs béarnais. Décidément, on dirait que les temps
changent ! Ne pas s'en satisfaire serait faire preuve d'une mauvaise
foi décourageante… Je vous laisse juge.
Mais avouez que jusque là, lecteurs
cyriens, cela ressemble déjà fortement à un bon moment de
tauromachie, un après-midi réussi.
On pourra toutefois se questionner sur la présence du beau Paulita, qui passa un peu à côté du sujet, et des vrais talents de Serafín le catalan, qui ne me fit ni chaud ni froid, malgré une oreille grasse et velue… Mais, qu'on se le dise, l'essentiel orthézien se situe bien ailleurs, car il faut avant tout comprendre ce qui se trame réellement dans l'ombre depuis le début de l'ère Klein. Ainsi, je n'ose imaginer que celui-ci n'ait pas eu la malice de s'entourer volontairement de quelques tronches un peu compétentes en la matière, entre jeunes loups élevés sous la mère et vieux singes aux idées claires et avisées à qui on ne la fait plus depuis belle lurette, en passant par les fortes têtes et autres « vieux chalutiers » de haute mer — ce subtil agrégat ne pouvant en aucune manière s'apparenter à une bête coïncidence. Quatre années de prise en main et autant de succès, on peut dire que le palmarès interpelle… Pourtant, la politique n'y est certes pas des plus fleurie, des plus encline à séduire la masse ou à secouer les naseaux du haut-Béarn, mais c'est peut-être pour cela qu'elle est bonne. Simplicité et authenticité, sans compromis apparent, on avance humblement mais avec l'inquiétude perpétuelle que les choses soient faites pleinement, selon les convictions, selon une certaine idée de l'afición a los toros, selon une idée précise de pourquoi on a décidé de faire venir des toros à Orthez.
Il ne reste plus à la cité de Fébus qu'à apprivoiser son afición locale, son auditoire, afin que le petit peuple ne monte plus en tendido par hasard, pour y cuver sa bière chaude, mais qu'il prenne pleinement conscience de la valeur du spectacle qu'on lui présente chaque fin de juillet et qu'il sache mieux apprécier l'évidente subtilité d'une pose de banderilles « gascoune », face à des tíos de catégorie, au doux et fier son de la flûte landaise.
Quatre ans seulement, où l'on ne peut
plus parler de hasard ou nier que la cité béarnaise est en train
de gagner son pari aficionado. Parentis et Céret ne sont plus seules, elles peuvent compter désormais sur Orthez. Nous, on en redemande, et même on vous soutient, n'en doutez pas.