29 août 2011

Autorovia (VI)


Mardi
Le soleil aux trousses, je vois ses franges rouges dans le rétroviseur. Je file à l’ouest. J’aime bien me dire que je file vers l’ouest. J’ai calé le compteur à 120 km/h. Je n’ai pas envie de rouler plus vite. Je veux voir l’ouest se faire réveiller par les rayons rasants du lever du jour. Je ne suis pas en retard de toute façon, je n’ai aucune raison valable d’aller trop vite. Tout le monde achève sa nuit dans la voiture. Il a fallu se lever tôt pour éviter les chaleurs. Seule m’accompagne la musique de Lou Reed ; le volume est bas comme le soleil qui rougit l’horizon dans le rétroviseur. Séville est incandescente à cette heure, elle brûlera bientôt. J’appuie sur le bouton retour pour réécouter « Heroin » mais je sens que ça ne colle pas. Une musique sans accroc et dépourvue de plainte aurait mieux convenu. Un rythme qui file comme la route, calé à 120, fluide et porté par le soleil qui se lève. Et puis cette version live est mauvaise, je n’y retrouve pas l’éblouissement du choc des premières écoutes. Il faudra que je remette la main sur l’album The Velvet Underground & Nico (1967). Celui de la banane. Il faudra que je le note pour y penser en rentrant.
J’ai trouvé facilement San Juan del Puerto. Il fallait sortir à Niebla, après c’était indiqué, il suffisait de suivre. L’entrée de « La Ruiza », c’est deux piliers blancs ponctués chacun d’une pyramide. Dessus il est écrit « La Ruiza ». C’était pas compliqué non plus. C’est un camino particular qui mène au cortijo. C’est écrit sur une borne bouffée par les herbes, ça ressemble à chez Miura. Le camino traverse une voie ferrée ; des panneaux en forme de croix, d’un autre âge, annoncent le danger. J’ai supposé que l’ouest n’était pas loin. Tout le monde est réveillé et j’ai cloué le bec à Lou Reed. Le jour est plein de vie maintenant. Je regarde Loulou derrière moi. Il me semble perdu dans ses pensées d’enfant et ses yeux bleus fixent un point invisible dans ce paysage de paille. Se rend-il compte que la très très longue route s’achève dans quelques instants ? Non, bien sûr, et c’est très bien ainsi, que les enfants n’aient pas encore le même rapport au temps que nous, qui en venons à compter les secondes. Pour lui, il ne le sait pas encore, la très très longue route n’est que le point de départ d’autres routes, plus profondes encore, je lui souhaite. Il me vient cette pensée qu’il ne sera peut-être pas aficionado. Malgré son père, malgré les toros que je lui montrerai, que je lui expliquerai, malgré tout. Et après, me dis-je ? Il n’est pas moi. Il choisira. Il roulera en écoutant Lou Reed ou Shakira ou Miles Davis ou d’autres vers les bornes et les portails d’entrée de ses envies. Comment devient-on aficionado, d’abord ? Il doit y avoir autant de réponses que d’aficionados mais, ce qui est sûr, c’est qu’on le devient. On ne naît pas aficionado. C’est un apprentissage qui n’a pas d’achèvement ; il n’y a pas de bout de la route. J’ai tout de même la conviction que la majorité d’entre nous (les aficionados) y est venue parce qu’on nous l’a transmise (l’afición), volontairement ou inconsciemment. J’ai aimé ça avant d’avoir vu un toro. J’ai appris après, quand deux grands bonhommes qui vont toujours aux arènes ensemble aujourd’hui m’ont expliqué avec leurs mots et leur patience. C’est une tâche complexe, la transmission. J’ai réfléchi à cette question bien avant Loulou. Il ne faut pas trop en faire, il faut trouver le ton juste, avoir quelque chose à raconter. Il faut surtout un public, un public prêt à écouter, et c’est là le moins aisé.
C’est un portail de fer qui a agité ses yeux bleus. Derrière il y avait les toros (des novillos pour dire vrai). Juste derrière. Il aurait voulu les toucher. Il l’a dit avec ses mots.
C’est là que tout commence, me suis-je entendu penser.
La très très longue route prend fin devant ce portail de fer.
C’est là que tout commence. « Loulou, les toros, il faut les contempler de loin. Ils n’aiment pas qu’on les touche. — Pourquoi ? »
C’est là que tout commence.

Tomás Prieto de la Cal est aussi grand que moi. J’ai remarqué ça en lui serrant la main. Ça m’a étonné qu’il soit aussi grand que moi. Non pas que lui, Tomás Prieto de la Cal, soit aussi grand que moi, mais qu’un Espagnol le soit, j’entends. Le 46-47 de pointure est une denrée des plus rare à débusquer dans ce pays où la chaussure revêt l’importance que le donut peut recéler aux States — ça permet de situer le niveau de considération des Espagnols à l’égard de la pompe. Mais c’est bien la preuve aussi que ce peuple (si tant est que l’on puisse utiliser le mot « peuple » concernant les Espagnols — je me répète, je sais) est petit, en tout cas comparé à moi. Eh bien Tomás Prieto de la Cal, non ! C’est étrange, le plus souvent quand quelqu’un nous serre la main, c’est ce toucher qui nous fait réagir ; sur l’instant, on se dit « Dégueu, il sue des phalanges » sans que notre cerveau ne prenne en considération la taille du type qui va avec la main. Par exemple, les mains molles ou moites — j’ai remarqué qu’elles allaient souvent de pair — ne m’incitent pas à pousser la discussion plus avant. C’est très désagréable les mains moites, d’autant plus que ça donne une très mauvaise image du reste du corps d’entrée de jeu. Quand je serre des mains moites, quand je sens ce contact presque sirupeux contre la peau veloutée de mes paluches, entretenues d’arrache-pied avec des produits à base de raisin et dont le prix serait une provocation pour les Indignés de la Puerta del Sol, j’ai décidé de ne plus faire l’effort de savoir à qui j’avais affaire. J’ai pris cette décision il y a peu, pour être franc. Je ne regarde plus ce qui suit la main, ce qui la tient, le visage transpirant sur lequel cette main s’est essuyée trente secondes auparavant. Je méprise de toute la hauteur de mon hypocondrie et, c'était facile à comprendre, je suis grand. Mais là, non. En serrant la main de Tomás Prieto de la Cal, c’est sa taille qui m’a marquée. Je me suis simplement dit : « Tiens, il est aussi grand que moi. » Je ne me souviens même pas si Tomás Prieto de la Cal avait les mains moites, mais je ne pense pas tant l’homme porte l’élégance comme une évidence. J’ai fait la bise à la femme de Tomás Prieto de la Cal et elle n’avait pas les joues moites. En regardant ses yeux qui hésitaient entre une forme d’excuse et une lueur mélancolique, mais peut-être n’était-ce qu’une vue de l’esprit, j’ai pris conscience que les aficionados connaissaient mieux les lunettes noires et la mère de son mari qu’elle-même. Elle m’a expliqué avant de partir que les toros lui faisaient peur. J’ai aussi remarqué qu’elle faisait peu ou prou la taille de mon épouse et, les choses de la vie sont ainsi faites, qu'elle avait aussi quatre enfants. Nous avons tous ressenti une certaine complicité dès les premiers instants.
Les quatre enfants Prieto de la Cal sont de beaux enfants ; l’œil pétille, le geste est vif et tous sont habillés dans le moule d’un bleu ciel Lacoste s’accordant à merveille avec la météo du jour. En les écoutant énumérer les numéros des toros prévus pour Zaragoza en octobre, j’ai su que pour eux la transmission était en bonne marche. Tomás les incitait à décrire tel jabonero, à chercher quel numéro manquait dans notre champ de vision et, à ce jeu-là, car il s’agissait d’un jeu pour la fratrie, l’aîné, Tomás, s’avéra le plus au point. Loulou bouffait des yeux les toros de Veragua et ses sœurs ne cachaient pas leur admiration pour le savoir déjà conséquent des enfants du lieu. Je me suis imaginé juste une seconde en compagnie de la famille Prieto de la Cal dans un grand centre commercial des abords de Séville. J’ai souri à l’idée que, dans cette situation, c’est moi qui aurais poussé mes gosses à épater la galerie : « À quel étage se trouve le magasin Desigual ? Quelle est la tendance pour 2015 ? Lunettes de soleil en mode mouche ou rétro ? Le numéro de ma carte bleue ? Euh, attends... »

J’ai quitté le cercado des toros pour Zaragoza en ne pouvant m’empêcher de jeter un dernier coup d’œil. J’avais l’impression qu’il fallait que je me gave de ces estampes avant de reprendre le chemin de terre. Car il s’agit d’estampes. Je crois me souvenir avoir déjà écrit au sujet de ces toros qu’ils me faisaient penser à des statues à l’exécution parfaite, au trait on ne peut plus précis, à l’harmonie idéale. Il me semble l’avoir écrit et je le pense. La corrida de Saragosse est une tía superbe. Madame Tomás Prieto de la Cal a peur des toros« Me dan miedo », a-t-elle avoué. Je la comprends.
Dans le bruissement des feuilles d’eucalyptus, un vent léger s’était levé. Sur le parterre d’entrée du cortijo, nous avons discuté entre adultes. Un peu de la vie en général, des enfants évidemment ; on a bu un café. Autour de nous les enfants Prieto de la Cal montaient des chevaux âgés avec toute la classe inhérente à ceux qui ont cavalé avant de savoir marcher. Devant lui, Tomás hijo, dont le sérieux le dispute à un savoir taurin qui force le respect, avait placé Loulou sur le grand cheval blanc. « Taquilac, taquilac »,  nous répète-il depuis.
J’ai fait très attention en traversant la voie ferrée. À quelques mètres de la petite route de San Juan del Puerto, j’ai croisé une Mercedes bleue. À droite du chauffeur, un chignon gris géant rentrait chez lui.
Séville devait brûler à cette heure.

>>> Retrouvez une galerie consacrée à l'élevage D. Tomás Prieto de la Cal sur le site www.camposyruedos.com, rubrique CAMPOS.

28 août 2011

Déshabillez-vous…


Nos lectrices sont formidables... Non, vraiment !
Là, c’est Émilie qui a accepté de se dénuder pour l’objectif d’un des photographes de Campos y Ruedos.
Et figurez-vous... que ça nous a donné des idées ! Nous lançons un grand concours de lectrices nues en train de lire CyR...
Les règles du jeu sont très simples ; il suffit de nous contacter pour poser pour nous...
Au bout d’un certain temps, d’un temps certain... nous présenterons une galerie de toutes nos lectrices, et les internautes voteront. Et la gagnante gagnera... gagnera... Nous n’avons pas encore décidé mais ça ne saurait tarder.
Je sais... Les dames, certaines dames, vont se plaindre du côté essentiellement masculin de la démarche. Bon, d’accord... Que dire... Que dire, sinon que les huit collaborateurs de Campos y Ruedos sont tous des mecs ! Et que donc... enfin... voilà...
Allez mesdames ! À vos claviers !!!
Messieurs, pour profiter des formes sublimes d'Émilie, cliquez sur la photo...

27 août 2011

« Toromanie »


C'est Peyo de l'Adour, via le blog de la Peña Cúchares, qui m'apprend la nouvelle du décès de Pierre Daulouède, fondateur et président d'honneur de l'Association française des vétérinaires taurins (AFVT), et vétérinaire des arènes de Bayonne durant plus d'un demi-siècle...

« Pourquoi ne pas évoquer aussi cette mésanventure dont je faillis être la victime ? C'était au mois de septembre, pendant les années 1950. Avec quelques amis je visitais la fameuse finca de Palma del Río où étaient élevés les toros du “fer” de Saltillo. Accompagnés de Don Félix Moreno Ardanuy, nous observions les six toros destinés à la corrida de... Toulouse. Nous n'en étions séparés que par une clôture sommaire faite de fils de fer barbelés rompus, donc sans la moindre protection. Deux bichos se battaient furieusement et les autres étaient tout à fait paisibles. Descendu de cheval, j'ai un instant quitté le groupe pour aller à quelques dizaines de mètres de là satisfaire un besoin naturel derrière une meule de foin. Soudain un léger bruit, à moins que ce ne soit une sensation instinctive, me fit retourner. À trois mètres de moi se dressait un immense taureau d'au moins sept cents kilos, terriblement armé, la réplique exacte de la fameuse publicité d'Osborne que l'on découvre en haut des collines sur les routes espagnoles. Paralysie, frayeur, puis centimètre par centimètre je me suis déplacé pour rejoindre le groupe où le cœur battant je dis à mon hôte : “Là, un toro !” Réponse : “Ce n'est rien, ce n'est que le semental.” [...]
Ces sementales dont on parle si peu et dont Juan Luis Fraile raconte qu'un des siens, parqué à la finca de Tamames, n'hésitait pas, certaines nuits, à briser ou à “enjamber” les clôtures pour, à travers champs, parcourir plus de trente kilomètres et rejoindre dans sa finca de Robliza de Cojos ses vaches préférées... Il vaut mieux ne pas errer la nuit dans cette région où la rencontre au détour d'un chemin avec ce promeneur nocturne, animé de son agressivité naturelle potentialisée par le désir sexuel, pourrait être tout à fait désagréable... »
(Citation tirée de Pierre Daulouède, Les carnets du vétérinaire ou la corrida à l'envers, Peña taurine Côte basque, 3e éd., 1996, p. 62.)

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Il est encore temps pour les fans de toros sous les jets d'eau, et les autres, d'aller visiter à Bayonne l'exposition « Toro » du photographe dacquois Philippe Salvat, puisqu'elle se tient jusqu'au jeudi 1er septembre dans les corrals des arènes de Lachepaillet — que Pierre Daulouède connaissait probablement comme personne...

Derniers jours de l'exposition « Toro », du lundi 29 août au jeudi 1er septembre, de 9h à 12h et de 14h à 18h. Entrée libre.

NB Le titre de ce post est celui du dernier ouvrage de Pierre Daulouède (Atlantica, 2003).

Image Visuel de l'exposition © Philippe Salvat

26 août 2011

Carteles oficiales de la Feria Taurina del Pilar


© Beatriz Entralgo Cerezo
Vendredi 14 octobre 2011  17h30

 toros 6
D. TOMÁS PRIETO DE LA CAL
« La Ruiza », San Juan del Puerto (Huelva)
Encaste Veragua | Devise grenat & or

Fernando Robleño  Alberto Aguilar  Carlos Gallego

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Samedi 15 octobre 2011  17h30

 6 toros 6
Hijos de D. CELESTINO
CUADRI VIDES
« Comeuñas », Trigueros (Huelva)
Encaste Cuadri | Devise violette, jaune & blanche

Javier Castaño  Luis A. Gaspar 'Paulita'  Iván García

Les photos sont là, il ne te reste plus qu’à les prendre


Tu comprends, si tu pars avec deux optiques, un 28 et un 50, par exemple, ça n'ira jamais. Ce ne sera jamais le bon caillou qui sera monté sur le boitier. Et tu vas passer ta journée à changer d'optique. Ce n'est pas bon ça, pas bon du tout. Il faut choisir.
Ce sera peut être un 35, ou un 28, ou même un 50. Il y a là un choix à faire, un vrai choix, une première contrainte.
Ce sera peut-être, un M, un 35, de la Tri-X, toujours à 400, et rien d'autre.
C'est ça, une contrainte, quelque chose qui peut sembler te compliquer la vie mais qui, au final, te la simplifiera. Aller à l'essentiel. Photographier.

Avec seulement un 35 on ne peut évidemment pas tout faire. Par exemple, un avion dans une tour ça va être compliqué. En même temps, un avion dans une tour, ça a déjà été fait... Une corrida aussi ; ce ne sera pas évident de photographier une corrida au 35.

Robert Capa disait : "Si ta photo n'est pas bonne, c'est que tu n'étais pas assez près."
Robert Capa ne photographiait pas les corridas, mais la guerre, la guerre d'Espagne bien entendu, mais pas uniquement puisqu’il a tragiquement disparu au Viêt Nam. 
Et puis la corrida ce n'est pas la guerre, ce n'est plus la guerre, me direz-vous. Bon d'accord, mais pour une corrida, sauf à sauter en piste, le théorème de Capa il va être compliqué à mettre en œuvre.
En même temps, photographier une corrida, ce n'est pas si simple, où plutôt, ça l'est trop si l'on n'y prend garde. Elle est où la créativité dans la photographie de corrida ? Elle est très limitée quand on y pense.
Aujourd'hui, une corrida est un spectacle. Un spectacle est une esthétique organisée, un déroulement bien huilé, laissant peu de place à l'imprévu.
La corrida moderne laisse chaque jour de moins en moins de place à l'imprévu. C'est bien la preuve que ce n'est plus guère un combat, encore moins la guerre.
Alors Capa...

Photo prise au Musée de l’Arles antique, pendant les RIP — histoire d’une valise mexicaine...

« Voyage, voyage »


Pour ceux que cela  intéresse, la "traditionnelle" corrida d’Alcurrucén de Cenicientos a donné ceci : 6 toros 6 très bien présentés.
Les toros sortis en premier, second et sixième étaient (à mon sens) trop chargés en poids. Tous très armés et endurants, trois colorados, deux negros mulatos et un negro bragado. Désordonné, court et violent le premier. Brave mais court et s’avisant le second. Très brave le troisième assassiné. Manso et arrêté le quatrième. Mansote puis avisé le cinquième. Soso le dernier.
Chez les toreros : Joselillo mal et très mal ; Castaño sur la réserve sans trop de moyens et Javier Herrero s’en sort bien malgré le massacre du premier et une débâcle à l’épée à son second.
Suffisamment solides pour recevoir 9 gros puyazos, parfois interminables, 4 puyas et 3 refilones.  Le public a beau protester, et Dieu sait s’il manifeste, rien n’y fait... La consigne est claire : "¡¡¡Dale!!!" , et donc le picador franchit les lignes d’un pas lourd et c’est le carnage. Mais les gens gueulent, et depuis 1997 je les ai toujours entendus gueuler !!! Impossible de s’ennuyer même avec cette chaleur.
Le troisième toro, numéro 45, 'Amoroso', negro mulato, de novembre 2006, bouffe une grosse carioca d’entrée. Comme il est brave... il pousse... direction les planches... il pousse toujours le cheval... contre les planches bien sûr... Le public s’énerve, les monosabios s’emploient au cheval depuis le burladero, Javier Herrero (de turno) attend. 'Amoroso' est brave... Deuxième pique, ça pousse, on se retrouve au centre, 'Amoroso' prend le cheval au poitrail et le fait reculer sur cinq mètres, puyas traseras bien sûr.
Le système est le plus fort. Cette saloperie de système qui impose le massacre au cours de ces tercios de piques absurdes, absurdes dans les arènes où l’on ne pique plus, comme dans les arènes où l’on pique mal. Absurdes de Béziers à Bilbao. Absurdes, tout le monde est d’accord là-dessus mais les décideurs ne décidant rien ni à Béziers ni à Bilbao... on est dans la merde du nord au sud et d’est en ouest, à quelques exceptions près.
Et si, dans cette absurdité officiellement admise par les décideurs responsables qui ne veulent rien décider, je dois faire un choix... je choisirai alors le lieu où les toros qui font encore peur se font massacrer au milieu de l’indignation populaire plutôt que d’assister aux six demi-piques données à des saucisses qu’il faut rafraîchir toutes les trois passes dans l’indifférence générale. Triste choix.

De nuages en marécages
De vent d'Espagne en pluie d'Equateur
Voyage, voyage
Vole dans les hauteurs
(Desireless)

Mario Tisné

>>> Retrouvez une galerie consacrée à cette corrida d'Alcurrucén sur le site www.camposyruedos.com, rubrique RUEDOS.

25 août 2011

Rions


Quand j’ai commencé à écrire ce petit texte, j’ai commis une erreur, d’aucuns parleraient de lapsus révélateur, j’ai écrit "Rions-des-Landes" au lieu de Rion-des-Landes. Une lettre change le monde. Car si le petit village landais n’offre à rire qu’avec parcimonie en temps normal (il est cependant certain que Maïté a pu prêter à sourire parfois), dès que s’approchent l’heure et la date de sa traditionnelle novillada non piquée, force est de constater que le ridicule et la bêtise demeurent encore des ressorts plus qu’efficaces dans le monde impitoyable de la clownerie.
Je n’étais pas à Rion-des-Landes le dimanche 21 août 2011 et je ne donnerai donc évidemment aucun avis ni commentaire sur la novillada sans chevaux qui s’y est déroulée. J’eusse été le clone de l’animateur du site taurin Toros2000, j’aurais osé en écrire la reseña sur les seuls dires des "professionnels" ou d’un quelconque péon. Mais je ne suis pas lui et, de toute façon, à le lire (c’est difficile j’en conviens) je constate que mon niveau d’espagnol eut été bien trop chiche comparé au sien pour pouvoir ponctuer chaque bout de mes phrases de "digo yo", "puessss quelque chose", "vaya autre chose" et "joder mes dos cojones de la Santa Virgen de Lima de su raza". N’étant donc pas lui, je n’écrirai rien sur le déroulement de cette becerrada et de toute façon cela ne m’intéresse pas. Je dois avouer que le concept de la novillada non piquée m’attire assez peu même si je sais que depuis quelques années c’est là que l'on indulte sans se faire prier des becerros que l’on gratifie des qualités de toros adultes. La notion de bravoure étant même parfois évoquée. J’en hennis non d’un cheval.
Mais je ris franchement, d’où le "Rions-des-Landes" (oui c’était facile), quand je lis sur un autre site taurin que deux novillos dépassent les 500 kilogrammes pour cette course et que cela donne de la catégorie à cette placita landaise. Depuis quelques années d’ailleurs, le ridicule se recycle bien semble-t-il, Rion-des-Landes étant surnommée la "Bilbao des sans chevaux"... Des novillos non piqués de plus de 500 kilogrammes, c’est de l’empathie offerte par le public aux jeunes futures figuras de la tauromachie, c’est de l’émotion dès la sortie en piste du bicho. Non content de l’écrire sur son site, le clown de service en remet une couche à la radio deux ou trois jours avant la course lors de la promotion par le président de l’organisation de Rion de la novillada.
— Y sont gros vos novillos ! Y sont énoooooormes !
— Oui, c’est vrai, les gens vont avoir peur et ils prendront donc fait et cause pour les jeunes qui se mettent devant.
— C’est normal, vous êtes la Bilbao des sans chevaux, vous êtes géniaux !
— Oui... Agur !
Non, la présentation des novillos non piqués de Rion n’était pas "démagogique" (les clowns comme lui ont la mémoire courte), elle était normale et faisait même partie de l’argument de vente de l’organisation. Dans le service après-vente, ils pourront ajouter une vuelta al ruedo pour une bestiole non piquée.
Bref.
Je ris. Tu ris. Il rit. Nous rions. Vous rillettes. Ils rincent.
C’est l’éternel dilemme de la confusion entre trapío et poids. Vendre une course sur le poids des bêtes combattues est une ânerie... de poids pour le coup. Les kilogrammes n’ont jamais fait le trapío mais certains ne s’en souviennent que quand cela les arrange, ou arrange les copains de sous les pins. En allant plus loin, peut-on décemment évoquer la notion de trapío pour un animal de deux ans ? On peut certes deviner plus ou moins ce qu’il deviendra physiquement mais sa croissance n’en étant qu’à la moitié d’une vie de toro, on peut douter que le mot trapío convienne à cet endroit.
Dernière petite réflexion pour finir plus légèrement (je file la métaphore...) : l’intérêt des novilladas sans picadors devrait également résider dans la possibilité de présenter à l’Afición des élevages ou des encastes n’ayant pas les moyens ou la possibilité de sortir en novillada piquée voire en corrida. L’exemple de Saint-Sever est à cet égard un modèle chaque année pour le 11 novembre. Je veux bien croire que la fidélité à un ganadero est une démarche louable mais Rion-des-Landes propose des Valdefresno (tiens le ganadero est très ami avec le clown de service) depuis le jour où Eve a fait du gringue à Adam. J’imagine qu’un novillo sans piqué de Coquilla ne pèse pas 500 kilogrammes.

Photographie Un becerro Santa Coloma d'Adolfo Rodríguez Montesinos © Laurent Larrieu / Camposyruedos.com

Chopera Toros


L'empresa Chopera Toros* possède un site Internet sur lequel elle propose des photos de toros aux corrals (les fans de toros sous les jets d'eau devraient y trouver leur compte), donnant du même coup aux visiteurs l'occasion d'apprécier l'écart de présentation existant entre une « novillada de toros » de Joselito (El Tajo & La Reina) pour Almería et une corrida de Jandilla pour Bilbao.

* « Chopera, reviens ! », peut-on entendre du côté de Bayonne ou de Mont-de-Marsan...




Images Le logo & les Jandilla © Chopera Toros

23 août 2011

Autorovia (V)


J’ai voulu profiter d’un coucher de soleil en Andalousie. Le genre d’envie que l’on peut lire dans les revues publicitaires d’agences de voyages où le bleu devient indécent et vulgaire, où il ne manque que la petite famille bien habillée de blanc autour d’un bol de chocolat au lait pour compléter le tableau idéal de vacances de rêve au bord d’une mer de bout du monde. Les photos ne montrent jamais les autres, les touristes comme vous mais que vous exécrez. Elles ne montrent pas plus les immeubles sordides de banlieue, succession de barres d’où la vie s’extrait ou pénètre, à chacun de choisir,  de paraboles géantes, les poubelles qui débordent au soleil et que fouillent des femmes dépenaillées à l’aide d’une pique grossière, à la vue de tous mais elles s’en moquent. J’avais envie d’un coucher de soleil en Andalousie et je l’ai vu tirer sa révérence sur un parking en feu de Dos Hermanas, calé au pied d’un toboggan que dévalait Loulou. Le ciel est devenu laiteux, un vent léger a glissé sur les toits des voitures encore très nombreuses et j’ai regardé ces gens, des femmes pour la plupart, rejoindre leurs pénates en se félicitant ou des achats effectués dans les outlet de leurs rêves ou de la chaleur qui était devenue supportable à mesure que le soleil n’était plus qu’un mince filet rose à l’horizon de l’autovía qui filait vers Séville. J’ai eu envie de m’en griller une mais était-ce le lieu ? Une aire de jeux pour enfants ? J’ai décidé que oui parce que je n’avais pas envie de décider que non. En allumant la cigarette, une Chesterfield parce que le distributeur de tabac du bar La Sonanta de Triana n’avait pas de Marlboro light auxquelles j’ai coutume d’être fidèle sans raison clairement définie pour autant, j’ai pris conscience que les touristes me foutaient les glandes, comme ça, sans accusé de réception ni préavis. Le touriste a une capacité inégalée pour se faire repérer partout où il passe. En Andalousie par exemple, le touriste se débrouille le plus souvent pour avoir les yeux bleus et la tignasse blonde ce qui est, et j’étais d’accord avec moi-même sur ce point, une note de singularisation à la limite de la provocation dans ce sud où il est de bon ton de ne pas marcher en Havaianas. En regardant Loulou aller et venir sur son toboggan, je me suis interrogé sur cette propension que nous avons tous à détester les autres qui nous entourent. C’est vrai, en soi rien ne me pousse à mépriser de tout mon mégot jauni que j’écraserai dans dix secondes ces gentils Européens venus chercher ici soleil et dépaysement. Je devrais m’en remuer la tong droite et me dire que depuis quelques années d’ailleurs ces gens-là sont mes concitoyens, c’est écrit dans les livres d’Education civique. Je dois avoir un rapport douloureux à la citoyenneté. Ça doit être ça car le touriste m’exaspère avec son appareil Nikon en bandoulière, matraquant de clic et de clac le bougainvillier mauve de Santa Cruz, shootant un cheval déprimé devant la cathédrale de Séville, s’étouffant de bonheur à la vue des étals de fruits et légumes du marché San Jorge de Triana. N’ont-ils donc jamais vu de près une tomate ? Une prune ? Un ananas ? Le touriste est donc insupportable parce qu’il est là où je suis. Le touriste est un ogre d’espace vital, il serait même capable de me taxer une clope. Loulou remonte sur son toboggan pour la dix millième fois et me laisse pantois devant cette persévérance qu’ont les enfants à répéter à l’infini leurs moments de bonheur simple. Je me demande si les enfants de touristes se comportent de même mais j’en doute, je le sais. J’ai remarqué que les autochtones n’étaient pas toujours très sympathiques avec les touristes. Je ne parle pas d’une agressivité franche et sans fard, non, mais plutôt d’une sorte de morgue naturelle — serait-ce inhérent à Séville ? — destinée à démontrer que l’on est autochtone et d’ici. Le regard est fier, la démarche assurée, il n’y a pas de sac à dos encombrant pour ralentir le pas ou arrondir le dos, les odieux enfants bruns et gueulards sont chez la abuela et n’entament donc en rien la suffisance de papa qui cite le passant entatané à chaque coin de rue. Bref, l’autochtone est aussi détestable que le touriste à la fin.
Sur le chemin de la fin de journée, femme et filles récupérées et commentant avec force aigus la chaleur maintenant agréable et les extraordinaires trésors de la production textile internationale que recelait ce centre commercial, je me laissais aller à cette idée qu’il y avait deux catégories d’êtres humains : les touristes et les autres. Autant dire que j’ai rapidement pris conscience que la seconde catégorie était la plus nombreuse en ce bas monde, et dans des proportions scandaleusement inégales, et je ne sais pas si cela m’a rassuré étant donné que s’ils n’étaient pas des touristes, ils devenaient par voie de conséquence des autochtones hautains, parfois gominés, parfois voleurs, parfois crevant la dalle, parfois faussement souriants, souvent trop nombreux.

J’ai doublé un camping-car Fiat Ducato d’une longueur de 6,99 m et d’un poids de 3,5 tonnes modèle 2011 immatriculé en Suisse et qui s’évertuait  à rouler en-dessous de la vitesse autorisée. Je n’ai pas pu retenir mon courroux et l’ai copieusement harassé de mots peu amènes mais que je considérais comme fort à propos. Ma femme a tourné la tête vers moi et j’ai lu dans ses yeux qu’elle ne partageait pas mon point de vue sur la Confédération helvétique moderne. Son regard s'est mué en un radieux mélange de réprobation choquée et du bonheur d’une fin d’après-midi particulièrement réussie. Elle venait de faire l’acquisition de fripes soldées, indispensable à sa garde-robe et flottaient donc dans ses yeux les restes de ce moment extatique. Je n’ai eu qu’une fraction de seconde pour me faire cette réflexion que le bonheur des femmes ne tenait qu’à un fil, de coton ou de soie.
— T’es chiant de hurler comme ça. Je te signale que tu es aussi un touriste ici !
Sur le coup, ça m’a cloué, je dois l’avouer. Mais j’ai réagi plus vite qu’un retour de Saltillo encasté.
— Non ma loutre d’amour, je ne suis pas un touriste comme eux. Eux viennent pour consommer, pour bouffer du pittoresque, des castagnettes et des couilles de toro en sauce même si ça les écœure. Moi, je fume des clopes pour être solidaire des Indignés, je n’essaye pas de sourire à tous les indigènes, je n’essaye pas non plus de leur causer deux mots d’espingouin, je reste dans l’appart' avec la climatisation et je regarde juste le ciel bleu qu’on n'a pas chez nous ! Et toc, me dis-je.
— Et tu te trimballes pas peut-être avec un Nikon en bandoulière, deux même parfois ? Et tu ne portes pas des tongs peut-être ? Et les prunes que tu as achetées ce matin en rentrant de chez Miura, elles n’étaient pas "quand même beaucoup plus savoureuses que chez nous" ?
Je déteste ça. Je me suis tu jusqu’à Triana. Le tourisme m’a écoeuré toute la soirée. A la télé, ils ont diffusé en boucle des reportages dans lesquels des touristes bavaient tout le bien qu’ils pensaient de leur vacances et de leurs hôtes. Ils ont même interviewé des Suisses. Des Suisses !
Je n’ai saisi le sens profond de la remarque de ma loutre d’amour que quelques jours plus tard à Madrid. Ce soir-là, à Séville, croquant mes Lays sans entrain, ce qui est rare chez moi, je ne savais pas encore. J’avais prévu d’aller assister à la novillada d’Alcurrucén à Las Ventas le dimanche suivant. Novillada d’août à Madrid, peu de monde, places pas chères et cacahuètes grillées.

Ils étaient tous là ! C’était fait exprès. A la taquilla : des moines, des Japonais par convoi, des Anglaises rosies, des Birmans avec un peu de chance. Sur les gradins : cris et hurlements à l’entame du paseo, applaudissements à tout rompre à la sortie du premier novillo, les Japonais étaient particulièrement en verve, sortie anticipée pour deux Danoises à la mort du second. A un moment, un indigène du tendido 7 a claqué des mains pour demander le cambio d'un utrero et tous, tous, ont repris en chœur, même les moines, j’ai regardé. On aurait pu faire indulter toute la course avec un minimum de volonté. Ils étaient tous là. Le tourisme et les JMJ me revenaient en pleine gueule. J’ai décidé de ne pas voir au début. Je me suis concentré sur la course et sur Loulou qui contemplait les "nules" et les picadors. Il était à Las Ventas, c’était sa première course. J’étais ému mais je ne l’ai pas montré. Il avait trouvé le bout du chemin des toros quelques jours auparavant, demain matin en réalité, chez Prieto de la Cal. J’ai regardé Loulou admirer les novillos et les "nules", les touristes et les locaux n’existaient plus.
En quittant les arènes, la nuit allait être lourde une fois de plus, ils sont revenus à moi dans les escaliers. J’ai senti que ma femme n’avait pas tort au fond, je portais des tongs comme eux et un Nikon se balançait sur ma panse adepte des chips Lays. Un jour un pote dans ma jeunesse m’avait dit que nous étions tous le "con" d'un autre. Je dois bien être le touriste de quelqu’un.
Demain matin, Loulou aura achevé la très très longue route des toros. En fait, elle ne fait que commencer pour lui. Les Prieto de la Cal l'attendent.

>>> Retrouvez une galerie consacrée à la novillada d'Alcurrucén lidiée à Madrid le dimanche 14 août 2011 sur le site www.camposyruedos.com, rubrique RUEDOS.

21 août 2011

Prieto de la Cal en Tafalla


Retrouvez une galerie de photos consacrée à la corrida de Prieto de la Cal lidiée le vendredi 19 août 2011 à Tafalla (Navarra) sur www.camposyruedos.com, rubrique RUEDOS.
Une corrida "regular" avec un lot de toros âgés mais qui n'a pas apporté le poder et la sauvagerie que l'on peut parfois rencontrer chez les pensionnaires de "La Ruiza". Il y avait de la noblesse pour certains (le 6e) et une bravoure de fond chez d'autres comme, surtout, le 3e. Cependant, les astados n'ont malheureusement pas démontré une grande volonté au cheval (larges comme des cuirassiers).
Israel Lancho a failli se faire une nouvelle fois éventrer (cf. Madrid en 2009) sur une passe de cape et n'a rien démontré techniquement par la suite. Le courage est là, par contre.
Seul Paco Ureña a dévoilé de réelles qualités de torero et même de lidiador. C'est le seul à avoir placé un de ses toros correctement au cheval...
Rubén Sanz ?... Que dire, si ce n'est que nous y reviendrons certainement dans un futur "Autorovia"...

Photographie Israel Lancho accroché sur le Prieto © Laurent Larrieu / Camposyruedos.com

19 août 2011

Quinquins de Collioure


Si la petite caravane de l'Afición souhaite profiter d'une galerie photographique de la dernière novillada colliourencque — vous le saviez, vous, franchement, que les habitant-e-s de Collioure sont des Colliourencs et des Colliourencques ? —, qu'elle se rende donc immédiatement à la rubrique RUEDOS du site...

18 août 2011

Argelès-Collioure, un peu d'espoir au bout du trajet


15 août 2011. La féria de Béziers s’achève sur une corrida de Miura décevante (mais une miurada peut-elle encore être décevante ?), en dépit de la bonne prestation d’un Rafaelillo qui sort grandi de l’épreuve après deux combats centrés, authentiques, conclus par deux bonnes épées. Juan José Padilla aura été tricheur et grotesque, comme à son habitude, et Iván García, malgré l’envie patente de bien faire qu’on lui connaît dans les trop rares occasions qui nous sont données de le voir, ne sera pas parvenu à s’adapter au rythme particulier de ces adversaires auxquels il se confrontait pour la première fois. Un magnifique sixième exemplaire, cárdeno claro, pour le souvenir, le seul du lot à présenter une encornure harmonieuse et peu suspecte.
En matinée, le ramage des novillos de Tardieu n’aura pas été à la hauteur de leur plumage. Quatre mansos comme dans les livres que les trois novilleros du jour n’ont manifestement jamais lus, à en juger par la stupeur et l’océan de perplexité impuissante dans lesquels ce comportement les aura plongés. Le sixième novillo, à l’inverse, paraissait monté sur un rail circulaire, son museau au ras du sable ne demandant qu’à s’inscrire dans des trajectoires doucement guidées et liées les unes aux autres ; las, Juan Leal se sera contenté de leur imprimer ce toreo vertical qui seul paraît être enseigné dans les écoles taurines et autres fondations si bien représentées ce jour-là.
Cette journée mariale venait clôturer une féria de la torpeur et du renoncement desquels ne surnagent péniblement qu’une faenita de José María Manzanares et un combat de Jean-Baptiste Jalabert sous le déluge. Les corridas de Daniel Ruiz et Núñez del Cuvillo n’auront été qu’un pensum, un calvaire pour l’aficionado perdu au milieu d’un public festif dépourvu du moindre critère, devenant agressif à l’égard de quiconque tenterait d’élever une voix timide contre ce qui devrait provoquer du moindre coin de tendido l'envol d'une nuée de coussins.

16 août 2011. C’est la deuxième fois en ce mois d’août, et la troisième depuis le début de l’été, que l’aficionado de Languedoc-Roussillon aura pu trouver son salut dans les arènes de Catalogne Nord. Morte, la corrida en Catalogne ? Par-delà les Pyrénées, c’est à craindre, mais de notre côté de la frontière, il semble qu’il n’en soit rien tant c’est bien à Céret, Millas et Collioure qu’il fallait se rendre pour y voir des toros.
Argelès-Collioure. Le train chemine à travers un paysage de mer et de montagne, à l’image de ce plat savoureux servi par Patricia et David avec leur immense convivialité. Les images défilent ; on se prend à se remémorer les première pages du dernier livre d’Alain Montcouquiol, la tristesse qui en découle vite effacée par les rires des copains, la bonne humeur des jours de course dans l’attente fébrile desquelles les blagues fusent, abandonnant pour un temps les pronostics d’ordre taurin, comme pour conjurer le sort.
En descendant du train, la petite arène portative est là, immédiatement ; des hordes de touristes indifférents à ce qui se jouera ici, à ce qui se joue ici, défilent devant elle sans lui accorder davantage qu’un regard à peine curieux que le brouhaha de la rue fera disparaître bientôt. Restent quelques égarés, quelques aficionados locaux, et la petite caravane de l’Afición, cette infinitésimale composante du public des arènes que l’on a la joie de rencontrer ici et là, jamais par hasard.
Et c’est ici, dans ces arènes portatives posées près des sables balnéaires des vacances insouciantes, que sont sortis six magnifiques novillos des héritiers de Christophe Yonnet. Un lot au trapío irréprochable et aux armures splendides, six bichos de ceux qui font s’élever des gradins ce « Ooooooh ! » caractéristique, qui font naître à la surface de la peau enfiévrée de soleil ce frisson des grands toros, des véritables toros.
Le simple fait d’avoir permis à ces merveilles de fouler le sable de ces arènes, ici à Collioure, était en soi un pari gagné. Mais le spectacle ne s’est pas arrêté à la contemplation béate de ces animaux. Car tous furent passionnants ; non seulement chacun se battit comme les toros doivent se battre, mais en outre la course alla a más. Seize rencontres avec la cavalerie, une envie d’en découdre à chaque fois quasiment intacte, et un comportement passionnant de bout en bout.
La difficulté d’organiser ce type de course ne s’arrête hélas pas à la programmation d’un élevage sérieux. Il faut encore traverser les affres qui consistent, quelle que soit la catégorie de la plaza, à trouver les piétons susceptibles de les affronter. Quand on connaît les difficultés à contracter d’associations telles que l’ADAC ou l’ADA Parentis, on imagine ce qu’il peut en être à Collioure. Alors, bien sûr, comme c’était inévitable, aucun novillero ne parvint à se hisser à la hauteur de ses adversaires, et il s’en fallut de beaucoup. Vraiment beaucoup. Mais la deuxième heureuse surprise du jour est venue de la présence en piste des frères Beltrán, un duo de peones de grand talent qui, comme dans le Vallespir, ont fait montre tout l’après-midi d’une grande torería et d’une technique sans faille au service de la tauromachie authentique et véritable.

« Tout ce que tu fais, fais-le par le bas »

La petite caravane de l’Afición ne bouda pas le plaisir si rare que fit naître la contemplation de cette lidia. Et elle fit entendre ses encouragements, elle que l’on qualifie si souvent de grincheuse et de « jamais-contente ». Comme toujours en pareilles circonstances, la faible capacité d’accueil des arènes permit aux aficionados de se faire entendre, dans le respect des acteurs du ruedo, ce qui avec le sérieux de la présidence eut pour effet que, sans doute à la grande surprise de certains toreros, la course puisse avoir lieu avec une relativement grande tenue.
C’est ainsi que l’on put profiter aussi pleinement que possible (eu égard aux compétences et à l’expérience limitées des novilleros présents) de chacun des six novillos, de voir leur fierté et leur race s’exprimer, de les juger au moins deux fois chacun face à la cavalerie. C’est si rare, si rare...
Et c’est également ainsi que l’on put, chose tout aussi rare sinon davantage encore, écouter religieusement les conseils avisés de cette cuadrilla de categoría dispensés à Huertas, certes encore vert mais dont l’envie de bien faire peut légitimement laisser quelques espoirs se former en nous. « Tout ce que tu fais, fais-le par le bas. » Cela change des inepties et des « bieeeeeeeen » totalement hors de propos proférés dans les arènes de France et de Navarre, saison après saison.
À la sortie des arènes, le public s’attardait longuement en laissant tranquillement et doucement la course se décanter ; signe, comme me le fit remarquer Richard, qui ne trompe pas. La chaleur de la journée retombait peu à peu, et on pouvait laisser une douce satisfaction s’infiltrer lentement en nous.
La petite caravane de l’Afición ne représente plus rien d’autre qu’elle-même, ce qui, numériquement et en terme d’influence, ne représente sur l’échiquier taurin strictement rien ; elle est en outre dépourvue, depuis la disparition de l’ANDA, de toute représentation tangible. Je pense toutefois pouvoir affirmer en son nom qu’elle sait gré aux acteurs qui ont rendu cette journée possible (organisation, et en particulier Yannick Florenza, Quinquin et Charlotte Yonnet, les quelques toreros cités plus haut), de ce moment passé ensemble, de cette petite lueur d’espoir dans les ténèbres.
Qu’ils en soient ici humblement remerciés.

>>> D'ici quelques heures, la petite caravane de l'Afición pourra profiter d'une galerie photographique de la course colliourencque...

Photographie © José 'JotaC' Angulo / Camposyruedos.com

Autorovia (IV)


Lundi
Je quitte "Zahariche". J’ai regardé Antonio Miura raccompagner le petit roquet dans la cour du cortijo. C’est plein de chiens à "Zahariche", la plupart sont petits, tous aboient et se chamaillent ma présence. Les cercados du bord de route sont vides et brûlés par l’été annoncé dans le Diario hier. L’horizon n’est qu’un bleu sans nuance, implacable. Miura doit faire partie de mes obsessions. Je suis certain que je pourrais trouver une explication à ça dans ma jeunesse, dans ces années où l’afición ressemblait plus à un rêve lointain et souvent imprimé qu’à cette route que je prends aujourd’hui. Eduardo Miura est arrivé avec 10 minutes de retard. Son père était obsédé par l’heure juste et précise. Nous avons parlé de lui justement (son père) et de sa passion pour la photographie. Eduardo est sorti de son petit 4x4 en me montrant du doigt. Je me suis senti une cible facile, allez savoir pourquoi.
¿Campo y Ruedo?
Va pour "Campo y Ruedo". C’est moi, une partie en tout cas.
Au milieu des toros destinés à Bilbao, il m’a demandé si j’avais des questions à poser comme les autres journalistes qui venaient ici. J’ai pensé en moi-même que je n’étais pas journaliste. J’ai soupesé l’intérêt de lui poser ces questions et je me suis dit : "Bof." J’ai répondu que non, que je voulais seulement tirer le portrait de ses toros et causer des photos de son père. Peut-être ai-je été impoli — j’y ai pensé tout de suite — et avait-il réellement envie de répondre à des questions sur l’élevage. En cadrant un negro très Miura, j’imaginais ces questions auxquelles il devait être confronté toute l’année : "Ils sont méchants vos toros ? Pourquoi marquez-vous en haut ou en bas de la cuisse ? Le chiffre 13 est-il vraiment interdit ici ? Ils ont une quatorzième vertèbre vos toros ? Une deuxième queue, six cornes et dix-huit yeux ?... Vous aféitez vos toros ?" Oups, celle-là, non.






Eduardo Miura m’a fait forte impression. Il ressemble à son père. Physiquement. De tête. Eduardo Miura parle peu et ça tombait bien. Ça donne une chance au silence. Eduardo Miura ne prend aucun risque au milieu de ses toros. Tout indique qu’après une vie dévouée à créer les Miura, Eduardo Miura continue d’éprouver de la crainte à l’égard de ses toros. Ça m’a rassuré, non pas pour ma sécurité personnelle mais parce que j’ai pris conscience que pour certains ganaderos les taureaux de combat n’étaient pas anodins. Ça se perd, il suffit de lire Aplausos en se goinfrant de chips Lays. Il m’a dit que son père était un grand photographe et il a dit ça avec fierté, d’une voix qui ne laissait pas de place à l’hésitation. En entrant dans la maison, il a tendu le doigt vers un noir et blanc en contre-jour et m’a indiqué que c’était son père qui avait fait cette photographie. On y voyait le vieux mayoral assis avec à ses pieds un petit chien et à sa droite, en arrière-plan, la tête d’un cheval. Eduardo Miura a pris du temps pour m’expliquer que cette photo était vraiment bonne, son doigt a glissé sur l’encolure tendue du cheval, sur le détail du petit chien qui se percevait à peine en bas à droite, sur la maîtrise du contre-jour. J’ai acquiescé sans tricher. Je l’ai trouvée belle cette photo campera. J’ai acquiescé aussi parce que de toute façon j’aurais acquiescé à ce qu’il me disait. J’ai toujours acquiescé aux paroles des ganaderos que j’ai croisés depuis quelques années. Je me suis toujours senti gêné ou au mauvais endroit quand l’un ou l’autre de ces éleveurs affirmaient d’un ton souverain et péremptoire des idées ou des théories que je ne partageais pas en tant qu’aficionado. Mais j’acquiesçais tout de même, par politesse me suis-je toujours dit. Avec l’âge, pourtant, je sais que ce refus de contredire témoigne d’un manque évident de goût du débat oral, la lâcheté en embuscade. Ce n’est pas moi qui vais expliquer à celui-là qui est né au milieu des toros, et qui doit les vendre, que les fundas sont à la ganadería brave ce que les knacks sont à l'art culinaire, que trop de toros tue le toro, que sa femme cuisine mal et que les clébards hargneux faudrait penser à les occire vite fait bien fait. Je préfère m’écarter quand j’en ai l’occasion, penser que je suis bien, là, au milieu des toros, au long d’une route que je ne cesse d’attendre. Avec Eduardo Miura, j’ai acquiescé sans tricher. Il a voulu me présenter son frère Antonio qui paradait au loin avec une manade de cabestros. Pour le prix d’un frère, j’a eu droit à toute la famille ou presque. Comme si le portail d’entrée me tombait sur le râble d’un coup. La femme d’Eduardo rentrait des courses avec le fiston, l’héritier, le suivant, l’espoir, la route qui continue. Il s’appelle Eduardo. J’ai acquiescé, là aussi, tout en pensant en mon for intérieur que l’originalité n’était pas à la fête dans ces familles de traditions et d’héritage. Eduardo est jeune mais il m’a semblé porter le poids de tout ce qui va venir — les épaules lui tombent un peu déjà. Antonio a pénétré dans le salon d’un pas alerte et frais, bien qu'il fît déjà très chaud. J’avais devant moi la famille Miura, et autour, sur les murs, le "Grand conseil des sages". J’ai pris une photo merdique comme un touriste qui veut garder un souvenir de la Tour Eiffel ou de l’Arc de triomphe. J’ai juste cadré, mais mal. Ils ont voulu prendre une pose natural, le torse bombé, le regard droit, le chapeau bien vissé. On a causé un peu de moi parce qu’ils voulaient savoir ce que je faisais là, finalement, à Séville, en août quoi. Antonio aime Séville au mois d’août pour y boire una cervecita au frais d’une de ces terrasses où les rideaux roulants vous balancent gentiment de l’eau en crachin brumeux, Eduardo a évoqué la crise actuelle. J’ai acquiescé aux deux dans un sourire sans tricherie. Je n’aime pas la bière. Eduardo roule en Jaguar.

>>> Retrouvez une galerie consacrée à la ganadería de Miura (corridas de Bilbao et Nîmes) sur le site www.camposyruedos.com, rubrique CAMPOS.

Photographies Un Miura pour Bilbao 2011 et le "Grand conseil des sages" à "Zahariche" © Laurent Larrieu / Camposyruedos.com

17 août 2011

Autorovia (III)


Samedi
Je me rapproche des toros qui courent au bout de la très très longue route. Direction Sevilla. Il y a une chose qui m’a toujours intrigué en Espagne, au-delà bien sûr de l’incapacité généralisée de ce peuple (on pourrait tergiverser des heures sur la notion de peuple concernant les Espagnols mais la route défile et la caravane passe) à prononcer correctement le moindre mot de français et de leur propension, elle aussi généralisée, à faire de leurs entrées de villes et de villages un hymne grunge et déconstruit à la ferraille et au béton : le nombre presque indécent de stations-services le long des autovías. À croire qu’ils la boivent avec des glaçons dans la hierba, leur essence. De la route, certaines sont tellement seules dans l’infini du vide qui les entoure qu’on les dirait accrochées aux fils électriques que supportent encore de vieux piliers de bois. Elles sèchent au soleil qui ne pardonne rien, encore moins la solitude. Ça ressemble à quoi la vie d’un pompiste de Monesterio ? Je suis sûr qu’il ne regarde que la route devant lui sans jamais se laisser aller à jeter un œil derrière, vers les champs sans limite de son isolement. Quand on ne fait que passer, que jeter un regard à 130 km/h, ça a presque le charme désuet de ces photos désaturées de la Route 66, l’Amérique en moins, l’Ouest toujours plus loin... surtout pour le pompiste de Monesterio.
— Chérie, prends-moi ça en photo s’il te plaît.
— Mais y’a rien là, tu veux que je prenne quoi ?
— Le rien mon amour, le rien, justement !
Elle a pris la photo en souriant, la délicatesse et la lumière oblique du soleil caressaient son visage en douceur.
— Merci chérie... ai-je glissé dans un murmure en forme de baiser.
En passant devant ces stations terrains vagues, je repense aux mots d’Alain Montcouquiol. Il attend un mayoral au comptoir d’un bar station-service et raconte à la caméra, ou au type de derrière, que c’est souvent comme ça le campo, qu’il faut se rendre dans ces lieux brumeux et faits de rien pour attendre les toros. Mais j’aime bien ces endroits sans chic, que personne ne regarde avec réelle attention et parfois même bien dégueulasses où de grosses tarlouzes laissent des messages indécents sur les portes aux camionneurs de passage en oubliant de tirer la chasse et de pisser dans le trou. J’aime bien ces endroits car ce sont les premiers où l’on s’arrête en prenant la route des toros. Ce sont les premiers cafés qui pour certains s’apparentent définitivement et criminellement à des hydrocarbures mal raffinés, les premiers mots d’une langue que comprennent les toros, les premières viennoiseries rances — torturées au sucre et dont je suis souvent le seul à me délecter parce que j’adore engloutir ces horreurs certainement cancérigènes et encore plus sûrement industrielles —, les premiers pincements du vent glacial l’hiver du côté de Burgos, les premiers regards éclairés des copains qu’on n’a pas vu depuis six mois, les premiers vagues à l’âme d’avoir laissé Loulou, ses sœurs et de t’avoir laissé, toi. Décidément Loulou, la route des toros qui courent est vraiment très très longue et, décidément, les toros aiment se cacher sur les cartes ou dans le vide.
Pas d’Indignés à Séville. Les flics regardent les touristes leur tirer le portrait avec des calèches tristes en arrière-plan. Ici, l’indignation s’arrête à 40° C. Au-delà, c’est du suicide et l’on a encore trop à perdre pour y jouer sa vie. Les révolutions modernes s’arrêtent à l’entrée du Corte Inglés. Calle Sierpes, je me dis qu’il serait temps de penser à me racheter des clopes et même si les Indignés sont absents, je tiens à mon moment de solidarité. Elles sont moins chères ici malgré la hausse de ces dernières années. De quoi se plaignent-ils dans ce pays ?
Séville est atone. En avril, la Nodo grouille et boit et chante et se regarde le nombril sous des costards parfaits et des robes à pois. En août, elle sue les excès du printemps et se regarder le nombril, activité qu’on dirait inventée ici même, lui demande plus d’efforts qu’à un manchot pour se gratter le bouton de moustique. Les rues sont des déserts fermés de grilles de boutiques, les trottoirs fondent, le bitume bout et l’on parle moins fort. Le cours de l’ombre est au plus haut mais la confiance des marcheurs égarés est pourtant loin d’être palpable.
J’ai été heureux de retrouver les photos d’Aitor Lara sur la façade de la FNAC. C’est beau une belle photo. Ce gitan dont la barbe dévore les doigts, les ongles et la clope, ¡joder! On dirait un Goya période nuit noire et rêves de ténèbres. J’ai pris une photo avec un lampadaire devant. J’aime bien quand quelque chose gêne le regard pour ainsi dire. À moins qu’il ne le guide ? Je ne sais pas. J’ai du mal à faire des choix, moi. Je vais m’en griller une tiens. La fraternité ne tient qu’à un fil je me dis.

Dimanche
J’ai acheté le journal parce que c’est dimanche. Le Diario de Sevilla parce que je suis à Séville. Les choses sont simples parfois. Ils annoncent de la chaleur pour la semaine. Je regarde avec toute la bonhomie dont je suis capable quand j’ai chaud le bouton vert qui m’indique que la climatisation est en marche. Page 54, Morante de la Puebla et Manzanares ont ébloui les arènes du Puerto de Santa María et un Cuvillo a eu l’honneur d’une vuelta al ruedo. Le toro du XXIe siècle ? Victoriano ? Cuvillo ? Je sens que je ne suis pas prêt pour ce genre de choix.
Je termine Ellroy. Bucky Bleitchert en termine lui avec Le Dahlia noir. J’ai traversé l’épreuve sans grande difficulté finalement et puis j’aime bien ces histoires d’obsession. Loin du "L.A." d’Ellroy ou de la grosse pomme de Selby junior (lire Le Démon), je ferme le livre en me demandant quelles sont mes obsessions à moi. Mais ça ne se livre pas comme ça une obsession. Une obsession ça se cache, ça se dissimule, des fois ça ne dit même pas son nom. D’autres fois, le plus souvent en vérité, c’est nous qui évitons de lui donner un nom ou de la faire remonter à la surface de notre vie quotidienne, notre obsession. Les toros ont quelque chose qui relève de l’obsession, je le sais aujourd’hui. "Le venin" de Fernando Palha. Elle s’accroche à moi cette remarque comme un goût trop fort envahit le palais et fait son siège sans pitié. Je la mâche depuis quelques années sans arriver à l’avaler complètement parce que je me demande où cela mène à la fin. Si c’est bon ou si c’est mauvais. S’il faut s’en inquiéter ? Si ça s’arrête un jour ? Je m’interroge parfois : doit-elle me mener quelque part ? Pourquoi faudrait-il que je trouve une utilité, un sens ou une simple direction à cette obsession ? C’est peut-être mieux et c’est peut-être même plus sain d’arriver à accepter que les toros m’obsèdent et point. Je me laisse porter, soumission acceptée. La passion, j'avais oublié que la souffrance la faisait tenir debout.

Photographies Une station-service quelque part et la façade de la FNAC de Séville avec les photos d'Aitor Lara © Isabelle et Laurent Larrieu / Camposyruedos.com

Prieto de la Cal en Tafalla 2011


Sur le site www.camposyruedos.com, rubrique CAMPOS,  vous pouvez retrouver une courte galerie consacrée aux toros de Don Tomás Prieto de la Cal qui seront lidiés le vendredi 19 août 2011 dans la plaza navarraise de Tafalla.

>>> Pour plus d'informations sur la Feria de Tafalla, rendez-vous sur le blog de l'empresa Taurovisión.

Photographie Un Prieto de la Cal pour Tafalla © Laurent Larrieu / Camposyruedos.com

16 août 2011

Autorovia (II)


Mercredi
— Ça y est ! On est en Espagne !
  Y sont où les toros ?
La carte ne m’avait pas prévenu de ça. Même écrit petit, c’était pas écrit. Faut expliquer maintenant. Expliquer que la route elle est très très grande et très très longue et que les toros ils sont tout au bout de la route qui est très très longue et qu’en plus les toros y se cachent sous des grands arbres parce que les toros ils aiment bien qu’on leur fiche la paix. Faut trouver les mots et c’est pas évident.
— Mais c’est où qu’y courent les toros ?
Pas à Biriatou... non, pas à Biriatou.
Si les toros ne naissent pas à Biriatou, les radios françaises y meurent. Biriatou, à chaque fois, l’œil perdu sur une enfilade de culs de camions et de néons roses aux courbes érotico-kitschs, c’est l’entrée dans un monde musical inaudible, un cosmos que seuls les magasins Bershka perpétuent à l’envi pour de jeunes adolescentes au short à la taille inversement proportionnelle à celle de leur mèche de côté et à l’allure scientifiquement dégingandée ; Biriatou, c’est Gaztea. Je n’ai aucune idée de ce que signifie ce nom de radio et allez savoir pour quelle raison je ne capte, à chaque fois, que celle-là : Gaztea. À force, cul de camion après club, club après néon, radar après radar, je m’y suis habitué. Et je laisse Gaztea. Quelque part, ça raccroche au monde actuel, à une certaine réalité mais je me suis laissé dire un jour, en passant par Biriatou  — mais fait-on autre chose que seulement passer à Biriatou ? — qu’il y avait deux catégories d’êtres humains : ceux qui coupaient Gaztea et ceux qui laissaient Gaztea. J’ai baissé la garde et maintenant je fais partie de la seconde catégorie même si je reste persuadé que la catégorie la plus nombreuse est celle qui écoute un CD en voiture. Je suis incapable d’en tirer des conclusions sur moi-même (le fait que j’écoute Gaztea), c’est ainsi.
— Papa, y sont où les toros qui courent ?
— Oh ! Loulou, écoute ! C’est Shakira, c’est « Waka Waka » ! T’aimes bien toi Shakira...
— Uiii.
Je crois que je tiens le début d’un semblant de conclusion sur moi-même.
À chaque passage ici, dans un virage à gauche sur la deux fois deux voies, je lui dis la même chose. Je m’en rends compte en le lui disant mais elle a la délicatesse de ne jamais me le faire remarquer. Ma femme a énormément de délicatesse à mon égard, en particulier lorsque que je suis au volant. Parfois, je me demande si cela ne trahit pas une angoisse fort bien dissimulée toutefois. Bref.
— Putain, ils n’ont même pas fait l’effort de donner un nom à cet hôtel !
Hostal Salida 2. Plus glauque y’a pas. Même leurs clubs couleur stabilo ont des noms. Ça donne un style, un genre, un semblant de vie réelle, de vie tout court, une poussière d’ailleurs. Les putes s’évadent un peu. Club Elvis, c’est les states ; le King, c'est Hollywood, la vie de star, l’alcool, la drogue, l’usure mais ça elles l’ont déjà, tout bien considéré, et puis il suffit d’un poster accroché au mur délavé et mité pour ne plus prendre conscience des remous saccadés et pleins d’une haleine de nuit sans fin du gras velu de José ou de Juan, ou des autres. Ça coûte pas un bras de foutre le camp, ne serait-ce que cinq minutes. Salida 2, c’est final de trayecto, sapin et Burgos en panoramique. J’ai des rêves pas chers mais là faut pas pousser.
— Ici, Loulou, les toros courent pas. Y regardent même pas !
Madrid somnole en août et nombre de bars et de tiendas affichent porte close pour « vacaciones ». Les flics ne chôment pas eux sur la Puerta del Sol inaccessible à partir de 19 heures. Le pape débarque dans quinze jours et il serait tout de même inopportun que ce sympathique octogénaire teuton puisse voir son séjour gâché par le mouvement des Indignés, qui n’ont rien trouvé de mieux pour emmerder les touristes que de s’installer depuis des semaines sur la Puerta del Sol pour déclamer dans la solidarité et sous un soleil de plomb tout leur mécontentement d’une crise qui les laisse les bras en croix, saignants de misère. En passant à côté d’un guardia civil brun ténébreux, la couille fière, j’ai supputé l’idée d’aller l’encourager dans sa mission de nettoyage de l’indignation mais je me suis juste contenter de lui demander si par hasard il ne savait pas où était le tabac le plus proche, car il était temps pour moi de trouver quelques clopes question de soulager mon anxiété face à la crise mondiale. L’angoisse des lendemains qui déchantent se partage assez bien. Je lui ai demandé ça de manière très polie comme j’ai toujours coutume de le faire quand il s’agit de représentants de l’ordre public. Clope au bec, le poumon frétillant, je me suis senti tout à coup très solidaire des Indignés. Ça coûte pas grand-chose finalement une B.A. En contemplant le spectacle rare d’une Puerta del Sol vide et seulement militarisée, j’ai pensé que le pape n’aura rien à redire du boulot accompli. Tout se passera bien dans quinze jours.
En rentrant, après avoir flâner sur Gran Vía pour m’imprégner encore plus de cette crise, j’ai lu Aplausos en grignotant des chips Lays parce que, même si c’est la crise, il est parfaitement hors de question que je sacrifie la qualité de mes chips. Les Lays sont les meilleures ! D’après eux (les journalistes de la revue de Valence), c’est vrai qu’il y a crise mais José Tomás va sauver le monde. Je ne suis pas bilingue-bilingue mais c’est en substance ce qui était raconté. En achevant le paquet de Lays (je n’étais pas seul dessus), j’étais rassuré et la crise et tous les Indignés me tracassaient moins l’esprit. J’ai regardé loulou, qui attend toujours de voir courir les toros, et ses sœurs, et je me suis dis qu’avec José Tomás qui va sauver le monde, ils ne craignaient plus grand-chose mon Loulou et ses sœurs... À moins que José Tomás ne soit pas Dieu et, dans ces conditions, ça va être un triste bordel sous peu, sans néon couleur stabilo. Mais je n’y crois pas !

Jeudi
Il doit faire 40° C à l’ombre. Le vent est une invention à penser en ces lieux. Aujourd’hui, Dieu ne torée pas. Point.

Vendredi
La nuit madrilène est constellée d’un bruit lassant, insupportable à la longue et parfaitement antinomique de ce que l’on peut attendre d’une belle nuit d’été en Espagne. Depuis notre arrivée, un incessant ballet d’hélicoptères crépite dans le ciel madrilène et la capitale prend les atours somme toute peu agréables d’une cité sous surveillance permanente. Madrid s’endort dans l’anxiété de ces miradors grésillant qui recherchent quoi ? Qui ? Pour protéger qui ? Je me pose trop de questions. Ça doit être Ellroy, les dommages collatéraux. Le pape peut venir, tout est prêt. Même le ciel de Madrid est propre mais je me dis en tirant sur le dernier taf de la dernière clope du soir que c’est bien normal d’avoir aussi pensé au ciel quand il s’agit de Dieu. Avec un soupçon de sarcasme, je l’avoue, j’ai pensé en mon for intérieur qu’ils pouvaient bien récurer même les cieux, de toute façon, les voix du Seigneur sont impénétrables... Enfin c’est ce qu’on dit ; j’ai pas été vérifié.
En me couchant, j’ai regretté de ne pas avoir fait un saut à l’exposition de photographies de Cristina García Rodero au Círculo de Bellas Artes de Madrid. Je me console avec un montón de photos de fundas dans Aplausos. Tiens, il paraît que le toro de Victoriano del Río serait le toro du XXIe siècle. Je n’arrive pas à me décider si je suis heureux de l’apprendre. Je me dis, avant de fermer les yeux, un brin inquiet quand même, que j’ai du mal à faire des choix dans la vie.