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27 août 2011

« Toromanie »


C'est Peyo de l'Adour, via le blog de la Peña Cúchares, qui m'apprend la nouvelle du décès de Pierre Daulouède, fondateur et président d'honneur de l'Association française des vétérinaires taurins (AFVT), et vétérinaire des arènes de Bayonne durant plus d'un demi-siècle...

« Pourquoi ne pas évoquer aussi cette mésanventure dont je faillis être la victime ? C'était au mois de septembre, pendant les années 1950. Avec quelques amis je visitais la fameuse finca de Palma del Río où étaient élevés les toros du “fer” de Saltillo. Accompagnés de Don Félix Moreno Ardanuy, nous observions les six toros destinés à la corrida de... Toulouse. Nous n'en étions séparés que par une clôture sommaire faite de fils de fer barbelés rompus, donc sans la moindre protection. Deux bichos se battaient furieusement et les autres étaient tout à fait paisibles. Descendu de cheval, j'ai un instant quitté le groupe pour aller à quelques dizaines de mètres de là satisfaire un besoin naturel derrière une meule de foin. Soudain un léger bruit, à moins que ce ne soit une sensation instinctive, me fit retourner. À trois mètres de moi se dressait un immense taureau d'au moins sept cents kilos, terriblement armé, la réplique exacte de la fameuse publicité d'Osborne que l'on découvre en haut des collines sur les routes espagnoles. Paralysie, frayeur, puis centimètre par centimètre je me suis déplacé pour rejoindre le groupe où le cœur battant je dis à mon hôte : “Là, un toro !” Réponse : “Ce n'est rien, ce n'est que le semental.” [...]
Ces sementales dont on parle si peu et dont Juan Luis Fraile raconte qu'un des siens, parqué à la finca de Tamames, n'hésitait pas, certaines nuits, à briser ou à “enjamber” les clôtures pour, à travers champs, parcourir plus de trente kilomètres et rejoindre dans sa finca de Robliza de Cojos ses vaches préférées... Il vaut mieux ne pas errer la nuit dans cette région où la rencontre au détour d'un chemin avec ce promeneur nocturne, animé de son agressivité naturelle potentialisée par le désir sexuel, pourrait être tout à fait désagréable... »
(Citation tirée de Pierre Daulouède, Les carnets du vétérinaire ou la corrida à l'envers, Peña taurine Côte basque, 3e éd., 1996, p. 62.)

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Il est encore temps pour les fans de toros sous les jets d'eau, et les autres, d'aller visiter à Bayonne l'exposition « Toro » du photographe dacquois Philippe Salvat, puisqu'elle se tient jusqu'au jeudi 1er septembre dans les corrals des arènes de Lachepaillet — que Pierre Daulouède connaissait probablement comme personne...

Derniers jours de l'exposition « Toro », du lundi 29 août au jeudi 1er septembre, de 9h à 12h et de 14h à 18h. Entrée libre.

NB Le titre de ce post est celui du dernier ouvrage de Pierre Daulouède (Atlantica, 2003).

Image Visuel de l'exposition © Philippe Salvat

07 décembre 2009

Des carcasses de poids


Autour des arènes de Céret, le 13 juillet 2008.
« Viens Olga, on va voir si c’est ouvert… Mince, c’est fermé… Tu vois le monsieur tout en blanc, là ? C’est le boucher.
— Où ?
— Là, avec les bottes blanches.
— Comment il s’appelle ?
— Le boucher… c’est le monsieur qui découpe les toros… »
Un silence un peu plus grand que ma fille s’étire ; elle venait de mettre la main sur celui qu’elle cherchait.

En juin dernier, dans « Juin 1933, Le Toril », nous avions vu que le journal toulousain émettait de gros doutes sur les poids des novillos de Moreno de la Cova communiqués par l’organisation vicoise. Celle-ci annonçait une moyenne de 305 kg (poids « en canal » ou poids de carcasse) tandis que les Toulousains revoyaient cette moyenne à 275 kg, après s’être enquis du « poids vif des bichos au passage à la douane »... Et dire que dans son article, Le Toril ne nous donne pas ses chiffres ! Cela aurait été une aubaine et une bonne vieille règle de trois aurait suffi pour avoir une idée de la proportion poids vif/poids « en canal »1. Qu'importe, en partant du principe que la définition actuelle d’une carcasse doit ressembler de très près à celle de 1933, et qu’une carcasse de bovin, qu’il soit brave ou non, reste et demeure une carcasse de bovin, nous allons tenté d’attribuer un poids vif moyen au lot de novillos de Moreno de la Cova combattu à Vic en 19332.

C'est quoi une carcasse ? D’après le Dictionnaire des sciences animales établi par le Cirad, il s’agit du « corps d'un animal abattu pour la consommation humaine après dépouillement, éviscération et enlèvement de la tête, des pieds, de la saignée (parties de muscles entourant le point de saignée), des mamelles et des organes génitaux. […] Elle est constituée par l'ensemble du squelette (moins la tête et les extrémités sectionnées au milieu des carpes et des tarses) et des muscles ; les reins […], la hampe, l'onglet (diaphragme) et la queue restent adhérents à la carcasse. » Voilà, c’est ça une carcasse, et pas autre chose.

En espagnol, « en canal » signifie carcasse... Ancien vétérinaire des arènes de Bayonne, Pierre Daulouède3, à propos d’une corrida de Miura sortie en 1983 à Lachepaillet, affirme : « Ces toros pesèrent vifs : 541, 470, 571, 648, 624 et 567 kilos, soit 573 de moyenne (chiffres déduits des poids en canal représentant environ 60 % du poids vif : 325, 282, 343, 389, 374 et 340 kilos). » Citation ô combien précieuse puisque le poids vif, comme il l’est clairement exprimé, a été évalué à partir du poids de la carcasse.
En 1955, dans La vida privada del toro, Luis Fernández Salcedo, abordant la question de l’augmentation journalière du poids du toro, écrit : « Les premiers [qui seront lidiés à Madrid] auront augmenté leur poids de 80,5 kilos en sept mois, soit une carcasse prenant 0,380 kilos par jour, ce qui équivaut à 0,638 kilos en vif avec un rendement de 60 % ».
Le règlement taurin en vigueur actuellement (Real Decreto 145/1996) indique que le poids minimum des toros à combattre dans les arènes de 3° catégorie devra être de « 410 kg à l’arrastre, ou de 258 kg, son équivalent « en canal ». » Ainsi, la carcasse constitue(rait) 62,9 % du poids vif, et un toro ayant rendu un poids « en canal » de 336 kg pesait 534 kg, contre 560 avec un pourcentage de 60. La différence n’est certes pas énorme mais elle n’est pas non plus négligeable.
Quid du controversé règlement andalou ? Bien décidé à ne rien faire comme les autres, il dit que « le poids minimum des toros sera […] de 410 kilos dans les arènes de troisième catégorie et les portatives, ou de 235 kilos, son équivalent « en canal ». » Du coup, la carcasse représente(rait) environ 57,3 % du poids vif, et un toro ayant rendu un poids « en canal » de 336 kg pesait 586 kg…
Soyons (très) pragmatiques et considérons que la « vérité » se situe probablement, sans doute, peut-être, allez savoir !, au milieu, soit à 60,1 %. Même si, personnellement, j'aurais bien coupé la poire en deux entre les 60 % de Daulouède et Salcedo et les 62,9 % du Real Decreto (61,5 %).

Située à une quarantaine de km de San Sebastián, Azpeitia est une petite ville basque (Guipúzcoa) dont les arènes classées en 3° catégorie renseignent, à l'autorité compétente de son gouvernement, le poids « en canal » des toros qui y sont lidiés.
En 2007, deux corridas, l’une de Palha (31 juillet) et l’autre d’Ana Romero (1er août), sont programmées. En appliquant le pourcentage de 60,1 %, la course de Palha, pesée à 288 kg de moyenne « en canal » (259 kg pour le plus léger contre 315 kg pour le plus lourd), rend une moyenne poids vif de 479 kg (431 kg pour le plus léger contre 524 kg pour le plus lourd). Toujours avec le même pourcentage, la course d’Ana Romero, avec une moyenne de 336 kg « en canal » (321 kg pour le plus léger contre 346 kg pour le plus lourd), affiche une moyenne poids vif de 559 kg (534 kg pour le plus léger contre 575 kg pour le plus lourd).
On le voit, en contextualisant — Palha envoyant un lot correspondant à la catégorie de la plaza, tandis qu’Ana Romero prépare et amène en terre basque sa tête de camada —, ces chiffres n’ont rien de choquant même si les Buendía peuvent apparaître un poil (sinon deux) trop lourds. Le bajito et magnifique ‘Cacerolito’ de la corrida-concours 2009 de Saragosse pesait 526 kg (323,5 kilos « en canal » avec un rendement de 61,5 %).

En juin 1933, ces coquins de Vicois annoncèrent « que les six [novillos de Moreno de la Cova] avaient fourni 1.830 kilos de viande, soit une moyenne de 305 par animal », à savoir, en appliquant toujours le pourcentage de 60,1 %, une moyenne poids vif de 507,5 kg. Après vérification, les Toulousains du Toril rectifièrent « à 275 kilos de moyenne le poids des six La Cova du 4 juin, allant, toujours à [leur] avis, de 260 le troisième à 300 le dernier. » Par conséquent, ce 4 juin 1933, le lot de novillos de Moreno de la Cova aurait pesé — j’ai bien écrit « aurait pesé » — en moyenne 457,6 kg, allant de 433 le troisième à 499 le dernier.
Ce qui, par exemple et en comparaison, correspond grosso modo aux moyennes actuelles des novilladas présentées par l’empresa Pagès à La Maestranza, qui, soit dit en passant, possède une balance assez épatante puisque les novillos, comme le stipule le règlement taurin andalou, n’y dépassent jamais la demie-tonne4 !

Dans un prochain post, plus court et moins « lourd », nous tâcherons d’examiner quelques cas aussi contradictoires que curieux. À suivre donc…

1 Si vous lisez l’expression « poids net » quelque part, entendez-la comme l’estimation du poids « en canal » d’un toro bel et bien vivant. Si cette estimation est correcte, elle sera alors, sinon égale, très proche du poids « en canal ».
2 Pour des raisons évidentes que chacun imagine aisément, il est hautement aléatoire, voire intellectuellement malhonnête, de prétendre vouloir donner le poids vif de ces animaux plus de 70 ans après leur apparition dans le ruedo vicois...
3 Pierre Daulouède, Les carnets du vétérinaire ou la corrida à l’envers, Peña Taurine Côte Basque, 1996, p. 26.
4 Le règlement taurin espagnol, lui, fixe le poids maximum des novillos lidiés dans des plazas de 1ère catégorie à 540 kilos. Cette année, le poids des novillos de Cuadri combattus à Séville étaient les suivants : 495, 497, 498, 495, 499 et 492 kilos ! Bizarre, vous avez dit bizarre ? Rappelons que, sur ce point (poids vif maximum des novillos), le règlement taurin municipal français (2007) est aligné sur celui d’Andalousie (2006)… Au Pays basque, la limite est fixée à 475 kilos ! Manquerait plus qu’une Communauté autonome place la barre à 460 kilos, une autre à 420, etc.

Images Non, ce n’est pas Céret © Campos y Ruedos Rembrandt / Le Bœuf écorché, 1655 / 94 x 69 cm © Musée du Louvre El desolladero 2, album Flickr © Toros en Burgohondo

08 septembre 2006

Domecq, salsa Mayalde


"Qu’avez-vous à nous proposer, Monsieur ?
- "Aujourd’hui, le chef s’est décarcassé, bonnes gens, jugez plutôt, vous m’en direz des nouvelles : terrine de toros cuits à la vapeur de l’eau thermale de Dax en su salsa de figuras. Succulent !"
- Avec ces chaleurs, ça nous semble un peu lourd, mon cher. La digestion risque d’être difficile.
- Dans ces conditions, je peux vous proposer des canapés de novillos multicolores en su salsa Domecq, c’est léger, ça se mange sans faim !
- Bien, va pour les canapés, ça nous reposera !"

Ce week-end, l'Adour va bouillir, c'est promis, juré, craché. Ponce, Rincón, Juli et Castella vont se la jouer au milieu de la pluie... d'oreilles et pourquoi pas de queues. Mousson de cartilages, faudra faire mieux que le week-end dernier à Bayonne. Intervilles n'est pas loin !
Pour ceux qui craignent les chaleurs, qui ne goûtent pas les succédanés de toros bravos ou les guidons du team Samuel Flores, rendez-vous à l'heure de l'apéro, il y a quatre novillos du Conde de Mayalde à occire. Ça apparaît à peine sur les affiches, quelle importance.

Le Conde de Mayalde n'est pas encore un élevage très connu chez nous. Ça sort pas mal pourtant depuis quelques années, les Tyrossais peuvent en témoigner. Cette année, c'est Gijón qui a raflé le gros lot, semble-t-il.
Mayalde, ça sonne "grand d'Espagne", généalogie à rallonge et patronyme long comme l'Amazone. L'élevage a été fondé en 1949 par José Finat y Escriva de Romani1 qui deviendra le Conde de Mayalde. Il achète cette année-là la ganadería de Humberto Sánchez-Tabernero qui recouvre deux encastes marqués de nostalgie : Coquilla et Vega-Villar. En 1958, le Conde acquiert la moitié de la camada de Ignacio Sánchez-Sepúlveda qui détient du pur Contreras dans la ligne Sánchez-Terrones (Baltasar Ibán vient de la ligne Sánchez-Rico). Evidemment, comme souvent, le ganado antérieur est éliminé.
Jusqu'en 1986, le sang Contreras reste pur de tout croisement mais les temps sont à l'uniformité et il faut bien vivre. C'est tout d'abord 'Jirivilla', un semental de Juan Pedro Domecq qui livre sa miraculeuse semence aux "petites" vaches Contreras. Prudent, le Conde conserve tout de même une lignée pure Contreras, on ne sait jamais avec ces Domecq. Cependant, le croisement opéré en 1986 est consolidé en 1990 avec un autre "macho" de Juan Pedro et le tout est entériné en 1995 par l'achat d'un lot de vaches El Ventorrillo, encastées... Juan Pedro Domecq. Actuellement, les produits du Conde de Mayalde sont fortement marqués par l'apport Domecq et la lignée pure Contreras semble n'être plus qu'un doux souvenir. ¡Lástima!

C'est justement en mai 1995 que disparaît le Conde de Mayalde dont la vie suscite l'intérêt des férus d'histoire contemporaine. Entre autres fonctions, il fut ambassadeur d'Espagne à Berlin au moment où le petit moustachu aux idées noires (euphémisme) mettait le vieux continent à genou. A partir de 1955, ce proche de Franco donc, fut maire de Madrid, mandat qu'il occupa jusqu'en 1964. Question toros, il dirigea l'UCTL de 1972 à 1982 puis en devint président d'honneur. Homme public, côté pouvoir et dictature, grand ganadero, le Conde de Mayalde a laissé son héritage taurin à Rafael Finat Rivas (Conde de Mayalde) et à Fernando Finat Bustos (Marqués de las Almenas, vendu depuis à Francisco Medina, l'ex d'El Ventorrillo).
L'élevage est situé sur plusieurs fincas. La maison mère, si l'on peut parler ici de maison, se nomme "El Castañar" et se trouve à Mazarambroz (Toledo). Le reste est regroupé à côté d'El Espinar, au nord de Madrid, sur la route d'Ávila, dans les fincas "El Atillo" et "Batanejos". C'est un pays charmant, presque bucolique. On peut compter les arbres sur les doigts d'une main de manchot et le vent est aussi caressant que la barbe de la tante qui pique à Noël. Un régal.
Les animaux y sont clairement influencés Domecq. Pour reprendre les éminentes explications du Docteur Daulouède dans son livre Toromanie2, les toros sont plutôt dans le type "por abajo", c'est-à-dire avec une croûpe plus haute que l'avant et un cou assez long (voir le toro noir et blanc en photo). Ça embiste mieux paraît-t-il. Le côté légèrement ensillado du Contreras disparaît peu à peu.

Néanmoins, les ultimes sorties de cette ganadería devraient pousser les aficionados à se rendre à Dax dimanche matin vers 11h15 ; Domecq ou pas, cela risque d'être intéressant. Il n'y en aura que quatre (va comprendre !) mais sait-on jamais.

1 Sur l'histoire du Conde de Mayalde, se référer à l'article de Pierre Dupuy dans Toros, n° 1502-1503 du 26 mai 1995.
2 Toromanie de Pierre Daulouède, 2003, Editions Atlantica.