30 juin 2013

Ras du fronton


Ce soir, j’ai passé ma soirée avec des pédés parce que c’était la Gay Pride, et avant tout parce que ce sont des copains. Oui, j’ai des amis pédés, je les aime, ils m’aiment, j’entends ce qu’ils vivent, ce qu’ils sont et je suis à l’écoute de comment toute leur existence s’organise au sein d’une société volatile vis-à-vis de l’« autre », et que c’est comme ça, et qu’il faut faire avec… J’ai plein d’amis hétéros aussi, plein d’amis arabes, juifs, noirs, jaunes, colorés, frisés, bridés, gros ou petits, différents… Voilà, pédés, hétéros, ou autre chose, je m’en fous… Ils ne me tripotent pas le zguègue, et je n’ai que foutre du leur… Moi, je n’aime que ma femme, belle, forte, fière, pleine de nichons et de cuisses, pleine de hauteur et d’arrogance… Une parfaite connasse que j’aime pour ce qu’est elle, et je défie le monde de lui imposer d’être différente, de se fondre dans le moule, là, tout de suite, celui de la société mignonne, bien pensante, bien rangée, catho ou je ne sais quoi, polie, blonde avec la raie sur le côté, le col remonté jusqu’au menton et le bas de la jupe sous les genoux… juste pour voir. Allez…

Personne ? C’est mieux pour vous, je vous l’affirme. Venez maintenant me dire que le bouffon d’Arcangues, ce couillon des îles, ce Rantanplan basquignous jusqu’au ras du front, juste entre le béret et le foulard rouge, dont le droit de se représenter comme tel se situe entre un mur à gauche de village et la kermesse de l’école, n’ayant peut-être jamais foutu l’orteil au-delà du pas de porte, au-delà de la vue de la Rhune, au-delà d’une couenne de jambon de salaison bayonnaise, se permette aux yeux de la populace d’afficher son intolérance vis-à-vis du monde tel qu’il est, comme un dogme, une loi, une vérité de vie, une permission d’être… c’est le fond du puits, le fond du seau, le fond de la marre qui vous crache à la face, amis de partout et républicains de tous bords, le fond du toupin de fayots, le fond de la gamelle qui se rebelle contre une décision votée démocratiquement dans le berceau des droits de l’homme. Visiblement, seul contre le reste du monde, le maire d’Arcangues sait ce qui est bon pour vous et pour la République, et vous prouve sans plus attendre que si vous décidez de vous promener à poil dans votre salon ou votre jardin avec une plume dans le fion, il se portera garant de la feuille de vigne, devant Dieu ! Frère Beuglot amènera les hosties, ou les outils du châtiment… c’est selon. 

Tandis que moi, moi qui ne suis rien de rien, pour qui personne n’a jamais eu l’occasion de voter, je vous le dis, tout bête que je suis : que les pédés se galochent goulûment, se roulent des pelles baveuses, se collent des doigts fougueux, et qu’ils le fassent ouvertement de la rue Pannecau jusqu’aux portes de la cathédrale… et que celui qui s’en offusque rentre à la maison et s’y enferme en n’oubliant pas de se poser des questions sur le bien-fondé de son existence, à lui… Qui suis-je, moi, pour juger de ce qui est bon pour les autres… Qui suis-je, moi, pour juger des droits auxquels les autres peuvent aspirer… Qui suis-je, moi, pour décider, bien au-delà du bien-fondé de l’existence de l’humanité, de ce qui est bon pour elle… Tu parles, Charles ! Hé, monsieur le maire d’Arcangues ! Moi, j’ai mal à ma République rien que de savoir qu’elle ait pu vous faire maire… en dépit de ce que la majorité a voté, le moment venu…

Voilà pourquoi je dis, là tout de suite, Beuglot, tu es grand couillonnasssssse… non pas de beugler ta gêne que les autres aient des droits, les mêmes que toi, mais de l’afficher sur ton site taurin, comme une fierté barbare, comme une petite vérité de semaine, entre trois bouffonneries sur des bêtes à cornes dont la majorité de l’humanité se branle copieusement, quand d’autres, ceux qui sont vraiment concernés, font d’une loi le combat d’une vie… Facile pour toi de te poser en inquisiteur du droit des autres quand t’es pas concerné, quand t’as peut-être jamais eu à regarder ton fils dans les yeux pour lui dire que tu l’aimeras quand même, quoi qu’il fasse, quoi qu’il arrive, qui qu’il soit… Trop facile… C’est quoi ta vie, à toi, c’est quoi qui arrangerait ton quotidien, c’est quoi qui te faciliterait l’existence et celle des tiens sans piétiner la petite vie tranquille des autres ? Rien ? Un callejón ? Une entrée au patio de caballos ? Alors, accepte au moins que tous, dans cette société, n’aient pas la même chance que toi dans leur petit quotidien minable et aspirent à une légère amélioration, voire à quelque opportunité… car je crois comprendre que l’acquis de droits pour une catégorie qui n’en avaient pas nuit à la tolérance de ceux qui en jouissaient… Ton édito, Patrick Beuglot, en est la preuve. 

En attendant, monsieur le maire d’Arcangues, pour un bled qui vend sa bidoche sur le cul de Luis Mariano, le plus grand pédé d’opérette jamais recensé, vous faites bien rigoler ou pleurer la planète entière… Honte à vous ! Et honte à toi, Patrick Beuglot, de saisir l’occasion pour lécher l’infamie jusqu’aux couilles…

Petit bonhomme d’Arcangues, dont on dit que tu es le digne représentant républicain, à cause de toi, j’ai mal à ma démocratie au point que je finis par me dire que Flambi c’est toujours mieux que ça… Quant à ceux qui rampent derrière, je les plains de toute mon âme d’hétéro qui a eu le droit de pouvoir se marier, car un droit, c’est une chance, une opportunité sociale que seule la solution républicaine, — Liberté, Égalité, Fraternité —, vous octroie sans discernements moraux. Par chance, Dieu, le pape et ses prophètes n’ont rien à voir dans tout ça. 


Nota. — Je n’ai malheureusement pas de crédit pour la photo. Que son auteur m’en excuse, ou se fasse connaître sans attendre.

29 juin 2013

National Geographic dans l’Horta Nord


Vous avez peut-être déjà vu, à la télé, ces magnifiques reportages du National Geographic, où l’on vous montre des ours polaires à la dérive sur un iceberg, la société patriarcale des babouins en Afrique, ou tout autre phénomène naturel qui peut se filmer au ralenti et en contre-plongée. L’autre jour, un samedi matin pluvieux (pluvieux chez vous, pas chez moi, évidemment), j’ai regardé un de ces reportages où des énergumènes avaient balancé une vieille voiture dans la mer. C’est crade, me direz-vous. Oui, mais non ! De cette carcasse automobile, qui n’a rien à faire dans la mer, est né un écosystème. Pas la peine de courir chercher le dictionnaire, j’en ai un sous la main.

Un écosystème est une « unité fondamentale d’étude de l’écologie, formée par l’association d’une communauté d’espèces vivantes (biocénose) et d’un environnement physique (biotope) en constante interaction. » (Le Petit Larousse, édition 2003.)

Pour expliquer ça simplement, notre carcasse de voiture fraîchement immergée se retrouve colonisée par des algues, qui y trouvent un point d’accroche. Ces algues sont l’habitat de crustacés ou mollusques, qui font partie du menu de petits poissons qui, à leur tour, se font manger par de plus gros poissons, qui adorent faire la sieste sur les sièges en skaï de notre 205 GT sport aquatique. En l’espace d’un an, notre carcasse de voiture (biotope) se fond dans le paysage marin et abrite une quantité de petits ou grands animaux (biocénose) convertis au tuning.

Ce même samedi pluvieux (chez vous, mais pas chez moi), je me rends à mes habituels bous al carrer, sensibilisé sur les incroyables possibilités de recyclage de nos produits de consommation désuets. Arrivé sur les lieux, je fus saisi d’une révélation : chaque samedi, dans l’Horta Nord, se créent de véritables écosystèmes éphémères. Je m’empresse d’appeler le National Geographic, et je vous en fais la démonstration. 

Pour constituer notre biotope, il nous faut un camion de sable soigneusement éparpillé à l’extrémité d’une rue, et une barrière. Postez-vous dans un coin et observez. En milieu d’après-midi, apparaît la première espèce colonisatrice de notre biotope. On l’appelle : le petit vieux. Doucement mais sûrement, le petit vieux est le premier à s’approcher du biotope pour se l’approprier. Le petit vieux, dans sa forme masculine, a une forte querencia aux planches et tentera de se hisser sur le haut de la barrière pour s’asseoir sur la dernière traverse. Quant à sa déclinaison féminine, celle-ci occupe généralement les parties inférieures et extérieures de la barrière, plus sûres et garantissant une certaine protection solaire. La chaise de camping est un outil regrettable parfois utilisé dans le processus de colonisation.


Plus tard, arrive une nouvelle espèce migratrice qui n’hésite pas à parcourir des kilomètres dans le but de peupler la barrière et satisfaire son afición. Cette espèce, généralement bien renseignée par les revues taurines, s’accommode plutôt bien de la présence des petits vieux, avec qui elle maintient de bonnes relations. Enfin, une espèce dite autochtone, plus ou moins concernée, surfe sur l’événement et navigue autour de la barrière accompagnée de sa progéniture. Cette progéniture est généralement confiée aux petits vieux des strates inférieures de la barrière qui possèdent une place de choix pour profiter du spectacle. À ce stade, notre milieu naturel est stratégiquement occupé à tous les étages. Toutes les espèces qui tenteront ensuite de se greffer à ce « biotope » seront qualifiées de parasitaires.

Ces espèces retardataires sont mal vues des précédentes et sont souvent repoussées dans leur tentative d’envahir la barrière par des « dis donc, on était là avant, hein ! », ou bien des « aïe ! mais c’est ma main que tu écrases, là », ou encore des « c’est la place de ma sœur, elle est partie un instant, mais elle va revenir de suite ».

Les peñistas, espèce bruyante, parfois alcoolisée, et portant des pantalons blancs et des t-shirts personnalisés souvent pathétiques, mettent fin à la lutte des espèces lorsque, juchés sur leur cajón, ils libèrent le quadrupède cornu que tout se petit monde est venu observer. À ce moment précis, l’écosystème de la barrière a intérêt à s’autoréguler comme il faut s’il ne veut pas afficher une perte de population.

À la fin du toro, notre population abandonne rapidement le biotope de la barrière, un peu comme si les poissons du National Geographic venait de se rendre compte qu’une 205 au fond de l’eau, c’est nul. Pourtant, tous les samedis de l’été, il suffit de jeter du sable dans une rue et d’y poser une barrière pour que le phénomène se reproduise. Et moi, j’ai envie que ce phénomène dure longtemps…

28 juin 2013

In campo veritas


Utrero chez François André, juin 2013 — JotaC

« J’éprouve pour les animaux, essentiellement les animaux sauvages, une admiration sincère, je n’aime pas la chasse, je n’ai jamais chassé ; je suis de ceux qui évitent d’écraser un insecte traversant le chemin, j’ai plusieurs fois risqué de jeter ma voiture au fossé pour ne pas tuer un animal, fût-ce le plus modeste des lézards, et pourtant je vais voir combattre et mourir une bête que j’ai pu admirer, vivante, dans son pâturage, une des plus belles bêtes qui soient et, voyant combattre cette bête exceptionnelle, issue d’un lent travail des éleveurs (un aficionado qui ne s’intéresse pas à l’élevage n’est pas, à mes yeux, un véritable aficionado), sculpture vivante, je me dis que cette espèce ne vit que de devoir mourir dans le combat, puisque, si ce combat disparaissait, l’espèce, elle aussi, disparaîtrait. »
Extrait d’Une question noire, de René Pons (Atelier Baie, 2012).


René Pons a 81 ans, c’est ainsi. Ancien professeur à l’école des beaux-arts de Nîmes, écrivain et poète, il est l’auteur d’une trentaine de livres, recueils, carnets et traductions. Entré en afición, comme beaucoup d’autres, par les effets conjugués du hasard et de la curiosité, René Pons ne s’est jamais envisagé comme un militant de la tauromachie. Un jour, il a accompagné un ami qui se rendait aux arènes pour assister à une corrida, et, soixante ans plus tard, il n’en est toujours pas revenu, comme beaucoup d’autres d’ailleurs… C’est ainsi.

René Pons est écrivain, d’abord et avant tout, ami des peintres, intello et aficionado. Il ne s’envisageait pas comme un militant de la tauromachie parce que sa passion n’est qu’une démarche personnelle, la longue suite d’une rencontre impromptue, un parcours intime prolongé par introspection collective sur les gradins. Puis il s’est lassé des attaques virulentes, des insultes grossières, des invectives douteuses, des théories fumeuses d’animalistes de tout poil et, en une cinquantaine de pages, il a vidé un sac de questions sombres qui tournent autour d’un monde obsolète et hors du temps, un monde entre la vie et la mort, le monde du toro.


>>> Vous pouvez aussi retrouver René Pons, sur France Culture, en cliquant ici ou .

27 juin 2013

Silencio


Et cette musique est là, inévitable ; surgie de nous tous, elle serre la gorge comme une criminelle. Cette musique, de trois notes, peut-être, que l’on désirerait inépuisable malgré sa ritournelle de douleurs, elle nous parcourt, nous passe derrière, marche devant au pas pour ne pas qu’on la manque, creuse au-dedans de nous ; nous qui n’aurions aimé qu’une chose : ne pas l’entendre, parce qu’elle est le cri féroce de la mort.

La tauromachie est un silence, mais la mort, elle, intranquille, n’est qu’une plainte sans fin. Elle a ses sons à elle, et nous en inventons des plus beaux pour les taire, les étouffer, les faire fuir et pour ne pas que nos larmes ne soient que solitude. 

Quand du tréfonds de ce chaudron vert et bouillant s’évadent ces quelques notes, c’est que la mort a déjà mû en cri. Le cri strident des femmes aux balcons, le cri des secouristes pour aller vite, les cris des fêtards qui ne savent même pas que des toros ont traversé la rue, le cri inaudible qui abandonne un corps par des yeux absolument ouverts et blancs qui ne peuvent se raccrocher à rien, qui tendent les bras pourtant, qui cherchent une branche irréelle, une main, un autre son, enfin. 

Il y a un trou au milieu du ventre, large, trop large, et l’on voit le sang noir, déjà comme une croûte, qui ne sait où aller. Les rainures des pavés sont devenues ruisseaux et font couler ce cri, inécoutable, sous les grolles salies de tous ceux qui sont là, par hasard, d’autres pas, et qui déjà ne supportent pas que leurs larmes ne soient que solitude. 

Les minutes de silence sont hypocrites. Le vrai silence, en nous, n’existe pas. L’esprit, comme un pétillement, se carapate loin de ce non-bruit trop vaniteux, devenant sa propre musique parce qu’il faut bien lutter. 

Ici, dans ce chaudron vert et bouillant, le silence est une musique, un rythme qui ressemble à la danse ralentie des battements d’un cœur mélancolique. 

Et rien n’y fait, elle serre la gorge, criminelle, et l’on manque d’air. Au loin, le cri féroce de la mort est emporté par le vent.


>>> Pour vous faire une idée de cette musique qui se joue à Pamplona quand quelqu’un meurt lors de l’encierro, rendez-vous ici.

26 juin 2013

Acosar y derribar


Cataclop

Acosar : action consistant à poursuivre le ou les toro(s).
Dans ce type de circonstances, il est fortement recommandé de se munir d’un quadrupède ongulé communément appelé cheval.
Il est aussi fortement conseillé de savoir monter dessus.



Cataclop, cataclop 




Acosar, c’est bien…



Cataclop, cataclop, cataclop


Derribar, c’est mieux !

24 juin 2013

Une passe n’est pas toréer


La tauromachie peut-elle n’être qu’esthétisme ? À observer les novilleros venus hier à Saint-Sever, il serait envisageable de le croire tant leur démarche semble se résumer à enchaîner des passes sans avoir une once de souci de la lidia idoine.

Hier, la meilleure illustration est venue d’un certain Tomás Angulo, dont la détermination était lisible sur son visage un rien féminin, dès le paseíllo. Angulo a proposé de biens beaux gestes tout l’après-midi — chacun étant ponctué par les olés vulgaires, parce qu’exagérés, de deux béats en barrera. Pourtant, Angulo n’a pas toréé, et c’est bien ballot pour un torero. 

Toréer ?… Toréer : c’est-à-dire prendre la mesure d’un novillo, savoir juger de sa charge, des défauts de celle-ci, de ses qualités, de sa longueur ; c’est-à-dire savoir jauger le châtiment correct à donner au novillo, et ne pas demander automatiquement un changement après la première rencontre — heureusement, le président Amestoy fut sur ce point intraitable ; c’est-à-dire trouver le sitio et évaluer la bonne distance pour exploiter au mieux les charges intéressantes du novillo ; c’est-à-dire tirer la main pour donner une sortie au novillo, et non pas l’ouvrir pour l’envoyer sur l’extérieur ; c'est-à-dire avancer la jambe et tendre le bras vers la corne contraire pour se croiser; se croiser d’autant plus quand le novillo l’exige par des charges lourdes, pesantes et un retour rapide ; c'est-à-dire tuer avec la main gauche et non pas en plongeant sur le frontal du novillo.

Tomás Angulo a de très beaux gestes et un poignet soyeux, déjà. Tomás Angulo est jeune et encore inexpérimenté, en devenir donc, et il convient de lui accorder son manque d’expérience pour juger sa prestation. Tomás Angulo fait partie de ces rares novilleros qui acceptent de s’envoyer des Escolar Gil quand d’autres chipotent sur des Fuente Ymbro. Tomás Angulo a envie de toréer, mais, hier, Tomás Angulo n’a pas toréé. Il a seulement enchaîné des passes. Tomás Angulo pourrait être Borja Jiménez ou Cayetano Ortiz, à qui sa cuadrilla susurrait depuis les burladeros de toréer en ligne droite. Tomás Angulo a fait deux vueltas al ruedo et coupé une oreille. Il souriait, mais n’avait pas toréé.

22 juin 2013

Oberlé sans modération


Gérard Oberlé est politiquement très incorrect.

Oh… rien de rare ni de bien grave. Il est juste cultivé, écrivain, libraire de livres anciens, il parle le grec ancien et le latin, il est amateur, véritable amateur, de grands vins. Il est épicurien, un vrai… et il est à consommer sans modération, notamment dans ce Grand Entretien avec François Busnel, sur France Inter... 

« Je ne crois pas à cette fumisterie que les gens appellent le bonheur. Ça n’existe pas, ce truc absurde. La condition humaine, en général, telle que moi je la vois, je la vis ou je la ressens, n’est pas un état de félicité permanente. Et donc, ce qui est bien, ce sont les moments de joie. Et ces moments de joie il faut se les décider soi-même. On peut les trouver grâce aux poètes, aux musiciens, aux vignerons, aux cuisiniers, à la sexualité, aux maîtresses, aux amants, aux satires, à tout ce qu’on veut… Il m’est arrivé souvent… enfin, pas souvent non quand même, car je ne cherche pas ça, mais il m’est arrivé de rencontrer des gens qui ne boivent pas de vin du tout, qui ne savent pas ce que c’est. Et en général, je trouve que ce sont des gens pas tout à fait finis… » — Gérard Oberlé


>>> La peinture est de l’ami Alain Lagorce. Enjoy…

21 juin 2013

« Les Picassos sont là ! »


Exposition au Kunstmuseum de Bâle, jusqu’au 21 juillet 2013.

Je recommande la lecture de l’article* de France 3 Alsace, dans lequel on ne manquera toutefois pas de trouver abusif le terme de « rétrospective » s’agissant d’une exposition Picasso composée de 160 peintures et dessins, qui plus est issus exclusivement de collections de la région bâloise…

* Ne pas oublier de visionner le reportage vidéo qui l’accompagne.


Pablo Picasso (Málaga 1881 – Mougins 1973)
L’Aficionado, 1912
Huile sur toile, 135 x 82 cm
Kunstmuseum, Bâle

19 juin 2013

Céret de toros au campo



L’Adac propose sur son site
des 
vidéos des novillos et toros

du prochain Céret de toros…
Enjoy.

Éclaircissement


Suite à un commentaire publié sur ce blog par Aficionado66 (l’équipe de Campos y Ruedos tient à préciser une fois de plus que les commentaires n’engagent que leurs auteurs et non pas les animateurs de ce blog) concernant le problème rencontré lors de l’achat des places pour la corrida d’Aire-sur-l’Adour, un membre de la commission taurine de ladite ville nous envoie la réponse suivante :

« Il n’y avait plus de places à 28 euros à partir de mercredi. Vendredi soir, il y avait 660 réservations — cf. photographie de la copie de la capacité exacte des arènes. Étant donné que les places les moins chères sont vendues en premier sur réservation, il est facile de comprendre pourquoi il n’y avait plus de places à petit prix le jour de la corrida. Les gens ont simplement changé de place pour aller à l’ombre, avec le prix d’une place au soleil. Aire est une arène de troisième catégorie, mais il faut aussi réserver pour avoir les places les moins chères. »

18 juin 2013

Prix au rabais


Dimanche 16 juin 2013, la commission taurine d’Aire-sur-l’Adour (à ne pas confondre avec l’empresa Biondi) a remis un prix à la meilleure pique de l’après-midi. C’est Tito Sandoval qui a raflé la mise, une fois de plus serait-on tenté d’écrire tant ce picador est devenu la coqueluche de l’Afición franco-espagnole. Jusque-là, rien de très nouveau sous le soleil (rare ces derniers temps) de la temporada. Il convient de saluer la démarche de cette commission qui, en se dirigeant bon an mal an vers des ganaderías dignes d’intéresser les aficionados a los toros (Baltasar Ibán, Prieto de la Cal), essaye depuis quelques années de redonner du lustre à la corrida en ces lieux. L’entreprise est énorme pour qui connaît un tant soit peu l’état et l’histoire de la tauromachie à Aire (succession d’empresas, changements de cap incessants, etc.), et nous ne pouvons qu’espérer que le dynamisme de certains l’emportera au final.

Donc, Tito Sandoval a raflé le prix. Oui, mais ! Mais, car tout d’abord Sandoval a la mauvaise manie de piquer avec la puya montée à l’envers — l’arête de la pique vers le ciel. Il suffit de regarder la vidéo de la corrida de Cuadri à Madrid (celle de la vuelta avec la cuadrilla) pour en prendre conscience. Ce fut le même numéro à Aire. 

Ensuite, les deux photographies qui accompagnent ce texte sont là pour illustrer la mauvaise pique qui fut récompensée. Loin de nous l’idée de tomber dans la facilité de croire que des photographies permettent de tirer des conclusions définitives sur un moment précis de la lidia, et loin de nous l’idée de généraliser cette pratique devenue habituelle sur certains blogs espagnols, qui n’en finissent pas de décortiquer le toreo de quelques-uns (souvent des figuras) à travers des images qui peuvent être sujettes à caution, en fonction de l’angle, du moment du déclenchement et d’autres aléas inhérents à cette pratique. Néanmoins, ces deux photographies permettent de juger de l’emplacement de la puya dans le toro.

Elles ont été prises lors de la première rencontre du toro n° 69, sorti en sobrero. Sur la première photographie, Sandoval plante clairement la puya dans l’épaule gauche, très en arrière de l’endroit auquel plus personne ne jette un œil : la base arrière du morrillo. À cet instant de la rencontre, Sandoval est excusable : le toro est venu de loin (comme Castaño et lui ont coutume de le faire dans un numéro certes bien rôdé, mais qui va à l’encontre de la logique de la lidia), et l’impact assez fort peut expliquer qu’il soit difficile de placer la pique au bon endroit. C’est la seconde photographie qui agace le plus : le toro a poussé et Sandoval a changé l’emplacement de la puya. En soi, et malgré les hurlements du public dans ces cas-là, il n’y a rien de scandaleux à ce qu’un picador corrige le tir, au contraire même, si ce tir est corrigé pour être amélioré… ce qui n’est que très rarement le cas ! Ici, Sandoval a simplement replacé sa puya dans l’autre épaule du toro, exactement au même niveau que le premier trou.

Tito Sandoval est un grand picador, et cela personne ne peut le contester. Cependant, il y a un monde entre reconnaître les qualités d’un torero et l’acclamer dès qu’il monte sur un cheval face à un toro parce que c’est lui. Les peñas aturines, torses nus et chariots bien remplis (serait-ce une nouvelle tradition en train de naître sur les bords de l’Adour ?), qui ont scandé son nom lors de sa sortie de l’arène, ont certainement confondu monter à cheval et piquer un toro.

Baltasar Ibán le 23 juin


17 juin 2013

Mourir seulement


Le pire qui puisse arriver à un toro de lidia est de mourir seulement. S’effondrer lourdement, se coucher sur le flanc, l’œil torve et fixe, et être traîné par l’arrastre sans avoir combattu, sans avoir accompli un destin pour lequel l’ont vu naître le soleil d’Andalousie et le souffle soyeux des grands eucalyptus.

Les Prieto de la Cal sortis hier à Aire-sur-l’Adour sont morts seulement. Des six (le cinquième, une estampe berrenda en castaño, fut difficilement exécuté en piste après s’être brisé les vertèbres — ? — dès sa sortie, et dut être remplacé), tous moururent comme ils étaient entrés, sans vivacité, sans remous, sans colère. L’abrupte coiffe de la marquise de Seoanes perdait de sa superbe à mesure que ne combattaient pas ses toros, qu’ils n’étaient pas piqués — le tiers de piques fut le plus souvent un simulacre indigeste par la faute du manque de race et de force des toros —, qu’ils restaient plantés là, défensifs parce qu’abouliques, amorphes, limités, incolores même malgré les pelages jabonero et berrendo en negro aparejado qu’arboraient les trois premiers. Derrière ses lunettes noires et éternelles, son fils, Tomás Prieto de la Cal, a dû fermer les yeux de dépit et de rage. Le lot était correctement présenté, sans les excès auxquels s’habitue insidieusement le public, qui le trouva petit, léger, mal armé. Aire-sur-l’Adour n’est pas Mont-de-Marsan, et Mont-de-Marsan n’est pas Bilbao. Les Prieto de la Cal de ce dimanche 16 juin correspondaient au type que l’on est en droit d’attendre de ces Veragua âgés de quatre ans : bas, relativement musculeux, plutôt bien développés du train avant et armés sans frayeur, mais correctement — quelques cornes « astillées » ou « escobillées » pour certains toros.

Comme une note d’espoir, en quittant les arènes, il était rassurant de se dire que la corrida est une école du doute. Que les toros de lidia restent des êtres vivants, complexes donc. Que rien n’est écrit à l’avance, qu’il n’y a pas de répétition, pas de relecture préalable, pas de correcteur d’orthographe intégré. La corrida est ainsi et c’est ça, cette fragile incertitude qui fait marcher les aficionados, qui meurt peu à peu, qui meurt seulement. Et c’est ça que Javier Castaño semble ne pas comprendre. Les prestations de sa cuadrilla deviennent des numéros de cirque attendus par un public conquis a priori. Sandoval demande à ce que le toro soit placé loin lors de la première rencontre, et tout le monde s’enflamme sans se rendre compte que ce petit jeu porte en lui l’antithèse d’une lidia logique et réfléchie. La notion de distance est niée, tout comme le sont celles de châtiment — piques traseras les deux fois — et de progression dans l’épreuve, seules à même d’évaluer la bravoure réelle d’un toro. La troisième pique — inutile hier — au regatón était le malheureux point d’orgue d’un numéro infondé auquel Castaño devrait bien vite mettre fin… à moins, et la tendance se confirme, que le public des corridas à pied ne fût devenu inconditionnel de la monte vaquera, que maîtrise à la perfection Tito Sandoval.

Les toros de Prieto de la Cal, ceux d’Alès comme ceux d’Aire, ont réduit à une peau de chagrin les espoirs qu’avaient suscités les toros « lidiés » à Céret en septembre 2012. La corrida est ainsi ; elle reprend ce qu’elle donne et, même s’il est difficile d’en accepter la sentence — d’autant plus quand il s’agit d’une petite ganadería menée sans artifices (fundas et autres supercheries camperas) et d’un sang unique qui devient rare —, être aficionado c’est savoir accepter et espérer, encore et toujours, que demain les toros ne viendront pas mourir seulement.


>>> Retrouvez, sous la rubrique « Campos » du site, une galerie minimaliste consacrée à la corrida de Prieto de la Cal « lidiée », à Aire-sur-l’Adour, le dimanche 16 juin 2013.

La Fiesta par SMS


Samedi
Ma copine Anka : « Tu viens à Istres, demain ?
— Bof… Victorino… Après Arles et Madrid, je vais m’épargner Istres… Je préserve l’afición qu’il me reste… »

Dimanche
Anka : « Istres t’aurait achevé !
— Ah bon ?
— Ouaip… Imprésentables… Une seule pique pour la plupart…
— Aïe ! Victorino…
— Et Castella qui passe à côté du meilleur de l’après-midi…
— Et Aguilar ?
— Aguilar, bien plus mature qu’avant, plus posé…
— Bon… On se voit à Saint-Gilles ?…
— Oui, Saint-Gilles, peut-être que les Ibán… Peut-être…
— Tu peux m’envoyer une photo d’hier ? Ça fera un post débile.
— OK… lol
Ben ouais, quoi, c’est par SMS…
— Et l’indulto de samedi ?
— J’y étais pas, mais il n’a visiblement pas été piqué… »

Normal…


>>> La photographie est de ma copine Anka.

16 juin 2013

Touche pas à mon vigneron


C’est d’un rapport dont il est question, d’un qui inquiète et agace ; un rapport remis récemment au gouvernement par un psychiatre et addictologue, Michel Reynaud. Ce rapport, s’il est suivi, interdira à nos vignerons de pratiquer toute forme de communication sur Internet, y compris les réseaux sociaux. Le nombre de blogs et de forum qu’il va falloir censurer ! On croit rêver. Eh bien, non ! On ne rêve pas…

Pour en savoir plus, le mieux est d’aller lire le blog Quilles de filles.

Et, ensuite, de signer la pétition

Enfin, je me contenterai de citer l’ineffable Vincent Pousson : « Ce “paradis” totalitaire géré par la police de la pensée, ce “meilleur des mondes” que nous promettent tous ces gens qui ne veulent que notre bonheur et qui nous parlent comme des instits à des gamins de maternelle, je les emmerde, je les conchie. D’autant que je sais où ils finissent, en général : dans la dépression et les molécules pharmaceutiques qui la “soignent”. Mais, c'est bien joli d'en parler, encore faut-il agir. Une des premières choses à faire consiste à signer la pétition qui se trouve au bout de ce lien et qui s’adresse au ministre de l’Agriculture. Parce qu’il serait temps que la fonctionnocratie comprenne que l’avenir d’un pays se construit davantage en créant qu’en réfrénant, et surtout pas en cultivant l’art de se tirer des balles dans le pied. »

Dolores Aguirre le 21 juillet


15 juin 2013

Photographie sans paroles (CI)


Hawks vs. Bruins



Cette nuit, quarante barbus munis de casques, de crosses et de patins vont tenter
de remporter le match 2 de la finale de la Coupe Stanley — CHI 1 – BOS 0.
Dans le ruedo de glace 
de Chicago, entre les Faucons noirs et les
Ours bruns, ce sera forcément 
sauvage et « encasté ».

13 juin 2013

Six cents kilos


Madrid, juin 2013

Elle n’est pas sortie bonne, mauvaise même. Rien, ou pas grand-chose la corrida de Cuadri. Ça ne prête même pas à discussion. 

Il y a eu ‘Brigada’, castaño, pour une chute de picador dantesque, puis, regard de tueur, Robleño qui a eu peur et qui l’a dit, paraît-il, à la télé, et puis rien. Même pas de quoi cacher la forêt. ‘Brigada’, cinq ans, devait prendre la route de Céret, mais il a fini à Las Ventas pour des questions de couleur de peau. Il se passe des choses curieuses parfois au campo.

Il s’est écrit beaucoup de choses sur cette course, il s’est donné des explications, échafaudé des raisonnements, dicté des sentences, parfois définitives. En résumé, la tendance générale c’est la faute aux kilos, beaucoup trop de kilos, et donc ça ne bouge pas. Foutaise. 

Chez Cuadri, on arrive facilement à 600 kilos, surtout sur la tête de camada. Au campo, en mai dernier, la corrida prévue pour Céret, quoique moins homogène, semblait encore plus impressionnante que celle qui est sortie à Madrid. Nous verrons bien. 


Alors la corrida de Cuadri a été mauvaise, et c’est tout. C’est juste que la caste n’était pas là, et les kilos ne sont vraisemblablement pas le début d’une explication. 

Le poids n’a rien à voir avec le manque de caste. 


Madrid, mai 1993

‘Clavellino’, numéro 7, couvert de prix, de reconnaissance et de souvenirs. Le 30 mai 1993, à Madrid, il faisait chaud et le fils de la ‘Clavellina’ affichait sans complexe ses 600 kilos. À la fin de la corrida, José Escobar avait été poussé à saluer, pour l’ensemble de la course, et personne ne se posait la question du poids des toros

« Vieja estampa » avait titré le père Zabala dans ABC. Joaquín Vidal, à l’unisson, s’en était réjoui dans El País : « La afición madrileña se apercibió en seguida del festival de casta que estaban ofreciendo los toros, siguió con interés su lidia, calibró los distintos grados de bravura en la medida que la brutal torpeza de los picadores lo permitía y reaccionó finalmente con verdadera emoción y agradecimiento, aplaudiendo largamente al mayoral y obligándole a que saliera a saludar. Hubo de ser por la fuerza, pues se resistía, y el hombre — incrédulo y quizá tímido, según les suele ocurrir a la gente de campo cuando la trasplantan a la urbe, bien que a su pesar — se limitaba a dar cabezadas y mover la manita desde el callejón. Empleados de la plaza abrieron entonces una puerta, lo sacaron a empujones y entonces el mayoral no tuvo más remedio que salir al tercio, ponerse marchoso y saludar sombrero en mano. Estampa torera la del mayoral, que no se veía en Madrid desde hace mucho tiempo. Tampoco hubo motivos hasta ahora. Los aficionados ya habían perdido la costumbre de ver toros tan encastados. Y los toreros, más aún, de encontrárselos delante. »

‘Clavellino’, quatre piques dures, éprouvantes, destructrices, assassines, mais aux effets nocifs annihilés par la caste. Et ensuite… noblesse et mobilité. Vingt ans après, ‘Clavellino’ et ses 600 kilos galopent encore dans nos souvenirs et dans la muleta de Pepín Jiménez.

Le 1er juin 2013, ce ne sont pas les kilos qui étaient de trop, c’est la caste qui fit défaut. Et ça…


Photographie Un Cuadri pour Céret — Frédéric ‘Tendido69’ Bartholin

Patac-sur-Adour


La commission taurine d’Aire-sur-l’Adour nous envoie cette photo du débarquement des toros de Prieto de la Cal qui seront combattus dimanche 16 juin 2013, à 18 heures, dans les arènes Maurice-Lauche.

Photographie Baston de Veragua © Cyrille Vidal

12 juin 2013

Photographie sans paroles (C)


Tu quoque…


À lire, sur le blog de Fabrice Torrito, la fin césarissime de ‘Bigotero’, dictateur à vie d’un petit groupe de cuatreños d’origine Pedrajas.

Photographie ‘Bigotero’ gisant, mort, après le coup d’État © Fabrice Torrito/Les Carnets du mayoral

11 juin 2013

Vente chez Drouot



Il ne vous reste plus que douze jours et quelques heures
pour réunir les sous nécessaires à l’acquisition
d’un tableau taurin de Gustave Courbet,
estimé entre 50 000 et 80 000 euros
— prévoyez 80 000.

En cherchant bien…

08 juin 2013

07 juin 2013

Saint-Vincent-de-Tyrosse et Hagetmau cet été


Comme nous l’écrivions il y a quelques semaines, l’été taurin s’annonce vraiment intéressant dans le Sud-Ouest de la France, et particulièrement dans les Landes. Ces derniers jours, les plazas de Saint-Vincent-de-Tyrosse et d’Hagetmau ont dévoilé leurs carteles. La première propose une corrida de Dolores Aguirre Ybarra quand la seconde, traditionnellement pourrait-on écrire, annonce les Miura et les Cebada Gago.

Saint-Vincent-de-Tyrosse | Dimanche 21 juillet 2013 | Corrida de Dolores Aguirre Ybarra
Manuel Escribano – Alberto Aguilar – Thomas Dufau

Hagetmau | Dimanche 4 août 2013 | Novillada de Miura
Imanol Sánchez – Cayetano Ortiz – César Valencia

Hagetmau | Lundi 5 août 2013 | Novillada de Cebada Gago
Manuel Dias Gomes – Rafael Cerro – Fernando Rey


Photographie Un toro de Dolores Aguirre Ybarra qui, en juillet, fera peut-être le voyage à Saint-Vincent-de-Tyrosse © Laurent Larrieu/Camposyruedos.com

S’arrêter chez Rincón


À Joséphine et Benjamin,


« On peut toujours s’arrêter chez Rincón… »

Quand on n’a pas rendez-vous ; quand on ne sait plus trop où aller ; et, surtout, quand on n’a pas rendez-vous…

Alors on passe Trujillo, où beaucoup d’histoire a commencé, on descend un peu cette ruta de la plata et on sort à Santa Cruz de la Sierra. En fait, on sort quand on voit la petite montagne escarpée, rocheuse et arborée sur laquelle est nichée le village sans âge que surplombe l’église abandonnée. On sort parce que, depuis Madrid, on a désormais plus de deux heures dans les pattes, que l’autoradio finit par assourdir et que l’Andalousie est encore loin. Une pause toutes les deux heures. « On n’a qu’à s’arrêter chez Rincón… » Il y a toujours des toros à voir d’un côté ou de l’autre de la route. C’est du Domecq, certes. Et puis cette horrible tour, comme seuls les Espagnols sont foutus d’en faire, même dans les paradores classés…

La montagne est magique. On passe de l’autre côté, on laisse le village, on ne la franchit même pas. Une esquisse de contour. On n’est vraiment plus à Madrid, loin de l’autoroute. La lumière est incroyable. C’est un vrai miracle cette lumière, ça marche à chaque fois ! Et, en février, c’est le vert qui explose autour des toros, qui doivent se geler dans l’humidité. 

La montagne est magique — en regardant bien, on y verrait certainement une troupe de quelques conquistadors germanophones sur son flanc. Moi, je regarde toujours. Kinski en tête… Non ? Qu’importe, ils ont dû passer déjà. Derrière, il y a le Machu Picchu, d’où Esteban plonge dans le générique des Mystérieuses Cités d’or — on ne fantasme pas seulement l’Amérique à travers les toros, désolé. Le Nouveau Monde est là. Trujillo est derrière ; ce n’était pas si loin, finalement. Le reste est derrière nous, et la route qui attend a la vie devant elle. « On n’a qu’à s’arrêter chez Rincón, c’est à cinq minutes. » L’Amérique à cinq minutes, te rends-tu compte ? Une fois passé le pueblo, quand la montagne est hors de vue, on se prend à fantasmer durant les trois minutes qu’il nous reste. In petto. « Il » sera peut-être là. On est venu voir des toros, certes… Oh, on est torista ! Bon, ce sont des Domecq, mais c’est du campo, et puis c’est joli… Et c’est l’Amérique. 

« Tu te souviens de la tienta avec Bolívar ?… Et quand on a débarqué de la part de sa sœur morte ?… Quelle histoire ! »

Il est là, parfois non. Alors on voit les toros, de chaque côté de la route. On n’entre pas, nul besoin — c’est fermé. 

« Il est là… Je t’avais dit ! Cette Audi, derrière nous, ça sentait la tienta ! » Et Saldívar, un Mexicain, c’est l’Amérique, décidément. 

Rincón est là, à égaliser le sol de la placita, avec un père de novillero quelconque qui fait assaut de politesse pendant que le fiston s’habille. On s’est déjà mesuré aux présentations, dans un hôtel à Bayonne, pour une photo, quand il n’avait pas 30 ans, chez lui, ici ou ailleurs… Il ne nous remettrait pas, bien sûr, on ne fait que passer, on ne voudrait pas tenter d’imposer un souvenir. « Buenas tardes, Maestro. Federico… encantado… » On s’incline. La simplicité, la conviction, la force de caractère : sacré bonhomme, d’aussi peu de mots que de centimètres. On ne s’était déjà pas trompé, il y a 20 ans, en s’attachant…

Il paraît qu’on ne dérange pas, qu’on est bienvenu, ici, à se taper l’incruste l’air de rien ; on a presque honte. Honte largement compensée par le respect, certes.

« On peut toujours s’arrêter chez Rincón. On voit les toros depuis la route… » Faux derche romantique, je l’avoue. César Rincón — celui de la vuelta sur la photo de Paco, celui des retours d’Arles en voiture, celui de l’admiration de Papa —, la montagne magique et l’Amérique… Ne le dites pas, mais on y pense largement avant Trujillo !



05 juin 2013

« Le Taureau de Bordeaux »


Une nouvelle de Fabien Penchinat illustrée par Alain ‘Puntilla’ Lagorce.


Prologue

Le lundi 11 mai 1801, sur le sable des arènes de Madrid, le taureau ‘Barbudo’ bouscule le maestro Pepe Illo, l’attrape au sol de sa corne acérée et l’envoie voltiger dans les airs. Les secondes semblent interminables. Pepe Illo, grand matador fragile et sensuel, n’est que poupée de chiffon désarticulée. Dans les minutes qui suivent l’accrochage, arrivé au bout de son chemin, arrivé au bout de son art, il meurt.


Bordeaux, nuit du 15 au 16 avril 1828

Le vieux Francisco de Goya, voûté, grincheux, sourd comme un pot et presque aveugle, s’arc-boute dans son atelier. Malgré la maladie qui le ronge, malgré la vieillesse qui le rattrape, il frotte une grande pierre plate depuis de longues minutes. Coincé au pied d’un escalier en colimaçon menant à la paillasse du peintre, le grand établi n’est éclairé que par le halo d’une lampe à huile. Voilà tout son univers, désormais : un simple atelier, avec de grandes fenêtres à carreaux translucides qui laissent deviner au loin les lumières vacillantes de la ville et le calme protecteur du jardin. Les courants d’air marin glacent l’atmosphère, mais c’est là qu’il veut être. C’est là qu’il veut continuer à travailler, continuer à exister.

Au cœur de la nuit, la jeune Rosario pousse la lourde porte grinçante et pénètre dans l’atelier. Comme d’habitude, Goya ne l’entend pas venir. Pendant quelques secondes, la jeune femme aux yeux sombres observe le vieil homme. Attendrie et bienveillante, elle est admirative devant cette volonté inébranlable de création. Elle s’avance, doucement, pose délicatement sa main sur l’épaule du peintre pour signaler sa présence et embrasse tendrement sa tempe grisonnante.

« Ah, Rosario, c’est toi ma petite, ma plus fidèle ? Je suis heureux que tu aies pu venir ce soir. Que ferais-je sans toi ? Tu arrives à point nommé, je suis en train de poncer la pierre pour ma dernière lithographie. Tu vas pouvoir m’aider, cela est bien trop fatigant pour mes vieux os. Et puis, je vais continuer à t’apprendre les mystères de notre art.

— Bonsoir, Francisco. Mais je les connais vos mystères, vous me les avez déjà dévoilés mille et une fois, je…

— Non, non, non, ne fuyons pas devant le travail, mademoiselle ! Regarde, pour que le grainage soit parfait, il faut mettre du sable et de l’eau entre les deux pierres et les frotter l’une contre l’autre, en faisant des gestes amples. C’est épuisant, mais nécessaire. Tiens, assieds-toi et aide-moi. Il faut prendre des pierres bien sombres, bien dures pour pouvoir dessiner avec précision. Ne prends jamais de pierres trop claires, tu n’arriveras à rien. Et le carrier de Frontenac est un escroc, ne va pas chez lui, il te vendra ses cailloux au prix de l’or ! Voilà, frotte avec douceur, bien. Elle sera parfaite ta pierre.

« On va pouvoir se mettre sérieusement à l’ouvrage maintenant. Apporte-moi donc mes deux crayons à l’huile, le normal et le très gras pour faire les ombres. Je vais commencer notre dessin de ce soir. Qu’est-ce qu’on va bien pouvoir inventer de farfelu cette fois-ci ? Encore un taureau, certainement. De toute façon, il n’y a plus que ça qui m’intéresse, les taureaux d’Espagne que je ne peux plus voir. Ça y est, j’y suis. Je n’y vois plus grand-chose, mais ma main avance toute seule. Elle les connaît par cœur ces taureaux de papier, comme s’ils avaient toujours existé et qu’il suffisait de leur redonner vie. Regarde, Rosario, tout autour de l’arène, il y a le bon peuple de Madrid, à la fois horrifié et fasciné. Il crie, il tremble. À gauche, tiens, je vais te dessiner : Rosario chevauchant un taureau, tel un sagittaire-minotaure. Tu seras picador, ce soir ! Un picador aux longs cheveux de jais, comme ceux de ta mère. Elle était belle ta mère, tu sais ! Et là, victime des combats passés, ton cheval gît déjà sur le sable, de la paille à la place des viscères. Alors tu as changé de monture, ma chère. La bête noire te va mieux que ce petit cheval de foire, n’est-ce pas ? Et qui, pour affronter cet étrange équipage ? Un homme du peuple en habit de ville, avec un grand feutre noir. Il s’apprête à planter ses banderilles, le cul fermement posé sur une minuscule chaise en osier. Comme si, le courage, il le trouvait sous son cul plus que dans ses couilles ! En voilà un beau tableau, fantasque et puissant, intense et dramatique !

« Sais-tu que j’ai déjà été à la place de ce courageux petit bonhomme ? Bien sûr, tu le sais, je te l’ai déjà conté cent fois. Je radote, je radote, mais j’aime tant faire revivre le passé. C’était il y a des lustres, avant que je ne sois vieux et cassé. Mais dans mon temps, j’ai su toréer, et je ne crains personne avec une épée à la main. On était de sacrés sacripants avec mon camarade Martín. Martín Zapater… tu le connais depuis toujours. On en faisait voir de toutes les couleurs aux vaqueros pour arracher quelques passes à leurs bestiaux. Ils étaient presque plus dangereux que leurs bêtes, ces éleveurs. Maintenant, je tousse et je crache du sang. Ils sont bien loin les taureaux de don Fernando. Je n’ai pas pu être torero, certes, mais le dessin c’est ma façon à moi d’affronter les taureaux. C’est une autre forme de l’art de toréer, voilà tout. Et puis, tu connais beaucoup de matadors de plus de 80 ans ? Je suis le seul qui reste avec mes crayons, mon papier et mes pierres.

— Ah, mon ami, vous êtes certainement le dernier des toreros-artistes. Mais je m’inquiète pour vous. Chaque fois que je viens vous rendre visite, vous vous plaignez de douleurs lancinantes. Et cette toux grasse qui n’arrive pas à vous abandonner. Vous devriez quitter ce cagibi glacial, Francisco. Pourquoi vouloir à tout prix continuer à créer, alors que cela vous fatigue tant ?

— J’ai bien vieilli, en effet, mais je reste un homme libre dans ce petit atelier bordelais ; libre de dessiner ce que j’aime vraiment : les taureaux méchants, les vieilles au miroir et les enfants toutes nues qui, pour tenter les démons, ajustent bien leurs bas1. Fini les tableaux des grands de ce monde qui n’ont aucune âme au fond des yeux ; fini les portraits ridicules de leur rejetons trop bien peignés ; fini de glorifier leurs exploits militaires qui réduisent en charpie le peuple d’Europe ; fini les bondieuseries que l’on m’imposait à l’Académie de dessin. De toute façon, Dieu n’existe pas pour ces gens-là. La seule chose à laquelle ils pensent vraiment, ce sont leurs putains affalées sur des divans trop propres. Et dire qu’ils m’imposaient de les dessiner pour qu’ils puissent s’en souvenir une fois qu’elles ne voudront plus d’eux.

« On a bien fait de quitter l’Espagne, ma petite. Plus besoin de cacher sous le manteau les gravures de mes Caprices pour lesquels l’Inquisition, dans sa grande reconnaissance, voulait me faire rôtir sur le bûcher ! À quoi bon accumuler les titres et les honneurs si c’est pour sombrer dans l’obscurantisme avec ce sot de Ferdinand. Quand je pense qu’ils ont persécuté Jovellanos et José Moñino, mes frères de pensée. On dit même qu’ils ont coupé tous les doigts de mon ami Sepúlveda. Un par jour, pendant dix jours. Pour qu’il ne puisse plus, sur ses gravures, témoigner de leur tyrannie dégueulasse. Un doigt par jour, les chiens. Et ça se dit chrétien ? Dieu reconnaîtra les siens, ma petite Rosario, Dieu reconnaîtra… »

Le vieux Goya est interrompu par une violente quinte de toux.

« Et voilà, cela vous reprend ! Vous ne devriez pas vous énerver en ressassant le passé. Cela n’est pas bon pour votre cœur. Vous le savez, le docteur Blanchard vous le répète à chaque fois.

— Tu as raison, tu as raison, retournons à notre lithographie, ça nous fera oublier ces salauds. Le crayon a séché et le gras a bien pénétré les pores de la pierre. Regarde, on peut maintenant passer un coup de brosse souple sans que le tracé ne bave. Il faut bien épousseter pour qu’il ne reste plus aucune impureté. C’est poussiéreux ici, il faut redoubler de vigilance. Il est important de bien préparer le support pour pouvoir imprimer plusieurs exemplaires sans que le dessin ne s’altère. Tu t’en souviendras ? C’est qu’il faut quand même les vendre ces dessins. On reste des commerçants, nom de Dieu… des commerçants un peu fous, mais des commerçants tout de même ! Voilà, applique-toi.

« Après, il faut encrer la pierre, Rosario. Regarde, on prend ce gros rouleau qui baigne dans l’encre noire et on le roule sur notre pierre. Le gras de nos coups de crayons fait pénétrer l’encre dans la pierre. C’est presque de la magie… de la magie noire ! Tiens, fais-le, passe le rouleau plusieurs fois et entre chaque passage, n’hésite pas à éponger. Quand tu auras fini, on protégera la pierre avec de la sève d’acacia d’Arabie. Sens comme ça sent bon, ce sont les mystères de l’Orient qui rentrent dans l’atelier. Tu la prendras toujours d’Arabie, cette sève aux profonds reflets mielleux, jamais du sultanat d’Oman. Les Omanais, ils ne font que de la pacotille, de la tambouille pour scribouillards. Là, passe bien l’éponge avec la sève. Là, on sent l’arbre qui voudrait repousser. Et n’hésite pas à affiner le dessin si un peu d’encre déborde. Je te montre, comme ça tu pourras le faire toute seule la prochaine fois. On signera « Goya » quand même. Ça se vendra plus cher… mais ce sera notre secret, mademoiselle l’artiste ! Enfin, il se fait tard et je parle pour ne rien dire ! Je ne fais que répéter et ressasser. Tu es bien gentille d’écouter encore les conseils d’un vieux singe. Voyons, tu connais ça parfaitement. Depuis tout ce temps, ça fait des lustres que tu peux te débrouiller toute seule !

— Oui, Francisco, je connais tout cela. Vous me l’avez enseigné cent fois, ici et en Espagne. Il n’y a qu’une seule chose dont vous n’avez jamais voulu parler. Mais il faudra bien que vous me disiez, pour vous et ma mère, que vous me disiez si…

— Tu dis ? Je ne t’entends pas Rosario. Tu sais bien ! Depuis ma foutue maladie, je n’entends presque plus rien. Mais qu’importe, allons maintenant imprimer notre première épreuve. D’ailleurs, il faut lui trouver un nom à ce dessin. Comment pourrait-on l’appeler ? Doña Rosario y la suerte de vara ? Ça nous rappellera cette fraîche nuit de printemps. Va pour « Doña Rosario ». Tiens, attrape donc la feuille qui est derrière toi et place-la entre la pierre et la plaque. Voilà. En alignant bien les traits. Parfait. Maintenant, ferme le râteau et tourne la roue. Tourne la roue fermement, ma belle, et notre dessin va naître. C’est le moment magique… quand doña Rosario devient picador !

« Dis-moi, Rosario, est-elle belle cette épreuve ? Je ne vois pas. Est-ce qu’on sent bien la violence du taureau et le courage du peón ? Est-ce qu’on voit bien la bravoure du peuple d’Espagne et la beauté de Rosario ? Est-ce que nos amis français, qui n’y entendent rien au toreo, vont comprendre que le sable des arènes vaut bien les fresques des palais ? Pedro Romero, ce truqueur de Costillares et mon pauvre Pepe, ça c’étaient de vrais artistes !

« Allez, ma Rosario, elle est parfaite cette lithographie, je le sais bien. Je vais imprimer quelques feuilles ce soir. Tu peux t’en aller maintenant, je vais me débrouiller. Allez, file, avant que ma folie ne te rattrape autant que ma technique de dessin. Bonne nuit, ma belle.

— Bonne nuit, Francisco. Mais ne veillez pas trop tard, tout de même. Il faut vous ménager, vous savez.

— Oui, oui… le bon docteur Blanchard… je sais. Bonne nuit, bonne nuit… »

Toujours sans réponse, Rosario s’apprête donc à quitter l’atelier de l’artiste. Assis à son établi, le regard dans le vague, n’osant pas tourner la tête vers la jeune fille, Goya la stoppe, sur le pas de la porte, d’une phrase :

« Eh, attends… Rosario… tu sais que je t’aime bien… mais tu dois aussi savoir que, dans mon monde, ce qu’on aime ne peut naître que dans l’amour… et nous nous sommes tant aimés ta mère et moi… alors…

— Alors merci, Père… merci… Bonne nuit. »

Et Rosario, inquiète mais apaisée, quitte le vieux peintre et referme doucement la porte de l’atelier. Maintenant seul, Francisco de Goya continue l’œuvre de la journée, l’œuvre de sa vie. Il tousse, il crache mais tourne la roue. Les impressions s’alignent les unes à côté des autres sur la longue cordelette qui traverse l’atelier. Malgré la fatigue, il tourne la roue et épingle les épreuves. Il tourne et épingle. Les « Doña Rosario » chevauchant le taureau se multiplient dans la nuit girondine. Tournant une dernière fois la grande roue de bois, le peintre, malade et affaibli, s’effondre sur le parquet usé, entraînant dans sa chute la pierre qu’il travaillait cette nuit-là. Le vieil homme, gisant au milieu des débris de son œuvre, reste inanimé. Dans les minutes qui suivent la chute, arrivé au bout de son chemin, arrivé au bout de son art, il meurt.


Rome, janvier 2013

Épilogue

Pepe Illo est l’auteur d’un monumental traité de tauromachie, La Tauromaquia ó arte de torear, publié en 1796. Ce n’est qu’après la parution de cet ouvrage que le peintre Francisco José de Goya y Lucientes, dit Goya, réalise une série de trente-trois gravures qui retracent toutes les étapes des courses de taureaux. Deux gravures sont consacrées à Pepe Illo : Pepe Illo haciendo el recorte al toro (n° 29) et La Desgraciada Muerte de Pepe Illo en la plaza de Madrid (n° 33).

En 1825, trois ans avant sa mort, Goya réalise une dernière série de quatre lithographies intitulée Les Taureaux de Bordeaux. On ne sait pas si, la nuit de sa mort, le peintre envisage une cinquième et dernière lithographie tauromachique qui demeurera inachevée. On ne sait pas plus si Rosario, fille de Leocadia Weiss, amante de Goya, est également la fille du peintre.


1 « Goya, cauchemar plein de choses inconnues, / De fœtus qu’on fait cuire au milieu des sabbats, / De vieilles au miroir et d’enfants toutes nues, / Pour tenter les démons ajustant bien leurs bas ». — Charles Baudelaire, extrait des Phares in Les Fleurs du mal.

04 juin 2013

Le pays où l’on torée les poules



— C’est où ?
— Chez Frías.
— Ça existe ça, Frías ?
— Oui, encore. Mais c’est pas en forme, faut avouer. C’est vers Ciudad Real, dans la province… C’est la Mancha.
— T’as pensé au Quichotte en faisant la photo ?
— Non, pourquoi ?
— Inculte…
— Je t’emmerde ! J’ai pensé qu’il fallait que je déclenche vite avant que la vache de droite ne disparaisse du champ. Sans la vache, la photo perdait son équilibre.
— T’as pas tort. Le mec devant il regarde quoi ? Il a deux types qui toréent en même temps et il regarde à côté.
— Je sais pas, mais il y avait des poules. Je serais pas étonné qu’un autre type ait eu l’idée de toréer les poules.
— Tu vois que t’y pensais au Quichotte !…

>>> Retrouvez, sous la rubrique « Campos » du site, une galerie consacrée à la ganadería Hros. de Eugenio Frías.

Photographie Tienta a plaza partida chez Frías © Florent Lucas/Campos y Ruedos

02 juin 2013

Ce besoin de toros


C’est Jean-Michel Mariou qui l’écrit : « À quoi servent les souvenirs ? » Car lui-même le dit plus loin, deux pages plus loin, « il n’y a pas de tauromachie sans mémoire », et les souvenirs deviennent l’apparat de cette mémoire ; ils lui donnent son allure, sa tenue, sa superbe… ou pas. 

Ceux qu’Alain Montcouquiol fait défiler le long de ses innombrables voyages en train, perdant ses petits yeux acérés comme des fils dans les paysages « parfaits » de la Méditerranée, sont empreints d’une beauté tragique, toute grecque. Un truc qui fout le camp, aussi, comme une civilisation, une mort qui lui échappe chaque jour un peu plus, celle de son frère. Lire les deux livres de Montcouquiol est un rare moment de rayonnement intérieur. 

La mémoire de Simon Casas est fort mal vêtue. Les souvenirs de ces années d’errance dans Madrid lassent, agacent. Quand Montcouquiol parle de nous tous à travers lui, à travers son frère, à travers leurs vies et leurs morts, Casas ne parvient finalement qu’à causer de lui, toujours de lui, encore de lui ce dont on se moque. La différence est là, entre deux œuvres incomparables : l’universel et le nombril. 

Les souvenirs ne sont qu’une réécriture de son propre passé, tout le monde le sait, une forme de totalitarisme très personnel, bien à soi, avec lequel on s’arrange, avec lequel on raye ce qui gêne, on efface — parfois sans le vouloir — des faits, des instants, des larmes. Freud soutient qu’il y a une part de vérité dans les souvenirs, Proust aussi, on veut bien les croire. Dans son dernier ouvrage, La Corrida parfaite, Simon Casas fait tout pour se vendre comme un écrivain. Une nouvelle vie à laquelle il doit aspirer et que son passé dans les rues de Madrid, dans les espérances d’une course à attendre, dans la faim du quotidien devrait, selon lui, justifier. Lectures, réflexions, rages et bonheurs. Mais Simon Casas, malgré toute sa volonté, n’est pas plus écrivain que moi, que vous. Il n’est pas question ici de style ou de jolies phrases. Simon Casas n’est pas écrivain parce qu’il n’écrit que lui, que Casas — et il en a le droit, convenons-en. Paradoxalement, Casas se rêve écrivain ou artiste — ça fait bien — et se renie en tant qu’imprésario. C’est dans ce reniement que La Corrida parfaite prend toute sa saveur ; c’est là précisément que l’on se met à sourire, puis à rire — l’effet est réussi ! Ah, ce n’était pas un effet ? 

Car, à le lire, l’organisation de la corrida du 16 septembre 2012 où José Tomás devint Dieu ne lui doit rien, à lui, à Casas. Savoureux passage dans lequel il explique que Salvador Boix lui proposa José Tomás seul contre six à Nîmes. Le Cachet ? On prend toute la recette ! Ah oui, quand même ? Oui, c’est comme ça et pas autrement, et si t’avais cent balles et un mars ça m’arrangerait aussi ! Une petite gâterie ne serait pas de refus non plus ! Bon, alors OK, tape-la mon ami artiste ! 

Dans son livre Ce besoin d’Espagne, Jean-Michel Mariou n’évoque quasiment pas Casas, mais beaucoup Alain Montcouquiol. Ça rassure quelque part sur le bonhomme. C’est à la fin du livre qu’il écrit beaucoup sur Alain Montcouquiol et sur son frère, Nimeño II. Avant, Mariou s’étend sur l’Espagne qu’il aime (Séville pour beaucoup), sur l’Espagne qu’il a vu changer — pas en bien le plus souvent —, sur les lieux qui ont marqué son parcours d’aficionado. On sent dans ses lignes le goût des choses simples, des mets gourmands et des palabres entre amis. Et puis, il y a surtout ce regard attendri et humain, parfois interloqué, sur les autres, ses congénères humains. C’est là que le bouquin de Monsieur « Face au toril » (avec Joël Jacobi, évidemment, et Michel Dumas) prend de jolis atours, de beaux contours, sans effets de style.

Après, sans être sectaire, sans être un anti-Domecq primaire, sans être un torista façon délégué CGT des années 70, j’avoue que les parties proprement tauromachiques du livre n’ont pas contenté mon afición a los toros : Perera, Juan Pedro Domecq, Ponce, Maurice Berho, Albarreal et autres Sébastien Castella ne sont pas mes souvenirs ni ne deviendront ceux de mon passé à venir. Division d’opinion. C’est souvent le cas en tauromachie ; ça fait causer les amis.


>>> Jean-Michel MARIOU, Ce besoin d’Espagne, Verdier, 2013.

Vidéo L’histoire du toro qui fut le tout premier générique d’ouverture de l’émission Face au toril… Longtemps j'ai rêvé des toros avec le souvenir de cette entrée royale dans les arènes d’Arles © Signes du toro/Face au toril