30 septembre 2012

Un an déjà


En ce moment s'achèvent à Barcelone les fêtes de la Mercè. Les premières sans toros.
De l'autre côté de l'avenue, face aux arènes, il y a des gens qui doivent fermement s'em… nuyer !

Musée des beaux-arts de Pau (III & fin)


Jules Worms (1832 – 1924), Novillada dans la province de Valence, 1866, huile sur toile, 130 x 210 cm
© Musée des beaux-arts de Pau  © Direction des musées de France, 2003  © Patrick Ségura, photographie 

« La postérité n'a retenu de Jules Worms que le nom de quelques grands tableaux versant dans l'anecdote parfois mordante. Cette facilité, qui se teinte de temps à autre de versatilité — qui plus est servie par un métier un peu trop fignolé —, n'a pas aidé à la reconnaissance de son œuvre. Fort heureusement, cette Novillada dans la province de Valence est là pour nous rappeler le rôle éminent qu'a joué l'artiste dans la découverte de l'Espagne. […] 
Cette grande Novillada, fourmillant de détails, apparaît comme l'une des meilleures transpositions d'un univers pittoresque et bigarré auquel il a été particulièrement sensible. Ainsi, la traduction de la ferveur populaire qui accompagne ces joutes tauromachiques est transcrite avec un souci de précision tout à fait remarquable. On ne se lasse pas d'observer tel homme coupant une pastèque, tel autre se hissant à un mât et, plus encore, tous ces étonnants costumes régionaux, gages d'un exotisme recherché. Jules Worms réussit là où il s'est parfois égaré : pour être complètement descriptive et narrative, sa composition complexe n'en est pourtant pas moins unifiée par la lumière crue et légèrement décolorée qui baigne l'ensemble de son œuvre. Ce faisant, le peintre nous prouve son imprégnation et, surtout, sa compréhension du milieu naturel de la province de Valence et encourage une formule qui n'est pas sans évoquer le travail d'Eugène Fromentin. » Guillaume Ambroise 

>>> Guillaume Ambroise, Patrick Ségura, Dominique Vazquez, Peintures du XIXe siècle. Musée des beaux-arts de Pau, Le Festin, Bordeaux, 2007, p. 126. 

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Photographie sans paroles (CV)


À lire dans Contraquerencia l'aventure d'un utrero de Barcial en visite à Madrid…

29 septembre 2012

Aire 1838


Un mélange de taureau à la corde et de tauromachie espagnole au pied de la cathédrale Saint-Jean-Baptiste. Déjà le béret. Elle t'aurait plu cette gravure Charlie…

>>> Gravure de B. Camille extraite d'un recueil des trente-six premiers numéros du Pèlerin, 1838 (source : Gallica).


28 septembre 2012

Essentiel


Français dans l'arène — Pathé cinéma, 1969 — Ina
Le site de l'Institut national de l'audiovisuel (Ina) recèle une multitude de trésors cachés, enfouis au fond de vieux boîtiers métalliques et poussiéreux, remplis de pellicules cinématographiques obsolètes.
Un stock immense, démesuré, vaste comme l'atelier du Père Noël et garni comme la caverne d'Ali Baba. Un filon pléthorique d'une richesse infinie que l'avènement du numérique rend facilement accessible.
D'un clic, le coffre aux merveilles s'ouvre et, avec un peu de chance, on y découvre de véritables bijoux comme ce reportage tourné à Nîmes pour l'ORTF par Max Sautet en 1969.
Un film rare, traversé d'une émotion intense que rehausse la patine du noir et blanc. Des images qui portent en écho les mots profonds d'une mémoire torera et racontent la vérité d'un monde qu'on a presque vécu, qu'on a presque touché, qui nous semble si proche et si loin à la fois, évanoui, presque oublié, déjà.

C'était un temps qui construisait l'histoire et révélait les hommes. Alain a 24 ans et Simon 22 ; ils rentrent d'un séjour en Espagne financé par le prix de la Vocation. Ils veulent devenir toreros, mais ils sont Français… Bientôt, d'autres suivront.


>>> Pour visionner le reportage, cliquer sur Français dans l'arène.

Alberto Monteiro


Je suis tombé sur ses photographies en cherchant autre chose. J'ai cru à Séville, à l'Andalousie. Raté, c'est Nazaré, Portugal. Obrigado senhor Monteiro !
Pour se faire une idée plus précise et plus complète de la superbe œuvre d'Alberto Monteiro, c'est par ici.



Musée des beaux-arts de Pau (II)


Alfred Déhodencq (1822 – 1882), Course de taureaux en Espagne, 1850, huile sur toile, 149 x 208 cm
© Musée des beaux-arts de Pau  © Direction des musées de France, 2009  © Patrick Ségura, photographie

« Élève du rigoureux Léon Cogniet, Alfred Déhodencq affirme très tôt des qualités d'exécution hors du commun. Il débute au Salon de 1844 avec des portraits et des scènes religieuses, mais son imagination l'entraîne par-dessus tout vers des paysages baignés de lumière. En effet, transporté par l'œuvre de Byron et profondément marqué par une rencontre avec Chateaubriand, Déhodencq développe dès son plus jeune âge des rêves d'Orient. 
À 26 ans, il est déjà un portraitiste reconnu lorsq'une blessure l'oblige à se rendre en cure dans les Pyrénées, si proche de cette frontière qui l'attire tant… L'idée d'un départ pour l'Espagne est bien ancrée, mais il attend encore une année avant de franchir le cap. En 1849, il se rend à Madrid et, deux jours après son arrivée dans la capitale, il assiste à son premier combat de taureaux. Le sujet de son prochain tableau s'impose ainsi naturellement. 
Il choisit une novillada à L'Escurial. La scène se déroule sur la place du village qui tient lieu d'arène de circonstance. L'œuvre, qui évoque avec une rare acuité les coutumes espagnoles, connaît un vériatble succès à Madrid. Les journaux sont dithyrambiques et l'un deux, La Patria, s'émeut, trouvant honteux pour les Espagnols qu'un peintre étranger s'empare de leurs sujets et les traite avec plus de justesse que leurs propres artistes. 
Dans cette explosion de couleurs, l'artiste saisit remarquablement les expressions et les physiques des combattants. Le rythme est donné par la grande agitation qui règne autour de l'animal blessé et les gestes appuyés du public exalté. 
Alfred Déhodencq réalise dans cette composition à la lumière resplendissante une magistrale étude de mœurs qui décrit toute la passion qu'il partage avec ce peuple. En 1850, après l'accueil chaleureux des Madrilènes, le tableau quitte l'Espagne pour Paris où il reçoit un accueil enthousiaste au Salon. 
Loin des codes académiques, cet artiste libre, baptisé avec quelque condescendance “le dernier des romantiques”, signe une œuvre magnanime qui a juste décrit la vérité. » Dominique Vazquez 

>>> Guillaume Ambroise, Patrick Ségura, Dominique Vazquez, Peintures du XIXe siècle. Musée des beaux-arts de Pau, Le Festin, Bordeaux, 2007, p. 64. 

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27 septembre 2012

Musée des beaux-arts de Pau (I)


Gustave Colin (1828 – 1910), Novillada en Biscaye, 1888, huile sur toile, 158 x 200 cm
© Musée des beaux-arts de Pau  © Direction des musées de France, 2003  © Patrick Ségura, photographie

« Après un premier séjour au Pays basque en 1858, Gustave Colin s'installe à Ciboure en 1860. Séduit par le quotidien de ce peuple, il s'attache à en décrire les coutumes des deux côtés de la frontière. 
Dans les provinces de Biscaye et de Guipúzcoa, l'artiste, d'origine arrageoise, inspiré par le spectacle tauromachique, développe son engouement pour la novillada, corrida où de jeunes toreros non confirmés affrontent des taureaux de moins de quatre ans. 
À la fin du XIXe siècle, alors que de nombreuses cités se dotent de véritables arènes circulaires, l'enceinte conserve ici l'aspect provisoire des plazas de toros qui occupent le centre des villages. Seul l'encrage des tribunes au pâté de maisons qui la bordent lui ôte toutes les apparences des corridas improvisées. 
L'agitation qui s'empare de la foule bigarrée répond à la tragédie qui se joue dans l'arène. Les peones accourent vers le malheureux combattant déjà vidé d'une grande partie de son sang. Le rythme est accentué par les mouvements amples des muletas censées attirer le taureau qui, hermétique à ce tourbillon, trône au-dessus de sa victime. 
Dans ce tableau, Gustave Colin restitue toute l'authenticité de ces scènes de vie, parfois de mort, qui enflamment ce peuple. Pour amplifier la dramaturgie, le matador exsangue s'éteint dans la lumière déclinante d'une fin d'après-midi, tandis qu'au premier plan un personnage semble implorer le ciel. 
Des effets de matière rouge plus ou moins denses, allusion au combat, jalonnent l'œuvre et en rappellent l'intensité dramatique. Le travail de la matière, la touche et l'exécution, notamment dans l'évocation du public, ne sont pas sans rappeler les liens étroits qu'unissait Gustave Colin au mouvement impressionniste. » Dominique Vazquez

>>> Guillaume Ambroise, Patrick Ségura, Dominique Vazquez, Peintures du XIXe siècle. Musée des beaux-arts de Pau, Le Festin, Bordeaux, 2007, p. 52.

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La fiche du musée | Le livre | La notice du tableau | L'initiative du conseil général du Pas-de-Calais, en octobre 2010, autour d'une autre Novillada en Biscaye (1887) de Gustave Colin 

25 septembre 2012

Lumières !


En cliquant sur l'image, vous accèderez à une séquence cinématographique filmée par les frères Lumière. Les toros étaient berrendos en negro, les chevaux laissaient tripes et boyaux sur le sable et c'était il y a plus de cent ans. Comme ils disent à la télé, bon film.

Et maintenant ? (II)


De ce que l'on sait et qui ne surprendra personne, ce n'est pas l'Afición a los toros qui a rempli le temple nîmois, le 16 septembre dernier. Pourtant, elle était présente. Mais là encore, aucun ne s'est pointé au rendez-vous pour voir le Garcigrande faire voler la cavalerie, ou le Parladé zébrer les tablas. Et pourtant, ils y étaient, en espérant voir quelque chose, en l'occurrence, le seul, l'unique, le grand José Tomás. Pour les raisons que personne n'ignore, cela implique qu'ils aient sans doute choisi, intimement, en l'assumant, de faire abstraction de tout le reste, y compris de la catégorie de l'adversité, chose qui les concernerait en d'autres lieux, en d'autres circonstances. L'on tenta bien de me convaincre que ce n'était ni trop ceci ni pas assez cela, mais mon scepticisme persiste, car je ne justifie la corrida de toros que par la notion d'adversité la plus absolue…
Mais voilà, bien que cette temporada 2012 se soit déroulée sous d'excellents auspices, avec des révélations telles que Fernando Robleño ou Iván Fandiño, qui effaçaient d'un revers toute prétention juliesque ou ponciste et nous faisaient espérer que l'on renouvelât plus généralement ce type de carteles dans les années à venir, pour le plus grand bonheur du peuple qui abondait soudainement avec cette philosophie infiniment plus en accord avec cette société maltraitée par son quotidien, l'actuación nîmoise de José Tomás et ses exigences revînt à nous comme le shoot à trois points qui fait gagner le match à l'ultime seconde. Ceux qui commençaient à ouvrir les yeux sur des sujets moins lumineux mais autrement moins surfaits, quoique moins tapageurs, et assurément moins bien vendus, entendaient ce dernier rappel nîmois et se détournaient finalement de tout ce qui fit la richesse de cette temporada 2012 : la justement nommée « corrida de toros ». Dimanche 16 septembre, sur le coup de midi, on ne pouvait plus que constater.

Alors, plus que jamais, il faut admettre que, s'il existe un public pour Robleño et ses Escolar en la terrible Céret, il existe et existera aussi un public acquis à la cause tomasiste et ses toros artistes dans le ruedo nîmois, et que, dans le fond, les deux sont envisageables, à condition de savoir ce que l'on va voir et où l'on va le voir. Mais nous serions tous d'accord pour dire que nous sommes ici tout un peuple se désespérant de voir un jour José Tomás toréant sans ayuda les toros de José Escolar en plaza de Vista Alegre, Bilbao, Biscaye, car il est certain que la magie du Maestro opérerait sûrement mais différemment sur des bestiaux d'encastes moins « étincelants ». Officiellement, cela est impensable, voire impossible, et c'est comme ça. Qu'on le veuille ou non, il faut s'en accommoder. Demandez-vous maintenant pourquoi ! Les figuras, les « messies » du toreo par définition, choisissent exclusivement des toros qui leur permettent d'œuvrer de la plus jolie manière qui soit, dans l'onctuosité d'un poignet ou le vol lent et majestueux d'une media dans les quelques endroits qui s'y prêtent, et ne souhaitent pas combattre douloureusement dans la poussière du cœur des ruedos pour gladiateurs.
Ce n'est pas nouveau, mais les figuras des années 2000 désirent avant tout que le toro leur permette de démontrer leur talent artistique, de s'exprimer comme ils disent. Ainsi, il faut à présent choisir la corrida que l'on souhaite soutenir : celle des toros ou celle des toreros, mais pas les deux, et ce dimanche 16 septembre raisonna comme si tout le monde avait fini par s'en accommoder ouvertement, signant alors l'arrêt de tout espoir vis-à-vis d'une utopie que nous fûmes, si j'en crois les réactions, finalement peu nombreux à nourrir. Alors, avons-nous d'autre solution que de choisir notre camp ? Plus que jamais, il s'agit donc désormais de jongler avec les compromis, les facilités, les accords, parfois avec soi-même et ses convictions. Les figuras n'en démordront pas, inutile d'insister, le récent succès du phénomène motivant peu la surrenchère au niveau de la diversité des encastes. Quant à Fernando Cuadri, que je sache, il n'est pas prévu de vaches de Daniel Ruiz dans ses corrales avant la saint-glinglin ; peu de chances que l'on assiste en 2013 à la rencontre des deux, et c'est fâcheux.

À partir de là, reste à savoir à l'aficionado de quoi il l'est avant tout : a los toros ? a los toreros ? Et ce n'est qu'après ça qu'il choisira l'arène qui lui offrira le plus de garanties quant à ses attentes, car vous le savez, on ne triomphe pas à Bilbao comme l'on triomphe à Séville, on ne triomphe pas à Céret comme l'on triomphe à Nîmes. Et l'on sait bien que la valeur d'un succès varie aussi en fonction du ruedo, un peu en fonction du moral de l'empresa, un peu en fonction du public que l'on cherche à séduire. Mais qu'on le veuille ou non, les deux journées, cérétanes et nîmoises, furent providentielles avec, bien sûr, des arguments divergents, voire carrément opposés. Cela signifie qu'il y a aujourd'hui deux concepts de corrida et que, d'évidence, ils fonctionnent et permettent respectivement des journées triomphales, mais ils ne se mélangeront jamais. Torista ou torerista, galliste ou belmontien, céretan ou nîmois, finalement, chacun s'y retrouve mais aucun ne se croise. Restera alors à définir lequel des deux est le plus légitime face aux questions existencielles, ou face aux antis et autres occupations extérieures.
Lequel des deux possède les meilleurs arguments pour défendre la corrida qui reste malmenée et menacée ? Le toro mis en avant, avec sa superbe sauvagerie, et la stratégie de combat que l'homme met en place pour réduire le monstre ? Ou l'adoration de l'homme qui parle à l'oreille des toros partenaires et remplit les caisses des commerçants du coin ? Car, là aussi, d'un côté ou de l'autre, tous les arguments se valent dès lors qu'ils sont en phase avec les réalités sociales du moment. Mais le problème est qu'il faut choisir, car, pour l'instant, là où les figuras toréent, peu ou pas de toros durs, et là où l'on tue des toros durs, peu ou pas de figuras. Alors, histoire que l'on en finisse définitivement avec le mélange des genres et que l'on ne s'embourbe plus dans de pagnolesques palabres entre aficionados de tous bords, puisque, aujourd'hui, il est possible d'être aficionado de tous les sens de la corrida — elle-même dite « de toros » et de plus en plus rarement à juste raison —, qui se décidera enfin à proclamer le statut d'« aficionado a los toreros » pour les inconditionnels des redondos inversés ?

D'une manière tout à fait personnelle, l'émotion me vient du toro fort, armé, racé, dominateur, intraitable et puissant, et il me sera à jamais difficile d'argumenter, le moment venu, sur le fait qu'une figura del toreo en 2012 ne se donne la peine de descendre parmi les hommes que deux ou trois fois dans la saison pour ne se mesurer qu'à autant de ganaderías précautionneusement choisies dans l'objectif de sublimer l'art du maître sans tacher son costume. Désolé, mais il me restera toujours un petit quelque chose en travers de la gorge, même après n'importe quel 16-Septembre qui soit. D'autres y parviendront, je le sais, et s'y emploieront magistralement — j'ai des noms… Autre temps, autre mœurs me direz-vous, et vous aurez raison, seulement voilà, il fut un temps où l'on devenait figura quand on se jetait avec morgue et machisme sur le lot le plus hautain de « Zahariche », pour asseoir suprêmement son statut et se positionner devant le moindre avorton qui aurait la mauvaise idée de vouloir dessouder le numéro un, et cela de préférence dans l'Olympe des dieux taurins.
Je vous laisse tirer vos propres conclusions, mais, je le redis, on n'écrira pas deux fois « la légende des siècles » et il est peu probable que l'on revoit de preux chevaliers affronter des dragons pour le seul cul royal d'une princesse. Après ce 16 septembre, il faudra être sur de soi et privilégier de bons arguments bien choisis pour convaincre les sceptiques qu'un torero est bel et bien un combattant qui se doit de mettre à mort un adversaire intégral, et qu'une figura, par définition torero des toreros, est l'être le plus à même de le faire superbement. Mais tant qu'on ne l'aura pas établi comme une constante dans le système taurin, autant danser avec des épagneuls dressés et les laisser dormir paisiblement en attendant l'heure de la prochaine représentation, la notion d'adversité ne se justifiant de ce fait nullement. Peut-être qu'alors tout le monde sera content — aficionados, antis et autres esprits chagrins — et que nous n'aurons plus à discuter de savoir si un torero est un matador de toros ou une étoile du Bolchoï, et une figura un être suprême que d'aucuns désignent comme le « messie », quand bien même il se sera évertué à soigner des grippes alors qu'on passait notre vie à attendre qu'il rende la vue aux aveugles, la parole aux muets et l'ouïe aux sourds ; qu'il « lazarifie » les morts.

À suivre.

24 septembre 2012

A hombros


Détail des gradins des arènes de Teruel — Laurent Larrieu/Camposyruedos.com

En voilà un qui ne devait pas jouer au loto.
Dans les années 1930, avant que la guerre civile ne vienne par ici faire ses ravages, Teruel décida qu'il lui fallait une nouvelle plaza de toros. Peut-être l'ancienne, toute de bois, avait-elle brûlée ? On choisit de l'installer sur les abords du vieux centre mudéjar, dans l'ensanche comme c'était devenu l'habitude dans de nombreuses villes où les centres étaient pleins. Le style néomudéjar prévalut et le financement reposa sur les frêles épaules d'un peuple pas bien riche mais certainement très aficionado. Une sorte de quête à grande échelle apporta l'oseille (300 000 pesetas à l'époque) pour monter les pierres.
Dans l'historiographie officielle de ces arènes, dans les livres, dans les mémoires, le premier à être sorti « a hombros » des arènes de Teruel fut Manolete dans les années 1940, lorsque Teruel pansait encore les plaies de la terrible bataille qui porte aujourd'hui son nom.
En vérité, c'est faux.
Ce n'est pas Manolete qui inaugura les marches du triomphe de la cité aragonaise. Même pas un torero. Les vieux connaissent la vérité et la savent rendre à César.
Lors des travaux de construction, un ouvrier du coin se blessa assez gravement et l'on fut obligé de le conduire à l'hôpital le plus proche. Le chemin le plus direct était de traverser les arènes, puis de franchir le porche d'entrée de celles-ci. Porté par ses pairs, inquiets on l'imagine, notre laborieux aurait eu ces mots qui ne s'inventent pas : « Au moins, je serai le premier à sortir porté en triomphe de cette plaza ! »
La plaza de Teruel porte un surnom dont toutes les empresas se passeraient volontiers : « La plus grande arène du monde ». Non pas que sa taille donne le tournis, mais il s'agit tout simplement d'une blague de gars du coin pour signifier l'impossibilité, constatée tout au long de soixante-quinze années d'histoire, de remplir ces arènes. Seul José Tomás, seul. Une fois, c'est tout.

22 septembre 2012

Pour pas un rond


André Amaro se la joue pour pas un rond, pour presque rien. Cent, deux cents, à peine plus, parfois rien. Même pas les frais pour l’essence et les péages. Ne surtout pas oublier les péages. Et il vient de très loin André. Il vient du Portugal, d'Aldea del Obispo, le village de l’évêque. Je ne sais pas de quel évêque, parce qu'Aldea del Obispo est tellement au milieu de rien que je ne vois pas ce qu’un évêque pourrait bien foutre dans ce trou. Et puis, Aldea del Obispo, j’étais persuadé que c’était côté espagnol, et pas au Portgual.
Aldea del Obispo, c’est à côté de Fuentes de Oñoro, là où Navalón avait ses toros, là où il faisait le zouave dans des tombes sans âge. 

Pourtant, André m’a bien dit qu’il habitait à Aldea del Obispo… Portugal. Peut-être qu’il y en a deux, collés, un de chaque côté de la frontière. Un village à partager, comme pour Barrancos plus au sud. Je n’ai jamais fait vraiment attention.
Navalón habitait là, côté espagnol, juste après la grande route, juste après Ciudad Rodrigo. C'est à peu près tout ce que j'en sais.

Quelques kilomètres plus avant, il y a La Fuente de San Esteban et le restaurant El Cruce. Tous les types qui font le campo connaissent ça. Dans le coin habite Lucas, le mozo français de Juan del Álamo, et aussi Vicente Llorca, « el ganadero que no llegó a serlo »… Enfin, il l’a été, pas longtemps, et il ne l’est plus. Vicente a dû se pincer en me voyant au Cruce en plein mois d’août, direction Porto, Portugal.
À Porto, il n’y a aucun doute, rien à partager, rien à couper en deux, il y a juste l’océan à prendre en pleine poire.

À Aldea del Obispo, je ne sais pas. Ce qui est certain, c’est qu'à cet endroit vit André Amaro, côté portugais. Et c’est de là qu’il a pris la route début septembre, direction Arles, pour se la jouer, pour rien. André n’est pas un cas, ni une exception ; tous les recortadores se la jouent pour pas un rond. 

À Arles, ce soir de septembre, entassé avec les autres dans le vestiaire des arènes, André était le seul à aligner de petites boîtes en plastique abritant ses vierges. Il en avait trois et se les passait autour du coup après les avoir embrassées longuement, leur avoir confié ses secrets et probablement son corps. Des vierges, portugaises sans doute, Fatima peut-être…

Photographie sans paroles (CIII)


Soirée Atelier Baie et opus 3


Grosse soirée de l’Atelier Baie samedi soir à Nîmes, beaucoup de monde. Merci Bruno !

Une photo souvenir pour celles et ceux qui sont venus nous faire signer Campos y Ruedos 03 à l'occasion de l'exposition « José Tomás par Carlos Cazalis ».

Un peu de pub ne faisant pas de mal, je vous rappelle que vous pouvez toujours commander l’opus 3 de Campos… Oui, oui ! le troisième opus de Campos y Ruedos ;-)


21 septembre 2012

Et maintenant ? (I)


L'encerrona spectaculaire du Monstruo de Galapagar a ouvert la brèche du débat « pour ou contre », mais assurément pas « sans opinion ».

Il y a ceux qui y étaient et qui ont tout vu et tout aimé (et qui gesticulent beaucoup pour qu'on le sache), ceux qui y étaient mais qui émettent un bémol (dignes et audibles), ceux qui n'y étaient pas et qui restent perplexes (comment leur en vouloir ?), et ceux qui n'y étaient pas, et pi c'est tout, poil au cou.

Bref, ce jour-là, nous étions tous quelque part, présents ou pas, et chacun se souviendra de ce qu'il faisait « ce jour-là », au moment où l'on annonça la mort du sergent-chef Chaudard, l'immense Pierre Mondy. Pour avoir lourdinguement débattu avec les uns et surtout les autres (ceux qui gesticulent beaucoup), pénibles et insistants à souhait, les béni-oui-oui et les pisse-vinaigres, il me semble important de comprendre ce que l'on retiendra de ce moment qualifié unanimement d'« historique ». Oui, mais à quel niveau…

D'abord, José Tomás est un monstre, à part, au-dessus du lot, au-dessus de tout ce que vous voudrez, en un mot un OVNI, hors circuit, hors du mundillo, hors de tout… À part. Rien à voir avec tout le reste. Énorme artiste qui a écrit une page ou deux de l'histoire de la tauromachie grâce à son surpuissant poder, sa maîtrise des éléments, sa technique trastos en main, son courage hors pair dans les terrains impossibles, son flegme apparent, son insondable mystère, son hyperclassicisme et son stupéfiant détachement face à la mort. Oui, oui, sachez-le, ici aussi l'on en est convaincu, et même archiconvaincu. Ceux qui nous lisent le savent. Seuls les nuisibles en doutent. Ceci étant dit, revenons au vrai débat : « Et maintenant ?… »

Eh oui ! Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? Maintenant qu'on arrivait enfin à faire admettre à Viard et autres scribouillards que le temps des caprices du G10 était révolu et qu'il fallait revenir aux fondamentaux. Maintenant que même ceux-là reconnaissaient enfin le toro comme élément essentiel à la cause. Maintenant que la « modernitude » s'affaissait peu à peu comme le symbole mièvre de la dégénérescence de la Fiesta, et maintenant que le grand public en prenait enfin conscience et se mettait en phase avec les réalités actuelles d'un spectacle qui souffre aussi des mêmes maux que la société ?…

Ce dimanche 15 septembre est venu comme une lame décapiter tous nos espoirs et réduire nos efforts à que dalle ou presque. Non pas les espoirs qui nous faisaient penser qu'on a probablement jamais aussi bien toréé qu'en ce jour (ce dont nous ne doutons nullement), mais ceux qui redonnaient enfin à notre toro bien aimé son rôle de pierre angulaire de tout un monde, et qui aurait emmené dans son sillon toute la rigueur éthique que la corrida épuisée réclamait et continue de réclamer. Désormais, qui peut se risquer à convaincre les figuras du G10 que ce toro de respect tant espéré est un toro indispensable à la véracité d'un succès taurin, un adversaire indispensable à leur statut, sous peine de fâcherie d'un public las qui ne veut plus tout accepter ? Non pas que Tomás toréa des caricatures de bêtes à cornes, mais enfin, ne me faites pas croire que le cirque nîmois trembla de peur un instant face aux terribles cornus que Boix réserva à son génial poulain !

Pourtant, cela n'interdit pas le triomphe et certains trouducs bien intentionnés vous diront même que cela le permit ! N'empêche qu'à l'heure où l'on s'évertue à dire au Juli que son rang l'oblige à se mesurer au toro-toro, celui d'encaste différent et souvent plus rustique que le banal Vistahermosa/Domecq bébête pour figuras, que voulez-vous que les présents du 15 septembre vous rétorquent, eux qui ont pris un pied total à assister à une légendaire leçon de toreo en acceptant d'occulter la présence réelle d'un adversaire farouche, et même que cela suffit à leur bonheur et qu'ils risquent en plus de ne plus vouloir que ça ? Alors, première constatation et premier coup de godasse dans les tibias : l'arène était archipleine et l'argument était tout sauf torista, pire, cela fonctionna et, même, triomphe historique il y eut… Nul besoin d'Escolar Gil ou de Cuadri pour ça ! Au contraire, vous diraient certains, bien au contraire. Et nous, qu'avons-nous à leur opposer ?

Autrement dit : les figuras déplacent les foules et remplissent encore les tendidos… pas les toros. Ce qui débouche sur l'argument financier (pas le moindre) : une corrida de vedettes garantit la rentabilité d'une telle organisation — ce que les ganaderías ne parviennent pas à faire. Ainsi, au moment de confectionner les carteles 2013, que croyez-vous que les empresas vont retenir de cette impitoyable fin de temporada ? Ben oui, en toute logique, au moment où l'on pensait que tout cela allait enfin pencher du côté d'une version plus éthique de la corrida, le succès de Tomás aura fini de convaincre n'importe quel organisateur — à plus forte raison ceux dont la toison est menacée par une lame de Damoclès budgétaire — que le moindre des risques à prendre c'est d'évidence d'opter pour la corrida de figuras, et au diable l'éthique, et au diable les publics récalcitrants auxquels on ne la fait plus.

D'ailleurs, c'est désormais prouvé, on vient d'Espagne, d'Italie ou d'Angleterre pour voir toréer les figuras. On remplit les hôtels, on paye son pain à la boulangère et l'entrecôte frites en terrasse chez Gégène. Inutile de tourner plus longtemps autour du pot, l'argument financier est majeur dans cette affaire, et le seul nom de José Tomás a fait tourner le commerce régional durant trois jours — pas Parladé, ni Jandilla, ni Victoriano, encore moins Escolar ou Cuadri, pas invités. Du coup, ça aussi ça séduit le gardien des coffres au moment d'avancer les arguments, car s'il y a également eu triomphe à ce niveau l'on aura naturellement tendance à chercher à renouveler l'affaire. On imagine aisément l'actuelle affection des commerçants nîmois vis-à-vis de Simon Casas, leur héros, leur prochain maire.

Ceci dit, l'argent ne faisant toutefois pas le bonheur, que fait-on des arguments avancés péniblement, mais avancés quand même, par André Viard depuis qu'il tente de se racheter une réputation ? Lui qui admettait enfin qu'il fallait désormais faire preuve de raison ? Alors, et c'est terrible à dire, pour sauver nos âmes en peine, il aurait fallu que l'exception tomasiste fût la dernière et qu'il s'éclipsât pour de bon, riche et célèbre avec sa légende sous le bras, afin de pouvoir reprendre la main sur les revendications astronomiques et indécentes des vedettes — car, oui, astronomiques et indécentes elles demeurent !

Nul ne peut aujourd'hui douter que le « 06 » de Salvador Boix a fondu sous le nombre d'appels des empresas de la terre, cherchant absolument, et à n'importe quel prix sans doute, à récupérer le diamant madrilène en vue des hypothétiques sauteries de l'été prochain. Vous l'avez compris, si cela s'avérait vrai et que José Tomás devait revenir dans les ruedos en 2013, il ne sera évidemment pas question de lui demander d'être raisonnable, au risque d'ouvrir le chapitre des négociations avec le Monsieur, voire carrément malvenu et hors de propos d'espérer seulement imposer la moindre bête — quant à lui faire comprendre qu'en ces lieux l'on pique deux fois au moins… Oui, je sais, vous en rigolez déjà. Seulement voilà, si c'est valable pour Tomás, il y a de fortes chances que ça le redevienne pour El Juli ou Manzanares, qui vont forcément s'engouffrer dans la brèche et saisir l'occasion de faire valoir leurs juteux arguments. Dans une telle terna programmée, j'imagine mal les deux plus humbles, pris de remords, se résigner à ajuster consciencieusement leurs revendications avec le PNB du pays qui les a vus naître et se mettre en phase avec la décence que l'époque impose, pendant que le troisième peine à épeler le mot « négociation » !

Non, El Juli n'est pas José Tomás mais, à vrai dire, après Tomás, qui ? Manzanares, oui, Morante, certainement, El Juli, forcément, celui-là même que l'Afición française montrait dernièrement du doigt pour ses caprices et ses exigences outrancières à un moment crucial ne tolérant plus ce genre d'écart. Pourtant, je pense que le succès de José Tomás aura rassuré plus d'une figura sur ce point-là, et le fragile château de cartes que l'on avait patiemment et laborieusement tenté d'ériger depuis tant d'années s'est effondré dimanche en deux heures à peine. Là encore, deuxième constatation et nouveau pet' dans les tibias : quels arguments faudra-t-il alors avancer auprès des figuras pour les convaincre que leurs exigences financières et bovines ne sont plus acceptables, alors qu'on risque d'être témoin d'une recrudescence de demandes toreristas dans la conception des carteles et que les gens, y compris les non initiés, seront maintenant prêts à y mettre le prix ? Et si, en plus, cette tête de pioche de Julián López, inspiré par le succès nîmois de Tomás, décidait soudainement de prendre le pari d'une competencia avec ce dernier ? Ce serait sans doute la fin de toute raison gardée, et par là-même de nos utopies éthiques…

À suivre.

20 septembre 2012

Tiens, tiens !


Me voici réconcilié avec la presse ! Depuis des semaines, les éditoriaux, les tribunes, les articles concernant la fameuse QPC (Question prioritaire de constitutionnalité) charrient plus de poncifs que de limon le Nil avant l'avènement du lac Nasser. Le tourbillon JT de Nîmes avait même, semble-t-il, fait  péter les dernières vannes d'infos vaguement vérifiées et fait verser d'urgence dans l'hommage auquel nul ne semble avoir vraiment assisté (Francis Marmande dans le Monde de lundi a pris un sacré coup de vieux)… Et cela partait assez mal cet après-midi en découvrant dans le Monde daté de demain (21 septembre) la légende photographique décrivant « Le torero espagnol José María Manzanares à la féria de Pentecôte de Nîmes, le 15 septembre ». Pentecôte en septembre, fin du monde en décembre !
Un peu plus bas, Marmande voulait bien nous faire part, pêle-mêle, de son enfance, de ses goûts et du brassage en « socialité » des arènes que l'on ne retrouve plus ailleurs. Mouais…
Je finis par attaquer l'article d'actualité de Catherine Vincent, agité par une motivation toute « juanpédrée », quand me sautent aux yeux ces quelques lignes : 

« Une QPC ne pouvant être déposée qu'à l'occasion d'un contentieux juridique, celle qu'examine actuellement le Conseil n'aurait ainsi pas abouti si les deux associations qui l'ont portée n'avaient auparavant déposé, en juillet 2011, une plainte au tribunal administratif de Paris. Celle-ci portait sur la décision, rendue publique en avril 2011 par le ministère de la Culture, d'inscrire la corrida au patrimoine culturel immatériel français. Pour Jean-Pierre Guarrigues, vice-président de CRAC Europe, il paraît “impensable de classer au patrimoine national un acte réprimé par deux ans de prison et 30 000 euros d'amende sur 90 % du territoire”. D'où le litige, qui a ouvert aux abolitionnistes de la corrida la porte du Conseil constitutionnel ? »

Et ce détail, il me semble que tout le milieu taurin s'était bien gardé de nous en faire part !

Tout ça parce que l'ONCT était jaloux de la tarte tatin…


Photographie Un vieil artisan d'un monde meilleur ne lésinant pas sur les moyens.

Pour info…


… Car vous êtes nombreux à vouloir comparer :



Pour en finir avec les caricatures


Après le solo de José Tomás, Mundomachin s’en est allé interviewer le directeur des arènes de Nîmes. 
Tout se passait à peu près bien jusqu'à ce que Mundochoto évoque le fait, horreur, qu’en France aussi il puisse y avoir une bipolarisation de la Fiesta (grosso modo toristas/toreristas), puis enchaîne sur le tweet du Juli. La goutte d'eau… Et là, forcément, le producteur d’art il disjoncte :

« Hay que acabar con ese extremismo integrista que, en los últimos treinta o cuarenta años, se ha dedicado a destruir la imagen de los toros. Hay que hacer una gran toma de conciencia, y todos esos que hablan de “culpables” deben saber que también ellos lo son. Si nos limpiamos la cara, nos la limpiamos todos, porque todos somos “pecadores”. No se puede dejar la palabra únicamente a esta gran minoría que hace mucho ruido, que ha monopolizado el micrófono y que muchas veces falsea la realidad. »

Traduction « Il faut en finir avec cet extrémisme intégriste qui, au cours des trente ou quarante dernières années, s’est appliqué à détruire l’image de la Fiesta. Il faut une grande prise de conscience, et tous ceux qui parlent de “coupables” doivent savoir qu’ils le sont aussi. Si nous devons nous laver la figure, nous nous la laverons tous, parce que nous sommes tous des pécheurs. On ne peut pas laisser la parole uniquement à cette grande minorité (sic) qui fait beaucoup de bruit, monopolise le micro et qui, trop souvent, déforme la réalité. »

Je dois vous avouer que tout ceci n’est pas très clair. Nous allons donc étudier le concept de « grande minorité », tenter d’établir une liste, essayer de comprendre quoi. Si nous trouvons quelque chose de concret, intellectuellement compréhensible par nous — c'est pas gagné —, nous vous ferons signe. A priori Charlie Hebdo ne serait pas visé… mais il semblerait que les jours de certains soient comptés.

18 septembre 2012

Indultignez-vous !



Un grand merci à Mila Sanchis !

Pour Mario


Mon cher Mario,

Que s’est-il réellement passé à Nîmes ce dimanche matin 16 septembre ? C’est curieux, tu vois, cette question quasi existentielle que se posent ceux qui n’y étaient pas.

On sent bien que personne n’y croit. Ceux qui n’y étaient pas, je veux dire. Ben ouais, c’est logique, Nîchmes est tellement habituée à se vautrer dans le triomphe facile et pornographique depuis déjà si longtemps que lorsqu’il en arrive un, pour de vrai, ceux qui n’y étaient pas ne le croient pas.
Que s’est-il donc passé à Nîmes ce matin-là ? J’y étais, moi. Le problème c’est que je ne suis pas Joaquín Vidal et qu’en dehors de lui je ne vois absolument aucune plume susceptible de se hisser au niveau, rendre compte de ce matin-là de manière concise et pertinente, sauf évidemment à tomber dans les poncifs et dégouliner de superlatifs.  Et comme nous n’allons pas ressusciter le Maître, c’est sans issue.
Je ne comptais donc pas en faire un compte rendu, ni écrire quoi que ce soit de particulier là-dessus, mais tes interrogations sont là.

Je vais donc faire bref, tomber dans la facilité, en te renvoyant à notre nouvel ami commun, André Viard :  « … on peut comprendre ce qui s'est passé à Nîmes, grâce à un José Tomás plus solennel et éthique que jamais, ce qui permit au public de mesurer la différence existant entre le toreo pur et ses succédanés aujourd'hui à la mode… Ce que fit José Tomás à Nîmes fut ni plus ni moins que de montrer une nouvelle fois ce qu'est le toreo le plus pur, construit sur des muletazos respectant la règle de trois — enganchar, llevar, rematar — et liés entre eux de manière naturelle, avec beaucoup de verticalité et de mesure, sans jamais abuser des distances courtes. Le toreo éternel, posé de manière naturelle et à base de courage, mais sans en faire état. »

C’est ça, c’est exactement ça. Je suis d’accord ! D’ailleurs, je suis tellement d’accord avec Viard ces temps-ci que ça m’inquièterait presque… Nous parlons là de conception du toreo, ce qui n’est pas une nouveauté concernant Tomás pour ceux qui le suivent depuis si longtemps. À ce concept très classique il faut ajouter une exécution parfaite, sans la moindre scorie ; ça peut te donner une idée.
Donc Tomás a été Tomás, pur comme on l’aime, mais aussi varié, très varié, pas le Tomás suicidaire, l’autre, celui du toreo profond et véritable, si loin, à des années-lumière de tous ses contemporains. Tout s’est enchaîné, sans anicroche, sans le moindre doute, comme dans un rêve. Ça glissait tout seul — du velours. Ah, j’allais oublier : cinq estocades cinq, dans les règles, corto y derecho.

Ça c’est pour Tomás. Et le bétail me diras-tu. Je recite notre nouvel ami commun dans son édito de la veille : « Jusqu'où peut-on aller dans la recherche du confort maximum pour les figuras, sans passer en dessous de la ligne de flottaison à partir de laquelle le spectacle perd toute éthique ? »

Eh bien, mon cher Mario, disons que ce fut le minimum du minimum. Nous avons eu droit à une présentation de seconde catégorie, tendance troisième pour les trois premiers de la course, brochitos, et à des animaux sans l’étincelle de la caste, le piquant ou la charge vive — l’émotion du toro quoi, même commercial, comme la veille avec le troisième de Manzanares. Ils se déplaçaient, c'est tout.
L’émotion du toro, il n’y en a pas eu, jamais, et l’émotion c’est le seul Tomás qui la porta, certes très haut, mais sans toros.
L’ensemble reçut grosso modo une pique et un picotazo, et aucun ne s’affala ni ne tomba. La belle affaire. Tout le monde se félicite donc. Les toros ne sont pas… tombés…

Celui gracié, dont personne ne se souviendra du nom, fut à peine piqué, ce qui explique, peut-être, pourquoi il garda plus d’allant que les autres. Mais de cela tout le monde se moquait bien.
Donc, question bétail, c’était très bien puisque aucun toro n'est tombé. C’est ce qu’il faut dire aujourd’hui lorsqu’on est bien élevé. Aucun n’est tombé. Tout va bien.

Tu vois, Mario, tout dépend du niveau où l'on met la ligne de flottaison. Pour le toreo elle était haute très haute, pour le bétail…