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21 septembre 2012

Et maintenant ? (I)


L'encerrona spectaculaire du Monstruo de Galapagar a ouvert la brèche du débat « pour ou contre », mais assurément pas « sans opinion ».

Il y a ceux qui y étaient et qui ont tout vu et tout aimé (et qui gesticulent beaucoup pour qu'on le sache), ceux qui y étaient mais qui émettent un bémol (dignes et audibles), ceux qui n'y étaient pas et qui restent perplexes (comment leur en vouloir ?), et ceux qui n'y étaient pas, et pi c'est tout, poil au cou.

Bref, ce jour-là, nous étions tous quelque part, présents ou pas, et chacun se souviendra de ce qu'il faisait « ce jour-là », au moment où l'on annonça la mort du sergent-chef Chaudard, l'immense Pierre Mondy. Pour avoir lourdinguement débattu avec les uns et surtout les autres (ceux qui gesticulent beaucoup), pénibles et insistants à souhait, les béni-oui-oui et les pisse-vinaigres, il me semble important de comprendre ce que l'on retiendra de ce moment qualifié unanimement d'« historique ». Oui, mais à quel niveau…

D'abord, José Tomás est un monstre, à part, au-dessus du lot, au-dessus de tout ce que vous voudrez, en un mot un OVNI, hors circuit, hors du mundillo, hors de tout… À part. Rien à voir avec tout le reste. Énorme artiste qui a écrit une page ou deux de l'histoire de la tauromachie grâce à son surpuissant poder, sa maîtrise des éléments, sa technique trastos en main, son courage hors pair dans les terrains impossibles, son flegme apparent, son insondable mystère, son hyperclassicisme et son stupéfiant détachement face à la mort. Oui, oui, sachez-le, ici aussi l'on en est convaincu, et même archiconvaincu. Ceux qui nous lisent le savent. Seuls les nuisibles en doutent. Ceci étant dit, revenons au vrai débat : « Et maintenant ?… »

Eh oui ! Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? Maintenant qu'on arrivait enfin à faire admettre à Viard et autres scribouillards que le temps des caprices du G10 était révolu et qu'il fallait revenir aux fondamentaux. Maintenant que même ceux-là reconnaissaient enfin le toro comme élément essentiel à la cause. Maintenant que la « modernitude » s'affaissait peu à peu comme le symbole mièvre de la dégénérescence de la Fiesta, et maintenant que le grand public en prenait enfin conscience et se mettait en phase avec les réalités actuelles d'un spectacle qui souffre aussi des mêmes maux que la société ?…

Ce dimanche 15 septembre est venu comme une lame décapiter tous nos espoirs et réduire nos efforts à que dalle ou presque. Non pas les espoirs qui nous faisaient penser qu'on a probablement jamais aussi bien toréé qu'en ce jour (ce dont nous ne doutons nullement), mais ceux qui redonnaient enfin à notre toro bien aimé son rôle de pierre angulaire de tout un monde, et qui aurait emmené dans son sillon toute la rigueur éthique que la corrida épuisée réclamait et continue de réclamer. Désormais, qui peut se risquer à convaincre les figuras du G10 que ce toro de respect tant espéré est un toro indispensable à la véracité d'un succès taurin, un adversaire indispensable à leur statut, sous peine de fâcherie d'un public las qui ne veut plus tout accepter ? Non pas que Tomás toréa des caricatures de bêtes à cornes, mais enfin, ne me faites pas croire que le cirque nîmois trembla de peur un instant face aux terribles cornus que Boix réserva à son génial poulain !

Pourtant, cela n'interdit pas le triomphe et certains trouducs bien intentionnés vous diront même que cela le permit ! N'empêche qu'à l'heure où l'on s'évertue à dire au Juli que son rang l'oblige à se mesurer au toro-toro, celui d'encaste différent et souvent plus rustique que le banal Vistahermosa/Domecq bébête pour figuras, que voulez-vous que les présents du 15 septembre vous rétorquent, eux qui ont pris un pied total à assister à une légendaire leçon de toreo en acceptant d'occulter la présence réelle d'un adversaire farouche, et même que cela suffit à leur bonheur et qu'ils risquent en plus de ne plus vouloir que ça ? Alors, première constatation et premier coup de godasse dans les tibias : l'arène était archipleine et l'argument était tout sauf torista, pire, cela fonctionna et, même, triomphe historique il y eut… Nul besoin d'Escolar Gil ou de Cuadri pour ça ! Au contraire, vous diraient certains, bien au contraire. Et nous, qu'avons-nous à leur opposer ?

Autrement dit : les figuras déplacent les foules et remplissent encore les tendidos… pas les toros. Ce qui débouche sur l'argument financier (pas le moindre) : une corrida de vedettes garantit la rentabilité d'une telle organisation — ce que les ganaderías ne parviennent pas à faire. Ainsi, au moment de confectionner les carteles 2013, que croyez-vous que les empresas vont retenir de cette impitoyable fin de temporada ? Ben oui, en toute logique, au moment où l'on pensait que tout cela allait enfin pencher du côté d'une version plus éthique de la corrida, le succès de Tomás aura fini de convaincre n'importe quel organisateur — à plus forte raison ceux dont la toison est menacée par une lame de Damoclès budgétaire — que le moindre des risques à prendre c'est d'évidence d'opter pour la corrida de figuras, et au diable l'éthique, et au diable les publics récalcitrants auxquels on ne la fait plus.

D'ailleurs, c'est désormais prouvé, on vient d'Espagne, d'Italie ou d'Angleterre pour voir toréer les figuras. On remplit les hôtels, on paye son pain à la boulangère et l'entrecôte frites en terrasse chez Gégène. Inutile de tourner plus longtemps autour du pot, l'argument financier est majeur dans cette affaire, et le seul nom de José Tomás a fait tourner le commerce régional durant trois jours — pas Parladé, ni Jandilla, ni Victoriano, encore moins Escolar ou Cuadri, pas invités. Du coup, ça aussi ça séduit le gardien des coffres au moment d'avancer les arguments, car s'il y a également eu triomphe à ce niveau l'on aura naturellement tendance à chercher à renouveler l'affaire. On imagine aisément l'actuelle affection des commerçants nîmois vis-à-vis de Simon Casas, leur héros, leur prochain maire.

Ceci dit, l'argent ne faisant toutefois pas le bonheur, que fait-on des arguments avancés péniblement, mais avancés quand même, par André Viard depuis qu'il tente de se racheter une réputation ? Lui qui admettait enfin qu'il fallait désormais faire preuve de raison ? Alors, et c'est terrible à dire, pour sauver nos âmes en peine, il aurait fallu que l'exception tomasiste fût la dernière et qu'il s'éclipsât pour de bon, riche et célèbre avec sa légende sous le bras, afin de pouvoir reprendre la main sur les revendications astronomiques et indécentes des vedettes — car, oui, astronomiques et indécentes elles demeurent !

Nul ne peut aujourd'hui douter que le « 06 » de Salvador Boix a fondu sous le nombre d'appels des empresas de la terre, cherchant absolument, et à n'importe quel prix sans doute, à récupérer le diamant madrilène en vue des hypothétiques sauteries de l'été prochain. Vous l'avez compris, si cela s'avérait vrai et que José Tomás devait revenir dans les ruedos en 2013, il ne sera évidemment pas question de lui demander d'être raisonnable, au risque d'ouvrir le chapitre des négociations avec le Monsieur, voire carrément malvenu et hors de propos d'espérer seulement imposer la moindre bête — quant à lui faire comprendre qu'en ces lieux l'on pique deux fois au moins… Oui, je sais, vous en rigolez déjà. Seulement voilà, si c'est valable pour Tomás, il y a de fortes chances que ça le redevienne pour El Juli ou Manzanares, qui vont forcément s'engouffrer dans la brèche et saisir l'occasion de faire valoir leurs juteux arguments. Dans une telle terna programmée, j'imagine mal les deux plus humbles, pris de remords, se résigner à ajuster consciencieusement leurs revendications avec le PNB du pays qui les a vus naître et se mettre en phase avec la décence que l'époque impose, pendant que le troisième peine à épeler le mot « négociation » !

Non, El Juli n'est pas José Tomás mais, à vrai dire, après Tomás, qui ? Manzanares, oui, Morante, certainement, El Juli, forcément, celui-là même que l'Afición française montrait dernièrement du doigt pour ses caprices et ses exigences outrancières à un moment crucial ne tolérant plus ce genre d'écart. Pourtant, je pense que le succès de José Tomás aura rassuré plus d'une figura sur ce point-là, et le fragile château de cartes que l'on avait patiemment et laborieusement tenté d'ériger depuis tant d'années s'est effondré dimanche en deux heures à peine. Là encore, deuxième constatation et nouveau pet' dans les tibias : quels arguments faudra-t-il alors avancer auprès des figuras pour les convaincre que leurs exigences financières et bovines ne sont plus acceptables, alors qu'on risque d'être témoin d'une recrudescence de demandes toreristas dans la conception des carteles et que les gens, y compris les non initiés, seront maintenant prêts à y mettre le prix ? Et si, en plus, cette tête de pioche de Julián López, inspiré par le succès nîmois de Tomás, décidait soudainement de prendre le pari d'une competencia avec ce dernier ? Ce serait sans doute la fin de toute raison gardée, et par là-même de nos utopies éthiques…

À suivre.

13 septembre 2012

Retour vers le futur en quelques morceaux choisis


C'est aujourd'hui avéré, Julián López ne lit pas Campos y Ruedos. Comment expliquer sinon qu'il n'ait rien reproché à la multitude de bloggeurs indépendants qui lui refont le portrait depuis quelques années maintenant (eh oui, le temps passe). En effet, pour la plupart des aficionados espagnols et français, et pour la gente taurine en particulier, la presse taurine autorisée s'est toujours résumée à peau de zob. À partir de là, comment donc s'étonner que ceux-là, et a fortiori ceux encore plus nombreux qui survolent la vie taurine seulement quand les beaux jours reviennent, n'aient eu vent jusqu'ici que des saintes écritures boucalaises et des interlignes fleuris zocatistes ? D'ailleurs, en toute honnêteté, ces derniers ne sauraient démentir, et reconnaîtraient tout haut (mais sous la torture) que ça les arrangeait un peu aussi, que l'archimonopole de la parole de l'Afición dont ils jouissaient abusivement était un privilège qui ne pouvait déplaire ni à eux-mêmes ni à leurs employeurs — fameux vendeurs de papier… Me trompe-je ?

Il est juste troublant de constater que lorsque la vie était belle pour les figuras du G10, que tous chantaient les louanges de la géniale « modernitude » et que le public se brisait les phalanges à battre des paluches pour saluer redondos inversés, « julipiés » et autres faenas médicales poncistes face à des édredons monopiqués, aucune des ces vedettes du toreo ne trouvait à redire du traitement que la fameuse presse française autorisée leur réservait. D'ailleurs, à ce moment-là aucune empresa ne s'émouvait du comportement chagrin du public, pas même au moment de gracier des toros abrutis et sans classe !

Alors, de deux choses l'une, soit Julián López vient à l'instant de découvrir l'acharnement que met André Viard dans sa quête pour l'authenticité d'une féria intègre et sincère axée sur le toro et sa lidia, soit André Viard n'a pas toujours tenu ce discours révolutionnaire et frais qu'il propage désormais depuis qu'il est urgent pour lui de surfer sur ce nouvel élan populaire, sans quoi il risquerait de creuser une irréversible faille entre les nouvelles exigences d'hypothétiques clients des opus boucalais, qui fréquentent les arènes sans avoir forcément perçu qu'on les avait floués bien des fois, et le discours fleuri en totale osmose avec le mundillo que l'homme à la toison d'argent entretenait habilement depuis si longtemps ?

Nous avons tous une claire idée de la réponse. Même si un pavé a ouvertement été lancé à la gueule du G10 par l'incontournable Dédé et sa lettre ouverte au Juli, l'on ne pourra s'empêcher de voir, au-delà là du geste désinteressé et chevaleresque en faveur d'une tauromachie forte et vraie trop longtemps bafouée, un énième calcul boucalais dont nous fûmes si souvent témoins, parfois victimes. C'est que l'on a appris à connaître l'animal !

Ainsi, il fut un temps où André Viard avait une vision plus complaisante envers ses cibles actuelles… Jugez-en par vous-même après lecture de ces quelques morceaux choisis (citations reprises telles quelles, seul le gras est à porter à notre crédit, ndlr) :

« La corrida d'hier à Dax est un parfait exemple de ce qui précède : le Juli, face au cinquième toro, a respecté à la lettre les unités d'action (sa faena ne fut en fait qu'un long muletazo tellement elle fut parfaite de ligazon), de temps (il n'y eut aucun temps mort et la progression qui menait vers le terme fut parfaitement gérée, alternant temps forts et temps faibles pour laisser le toro récupérer) et de lieu (les séries étant données dans un mouchoir de poche). 
Que manqua-t-il pour que le final soit triomphal dans la mesure où la progression dramatique avait elle aussi été respectée à la lettre au travers de la domination croissante du torero sur son adversaire ? La mort. Ou du moins, la mort donnée à la mesure de la faena, c'est à dire foudroyante et spectaculaire, digne conclusion que méritait ce long acte d'amour envers sa profession et son adversaire auquel le Juli venait de se livrer devant un public de voyeurs ravis. Public dont le OOOOh de désapointement à la vue des estocades médiocres en dit long sur le plaisir qu'il venait d'éprouver et dont ce final raté en forme de coïtus interuptus le privait par surprise, en même temps qu'il privait aussi cette corrida de son final grandiose caressé le temps de la faena : le Juli en triomphe traversant le parc Théodore Denis… »

« Mal présentée, faible, décastée, sosa, molle… La corrida de Daniel Ruiz fut habillée pour quelques hivers, et certains allèrent même jusqu'à dire que les meilleurs moments de la journée furent à mettre au crédit des banderilleros. Merci pour Ponce et surtout le Juli… »

« Le label "Feria de Dax" est une marque qui fonctionne. 90 % des entrées se vendent sur abonnement et jusqu'à cette année les clients renouvelaient leurs abonos sans même lire l'affiche, persuadés qu'ils étaient de trouver une programmation conforme à leurs goûts : Dax, depuis trente ans, c'est la feria Champagne, la cour de récréation des figuras, la scène d'Aquitaine où l'on a plus que partout ailleurs collectionné les succès. » 

• « Sera-ce toujours le cas l'an prochain ? Cela dépendra en grande partie du résultat des deux corridas qui restent : El Pilar avec Castella attendu comme le Messie, et Hoyo de la Gitana, sans le Fundi. Que ces deux tardes soient triomphales - qui ne le souhaiterait ? - et l'on oubliera le ratage inquiétant du premier jour - celui des toros de la neige - et celui moins surprenant d'hier. Faible, décastée, sans fond, ni caste ni bravoure à l'exception du quatrième qu'Ivan Vicente a laissé passer, le lot de Los Bayones, très inégalement présenté et plus léger que celui de Daniel Ruiz, n'aurait jamais du arriver à Dax. Pourquoi prendre un tel risque avec une ganaderia aussi irrégulière face à laquelle on est obligé d'aligner trois toreros individuellement respectables mais qui ensemble composent un cartel très éloigné de ce que le client attend ici ? »

• « Que dire au client ? Que l'on a cédé à la pression des prédicateurs de tertulias au risque de perdre le label de qualité ? Lorsque l'on monte une feria, l'offre doit être conforme à la demande et vouloir changer ce qui fonctionne équivaut à prendre un risque inconsidéré. »

• « Lisez l'affiche : sur sept corridas, trois seulement sont du goût des figuras. Résultat, qu'on le veuille ou pas, les autres jours ils ne viennent pas. Et s'ils ne veulent pas de Banuelos ou de Los Bayones, par exemple, c'est qu'ils savent qu'avec ces toros ils ne peuvent s'exprimer et donner au public ce qu'il attend d'eux. N'est-ce pas là, au fond, faire preuve d'un grand sens des responsabilités et la meilleure preuve du respect qu'ils portent à leur clientèle ? »

« Toutes les formes de tauromachies sont légitimes, mais on ne peut, au risque de casser le jouet, proposer à Dax des cartels de seconde zone. Qu'une affiche prestigieuse aboutisse à un fracaso, cela fait partie du jeu. Mais les corridas d'art et d'essai, il faut les laisser aux arènes qui n'ont ni les moyens ni la clientèle pour en organiser d'autres. Et il ne faut surtout pas oublier qu'il a toujours été moins facile de remplir les arènes que de les vider. »
« Dans les corrales dacquois, disais-je en ouverture de cette feria, la morphologie, malgré un excès de poids, de la corrida de Daniel Ruiz laissait augurer des qualités optimales que l'on est en droit d'attendre du toro brave moderne. Ce fut le cas. »
• « J'imagine pourtant que ces toros-là sont pour certains aficionados ce que l'antéchrist est aux croyants, mais je les invite à réfléchir sur le sens du spectacle moderne : que veut le public d'aujourd'hui ? Voir triompher les vedettes. Que veullent les vedettes d'aujourd'hui ? Comme celles de toutes les époques dans tous les domaines, se produire dans les confitions optimales pour elles afin de donner à leur public ce qu'il attend d'elles. »
• « Le toro "moderne", tant décrié, doit donc être compris comme étant l'instrument parfait qui autorise le succès de la corrida contemporaine, hormis dans le cas où, au lieu de permettre aux toreros d'exprimer leur art, il est sensé présenter les pires difficultés. »
« De la caste antique, qui est l'agressivité à l'état pur, on est parvenu à la noblesse moderne grâce au filtre de la bravoure. Celle-ci n'est autre que l'agressivité constante, voire croissante, fruit d'un patient travail de sélection qui a eu pour but, à partir des toros porteurs de la caste, de faire évoluer l'espèce dans le sens voulu par le spectateur. »

« La caste sans la bravoure, c'est le genio, lequel se traduit par une attitude défensive contraire à la nature du combat. La bravoure sans la caste, c'est la noblesse trop suave, laquelle est préjudiciable à son authenticité. Entre les deux, l'équilibre est difficile et Daniel Ruiz y est parvenu hier dans chacun de ses six toros. Et contrairement à ce que l'on pourrait croire, ce toro "moderne" n'est pas facile à toréer. Sinon, comment expliquer que Manzanares n'y soit pas arrivé ? »

Et patati ! et patata ! Attention, vous ne remonterez pas non plus très loin dans l'archivage du site Terres taurines puisque, passée la date du 31 mai 2009, l'on vous affichera un surprenant : « Internal Server Error »…
Ainsi, vous noterez qu'en ces temps fastes l'on était loin de l'indignation collective. El Juli était un bon petit gars bien mignon, une sorte de gendre idéal dont les facéties clownesques amusaient les perchoirs. On prenait tout du petit Julián, tant dans les gradins que dans les colonnes des opus, et même que l'on trouvait ça bien puisque le public en redemandait… Alors, pourquoi se priver ? L'on remarquera qu'il n'était alors nullement question de toro de respect qu'il serait temps d'opposer au Fenómeno. Quant aux juteux et vomitifs contrats de ce dernier, ils ne posaient alors problème à personne… Surtout pas à André Viard !
Alors, que nous vaut ce soudain et énième revirement d'opinion, monsieur Viard ??? Un penchant pour le talibanisme ? Un besoin urgent de conquérir une frange de l'Afición qui buvarderait de plus en plus sur votre auditoire en pleine prise de conscience ? Une opportunité inespérée pour redorer un blason un peu terni ces derniers temps ? Une soif de sincérité et d'amour propre quant à la came que l'on distribue quotidiennement ? Ou, et ne m'en veuillez pas pour tant de suspicion, un nouveau subterfuge populiste ?
Allez, dites-nous tout…

G10 Juli dans mon étable


Avis au lecteur : cette histoire mêlant El Juli, G10 et gros sous ne nous concernerait pas, et l'on pourrait même s’en contreficher, si, malheureusement, cela ne touchait pas aussi la tauromachie que nous aimons.

Depuis quelques lunes, quand vous demandez le montant du cachet de telle ou telle figura à un décideur ès corridas, celui-ci vous envoie gentiment promener comme s'il s'agissait de ses sous, et au prétexte qu’il n’entre pas dans les bonnes pratiques commerciales, et ce pour des raisons de concurrence, de dévoiler ce mystère. Cette pratique installée a ses limites ; il est bien connu qu’à force de cachotteries on finit par se prendre les pieds dans le tapis.

Supposons que tous les organisateurs sachent exactement ce qu’ils payent quand un prestataire fournissant un plateau complet présente une facture qu’il rédigera avec flexibilité. Aujourd’hui l'on nous dit que le G7 a imposé un rabais de 20 % au G10… Oui, peut-être… C’est invérifiable. Le seul chiffre connu est zéro information — quant à la pseudo-péréquation qui profiterait aux toreros plus modestes : idem, évidemment.

Si les exigences financières sont si extravagantes, et si El Juli impose et dispose des toros à sa guise, pourquoi ne pas en informer le grand public de manière précise et concrète ? La régulation ne serait-elle pas plus immédiate avec un public dès lors plus exigeant ? Quelle serait alors l’attente de gradins réellement informés ? Et de quel droit cette information est-elle confisquée puisqu’il s’agit de notre argent ? Enfin, n’y aurait-t-il pas aussi, et en fait, un gros risque de mécontentement bien plus général à annoncer la réalité de ces cachets dans une période riquiqui ?

Dans le programme de la Féria de l’Atlantique à Bayonne, fer de lance de l’opposition au G10, on trouve, accrochez-vous : « El Juli : la suprématie […] Il règne aujourd’hui sans partage sur la tauromachie, fascinant par sa domination technique, mais surtout par la profondeur de son inspiration. Dans un véritable ensorcellement du toro, qui se retrouve aimanté au leurre, l'on suit, subjugués par les stratégies toujours adaptées à son adversaire et pleines de créativité […] Sa muleta est d’une puissance inouïe, main basse, et d’un temple languide […] » Etc. Souvenez-vous sur France Bleu Gascogne de cette phrase, peu sibylline et plusieurs fois répétée, du très peu journaliste Pierre-Albert Blain, qui aimait provoquer les filles à l’antenne : « Le Juli pratique une tauromachie éjaculatoire… » Et ça, madame, ça n’a pas de prix.

Mais, d’après le même programme, Miguel Ángel Perera peut prétendre à une augmentation : « Personne ne torée comme lui à la muleta. Avec autant de temple, de cadence, on dirait que les passes s’enchaînent, qu’elles sont cousues, ininterrompues : la rondeur du toreo dans son expression la plus absolue. (Je vous avais prévenu, c’est cucul.) Avec un placement sidérant, tout en douceur, sans que le leurre ne soit jamais effleuré, ses naturelles et derechazos sont les plus longs (c’est vrai, c’est trop long) et profonds que l’on puisse voir aujourd’hui. » Etc.

Hélas, ce machin dégoulinant n’est pas signé. Ces figuras-là sont le produit d’un système qui aujourd’hui se retourne contre elles, parce qu’elles vont un peu plus loin que leurs prédécesseurs qui en ont largement profité. Quant aux toros du Juli, on peut lire dans Sud Ouest du 11 septembre : « On se souvient de la corrida des Jandilla du 11 août, pendant la Féria de Dax, où tout le monde avait pu admirer un superbe toro jabonero dans les corrales. Sauf que ce toro couleur savon n'a jamais pu pénétrer dans l'arène. Problème aux yeux avaient indiqué les vétérinaires. Choix du Juli pour les autres. » Là encore, ça ne sent pas la rose et la sérénité. La vérité toute nue, c'est si compliqué !

Donc, pour conclure : peut-on, sans donner de chiffres, à la fois reprocher aux phénomènes d’être trop cher et expliquer au public qu’ils sont des phénomènes à ne manquer sous aucun prétexte ? Pas facile et… pas crédible.
Mario Tisné


Photographie Pleureuses en bas-reliefs à Saint-Bertrand-de-Comminges (Haute-Garonne).

28 novembre 2011

Ils vont sauver le monde, pour de vrai (II)


En fait, il semblerait qu'ils vont surtout se sauver eux.
C'est le blog Toro, torero y afición qui remue un peu le cocotier à l'annonce de la surprenante union Choperita-Casas, sans oublier Matilla qui ne compte pas tenir la chandelle. 
On a vraiment les mariages qu'on peut… ou mérite.

José Antonio Martínez Uranga déclarait le 1er avril 2009 : « Yo con S. Casas no me hablo, y creo que no me voy a hablar nunca en la vida. » (Moi, je ne parle pas avec Simon Casas, et je pense que je ne lui parlerai jamais de toute ma vie.)

Aujourd'hui, ils sont sur le point de s'unir. Allez comprendre. Une possible explication est donnée sur le blog El Rincón de Ordóñez. Ça s'intitule : « Los taurinos toman la plaza de Madrid » (les taurins prennent les arènes de Madrid).

Ça commence ainsi : « Ya se habían oído rumores sobre las intenciones de los llamados G10, para que Simón entrara en Madrid, teniendo en cuenta  los comentarios que se hacían en los mentideros taurinos en torno a los problemas de tesorería del grupo de  Casas y que entrando en Madrid se solucionarían y eso a todos convencia. » En résumé, l'aficionado du Rincón raconte que l'arrivée du groupe Casas à la tête de la très rentable Las Ventas permettrait à celui-ci, qui connaît des problèmes de trésorerie et doit de l'argent à nos chers bichons du G7, de s'acquitter de ses dettes. Il raconte aussi que les Choperita ne seraient pas très flamboyants question trésorerie pour de sombres histoires de droits de télévision. Quant à la maison Matilla, étant donné qu'elle drive celui qui fut notre cher Manzanita et qui est aujourd'hui le porte-parole du G10, on imagine difficilement qu'elle puisse être laissée sur la touche sans profiter d'une part du gâteau.

Il est malgré tout étonnant de lire actuellement dans la blogosphère espagnole que cet improbable triumvirat serait finalement né sous la pression des toreros du G10. 
Les choses s'avèrent sans doute encore plus vermoulues de l'intérieur que ce qu'il nous était possible d'imaginer.

Vous remarquerez au passage que, dans toute cette histoire, personne ne parle ni du toro, ni des aficionados troglodytes… évidemment.  

14 novembre 2011

L'Oreille d'or selon Manon


C'est Juan Pelegrín qui a publié ça aujourd'hui sur son blog. Je l'ai sans doute traduit de façon médiocre mais assez fidèlement pour vous faire dresser l'oreille, je pense.

« Manzanares s'est vu attribuer l'Oreille d'or de Radio Nacional de España.

Samedi, je suis tombé par hasard sur un morceau de son interview sur Tendido Cero. Je n'ai pas réussi à m'intéresser à ce qu'il a pu dire. Rien.

Logiquement, lui non plus ne sera pas intéressé par ce que je peux dire.

À un moment, dans cette interview, il a assuré que le G10 se battait "pour l'intégrité". Je vous jure que j'ai fait un bond dans le sofa en pensant qu'à la fin il allait dire "du toro"Non. Il a dit "du torero". Mais, évidemment, en entendant "intégrité" je me suis réveillé…

J'assume le fait d'être un aficionado épouvantable (si je le suis à un grade quelconque) mais suivre la voie que nous montrent le promu et beaucoup d'autres vedettes me semble annoncer le suicide de la Fiesta. Pour l'heure cela a déjà provoqué la mort de quelques encastes.  

Je préfère, pour la survie de tout ça, voir gagner le 20N, un parti antitaurin, plutôt que de distribuer dans les écoles les temporadas complètes du G10. 
J'insiste, je suis un aficionado épouvantable.

Non, je pense qu'il n'y a pas de retour en arrière possible. »

05 novembre 2011

C'est Pierre qui le dit


Vous l’avez lu, ou peut-être pas. Les membres du G10 n’ont pas goûté la décision des principales arènes françaises de diminuer leur rémunération d'environ vingt pour cent.
En Espagne, le fils Zabala... Oui, je dis le fils, car d’une part on n’a jamais oublié le père, et d’autre part, le fils, s’il n’était pas le fils... Enfin, le fils s’est penché sur la question du problème français des honoraires de 10 types surpayés pour des campagnes de dératisation auxquelles ils... Non, je m’égare là.
Pour la France, le fils Zabala a une source : Pierre Guillemon, qu’ici, à Campos y Ruedos, personne ne connaît... On ne peut pas connaître tout le monde.
Mais Dieu merci, Pierre Guillemon, sans doute une éminence grise du mundillo français, ou une pure invention du fils Zabala, allez savoir, est là pour nous pimenter une sauce bien fade.
Il faut dire que les problèmes de fin de mois de Manzanita, comme dirait Larrieu, ça m’en touche une sans faire bouger l’autre.
Donc, Pierre Guillemon est interviewé par le quotidien El Mundo pour donner son avis sur la crise du G10. Ah, la crise du G10 ! Franchement, je me marre.
Et monsieur Guillemon d’expliquer à El Mundo que Simon Casas a perdu de l’argent à Nîmes, et même des quantités abyssales d’argent. Là, c’est le contribuable nîmois que je suis qui commence à transpirer. Car le côté abyssal du truc, franchement, ça fait froid dans le dos. Il ne faut pas perdre de vue qu'à Nîchmes nous avons déjà les trous à reboucher. Et ce n'est pas qu'une image. Si Midi Libre me lit... Non, je plaisante.
À Arles, il y a eu des pertes cette année aussi, mais l’empresa Jalabert est très saine. C'est toujours Guillemon qui parle. Moi, je n'en sais rien.
Ce qui voudrait dire (lisez un peu entre les lignes s'il vous plait) que celle de Nîmes ne le serait pas. Là, on est vraiment étonné.
Monsieur Guillemon parle aussi de Béziers et de Dax mais, visiblement, c’est moins chaud. Bayonne, quant à elle, aurait perdu 200 000 euros. C’est net, précis et sans bavure. Bref, ça coince. Le gâteau n’est plus assez gros.

Mais il y a autre chose que dit Monsieur Guillemon, un truc vraiment étonnant : « No se puede repartir más de lo que hay. Llevan años estos toreros, o más bien sus apoderados, haciendo oídos sordos a lo que se les dice. No han querido entender los argumentos de unas empresas que a nivel de honorarios siempre los han tratado igual o mejor que en las plazas de primera categoría españolas, matando toros de segunda y a veces de tercera. »
Ce que l’on peut traduire par : « On ne peut pas partager plus que ce qu’il y a. Cela fait des années que ces toreros, ou leurs représentants, font la sourde oreille à ce qu’on leur dit. Ils ne veulent pas écouter les arguments d’organisateurs qui les ont toujours très bien payés, et même mieux que dans des arènes de première catégorie espagnole, pour tuer des toros du niveau d’arènes de seconde catégorie voire même, parfois, de troisième. »

C’est Pierre qui le dit.

NDLR Pierre, si vous existez vraiment, prenez garde à ce que vous dites ; ils pourraient bien vous passer par la fenêtre.

28 septembre 2011

Autorovia (XI)


Jeudi
Les voisins d’en face, des Français eux aussi, ont adopté le même rythme que nous. Ils sont polis et j’apprécie qu’ils se comportent avec moi comme moi avec eux : nous en restons aux bonjour bonsoir de circonstance et évitons les uns les autres de nous interroger sur nos vacances respectives. Le tourisme a ceci d’horripilant qu’il provoque chez certains des éruptions soudaines de fraternisation nationale qu’ils s’empressent de vouloir vous refiler par des contacts que proscrivent pourtant tous les dermatologues de la terre. Et vous avez visité quoi ? Oh que c’était beau ! Vous trouvez qu’on mange bien ici ? Mais la question pole position, l’inquiétude maillot à poids reste et de loin : Et vous venez d’où en France ? Et c’est là, quand le mot Sud-Ouest réveille leurs neurones anesthésiés par la crème solaire et les glaces à 4,50 euros achetées en face de la cathédrale, c’est là donc qu’ils vous contaminent pour de bon, ça sort par tous leurs pores, ça bave, ça suinte, pour un peu ils te refilent leur femme en maugréant sur la supposée gentillesse de l’autochtone que lui promettait le Guide du routard page 52. Le regard figé sur le chapeau de paille de la voisine qui seul dépasse de ses ablutions quotidiennes, l’esprit dans le vague, je m’enguirlande de tant de cynisme à l’encontre de l’espèce touristique. Je sais pourtant qu’ils économisent toute l’année pour venir becqueter du poulet frites aux Golondrinas. Ils veulent faire plaisir aux gosses, ils se saignent, ils s’engueulent onze mois durant pour être là, ici et maintenant. En rentrant, ils devront payer les impôts, la taxe d’habitation, les taxes foncières, les assurances scolaires, la fuite d’eau, les étrennes des postiers et les rennes du Père Noël. J’en finis avec ma cigarette que j’ai consumée lentement cette fois. Putain ! je me dis, faudrait pas être touriste, c’est pas une vie !
On fait quoi aujourd’hui ? Voilà la question que je redoute. Elle me rappelle trop sa jumelle de la vie quotidienne : Qu’est-ce qu’on mange ce soir ?
Rien ! Je ne trouve pas mieux comme réponse, et puis rien c’est déjà une réponse. J’ai pas envie de devoir faire quelque chose. Je veux rester en moule bite bleu sur la terrasse à cloper et à lire, à regarder ma femme et les gosses qui jouent dans l’eau. Je rassure mon moi hyperactif en lui rétorquant que c’est pas rien de faire ça. Je vérifie qu’il reste assez de clopes dans le paquet de Marlboro light pour passer la journée. Je m’allonge sur une chaise longue à l’ombre, le fil de mon moule bite bleu dépasse mais j’ai décidé de ne rien faire, je lui accorde quartier libre à lui aussi. Ce moment mériterait un fond musical adéquat. Le poste est en bas et il est hors de propos que je bouge d’un pouce ou d’un fil de moule bite. Je regarde ma femme qui lit. Je lance au vent, un fantasme, un baiser. Je regarde les mômes. L’eau de la piscine frémit de leurs jeux et esquisse sur eux d’indécises boursouflures d’or. Je croquerais bien quelques Lays pour honorer ce trésor mais la vue de mon corps blanc si mal dissimulé par le moule bite bleu m’impose un soupçon de raison. Je feuillette une pub sur Séville. Le genre de papier glacé où en dix lignes un génie de la com t’explique que la culture a été inventée en Andalousie entre deux claquements de doigts d’un chanteur flamenco (Ludo, ne m’en veux pas, je ne sais absolument pas si les chanteurs de flamenco claquent des doigts). Faut pas pousser, la culture c’est français, tout le monde le sait même le plus décérébré des Andalous. Séville a son Museo de Bellas Artes comme toutes les villes espagnoles d’importance et comme toutes les villes européennes aussi. J’aurai plus d’hésitation concernant les villes étasuniennes et je ne m’avancerai pas sur le cas des asiatiques. Les africaines ? Un de mes professeurs entama un jour un cours de la sorte : Vous voyez ce continent (il indiquait l’Afrique du doigt) ? Et nous, en chœur, trop cons, trop fiers : Oui ! Nous savions où se trouvait l’Afrique. Il a rayé l’Afrique de deux gros traits noirs, épais, larges, indélébiles. Ça n’existe pas ! il a hurlé dans l’amphi, droit et solennel, militaire. Ce continent n’existe pas ! (Économiquement parlant et en comparaison de ce qui se passe dans les pôles de la Triade, voulait-il nous démontrer.) Il se trouve donc des musées des beaux-arts aux quatre coins des rues dans les pays qui ont le temps de s’émouvoir de l’art. Il y en a partout. Le musée des beaux-arts, c’est le McDo de l’art. En soi, je n’ai rien contre les musées des beaux-arts mais je n’ai jamais compris par quel sombre et sinueux destin on en est arrivé à intituler ça musée des beaux-arts. Beaux arts ? Comme si en contrepartie il existait un art laid. Comme si l’art pouvait se réduire au beau ou au laid, au blanc ou au noir. Pour autant, ça colle bien de nos jours. Il y a les toristas et les toreristas, Secret Story ou Xfactor, les jaunes contre les rouges de Koh-Lanta, Houellebecq contre Beigbeder, les autres contre moi. Je dois confesser que j’éprouve toujours un enjouement presque jubilatoire lorsque je déambule dans un musée, fût-il des beaux-arts ou non. Et cela n’a rien à voir avec la qualité des œuvres d’arts exposées. J’ai un rituel, je m’en suis rendu compte. Je fais semblant de scruter un tableau avec le plus grand sérieux du monde, collé à un couple de petits vieux qui eux font semblant d’élaborer une analyse savante de la peinture — analyse qu’ils viennent de lire dans le catalogue de l’exposition vendu à l’entrée — tout en détaillant du coin de l’œil l’attitude du gardien de la salle. C’est là que ça devient jubilatoire. C’est ça qui m’intéresse : le gardien de la salle. La visite des musées m’a permis d’inscrire dans ma réalité cette phrase si souvent entendue : Il faut toujours relativiser ses malheurs face à ceux des autres. J’ai longtemps cru qu’il s’agissait d’une sentence d’adulte pour mieux dresser les marmots trop gâtés. Mais je suis un adulte aujourd’hui, j’essaye de le devenir en tout cas. C’est donc en observant du coin de l’œil les gardiens de salle de musées que j’ai acquis la certitude que ces gens s’ennuyaient à mourir, debout, contraints de voir passer devant leurs yeux des centaines de shorts prêts à tout pour ramener à la maison une photo prise au flash d’un Goya ou d’un Schiele. Le gardien de musée ne transige pas avec sa vie de merde : elle se lit en caractères gras sur son faciès de paria. J’aime les musées pour ça, pour ce côté rassurant qu’ils m’offrent sur ma propre vie. Aller au musée, c’est se rassurer sur soi en zieutant lâchement d’autres qui souffrent plus que nous et c’est se dire à voix basse qu’il vaut mieux eux que moi. Je me sens très français dans ces moments-là. Sur le fascicule touristique, je reconnais une œuvre qui avait attiré mon attention lorsqu’il y a deux ans déjà j’avais visité ce musée. Il était l’heure où les Sévillans achètent de l’huile d’olive au litre, où les touristes commandent à manger sur une terrasse canardée de crotin de cheval — autant avouer que j’avais été plongé dans des conditions proches de la perfection pour m’esbaudir, discrètement il va de soi, du beau que contenait ce lieu. À l’extrémité d’une grande pièce achevée par un court escalier, le tableau était là. C’est sa taille qui me causa forte impression. Les hommes vêtus d’or étaient aussi grands que moi et, je le répète, dans un pays petit comme l’Espagne, ce n’est pas banal. Je n’avais jamais entendu parler de ce peintre ni de cette œuvre : La Muerte del maestro (hacia 1913), José Villegas Cordero (Sevilla 1844 – Madrid 1921). Depuis j’avais cherché et j’avais trouvé somme toute assez facilement des renseignements sur ce Villegas Cordero sans même prendre la peine de fouiller dans la pile de Toros au fin fond de laquelle j’imaginais que se cachait un semblant de réponse à ma curiosité. Je m’étais dit d’ailleurs, en refusant la facilité de fureter dans les index de la revue nîmoise, que, parfois, et j’en éprouvais une fierté certaine, j’étais un homme qui prenait des risques. Villegas Cordero fut un peintre, car il est mort à cette heure, parfois qualifié de régional, d’autres fois de réaliste décoratif influencé par l’orientalisme. De 1901 à 1918, il fut directeur du musée du Prado de Madrid qui se trouve juste en face d’un Quick. Il s’avère que le tableau La Muerte del maestro est grandiloquent. Je ne trouve pas d’autres mots. Les ors des toreros reflètent la lumière, le mort est bien mort, étendu sur un brancard drapé de blanc et d’une cape rouge, la chapelle est pleine à craquer et ce ras bord donne au prêtre inquiétant l’apparat d’une satiété obscène, la vierge est là qui veille — ou qui ne veut pas voir — son fils crucifié derrière son épaule. En bas à gauche, un monosabio fait le monosabio mais pour un mort, sérieux et concentré, et deux gens d’armes, dans un coin assombri, miment sans y croire la peine. C’est grandiloquent, c’est réel, c’est aussi grand que moi. La taille renforce l’effet. Un toro a tué le maestro. Deux ans plus tard, en moule bite sur une terrasse de Triana, vaguement circonspect à la lecture d’une brochure touristique, je revis ce tableau comme on sort la poubelle, en pensant à autre chose, en me disant que la corrida ne me touche plus au fond. Je sais que j’ai tort et je saurai me le prouver. Une bise veloutée parcourt maintenant la terrasse. Les cheveux fins de ma femme gambillent en caressant sa nuque dégagée. J’essaye de suivre leur mouvement vaporeux dans la lumière cotonneuse du soleil qui descend. Je me régale d’une pub de Guerlain faite pour moi, pour moi seul. Je me dis qu’il y a pire. Ce tableau me fait penser au G10. En fait, non, il me fait penser, subtilité insidieuse de la pensée humaine, que je ne pense pas au G10 en le regardant. Et j’y pense. Au G10. Dans le Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des bien nantis,  Pierre Desproges avait utilisé un tableau larmoyant comme celui-ci et auquel il offrait une légende nouvelle en lien avec chaque mot choisi pour remplir son dictionnaire. Brève digression. C’est en lisant Desproges que j’ai saisi ce que put être la moelle épinière métastasée du communisme à l’Est. Je cite donc pour les incultes (je sais qu’il en existe sur d’autres blogs et ils vont encore s’énerver en écrivant que Campos y Ruedos se la pète et tout le ramdam ! Vous fatiguez pas les doigts sur le clavier, Campos y Ruedos aussi vous aime) : « Warszawa (fr. Varsovie) : Ville polonaise où les arbres ont le droit de pousser la nuit. » Je m’incline mais la nuit je dors. En regardant La Muerte del maestro, j’ai pensé que ce tableau aurait mérité le même traitement que celui élu par Desproges. J’ai imaginé qu’il aurait été cocasse de légender : « Le G 10 qu’il fallait laver le linge, merde ! » au chapitre « Linge sale » ou « Le G 10 des conneries, mon père » au chapitre « Corrida ». En vérité, en conjecturant sur le G10, là, en moule bite bleu, je prends conscience qu’en tant qu’aficionado je ne pense jamais au G10. Jamais je ne me dis Tiens Juli torée là demain, j’irais bien le voir, jamais ne frétille en moi le désir de me rendre quelque part savourer le génie de Cayetano ou la tauromachie de train électrique de Miguel Ángel Perera. On a les penseurs de son temps, on a les maestros qu’on mérite. Le G10, je le peins au noir indélébile qui a effacé l’Afrique. Pareil. Noir. Nuit. Ténèbres. Ça n’existe pas le G10 ! hurle mon prof militaire, ça n’existe pas ! Garde à vous ! Je me fais la promesse de ne plus y penser parce que la tauromachie mérite mieux à mon sens que ces figures d’enfants polis moisies au jus de putes de luxe.

Ce soir je mange dehors c’est-à-dire dans un bar au coin de la rue. Il y a des têtes de toros au-dessus des gosses et des affiches de corridas devant nous. Une qui retient mon attention dès l’entrée. Il n’y a pas un touriste ici, que des autochtones qui picorent en causant de la crise qui les frappe, cette « salope » qu’ils appellent Europe, dette, immobilier, banque, politiques, Zapatero mais jamais Morante. Moi, je l’appelle pas la crise, qu’elle reste loin et chez les autres. J’ai des vacances à achever, moi, messieurs les rogneux ! Sur l’affiche que le temps a jaunie, un nom évoque quelque chose mais je ne me souviens pas. Je cherche en passant la commande : épinards à la sévillane, jamón, solomillo al whisky et pinard, rouge évidemment. Les gosses trouvent l’endroit super, Loulou court autour et sous les immenses tabourets de bar, la nuque de ma femme est toujours dégagée et c’est beau, et je m’impatiente de boire ce vin de Ribera de Duero. Il fait très chaud et j’aurais été mieux en moule bite. Jesús Franco Cardeño ! Ça y est. En avalant une bouchée d’épinards, j’ai retrouvé qui était ce type. En 1997, un toro de Prieto de la Cal (‘Hocicón’) lui avait tracé une autoroute du menton à l’oreille. Quand il s’est relevé, parce qu’il s’est relevé, il avait terminé sa carrière de torero, son visage pendait comme un scalp amateur et dessous, sur les nervures de la chair, s’ébauchait un tableau d’Otto Dix. En sortant, Loulou a voulu jouer sur le toboggan avant de rentrer. J’ai pensé à ce Cardeño et une dernière fois au G10, je me le suis promis, une dernière fois. En me couchant, la nuit régnait depuis longtemps, G10 à la nuque de ma femme d’éteindre la lumière. Elle a éteint dans la seconde. Ça n’existe pas ! a hurlé mon prof, ça n’existe pas !

Photographies Au Musée des beaux-arts de Séville © Laurent Larrieu/Camposyruedos.com