26 octobre 2012

Xavier Klein répond à l'ANDA


Il y a quelques jours, Xavier Klein nous a envoyé ce courrier en réponse à la lettre de l'ANDA que nous avions publiée ici même.


« Chers amis ANDAristes,

Je n’évoquerai pas l’heureuse surprise de votre intervention quand, à l’heure des bouleversements et des mutations, la voix de l’ANDA serait plus que jamais indispensable pour faire pièce aux dérives, pour dénoncer la décadence d’un art où l’éthique cède sans cesse aux intérêts à court terme.

Je ne me prononcerai pas non plus sur le fond de votre épître : nous partageons la même préoccupation, la même volonté de soutenir et de valoriser un premier tercio en déshérence, la même conviction que la pique constitue la pierre de touche de la conservation d’un toro de lidia digne de ce nom, que ce n’est pas l’outil qui est en cause mais l’objectif et la manière de s’en servir.

En revanche, ce qui me questionne c’est que vous puissiez encore vous illusionner sur le rôle et la fonction de l’UVTF, qui ne représente plus de facto qu’un vulgaire syndicat d’intérêts.

Comment pourrait-il en être autrement lorsque sa structure même et ses modalités de fonctionnement favorisent outrageusement une sur-représentation des grandes plazas qui, toutes, de droit, siègent dans ses instances dirigeantes et veillent attentivement à la défense de leurs intérêts bien compris ?

Comment ne pas s’aviser que l’objectif de ces “majors” est de faire des bénéfices, quand celui de la majorité des humbles est de ne pas créer de déficits trop criants, que la problématique des premières est celle des dépenses, alors que pour les secondes c’est celle des recettes ?

Comment ne pas prendre acte du retrait de Nîmes, de la création d’un “G7” qui vient entériner la vacuité et l’impuissance structurelles de la maison mère ?

Comment attendre d’élus, peu ou pas concernés, peu ou pas informés, peu ou pas impliqués, qu’ils s’investissent, y compris en s’aventurant sur des terrains minés ? Car ces élus des villes taurines sont soit majoritairement découplés de réalités gérées sur le terrain par des associations (Céret, Vic-Fezensac, Parentis, etc.), soit ils se trouvent confrontés dans leurs instances politiques municipales à des oppositions, à des compromis paralysants qui ne cesseront de s’accroître.

Comment ne pas s’indigner de la place croissante qu’ont pris dans les débats de ces dernières années des officines, des lobbies, au point qu’on y déroule le tapis rouge devant telle cuadra, tel représentant de l’ONCT (dont l’UVTF est elle-même membre…), telle instance socio-professionnelle qui viennent y parader ou y défendre leur bout de gras ?

Comment ne pas admettre que la seule action significative de l’UVTF depuis belle lurette n’a été que de défendre la cause taurine au Conseil constitutionnel ?

Par circonspection excessive, par passivité, par veulerie, par impéritie, pour ménager la chèvre aficionada et le chou financier, l’UVTF, qui n’a jamais été à la pointe de la témérité, de l’innovation ou de l’efficience, en est parvenue à l’état de “grand cadavre qui respire”.

Si l’électro-encéphalogramme n’est pas complètement plat, peu s’en faut.

Et voilà l’objet principal de mon propos : faut-il s’en navrer ?

Car une UVTF opérante serait peut-être aussi une UVTF qui, par un rapport de forces défavorable, consacrerait des évolutions qui ne seraient nullement souhaitables. Ce qui obligerait les membres qui ne s’y soumettraient pas à s’en exclure. Quid d’une pique Bonijol imposée à la majorité ?

L’anarchie actuelle, si elle n’est pas satisfaisante, non seulement n’empêche rien, y compris le pire, mais autorise tout, y compris le meilleur !

D’ailleurs, cette disparité n’est-elle pas déjà le lot de la “mère-patrie” où désormais les réglementations sont décidées par des collectivités territoriales (d’où la pique andalouse !) ?

En fin d’analyses, que peut vous importer que dans tel ruedo de “tauromachie champagne” — que d’ailleurs vous ne fréquentez guère — on utilisât la pique Bonijol, la pique andalouse ou la guatémaltèque ? Surtout pour l’usage virtuel qu’on en fait ?

Il m’apparaît, au contraire, que les progrès intéressants qui sont enregistrés çà et là procèdent d’arènes militantes, soutenues activement par l’Afición, et qu’ils font tache d’huile. Dans le Sud-Ouest, on a vu des cosos comme Dax, Bayonne ou Mont-de-Marsan se mettrent ponctuellement au diapason avec certains lots de toros. C’est là, il faut s’en convaincre, la voie à suivre d’une évolution par le bas et la base et non par le haut et des instances qui, de tous temps, se sont adaptées aux mutations mais ne les ont que rarement initiées.

D’une certaine manière, le dur combat que vous avez mené de longue date est déjà remporté.

D’un point de vue éthique, bon an, mal an, la tauromachie en France se porte globalement mieux, se montre plus vigoureuse, dynamique et inventive qu’elle ne l’était il y a dix ou quinze ans. Hormis les “G7istes” (à l’exclusion de Vic, dont on se demande ce qu’elle fait dans cette galère !), considérons le nombre réjouissant de plazas petites et moyennes qui se centrent sur des ganaderías encastées et se préoccupent de la présentation et de l’intégrité du bétail : c’est sans commune mesure avec le passé.

Enfin, il ne faudrait pas que votre légitime préoccupation efface des motifs d’inquiétude autrement plus prioritaires pour les empresas qui se vouent à la tauromachie que nous défendons : la raréfaction de la ressource par la disparition de ganaderías d’encastes rares ; la difficulté croissante de trouver des lidiadores aptes à les affronter — notamment dans le cercle des novilleros —, le vieillissement de l’Afición et l’abandon des arènes par les classes populaires.

Par delà, ne faut-il pas prendre acte et conscience de la fracture profonde — qui devient un abîme — entre deux conceptions de la tauromachies qui, si elles pouvaient coexister quand demeuraient des exigences minimales, deviennent maintenant inconciliables voire antagonistes.

Votre légitime intervention me semble venir trop tard ou tomber à côté du sujet. Les enjeux ne sont plus là, pas plus que les moyens d’action.

Peut-on demander à un grabataire de monter au créneau ?

Avec mes amitiés et ma considération. »

Xavier Klein
Maire adjoint & représentant de la ville d'Orthez à l’UVTF


Photographie Toro de Veiga Teixeira, Orthez 2012 © Laurent Larrieu/Campos y Ruedos

25 octobre 2012

Oubli(s)


21 octobre 2005 - 21 octobre 2012. Nous sommes le 25 octobre 2012 ; on a oublié de se souhaiter un joyeux anniversaire.

Alors voilà, on se le souhaite : « Joyeux anniversaire à nous ! »

Et pour fêter ça comme il se doit, nous avons enlevé les libellés sur le côté du blog, parce que les libellés ils empêchaient tous ceux qui dévoraient nos textes et pleuraient sur nos photos via Internet Explorer de bien sucer notre substantifique moelle. Maintenant, tu peux y aller Gunthar… y a plus de souci !

En évoquant les libellés, vous savez quoi ? Sur Campos y Ruedos, il n'y a même pas un libellé « bar ». Rien, j'ai cherché, j'ai fouillé, je me suis déshabillé, j'ai regardé partout, sous les feuilles, sous les livres, dans la poussière sous les meubles, y a pas de libellé « bar ».

Pour notre anniversaire, je crée un libellé « bar » ! Mais il apparaîtra pas le libellé « bar », parce que pour que certain-e-s puissent nous sucer la moelle via Internet Explorer, on doit détaguer le blog — libellé ou tag, c'est du pareil au même.

C'est chiant la loi Evin, tu peux créer le tag mais tu peux pas l'afficher…

Bon anniversaire les poulets !

Il y a toujours des toros à Barcelone…




24 octobre 2012

Et maintenant ? (III & fin)


‘Ingrato’. Qui connaît ‘Ingrato’ ? Qui se souvient de ‘Ingrato’ ? Bien sûr, vous qui traînez inlassablement sur ce site avez sans doute une vague idée, tout comme vous l'avez de ‘Arrojado’, ou de ‘Jazmín’, ou de ‘Calabrés’, ou plus encore de ‘Desgarbado’. En fait, de tous ces toros qui ont livré leur « dernier » combat de main de maître, au point qu'ils ont gagné leur salut ces derniers mois, ces dernières années, ‘Ingrato’ fut le dernier, combattu le dimanche 16 septembre par qui vous savez où vous savez. Aujourd'hui, il paît paisiblement dans les plaines de l'Alentejo.

Mais je vous le redemande, vous qui l'avez vu, vous souviendrez-vous de lui ? Je veux dire, VRAIMENT de lui ? Tenez, là, si je vous demandais de me parler de ‘Ingrato’, ou de ‘Arrojado’, ou bien encore de ‘Desgarbado’, quelles images, quels faits vous reviendraient immédiatement en tête ? Moi, de ce dernier, j'ai le souvenir d'un joli toro noir, bien fait, sans excès, poliment cornu, sans difficultés, sans vice, sans mauvais œil, sans rate et qui galope tête en bas, à droite, à gauche, en haut, en bas, en travers — ce qui n'est déjà pas mal, je vous l'accorde —, avec l'air d'avoir oublié tout autre principe de vie pour courir, courir et courir encore et courir toujours, comme s'il avait perçu là la clé de son salut : « Cours ‘Desgarbado’, cours et ne pense à rien, cours juste, c'est ta seule issue, c'est ton unique chance. » Alors il courait, beaucoup, toujours… et, aujourd'hui, il vit.

Haile Gebreselassié, au marathon de Berlin de 2008, l'avait compris aussi, lui qui avançait sur une moyenne de 21 km/h, parcourant les 42 bornes en… deux heures et quatre minutes ! À part ‘Desgarbado’, qui dit mieux ? Mais ni pour ce dernier ni pour ‘Ingrato’ il ne saurait être question d'école éthiopienne ou kenyanne, mais plutôt de la quasi exclusive casa Domecq, seule et unique à former les grands marathoniens des ruedos, convenables à l'indulto 2000. Voyez plutôt : ‘Desgarbado’ est un toro de Victoriano del Río (Juan Pedro Domecq), ‘Arrojado’ de Núñez del Cuvillo (Osborne/Núñez), ‘Jazmín’ de Jandilla (Juan Pedro Domecq), ‘Calabrés’ de Daniel Ruiz (Jandilla) et ‘Ingrato’ de Parladé (Juan Pedro Domecq). La démonstration est éloquente et ne peut souffrir d'aucune contestation quant au fait que les toros d'origine Juan Pedro Domecq sont visiblement les seuls à présenter effectivement les caractéristiques idoines pour provoquer la grâce.

Mais, en plus d'une infinie noblesse et d'une patate olympique, on ne pourra malheureusement pas les soupçonner d'une bravoure sans faille et de n'avoir jamais fait douter l'aficionado. Oserais-je rappeler qu'il ne serait pas envisageable de parler d'indulto si l'on imaginait seulement qu'ils n'aient pas été piqué plus que poliment ou qu'il présente un pet de mouche de mansedumbre ? Mais on ne fera que soupçonner, car aucun n'est en mesure de nous affirmer qu'un seul de ces toros ci-dessus nommés ne fit front face au peto, trois fois et plus, sans la moindre hésitation, le moindre pet en travers, la moindre démangeaison du croupion, la moindre pupille humide, mais avec les certitudes revanchardes et les convictions guerrières qui font d'un toro un adversaire intégral, un combattant absolu, un taureau de combat complet. Et ne me parlez pas de brave noblesse, s'il vous plaît ! Alors non, non et non, la rareté étant le propre de l'exception, gracier n'est pas chose courante et ne devrait pas commencer à l'être, surtout pour de mauvaises raisons !

Vous aurez beau chercher, vous ne trouverez aucun témoignage insinuant qu'une seule de ces terreurs fut d'une bravoure totale et absolue, et d'une farouche mais saine agressivité dans ses charges, les répétant à l'envi avec la détermination de celui qui veut le dernier mot, pour remporter la joute et prendre la place du maître des lieux, du centre du ruedo jusqu'aux gradas sol. C'est vrai, on a parlé de toro de classe, de catégorie, d'infinie noblesse, de grand toro qui permettait, qui répétait, mais pas de toro parfait, complet, sauvage, de tempérament et d'une grandeur d'âme de géant, “bravassse”, exceptionnel, mettant les cornes, le front, les naseaux, les 18 en alu plantés dans le sol et hougnant à s'en faire péter les os dans la forteresse matelassée, percutant lourdement comme cent turcs et répétant l'opération d'ici, de là-bas, de la cave, du grenier ou du fond du salon, plantant sa gueule brûlante dans les costiches du bourrin et ne songeant à rien d'autre qu'expédier la barbaque sur les sommets de la sierra de Guadarrama, avant que de plonger sauvagement dans toutes les muletas du monde comme mille Michael Phelps dans un bassin londonien, comme un seul Fui Fui Moi Moi pendant quatre-vingt-dix minutes dans les premières lignes de la National Rugby League en priant toutes les vierges du ciel pour qu'il y ait des prolongations.

De ‘Ingrato’, je ne sais rien, ou presque… car on ne m'en a rien dit, ou presque. Oserais-je le dire ? Le toro parfait, le seul qui puisse suggérer la grâce, aucun ne l'a vu. Pas même à Nîmes, pas même José Tomás… Je me souviens parfaitement de l'histoire merveilleuse de ‘Bastonito’ — qui s'appelait officiellement ‘Bastoncito’ —, celui du Rincón de 1994, qui promena la cavalerie tout autour de la plaza sans décrocher le moindre regard vers les gonzesses en barrera, celui-là même qui allumait des scuds à chaque toque du Colombien, qui crachait du feu à chaque plongeon dans l'étoffe de l'indien, qui invitait le diable dans chacun de ses hachazos et ne se laissa même pas tuer, résigné ou perdant, porté qu'il était par l'incroyable détermination qui coulait dans ses veines. Non, encore aujourd'hui, on ne sait toujours pas qui de l'homme ou de la bête a écrit l'histoire, mais ‘Bastonito’ mourut, car tout « toro para la historia » qu'il fut et restera, il n'a jamais été question de son salut — même le cosmique Simon répétait qu'il aurait été « hérétique » de lui accorder le moindre hommage posthume. Mais ‘Bastonito’, bien mort, est un toro pour l'histoire. Pas ‘Ingrato’, pas ‘Calabrés’, pas ‘Arrejado’… Tous bien vivants, pourtant, parce que jugés aptes à représenter l'élite dans l'art d'être un taureau de combat des années 2000, et parce que, d'évidence, il manque à ce public, une référence en la matiére. Soit.

D'abord, petit détail anodin, ces toros ont tous été toréés lors de corridas dites « toreristas », par  Miguel Ángel Perera, José María Manzanares, Daniel Luque ou José Tomás. Je veux dire par là que ces toros ont tous été toréés par la fine fleur du toreo actuel, les poignets les plus savoureux, les muletazos les plus envoûtants, ceux-là même qui, cela ne vous surprendra pas, réquisitionnent systématiquement ces toros-là, ceux de l'école Domecq notamment, possédant donc toutes les caractéristiques pour l'exercice de l'indulto. Y aurait-il là un rapport de cause à effet ? Certainement, OUI ! Ces toros sont mis en avant par les plus fins toreros, et l'on pourrait dès lors se demander s'ils sont graciés pour avoir démontré leurs exceptionnelles valeurs dans toutes les étapes de la lidia, ou grâce au génie des maestros qui savent mieux que quiconque aller chercher là, tout au fond, ce que le bestiau ne soupçonnait même pas avoir en lui-même ! C'est un bel exploit, j'en conviens, mais pas celui requis pour sauver les toros. En gros, sont-ils vus beaux dans la lidia, ou dans le seul exercice du toreo ? Sont-ils de grands toros complets, ou juste de grands toros de troisième tiers ?

Vous conviendrez avec moi qu'un toro qui brille du premier tiers au dernier sans fléchir, à aucun moment, presente d'autres arguments pour l'indulto qu'un qui fut épargné, égratigné dans les basses œuvres du début de lidia pour mieux exprimer sa fraîcheur dans la dernière étape, désormais la plus distrayante ? Et pourtant, c'est bien ce qui ressort généralement des observations de ceux qui ont assisté à ces indultos. Hormis d'avoir répondus magnifiquement présents au moment de se lancer dans la muleta, il manque quelque chose d'important à ces toros : avoir été excellents dans tous les tiers. Mais vous le savez, Manzanares et ses potes du G10, tout grands toreros qu'ils sont, ne sont pas connus pour se laisser aller à tant de futiles fantaisies, et je ne crois pas me souvenir d'une mémorable distribution de varas depuis le centre et à trois reprises au moins sur un seul adversaire du VIP band ! Malgré tout, ce sont eux qui gacient leurs toros. Pas Robleño, pas Fundi, pas Esplá, pas ceux-là… quand bien même ils sont connus et réputés pour offrir largement leur adversaire… au public avant tout.

Alors, de deux choses l'une, soit les toros dits « durs » ne sont jamais assez bons pour stimuler la grâce, soit les gens qui destinent leur carrière à tuer ces toros-là ne font pas ce qu'il faut pour révéler ce que le G10 « indulteur » parvient à faire avec les toros qu'il torée habituellement. Je n'ai, pour ma part, pas de réponse, mais pour avoir assisté autant à un indulto qu'à des corridas dures où l'on vit de grands, très grands toros, il semble qu'il y ait un peu de tout ça pour envisager un semblant de réponse : des toreros lidiador qui ne sont pas forcément les toreros les plus envoutants, prompts à toréer joliement, des toros qui s'emploient grassement dans le premier tiers et qui manquent d'une pointe de fraîcheur pour se livrer comme il conviendrait dans le troisième, ou, a contrario, des toreros de grand talents qui préparent habilement leurs toros pour le tercio de muleta en leur évitant de trop lourds efforts dans le peto, et qu'ils font briller au moment le plus attendu du grand public, plus séduit par ce genre de programme, sans compter sur ces toros élevés exclusivement dans cette optique, qu'ici et ailleurs l'on nomme « modernes ». Et puis, il y a aussi la disponibilité du public qui assiste à ces moments, l'un plus attentif au bétail, et l'autre au travail fleuri du maestro, incitant chacun à s'adonner à ce qu'il fait de mieux : toréer ou guerroyer.

N'empêche qu'en ce jour de grâce du 16 septembre, on coupa onze oreilles et une queue, et comme cela ne suffisait pas, on graciait ‘Ingrato’, toro dont personne ne sut vraiment quelle fut sa réelle attitude au cours des étapes de sa lidia, même si l'on aperçut qu'il était un vaillant coureur de ruedos, un de ceux qui comprit mieux que les autres, sans doute, que son salut nîmois passait irrémédiablement par là, et qui sut profiter de sa chance de ne pas jouer sa vie à Las Ventas ou à Vista Alegre, où, qu'on le veuille ou non, chacun de nous se doit d'un passage, même furtif, pour ne pas trop perdre de vue les fondamentaux d'une actuación taurine, ainsi que le sérieux et la rigueur que devrait observer un public consciencieux et raisonnable, ne s'affalant pas trop systématiquement dans la surenchère grossière qui décrédibilise les authentiques succès.

Mais maintenant que toutes, ou presque, nos plazas françaises ont obtenu leur indulto cacahuète, on va peut-être pouvoir passer à autre chose ?… En tout cas, l'indulto de ‘Ingrato’ ne fera pas de lui le grand toro qu'il manque toujours au destin de José Tomás.

21 octobre 2012

19 octobre 2012

Corrida historique et relaxante


Joël Jacobi nous écrit pour nous dire qu’il serait honoré de voir la page du site de France 3 consacrée à la corrida du 16 septembre à Nîmes (et à l'émission qui s'en suit) référencée sur Campos y Ruedos. 
Franchement, c’est plutôt Campos qui se trouve honoré qu’un média d’audience nationale se préoccupe de se faire annoncer sur un site aussi intimiste que le nôtre.
Vous aurez compris qu’il s’agit d’une rétrospective de la corrida nîmoise de José Tomás, qui n’a pas fini de faire couler de l’encre et d'être, sans doute, l'objet d'un nombre incalculable de publications à venir, plus ou moins opportunistes — il n’y a pas que les restaurateurs et les hôteliers nîmois qui se frottent les mains…

Voici donc le lien de l'émission de Joël Jacobi sur France 3 Aquitaine.

Hasard de l’histoire. Toujours à propos de cette corrida, je suis tombé sur un truc totalement surréaliste. Un aficionado, qui n’a pu se rendre aux arènes, a écouté la retransmission sur France Bleu Gard Lozère. Il m’arrive de m’y amuser et je sais d'expérience que l’exercice est souvent cocasse. Écouter entre les ondes peut être une expérience parfois hilarante. 
Mais là on touche vraiment au sublime. Le blog qui rend compte de cette retransmission s’appelle La Montera qui pleure… En l’occurrence, il y a de quoi pleurer de rire. 
Je vous renvoie donc au post complet et ne peut m’empêcher de reprendre ici ce qui aurait été dit à la radio ce jour-là. J’emploie le conditionnel mais, en cas de doute trop insoutenable ou de contestation virulente de la part des auteurs des commentaires, il doit être possible de vérifier, car on n’imagine pas que ce moment d’histoire soit déjà passé à la moulinette des archives radiophoniques :

« Au 1er : “Deux oreilles c'est trop.” 
Au 2e : “C'est une faena à une oreille dans une arène de première catégorie, mais là c'est spécial, alors deux c'est normal.” 
Au 3e : “Même s'il n'y a eu aucun toro de triomphe…” (On en est déjà à six oreilles.)
Au 4e : “Qu'est-ce qu'ils demandent là, l'indulto ? Non, il ne faut pas.” “Il attend que le président indulte, [l'indulto tombe] mais il le voulait Tomás, il y a des gens qui vont rouspéter.” 
Au 5e : “Le toro est d'une race incertaine.” “Il se passe grand-chose et même quand le toro ne permet rien, José Tomás est là.” “Une oreille ça suffit, ça flotte les assesseurs, le président ne veut pas, deuxième oreille ça enlève tout.” 
Au 6e : “Il a manqué un grand toro pour cette matinée, si on veut chercher la petite bête.” “On a vécu un grand moment, mais pas un sommet, une corrida relaxante.” » 

Ouf ! Une corrida relaxante… Là, j’en reste sur le cul. Sauf à déplacer les arènes de Nîmes entre La Junquera et Figueras, j’avoue avoir du mal à saisir le concept. Mais pourquoi pas… ici tout est possible. Pour vraiment mourir de rire, il serait sans aucun doute pertinemment complémentaire de comparer les commentaires faits en direct avec ce qu’ils ont pu en dire ou en écrire le lendemain ou le surlendemain. Sûr que ce serait mortel. Mais là ce serait du vice.

18 octobre 2012

Oan Kim


À Sylvain,


Oan, ça sonne court, très court. Ça claque, net. J’aime beaucoup les prénoms qui sonnent court. Une syllabe, pas plus. Oan Kim, plus court impossible. Dépouillé, comme beaucoup de ses photographies. Parce que Oan Kim est photographe.
Peut-être que certaines des photographies d’Oan sont le reflet de son nom finalement, de son prénom : épurées, nettoyées de l’inutile. Si son écriture n'est pas exclusive et explore des champs bien plus vastes, de toutes les photos d’Oan celles qui me parlent le plus sont celles très pures ; j’allais dire très graphiques, mais non.

Ces photos ne sont pas uniquement graphiques, elles sont au-delà d’une simple recherche esthétique. Elles portent en elles une poésie, une atmosphère qui fait qu’on s’y arrête et qu’on y reste. C’est flagrant dans beaucoup des images de l’ouvrage Je suis le chien Pitié publié chez Actes Sud en 2009.
À la fin du livre, Laurent Gaudé, dont le texte accompagne les photographies, répond à la question « qu’est-ce qu’une bonne photographie ? » de la manière suivante : « C’est une photo qui oblige à un temps d’arrêt. Du regard. De la pensée. Une photo dans laquelle on peut s’engouffrer et qui, ensuite, vous hantera, travaillera en vous. »
C’est exactement ça. Une bonne photo est un monde, un univers qui s’ouvre et vous propose un voyage duquel on ne doit pas ressortir totalement indemne.

Curieusement, Oan Kim est devenu photographe par facilité. Il le dit : « Je suis venu à la photo par la peinture, en admirant Cézanne, De Chirico, Giacometti ou Twombly. La photo était une façon de prendre des notes, comme un carnet de croquis. Mais j'ai aimé son rapport direct au réel et à la vie, qui en faisait quelque chose de simple à aborder, alors que la peinture venait avec le poids de son histoire et de son panthéon impressionnant. »
Oan Kim est donc un peintre suicidé par flemme, un photographe par défaut en quelque sorte, influencé à ses débuts par Lee Friedlander, Robert Frank, Duane Michals et quelques autres.
Photographier serait pour lui une façon de faire de la peinture sans se fatiguer — là je suppute et ça peut se discuter —, mais Oan a bien fait de devenir photographe.

Pour cela il utilise un peu tous les appareils possibles. Il n’a pas de chapelle, ou plutôt, il ne se donne pas trop de contraintes : « Je travaille essentiellement en argentique, mais je me mets de plus en plus au numérique, et pas seulement pour de la commande. À vrai dire je n'ai pas d'attachement a priori même si j'ai plus de repères en argentique. J'aime bien utiliser les contraintes inhérentes aux techniques que j'utilise, que ce soit avec un appareil jetable, un Leica, un reflex numérique ou un téléphone. On a aussi des idées différentes selon qu'on développe ses photos en chambre noire ou sur Photoshop. Le fil conducteur de ma démarche, au delà des différents genres que je peux aborder, c'est de faire émerger une forme spécifique à partir d'un sujet donné. Parfois un sujet appelle un traitement documentaire assez classique, d'autres fois un sujet demande une approche plus formelle, et parfois il faut passer par des dispositifs un peu conceptuels. Pour une série sur la foule réalisée à Hong Kong, il avait fallu que j'en fasse une vidéo avec une voix off pour arriver à quelque chose qui se tienne, alors que ce n'était pas du tout mon idée au départ. »

Oan a découvert la tauromachie il y a un an et demi, à Séville, où il était invité avec d’autres photographes pour témoigner sur le monde taurin. Et forcément, ici, à Campos y Ruedos, ça nous a interpellés ce regard à la première personne du singulier, comme dirait Klavdij Sluban. Car le regard que peut porter un photographe-auteur sur le monde des toros sera forcément différent de tous les lieux communs photographiques totalement éculés que l’on croise trop souvent dans ce monde. Oan est photographe ; il est un regard, par forcément aficionado. Tout l’intérêt est là.

« J'ai été assez surpris de la complexité et de l'intensité des émotions que la corrida provoquait. Je ne sais pas si je suis aficionado, la tauromachie me fascine mais je reste ambivalent. J'aime sa gravité et sa noblesse, mais elles me semblent souvent compromises par une approche trop sportive, liée à la performance. Mon approche a d'abord été de montrer la dimension sombre et tragique de la corrida, que je trouve curieusement absente de la plupart de ses représentations photographiques. Donc dans un noir et blanc presque expressionniste avec des noirs profonds, avec des images parfois abstraites ou étranges. J'ai aussi privilégié une approche narrative, en essayant de décrire le monde de la tauromachie avec des écritures photographiques assez différentes. Je l'ai pensé comme un film qui se passerait dans le monde de la tauromachie, avec une dimension fictionnelle presque onirique. »


>>> Vous pouvez découvrir la série d’Oan Kim consacrée aux toros, « Mort dans l’après midi », sur le site de l’agence MYOP dont il est un des fondateurs.

L’image qui illustre ce post est tirée de l’ouvrage Je suis le chien Pitié.

Zanzibar et autres lieux (I)


La seule information livrée par Wikipédia concernant Arnedo nous indique qu’il s’agit d’une commune d’Espagne. C’est vrai, je confirme, c’est en Espagne. Mais, en fait de commune il s’agit plutôt d’un gros village de poussière dont le « centre-ville » présente les caractéristiques architecturales d’une banlieue triste. En faisant un énorme effort d’imagination, on veut bien croire les habitants qui racontent que les anciennes arènes étaient ravissantes. La nouvelle plaza ressemble plutôt à une grosse verrue de ferraille et de béton, coincée entre un terrain de foot, un Carrefour Market et la rocade. Cette petite horreur a le mérite d’être couverte, ce qui permet de se défaire de son K-Way quand sonne l’heure du paseo — il peut pleuvoir beaucoup à Arnedo —, et de disposer d’une très chouette infrastructure qui permet de passer trois heures tous les matins à regarder les entrées et sorties des vaches de la vaquilla et la mise en chiquero des novillos de l’après-midi — il n’y a de toutes façons rien d’autre à faire à Arnedo.

Six novillos de Valdesfresno, bien présentés mais très faiblichons et mansos, pour Fernando Adrián, Gonzalo Caballero et Curro de la Casa (qui remplace Conchi Ríos).
Les Trompettes de la renommée ont sonné pour Fernando Adrián sous forme d’ovation à l’issue du paseo. Cette marque de considération confère à son statut de gagnant du Zapatero de Oro 2011 un lustre particulièrement enviable, mais il s’endort fâcheusement sur son brin de laurier lors de son premier combat face à un boiteux, docile mais pas amnésique, qui finira par se défendre de la tête après avoir vu l’homme à plusieurs reprises dans son horizon lointain. À son second, le laurier est fané mais Fernando continue de faire le loir.
Pour peu que vous ayez un penchant prononcé pour le marathon, les deux lidias de Gonzalo Caballero vous auraient vraisemblablement donné entière satisfaction. (J’avoue toutefois avoir entamé, lors de la seconde faena, une étude comparée entre les vignes de la Rioja Alta et de la Rioja Baja qui a nécessité toute mon attention ; il n’est donc pas exclu que quelques gestes m’aient échappé.)
Curro de la Casa est un Aquoiboniste qui a la chance — ou pas — de faire face au lot le plus intéressant. Le petit n’a pas de bagage mais ça ne l’empêche nullement de nous montrer son goût pour le voyage.

Six novillos de Carriquiri, beaux, solides et très intéressants, pour Javier Jiménez, Tomás Campos et Álvaro Sanlúcar (qui remplace Juan Leal).
Quatre-vingt-quinze fois sur cent, Javier Jiménez s’emmerde en toréant. Ça fait plusieurs fois que je vois ledit Jiménez barboter dans le ruedo. Ici comme ailleurs, il a fini par s’y noyer après avoir remarquablement mal lidié ses deux adversaires. Dommage. 
Tomás Campos néglige les deux premiers tercios mais s’applique à la muleta et à l’épée. Les efforts sont perceptibles à son premier novillo, quoique peu probants. En revanche, ils sont plus concluants à son second — dont la vuelta al ruedo a tout de même été une source inépuisable de fou rire. Le gamin — qui s’avérera être le gagnant du Zapato de Oro — m’a fait un peu penser à Léonard et sa Joconde. C’est peut-être lui qui a été le meilleur novillero, et il a peut-être fait la plus belle faena de la féria au cinquième. Admettons. C’est possible. Mais je n’arrive pas, mais alors pas du tout, à crier au chef-d’œuvre. Bon, en même temps, j’y connais rien en peinture.
Álvaro Sanlúcar s’installe Boulevard du temps qui passe, profite de la charge de son premier opposant et aligne les séries un peu comme R2-D2 pourrait le faire, j’imagine. Plus compliqué, un rien chafouin, le dernier de l’envoi aurait nécessité d’être toréé pour de vrai. R2-D2 n’est pas programmé pour ça. Dommage.

Six novillos de Cebada Gago que l'on croirait tout droit sortis du pays des Hobbits (sauf le sixième) et sans grand intérêt (sauf le quatrième, formidable) pour Gómez del Pilar, Rafael Cerro et Tomás Angulo.
Gómez del Pilar ira deux fois a porta gayola. Le premier novillo, concave et blando, goûte assez peu les facéties du jeune homme et exprime sa désapprobation sans aucune classe. N’était sa laideur, le quatrième est selon moi le novillo de la féria. Mettant les reins au cheval, chargeant à n’en plus finir ensuite, pas couillon pour autant, le brave mène la vie dur au novillero qui, lui, apprendra toutes les subtilités du grec, du latin — et du westron — jusqu’à se trouver menacé de manière fort déplaisante. In petto j’entonne La Ronde des jurons, je blasphème avec méthode, compétence et conviction contre Gómez del Pilar qui vient de passer à côté. Et j’applaudis sans réserve l’arrastre.
Sombre Dimanche pour Rafael Cerro qui aura émargé à Arnedo. Après s’être fait prendre à son premier, à qui il n’aura jamais donné la sortie, il revient en piste pour affronter le cinquième, totalement décasté, et partira immédiatement après l’épée par la porte de l’infirmerie.
J’ai eu beau ouvrir mes petits yeux et tendre mon oreille, je n’ai pas perçu pourquoi le second novillo, combattu par Tomás Angulo et tué sans tricher, avait perdu la sienne. Son premier, minuscule, très mobile et sautant comme un cabri, s’est rapidement avisé face aux approximations du jeunot.

Six novillos de Baltasar Ibán, pas trop homogènes de présentation et de comportement mais globalement intéressants, pour Juan Ortega, Roberto Blanco et Román.
Enfin une novillada qui nous propose tous Ces petits riens qui mettent L’Eau à la bouche des aficionados épris de ce type de courses. Des novillos correctement présentés et d’autant plus intéressants qu’ils ont été mis en valeur — enfin ! —, et des novilleros qui ont l’air d’être là de leur plein gré, qui savent jusqu’où aller trop loin et n’ont pas peur de nous déballer leurs carences pour nous montrer leurs opposants. Merci à eux d’avoir osé faire preuve de personnalité.
Juan Ortega est celui des trois piétons qui aura été le moins convaincant face à un premier novillo pourtant sans vice, qui a suivi les étoffes avec une fidélité canine, et un second irrémédiablement invalide.
Roberto Blanco et Román réceptionnent leurs novillos, les mettent en suerte, s’appuient sur des cuadrillas qui travaillent proprement quoique de manière aléatoire — salut des banderilleros de Blanco au troisième. En vérité, la première faena de Blanco va a menos et la seconde se barre en couille à la fin, mais il a donné de la distance lorsque ses adversaires en demandaient, il a fait fi des liaisons quand il fallait reprendre un peu le pouvoir sur la bête et, même si c’était accroché ou chaotique, c’était vivant et ça, c’est précieux.
Román, quant à lui, a vraiment eu quelque chose de torero — certes son lot l’y a grandement aidé — dans sa manière d’allonger la main gauche, de ne pas dévisser, d’« aguanter » quand il se retrouve en situation périlleuse. Bon, évidemment, les situations périlleuses en question c’est lui qui les a créées de toutes pièces et il n’a pas toujours été très croisé mais… c’était vivant et ça… Une vuelta méritée à son second.

L’an prochain, j’irai à Calasparra…

Sur les quatre courses auxquelles j’ai assisté à Arnedo, jamais la plaza n’a été remplie à plus de la moitié de sa capacité — je suppose que c’est normal, le prix des entrées étant aligné sur le cours du pata negra : vingt-huit euros les générales.

Sur les douze novilleros que j’ai découverts lors de cette féria, aucun d’entre eux n’a posé la moindre banderille — il paraît que c’est normal, « ça ne sert à rien pour faire carrière » (sic). Seuls deux d’entre eux m’ont paru toréer avec envie et avec du cœur : Román et Roberto Blanco 

Sur les vingt-quatre novillos que j’ai vus, aucun n’a été envoyé deux fois au cheval — il paraît que c’est normal, « ce n’est pas obligatoire dans une place de deuxième catégorie » (sic). Je préfère ne pas m’attarder sur les vingt-quatre puyas unitaires.

Sur cinq jours passés à Arnedo, j’ai le plus souvent mangé dans une bodega troglodyte : des cocochas de bacalao et des berberechos baignant dans l’huile d’olive, du lomo aux champignons frits à l’huile d’olive, des pimientos accompagnés de sardines et des côtes de porc au barbecue — mais recouvertes d’huile d’olive après —, plein d’autres choses et tout un tas de bocadillos savamment élaborés et dégoulinant… d’huile d’olive.

En partant d’Arnedo, j’étais passablement inquiète… un peu pour mon taux de cholestérol… et beaucoup pour la tauromachie et les chefs de lidia de demain.

Zanzibar


Photographies Arnedo, 2012 — Zanzibar

Museros, C/ Alicante, 5


17 octobre 2012

Domaine des Romarins


Communiqué

Du 24 novembre au 31 décembre 2012, le Domaine des Romarins (Domazan, Gard) organise un concours et une exposition de photographies taurines sur le thème de la corrida et du taureau de combat pour la temporada 2012. 

Pour tout renseignement :
domromarin@aol.com

16 octobre 2012

Merchán


À Gema, Albert et Flo,


Il ne viendrait à l’idée de personne, ou de vraiment pas grand monde, de plonger du pâté de perdrix dans de l’huile d’olive. Merchán, lui, a osé.
Du pâté de perdrix, de Jaén, déposé dans une assiette profonde, baignant généreusement dans une huile d’olive étincelante, oscillant entre le vert et le jaune, tendance fluo. Le genre d’huile exubérante et inoubliable comme on en trouve à Jaén justement. Pour couronner le tout, de la fleur de sel, du sel de Maldon peut-être. Épatant. Seuls les petits toasts croustillants pour accompagner ne sont pas vraiment convaincants. C’est le seul reproche. Du vrai pain de campagne aurait été plus approprié, mais le pain, en Espagne, ce n’est pas vraiment ça.

Merchán n’est pas restaurateur. Antonio José Merchán Ortega est patron de bar, et il fait à manger. C’est très différent. En Espagne, un bar est un monde où se croisent les vieux, les jeunes et tous les autres. Celui de Merchán est un univers. 
Le quartier est sans charme particulier, la rue presque anonyme, immeubles modestes de briques rouges — trois ou quatre étages, pas plus. Rien qui attire l’œil ou qui donne envie. Avant d’arriver là, il faut ne pas se perdre dans le labyrinthe des rues de Museros. Le quartier est calme. La seule chose qui anime la rue c’est El Albero, le bar. Immédiatement on s’y sent bien. L’Espagne comme on l’aime. Un univers tapissé de photos et de peintures taurines, d’évocations camperas et de bous al carrer. 
Et lorsqu’on goûte cet improbable pâté de perdrix qui nage dans son huile d’olive, on sent bien que Merchán a fait ça toute sa vie, dans ce coin un peu perdu où l’on ne croise que des habitués.

Sauf que pas du tout. Jusqu’à il y a peu, Merchán occupait un poste à responsabilités dans une grande entreprise du pays. Le genre de poste qui vous stresse, trop sans doute, jusqu’au jour où le cœur dit stop. 
Alors, pour ne pas crever, Merchán a écouté son cœur, abandonné le monde des affaires, et il a fait ce qu’il avait toujours eu envie de faire. Il a ouvert un bar à Museros, rue Alicante, numéro 5. 
Ça lui laisse du temps pour descendre à Jaén profiter du campo, visiter ses amis taurinos et acheter du pâté de perdrix.
Loin du monde des affaires, la vie de Merchán est désormais apaisée, et il peut vous parler des heures, entre deux cañas et un rabo de toro, du monde des toros et de Jaén aussi — c’est lié. 
On ne se priva pas. On évoqua beaucoup, entre souvenirs passés et projets à venir.

Avant de partir, je lui demande de bien vouloir ne pas bouger, quelques instants seulement, histoire de lui tirer le portrait, à côté de sa caisse, juste comme ça, sans idée particulière.
Les yeux de Merchán s’écarquillent, s’arrondissent, immenses, hésitant entre contrariété et amusement.
Non, pas là. Il ne veut pas être photographié à côté de la caisse. À côté de la caisse, juste à côté, un peu au-dessus, trône une photo d’Enrique Ponce.
Et Ponce, Merchán, il ne peut pas le voir. Ça lui filerait presque des boutons. Se laisser photographier à côté de Ponce n’est pas sérieusement envisageable. José Tomás ou Morante de la Puebla, oui, bien sûr, évidemment, mais Ponce, pas question.
Cette photo lui a été offerte par un ami. Par amitié, et pour ne pas froisser, il ne dit rien.
Il la laisse là. Il ne l’a même pas reléguée au fond de la réserve, à droite, près des chiottes. Il la laisse là, juste à côté de la caisse. 
Lui qui ne peut pas voir Enrique Ponce en peinture, il doit le supporter en photo, tous les jours que Dieu fait.
C’est ça la nouvelle contrariété de Merchán, son stress ultime : vivre avec Ponce. 
Merchán ouvre le bar avec Ponce ; il sert le café avec Ponce ; il lave les verres avec Ponce ; il cause à ses clients en compagnie de Ponce ; il range les bouteilles à côté de Ponce ; il encaisse et rend la monnaie sous le regard de Ponce, et il ferme son bar, le soir, sous le regard de Ponce. Lui qui ne peut pas le voir… 
Si un jour vous allez à Museros, à côté de Valencia, au bar El Albero, et que la photo d'Enrique Ponce, à côté de la caisse, juste un peu au-dessus, vous plaît… volez-là… y se le llenará el cuerpo de guay…

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El Albero
Calle Alicante, 5
46136 MUSEROS
Valencia

15 octobre 2012

Palha by Joséphine


Joséphine, inutile de vous la présenter, ça fait un bail qu'elle est ici chez elle…

>>> Retrouvez sur notre site, rubrique « Ruedos », sa galerie de la corrida madrilène de Palha.

14 octobre 2012

Festejos populares


Nous ne vous avions pas encore proposé de galeries sur les fêtes populaires du Levante, sur le bous al carrer ; c’est désormais chose faite. 

Trois galeries sont à visiter sur Campos y Ruedos (galerie signée Florent Lucas) et sur le site de ma pomme : « Bous al carrer » & « Recortadores ».

Bonne visite.

Palha par Mirocolo


Morgan Mirocolo est un habitué de Campos y Ruedos. Il est aussi photographe… professionnel. Il a assisté à la corrida de Palha de la féria d'automne madrilène et a eu la gentillesse de nous en adresser quelques images.


>>> Retrouvez une galerie de cette corrida sur le site, rubrique « Ruedos ».

13 octobre 2012

L'ANDA écrit à l'UVTF


Mesdames et messieurs les membres de l’Union des villes taurines françaises,

Non, ce n’est pas un canular et encore moins le phénix qui renaît de ses cendres. L’ANDA est en sommeil depuis 2008, vous le saviez. Que nous nous réservions le droit d’intervenir sur des sujets sensibles ou scandaleux, peut-être l’apprenez-vous ?
Oui, nous sommes toujours là, l’œil aiguisé et l’afición intègre chevillée au corps.
La pique n’est pas un sujet nouveau dans notre relation. Les dernières élections municipales et l’inévitable valse des fauteuils ont, comme toujours, été suivies par un désir de marquer votre passage à l’UVTF.
Tout a commencé lors de l’assemblée générale de Beaucaire ; Alain Bonijol, accompagné des représentants du syndicat des picadors, a présenté sa nouvelle pique avec pour objectif de la faire valider par l’UVTF. Vous aviez décidé de mettre cette pique à l'essai lors de la temporada suivante.

Ci-dessous notre compte rendu de l'assemblée générale de l’UVTF 2010 à Beaucaire :
« La vraie nouvelle du week-end sera la présentation de la pique imaginée par Alain Bonijol. Ce chef d’entreprise est une mine d’idées novatrices ; sa façon d’aborder les problèmes et d’y trouver une solution nous épatera toujours.
Sa pique est aussi longue qu’une pique andalouse, mais plus fine, plus effilée, sans cordes. Sa préoccupation première a été de comprendre les attentes des picadors et d
apporter une réponse à leurs principales craintes. En les impliquant dans son projet, Alain Bonijol a peut-être évité la levée de boucliers de cette corporation, pas toujours facile à manœuvrer.
Il affirme qu’un picador qui entre en piste pense avant tout “à mettre les cordes” et à faire saigner. Sur une pique normale, la partie en corde est plus grosse en diamètre que la pyramide saillante. Elle freine la pénétration de la puya. En effilant sa pique et en supprimant les cordes, il considère qu’elle pénètre mieux. Le picador peut alors se concentrer sur “el arte de bien picar”, positionner correctement son cheval, lancer le palo, mettre la pique à la base du morrillo, faire pivoter son cheval et ouvrir la sortie... De plus, je cite : “Les toros, au lieu d’être monopiqués, pourront être renvoyés plus facilement au cheval pour une seconde rencontre.”
Interprétation : “Tout le monde pourra ainsi croire que les invalides qu’ils ont sous les yeux sont de vrais toros puisqu’ils vont deux fois au cheval.” Nous exagérons, croyez-vous ? Si peu !
Lorsque sort du
toril un vrai toro, avec de la force, plus personne ne se pose de questions existentielles sur la pique. Comme quoi, il y a bien deux tauromachies.
Avant cela, l’UVTF, par l’intermédiaire des vétérinaires, devrait analyser des corridas entières piquées pour moitié avec une pique classique (voire andalouse) et pour moitié avec cette vraie nouveauté. Une fois passées la curiosité d’une nouveauté et la satisfaction de constater que certains réfléchissent, imaginent, inventent, des questions peuvent venir à l’esprit.
Si la pique pénètre plus facilement lorsqu’elle est bien en place, il en sera de même si elle est mal placée. Au vu du petit nombre de piques bien positionnées tout au long de la
temporada, nous pensons qu’il faudra d’abord apprendre aux picadors à viser au bon endroit et, sans doute, à changer les mentalités. Certains vétérinaires, amoureux du toro moderne, veulent comparer les résultats d’analyses post mortem de cette pique avec ceux de Madrid 1998 (donc d’une pique normale). Ce serait une grossière erreur. La pique madrilène est plus longue, mais, surtout, les premiers tiers de Las Ventas sont loin d’être des références. La raison principale en est le toro. Ce sont, avec ceux de Bilbao et de Pamplona, les plus gros, les plus grands et les plus pourvus en cornes. Ce sont ceux qui reçoivent les plus gros châtiments avec les piques les plus en arrière, donc les plus destructrices. Aucun “demi-toro” de Nîmes, Dax, Arles ou Mont-de-Marsan n’a reçu cette année un châtiment aussi appuyé que ceux que nous pouvons voir régulièrement à Madrid.
Comparons ce qui est comparable et faisons les analyses chez nous avec nos “demi-
toros” et nos “demi- picotazos”. Nous verrons bien si les dégâts causés par les piques sont si importants que cela.
En ce qui concerne le marché français, si cette pique voyait sa légalisation le monopole espagnol des
puyas changerait de camp. Les appels d’offres concernant les cuadras de caballos n’auraient plus le même contenu.
La tauromachie française s’impose petit à petit. Bien vu, monsieur Bonijol.
Et en ce qui concerne l’intérêt de l’aficionado amoureux du vrai
toro, il devra attendre les résultats post mortem avant de se réjouir. Pour ce qui est des novillos “pégapasés” par les vedettes, ce n’est pas cette pique ni une autre qui leur donnera la force qui leur manque. Elle aidera, dans le meilleur des cas, à cacher la misère actuelle du premier tiers. »

Deux temporadas plus tard, qu’en est-il de ce dossier, des analyses, des démarches à suivre pour les membres de l’UVTF ?
Nous savons, par la voix des vétérinaires, qu’aucune analyse officielle n’a été effectuée pour le compte de l’UVTF.
Nous nous sommes permis de faire des analyses afin de nous rendre compte des blessures. Les toros étaient les Garcigrande et les Victorino Martín d’Istres. Nous avons eu le regret de constater que les dégâts internes ne sont pas en relation avec la vision externe de la pique. Lorsque l’on est en présence de toros braves et qui « mettent les reins », ce qui a été le cas de certains Victorino, les effets n’en sont que plus accentués.
Nous ne donnerons pas ici de résultats chiffrés, car ils ne sont en rien officiels.
En revanche, nous demandons expressément à l’UVTF de commanditer ces analyses (corridas piquées pour moitié avec la pique espagnole et pour moitié avec la pique Bonijol et d’autres) afin de donner un résultat chiffré et d’autoriser une pique pour la zone France. Un tel vide réglementaire est inadmissible.
Depuis cent ans, trop d’aficionados se sont battus pour légiférer la corrida en France. L’UVTF doit rester le garant de l’unité et le maître du règlement.
À ce jour, circulent dans les arènes françaises quatre piques différentes : l’espagnole, l’andalouse, la Bonijol et celle de Philippe Heyral. Les organisateurs et les aficionados y ont perdu leur latin. À quoi servent les délégués aux piques et sur quelle(s) base(s) doivent- ils travailler ?

Mesdames et messieurs de l’UVTF, un peu de sérieux s’impose, au moins sur ce point.

Le bureau de l’ANDA
Laurent Giner, Mario Tisné, Bernard Desvignes et Olivier Barbier

12 octobre 2012

Philosophie argentique


« Il nous est décidément impossible, dès lors que nous savons qui se trouve derrière l'objectif, de lire les photographies à la seule aune de nos regards. Et cela confirme une fois de plus que, dès lors que nous regardons une image, nous reconstruisons des mondes imaginaires à partir des éléments, des sélections et des propositions que nous offrent les faiseurs d'images. » — Christian Caujolle 

J'aurais aimé pouvoir vous parler mieux des photographies de François et de Yannick… Je m'étais mis en tête que ce post serait le trois centième de l'année ; j'en suis encore à chercher mes mots, désespérément.
Du Campo Charro à Porto, de Beauduc aux Émirats arabes unis, de Capestang à la Californie, du noir au blanc, nos amis se baladent avec leurs boîtiers allemands en quête de lignes et de lumière, de présences et d'atmosphères, et, sans vouloir faire cliché, d'eux-mêmes. Enlevez-leur la photographie argentique — sa proximité, sa mécanique, son exigence, sa vérité —, et leurs vies s'en trouveraient toute chamboulées. 



Image Scan d'une page du catalogue Henri Cartier-Bresson. Photographies, Galerie Claude-Bernard, Paris, 1999. La citation de Christian Caujolle est tirée du catalogue Claude Simon photographe, Galerie du Château d'Eau, Toulouse, 1992. 

11 octobre 2012

Hallelujah


Le mystère est révélé ! Oui, quand il s'agit de Dieu on utilise le verbe révéler. D'ailleurs, on dit aussi « révéler une photographie ». De là à penser qu'il y aurait une part de Dieu dans la photographie… Bref, bref, le mystère est tombé ce matin. Du ciel ? Non, c'eût été trop facile, trop attendu. Du Vatican ? de Lourdes ? de Fátima ? de La Mecque ? de Jérusalem ? de Nîmes ? Pfiou, rien de tout cela.

Depuis ce matin, nous savons enfin qui conseille Dieu. Imaginez-vous la nouvelle, the scoop. C'est la fin de l'Histoire, la libération d'une eschatologie trop longtemps contrainte et refoulée — j'ai écrit « eschatologie », esprits pervers. Dieu a un conseiller, on le sait depuis ce matin. En me régalant d'une courgette que je pris plaisir à observer grandir par les chaudes journées d'été que l'automne nettoie de sa pluie lourde et orageuse (oh, que c'est beau ce que j'écris !), je me disais qu'au fond de moi j'avais senti la chose arriver. C'était pas possible, je me disais, que Dieu puisse faire autant de conneries tout seul. Même en se forçant, même en insistant, même en déconnant, Dieu c'est Dieu quand même, parfait, loin de nous, un type comme ça peut pas autant disjoncter et si souvent. Voyez-vous, ça je le sentais que derrière Dieu y'avait un chevelu mal peigné qui tirait les ficelles, rat d'officines, pensée d'égoûts. Eh ben voilà, on y est, Dieu a un conseiller spécial et, en plus, mais c'est ça le pire, il l'écoute ce conseiller au lieu de lui dire d'aller voir ailleurs s'il y est (m'est avis qu'il aurait cherché longtemps le bougre). Non, rien, il l'écoute et fait ce que l'autre Raspoutine lui souffle. Il lui aurait dit d'ouvrir la mer qu'il l'aurait fait ! Il lui aurait dit de multiplier les petits pains industriels congelés, il l'aurait fait ! Il lui aurait dit de mettre un bonnet de bain pour aller à la piscine… il l'aurait fait ! Dieu en bonnet de bain, vous le croyez, vous ?

Depuis ce matin, donc, le monde sait qui conseille Dieu : « Pour la petite histoire, ainsi que me l'a confié un proche de José Tomás, celui-ci a lu, peu avant son encerrona nîmoise, la lettre ouverte que j'avais écrite au Juli, et dans laquelle, entre autres suggestions, je lui demandais de mettre en valeur le toro durant le premier tercio. De là viendrait, toujours selon ce proche, sa décision de mettre les toros en suerte comme il l'a fait. » André Viard in Terrestaurinesetdivines.com, édito du 11 octobre 2012 (faut cliquer juste avant la biographie).


Photographie José Tomás (Dieu) mettant correctement en suerte un toro sur les conseils d'A. V. — Laurent Larrieu/Campos y Ruedos

Quiebro


Je ne l'avais jamais vu, je ne le connaissais pas. Je n'y vais pas non plus tous les samedis au bous al carrer… enfin, presque. Le fait est que je ne l'avais jamais vu auparavant. Les bous al carrer c'est parfois monotone, un brin routinier, comme les corridas que l'on enchaîne sans qu'il ne se passe rien jusqu'au jour où tu prends une claque en pleine figure : les yeux écarquillés, le cœur à mille, le frisson qui te parcourt le corps et le cri qui s'étouffe dans la gorge. Tu penses avoir rêvé, tu regardes ton voisin de barrière qui a ses deux mains sur la tête et la bouche en cul-de-poule. Et puis viennent les applaudissements, la grande ovation. Des émotions et des souvenirs comme ça peuvent me durer une semaine. Ces samedis après-midi sont bénis.

Je fais ce que je ne fais jamais ; je regarde la série de photographies que je viens de faire. Je crois halluciner. Je fais défiler les images et, dans un premier temps, je savoure la précision du quiebro, la feinte parfaitement mesurée, subtile, exécutée au dernier moment, le toro qui, pensant la proie à sa portée, arme sa tête et s'emploie à fond, et puis la jambe du recortador qui revient à sa position initiale, la corne qui frôle le corps et le toro qui, ne trouvant que du vent sur son passage, « explose ». Je regarde encore et je vois la décontraction, le temple, l'élégance et ce corps raide et penché qui pèse sur la charge du toro. Comme une façon de cargar la suerte. 

Il faut que je sache qui a sauvé mon samedi et embelli ma semaine, qui m'a fait le cadeau de graver une telle image sur le capteur de mon Pentax. Le frère d'Albert a la réponse. Il s'appelle Juan, Juan de Museros. C'est lui qui a fait, trois semaines plus tôt, un magnifique recorte à un toro d'Hato Blanco, dangereux et terriblement armé, en plein Camí la Mar. C'est lui également qui s'est inventé un énorme quiebro face à ‘Lastimoso’, un toro bravo et encastado de Baltasar Ibán, dans la grande rue de Massamagrell. Un quiebro et un recorte par toro, pas plus. Façon de dire : « Voilà, Messieurs, à vous de jouer maintenant », mais sans fanfaronnade. La grande classe.

Je ne vous dirai pas son âge, ce serait indécent. Juan est jeune, très jeune. Je vous ferai simplement une confidence, encore plus incroyable : Juan n'a commencé à fouler la rue que l'année dernière, comme simple spectateur des bous al carrer. Cet été, petit à petit, il s'est rapproché du toro et a observé attentivement les recortadores pour, finalement, trouver son sitio. En un mot, Juan ne fait que débuter.

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Quiebro

No lo había visto nunca, no lo conocía. Tampoco voy todos los sábados a los bous al carrer… bueno, casi. El hecho es que no lo había visto antes. Los bous al carrer son a veces monótonos, un pelín rutinarios, al igual que las corridas de toros que encadeno sin que pase realmente nada hasta el día que recibes una auténtica bofetada en toda la cara: los ojos abiertos como platos, el corazón a mil, la piel de gallina y el grito que se te queda atrapado en la garganta. Piensas haber soñado, miras a tu vecino de barrera que se coge la cabeza con las manos y se queda boquiabierto. Entonces llegan los aplausos y la tremenda ovación. Emociones y recuerdos como éstos me pueden durar una semana. Estas tardes de sábado son benditas.

Hago lo que nunca hago; miro la serie de fotos que acabo de hacer. Pienso que estoy alucinando. Hago desfilar las imágenes y, en un primer momento, me deleito con la precisión del quiebro, el engaño perfectamente medido, sutil, ejecutado en el último instante, el toro, pensando hacer presa, arma la cabeza y se emplea a fondo, y la pierna del recortador que vuelve a su posición inicial, el pitón que roza el cuerpo y el toro, que sólo encuentra aire y vacío, “estalla”. Miro una vez más y veo la relajación, el temple, la elegancia y el cuerpo tieso e inclinado que pesa sobre la embestida del toro. Una manera de cargar la suerte. 

Necesito saber quién ha salvado mi sábado y alegrado mi semana, quién me ha hecho el regalo de grabar tales imágenes en el sensor de mi Pentax. El hermano de Albert tiene la respuesta. Se llama Juan, Juan de Museros. Él es quien hizo, hace tres semanas, un magnífico recorte a un toro de Hato Blanco, peligroso y terriblemente armado, en medio del Camí la Mar. Él es de nuevo quien se inventó un quiebro a pelo frente a ‘Lastimoso’, un toro bravo y encastado de Baltasar Ibán, en la calle grande de Massamagrell. Un solo recorte, un solo quiebro por toro, nada más. Una manera de decir: “Señores, aquí lo tenéis”, sin fanfarronadas. Calidad y clase. 

No les voy a desvelar su edad, sería indecente. Juan es joven, muy joven. Sólo les voy a hacer una confidencia, aún más asombrosa: Juan empezó el año pasado a meterse por medio de la calle como espectador. Este verano, poco a poco, se fue poniendo en la cara del toro y fijándose en los recortadores para acabar cogiendo el sitio. En resumen, Juan sólo acaba de empezar… 

10 octobre 2012

El de Joséphine


Encore un portrait de Fernando Robleño… signé Joséphine Douet celui-là.


« La Tertulia » de Deck


Ce que j'aime bien dans la présentation, c'est cet extrait : « lettre taurine à parution aléatoire ». Et puis ça aussi : « désinscription sur simple demande par mail ». Olivier Deck continue d'écrire sur les toros et poste le courrier. Moins de clics, plus de Deck, j'aime bien l'idée. Et comme au sommaire du n° 1 il cause de Zestoa, le Deck, ben j'illustre avec une photo prise là-bas, juste avant de croiser le sieur en grande discussion avec Miguel Tellería de Donostia. « Les grands esprits se rencontrent », on s'est dit…

Olivier Deck on the Web : Olivier Deck etc.

>>> Pour s'inscrire à La Tertulia, laisser simplement une adresse électronique à toros(at)latertulia.fr en remplaçant « (at) » par « @ » (mesure antispam).

Photographie sans paroles (CVIII)


08 octobre 2012

Retour à La Pobla de Farnals


« Ça va les gars ? Au niveau de la prise de risques, pas trop de stress ? »
Simon rigole, s’amuse de notre peur. Descendre dans la rue, avec une caméra ou un appareil photo, ça fait peur. Avec ou sans appareil, de toute façon, ça fait peur, même de loin. 
Nous sommes à Massamagrell. Il y a bien le cadafal* à droite, l’entrée de la peña du Blanco au coin de la rue et Florent pour me guider dans ces ruelles qu’il connaît comme sa poche, ça fait tout de même très peur. Se retrouver dans la rue peut être grisant, puis, subitement, totalement angoissant.
Tout peut changer très vite, même après plusieurs minutes de course. Il suffit que le seigneur toro que l’on pensait fatigué se mette en tête de charger pour que tout change, sans prévenir, à la vitesse de l'éclair. Et c'est l'angoisse. Un toro adulte, même fatigué, ça charge très vite, très fort. 

Simon s’en amuse. Simon court les toros, ici ou ailleurs. À Massamagrell, Simon reste en deuxième ligne, au cœur de l'action, mais plutôt discret. La deuxième ligne, pour vous, pour moi, ce serait déjà l'enfer. Lui s'en délecte.
— Et alors, Simon, tu ne vas pas au toro
Ce n'est pas la peur qui retient Simon, c’est plus simplement son admiration pour les gamins d’ici. Il reste presque sans voix devant leur façon de se la jouer. Alors, en retrait, à seulement quelques mètres du toro, il regarde, profite. Spectateur très privilégié.
— Tu as vu ça ? Ils se jouent la vie les gars ici ! Ils se jouent vraiment la vie. C’est dingue comment ils se la jouent. 

Massamagrell fait partie des coins phare du bous al carrer, pour ceux de Valencia. Plus au nord, pour ceux de Castellón, il y a La Vall d’Uixó et La Vilavella, évidemment. Sur la photo, ce n’est ni Massamagrell, où nous retournerons demain, ni « La Vall », comme ils disent, c’est La Pobla de Farnals, moins prestigieuse, mais où je me sens vraiment bien pour photographier. Le cadafal ne semble jamais très loin. 


* Il semblerait qu'il faille écrire « cadafal » et prononcer « carafal ». Sur place, pas grand monde ne semble d’accord sur la question.

07 octobre 2012

Une fois n'est pas coutume


J'attire votre attention sur une pétition : 

« Maintenir le budget du ministère de la Culture 
Le 19 janvier 2012, François Hollande, candidat à la présidence de la République, affirmait solennellement : “Le budget de la Culture sera entièrement sanctuarisé durant le prochain quinquennat.” 
Rendu public le 28 septembre 2012, le projet de loi de finances 2013 prévoit que ce budget diminuera de 4,3 % et que cette baisse se poursuivra les années suivantes. 
Le budget de la Culture (2,54 milliards d'euros) représentera donc à peine 0,69 % de celui de l’État (368,2 milliards d'euros). Bien loin donc du fameux 1 % symbolique. 
Ce n’est pas en diminuant un budget déjà insuffisant et dont les montants sont de toute façon dérisoires par rapport au montant de la dette que nous rembourserons celle-ci. 
Ce n’est pas en mettant en péril nos monuments historiques, nos musées, notre mémoire, ni en pénalisant le spectacle vivant, le théâtre, la musique, le cinéma que nous redresserons le pays. 
Ce n’est pas nous, mais encore François Hollande qui déclarait aussi : “La crise ne rend pas la culture moins nécessaire, elle la rend plus indispensable. La culture, ce n’est pas un luxe dont, en période de disette, il faudrait se débarrasser. La culture c’est l’avenir, c’est le redressement, c’est l’instrument de l’émancipation et le moyen de faire une société pour tous.” 
Les signataires de cette pétition ne demandent pas l’impossible. Ils demandent juste que le président de la République, qui affirmait il y a peu que “la culture doit être une priorité majeure”, tienne sa promesse de maintenir le budget du ministère de la Culture. » 


Didier Rykner, auteur de ce texte et fondateur de La Tribune de l'Art, « qui ne reçoit pas d'aide à la presse, n'en demande pas et n'en souhaite pas », tient à préciser que « cette pétition est apolitique. Nous remercions les commentateurs de ne pas écrire de messages qui soient orientés politiquement dans le combat droite-gauche. Nous voulons une sanctuarisation du budget du ministère de la Culture, comme l'a promise François Hollande. Pas davantage, mais pas moins. » 

>>> Pour signer (et faire signer) la pétition, cliquer sur « Maintenir le budget du ministère de la Culture »

06 octobre 2012

Problème de maths


Pour comprendre ce texte, il convient de lire celui-ci (d'abord) et celui-là (ensuite). Certains, comme Pierre Vidal (organisateur et commentateur de la course de Mimizan) et André Viard, se sont émus d'une soi-disant « polémique » menée à l'encontre du ganadero Jean-Louis Darré. La revue Semana Grande et Campos y Ruedos (il n'était nullement question pour nous de lancer une polémique ou de mettre en doute la probité de M. Darré, et je ne pense pas que la revue de Marc Lavie diffère sur ce point) seraient en cause, car les deux auraient eu la sotte idée de relever le fait avéré que les toros des fers Camino de Santiago et Ganadería de l'Astarac, lidiés à Mimizan le 25 août 2012, portaient le guarismo « 9 ». M. Viard, deux mois après la bataille, se fend donc d'une mise au point abracadabrantesque pour défendre son ami le ganadero gerseois (il l'écrit comme ça « gersois »). Avant de revenir plus longuement sur ces histoires de saillie, de déclaration de naissance et de guarismo, car ici nous sommes tontos et mansos, et il y a des choses à écrire, nous vous proposons un petit exercice de mathématiques pour affoler vos neurones.

À savoir qu’une vache brave vivant en terres gersoises (sans « e » s’il vous plaît) est butinée par un rude semental en décembre 2006, et sachant que la gestation d’une vache est de neuf mois…
— Quand naîtra le fruit de la sauterie ?
— Plus ou moins en septembre 2007, m’dame, voire fin août si c’est un peu prématuré !
— Va pour septembre 2007. Maintenant, sachant que le veau est donc né en septembre 2007, quand atteindra-t-il l’âge de quatre ans ?
— Ben, en septembre 2011…
— Oui, c’est bien mon petit.
— Mais non, m’dame, c’est en septembre 2010 !
— André, je t’ai déjà dit mille fois qu’avant de répondre il fallait réfléchir : 2007 + 4 = 2011 ! Tu auras beau le tourner dans tous les sens, ça ne changera rien. Si tu arrêtais un peu de faire la girouette et si tu écoutais mieux, tu saurais compter en entrant en 6e, André !… Tu me copieras cent fois : « 7 + 4 = 11 ».

105 francs


Lisbonne, sans aucun lien avec le texte — Laurent Larrieu/Campos y Ruedos

— Ça te fera 105 francs, s’il te plaît.
Le gamin, gêné devant le comptoir, sait déjà que le compte n’y est pas. Il lui en manque 5, une grosse pièce argentée, quelques jours de plus d’économies, c’est rageant mais les vacances prennent fin et c’est maintenant ou jamais. L’école l’attend et il s’en moque ; les copains lui ont écrit des cartes postales avec des taches de doigt dessus, il était content mais il aura tout le temps de les voir les copains. Ce livre, c’est maintenant ou jamais, avant de partir, il en pleurerait, il le sent.
— Je n’ai que 100 francs, monsieur, j’ai pas réussi à économiser les 5 francs qui me manquent.
La fin de la phrase est inaudible. C’est la frustration qui l’empêche de parler. L’homme en impose derrière sa machine, au milieu des chewing-gums et des journaux locaux. Il l’observe en silence avec l’air de lui dire quand même que c’est bien dommage mon couillon, mais c’est 105 francs et pas 100 balles.
— Tu viens tous les jours toi, non ?
— Oui monsieur, tous les jours parce qu’on va à la plage à côté.
— Et tous les jours je te vois feuilleter le même bouquin, celui-là.
L’homme montre du doigt le livre épais que, tous les jours, à la même heure, avec la même délicatesse empreinte d’idolâtrie, l’enfant vient ouvrir pour se perdre dedans.
— Oui, j’aimerais beaucoup l’avoir à la maison.
— T’aimes la corrida, petit ?
— Je crois, oui !
— Tu crois ou t’aimes ça ? T’en as déjà vu des corridas au moins ?
Touché. Le gosse ne peut pas mentir. Il comprend que mentir serait se perdre. La corrida ça le fait rêver. Il sait pas d’où ça lui vient, mais le matin quand il se réveille, il fait des passes de cape tout seul dans sa chambre avec la couverture bleue qui le suit depuis qu’il est nourrisson. Il sait que sa mère l’observe souvent dans l’encoignure de la porte, elle ne dit rien, et lui il continue de faire des passes parce qu’il est persuadé qu’on ne lâche pas un toro des yeux et que le toro est le plus bel animal qui existe. Dans ses livres sur les animaux, y’a jamais de toros. Il ne comprend pas ça.
— J’en ai jamais vu, monsieur, mais je rêverais d'y aller un jour…
— Et qu’est-ce qui t’attire là-dedans ? Les toros, ils souffrent tu sais ? Y’a du sang, beaucoup de sang.
— C’est le toro que j’aime.
— Ça te dérange pas qu’on le tue ?
— Je sais pas, en vrai. J’aimerais voir, c’est tout, après je dirai.
— T’as l’air mordu, toi. T’as pas fini d’en baver avec ça…

Le garçon a détesté ces derniers mots. Il en veut au monsieur sans trop savoir pourquoi. Il ne veut pas lui montrer. Pourquoi aurais-je à souffrir d’une chose que j’aime tant ?
— Donne-moi tes 100 francs, je ferai avec, petit…
L’enfant est resté silencieux comme s’il n’avait pas entendu ce que venait de lui lancer le vendeur. Il le déteste profondément maintenant. Il est resté sur l’idée d’en baver. C’est dégueulasse comme idée, pense-t-il, l’œil vissé sur le devant du comptoir.
— Tu m’entends ? Tu le veux ou pas le livre ? Cent francs ! Je te le laisse à 100 francs !
Tétanisé, écartelé entre la joie solaire d’emporter avec lui ce livre et la rage de l’incompréhension du monsieur, il paye en tremblant. À chaque pièce qu’il pose devant lui, il se sent rougir un peu plus. Mais il prend son temps. Il veut que le compte soit parfait. Il a dit 100 francs. Faudrait pas qu’il en manque maintenant. Et s’il avait fait tomber une pièce sans s’en rendre compte ? Mais le compte y est et déjà le vendeur lui tend le livre. Il ne le ressent pas comme toutes ces fois où il venait lui rendre visite. Il ne le sent pas si lourd, pas si volumineux. Là, il lui paraît aussi anodin qu’un autre objet. Ni plus ni moins, aussi léger que de l’indifférence.
Il dit « au revoir » à l’homme et « merci ». Il sait qu’il faut rester poli mais il a envie de lui gueuler à la figure, tout en se préparant à courir, que c’est que des conneries ses histoires d’en baver, que lui il n’en bavera pas, qu’on souffre pas quand on aime ! Il ne le fait pas parce qu’il sait que son courage foutrait le camp dans le sens opposé de sa fuite. Et puis ça ne servirait à rien.