27 octobre 2013

Adiós Lou Reed


Som’times I feel so happy
Som’times I feel so sad
Som’times I feel so happy
But mostly you just make me mad
Linger on your pale blue eyes


En espagnol, palmar ne semble exister dans sa forme verbale qu’en argot pour dire « casser sa pipe ». Si Lou Reed a fréquenté autant de chemins bizarres que le laissent penser ses textes, 71 ans est un âge très respectable pour passer l’arme à gauche.

Poète trash, rock’n’roll, pas franchement sociable : vous connaissez le topo. L’ancien chanteur, guitariste et auteur du Velvet Underground nous laisse quelques indiscutables chefs-d’œuvre qui, pour beaucoup, n’ont rien perdu de cet éclat malsain, cette élégance fétide, ce parfum de malaise. Il y en a un peu pour tous les goûts dans cet œuvre. J’ai un faible pour l’histoire totalement tordue du gars qui se débrouille pour se faire expédier par la poste dans un carton à sa copine qui vit loin de chez lui et qui meurt quand la copine de celle-ci ouvre le paquet avec un couteau (A Gift), et pour tout un tas de grands classiques ; la liste est trop longue pour attaquer ici l’inventaire.

Il incarnait une certaine idée d’un New York crade et romantique, des expériences pas recommandables, d’un rock’n’roll choquant, érudit et élégant. François Bruschet m’en voudrait de ne pas citer Walk on the Wild Side. Ainsi soit-il ! So long Lou…

Candy came from out on the Island
In the back room she was everybody’s darling
But she never lost her head
Even when she was giving head
She says, “Hey, babe
Take a walk on the wild side”


21 octobre 2013

Une photo de passe (!)



Combien de jours, de semaines sans une photo de passe ?

Oui, une passe, souvenez-vous : un gugusse habillé de doré qui fait passer un toro avec un morceau de tissu… Vous voyez le concept ? Pendant que certains d’entre nous promènent leur afición dans des rues, sur des étals de boucheries et, bientôt, sur une chaîne de réfrigération chez Charal, je me suis dit que, ce soir, au cul du scanner, ça ferait peut-être plaisir à quelques lecteurs précieux de voir une photo de passe — un torero, un toro, du sable et quelques mètres carrés d’étoffe. Bien sûr, ce n’est pas Javier Conde en festival ; le dérapage reste sous contrôle. Il s’agit du grand Fernando Robleño, aka. ‘Fernandazo Robleñazo el torerazo’ avec un mauvais toro d’Escolar Gil, cette année, à Céret.

Ce n’est pas grand-chose : un cadrage basique, une media, avec la queue qui s’enroule autour du torero, l’anus bien visible (oui, c’est important) et la belle richesse de gris qu’offre le F100 combiné à la TriX. J’ai hésité à l’obscurcir davantage, pour donner du mystère ou je ne sais quoi, mais, finalement, je la trouve pas mal comme ça. Et puis juillet, Céret, Robleño…

Campos y Ruedos à la page


Après que Marc Suckermachin nous a purement et simplement pulvérisé notre groupe Facebouque, Campos y Ruedos possède désormais sa page sur le réseau social : www.facebook.com/camposyruedos.

Bientôt, lorsque j’aurai compris comment ça fonctionne, c’est-à-dire pas forcément très vite, les posts du blog de Campos y Ruedos devraient s’afficher directement sur la page. 

Ça et d’autres surprises à venir…

La vérité est aussi dans la rue


Massamagrell, 2013. Toros en la calle. Ici aussi la grandeur de la Fiesta, pour ceux qui, gratuitement, par pure afición, « s’y mettent devant ». Spectaculaire et, heureusement, sans conséquences.

La vidéo est d’Andrés Verdeguer Taléns.

20 octobre 2013

Bous al carrer en Massamagrell, 2013


Concours photo


Le Domaine des Romarins, à Domazan, nous annonce qu’il organise son concours photo annuel.

Vous pouvez vous procurer le règlement en contactant Francis Fabre à l’adresse suivante : domromarin@aol.com.

La photographie qui illustre ce post n’a presque rien à voir avec le sujet ; il s’agit d’un hastag (« #fotosincensura ») d’Antonio Liébana, que l’on imagine… photographe.


Petit Nuage


Petit Nuage : voilà qui ferait un joli nom d’indien dans Yakari, la BD gentille de notre enfance. Je n’ai pas tardé à préférer les indiens méchants de la série Mac Coy, dont l’ami Lagorce vient de me parler d’ailleurs. Mac Coy : une série qui fleurait bon les westerns de Peckinpah, les traversées du Río Grande, les poursuites dans les déserts et les canyons, les quêtes et les contrebandes improbables. Avec vingt ans de patine là-dessus et autant d’années de poussière, j’y vois du Maqroll el Gaviero, le personnage d’Álvaro Mutis — cela fait longtemps que je n’ai plus lu Mutis non plus, et il est probable que je tire des parallèles un peu biscornus. 

Je voulais vous lâcher le nom de Mutis depuis sa mort récente (22 septembre 2013), voilà une bonne chose de faite. L’intégrale des tribulations de Maqroll m’attend toujours dans la bibliothèque ; et, quand je la regarde, je crains d’y trouver la folie et le courage de quitter trop de choses, ou plus sûrement la déprime du perpétuel retour aux affaires financières. Je m’égare un peu, mais à peine… Mutis le Colombien a passé une grande partie de sa vie au Mexique, et c’est bien d’un Mexicain dont je tiens à vous parler. 

Nous avions un peu perdu sa trace depuis son alternative arlésienne et quelques courses où il avait paru très puesto. Croisé au hasard de quelques corridas ces dernières années, il ne m’avait pas plu du tout, mais Joselito Adame a remis de l’ordre dans ses critères et son toreo, en juin dernier, à Madrid. 
Il y a deux semaines, pour la course du samedi automnal à Madrid, il affrontait les Lisardo du Puerto de San Lorenzo (plus deux Aldeanueva de La Ventana del Puerto), pour un genre de finale entre trois toreros encore jeunes, pas encore éclos au succès et ayant gagné l’intérêt du coso madrilène au printemps. Juan del Álamo, blessé, n’était pas de la fête. 

À voir Joselito Adame se jouer la peau, les ballerines et tout le reste, il semblait qu’en ce monde injuste Madrid restait une bonne piste pour qui veut se frayer un chemin vers les sommets. « Péguer » une porta gaiola à des toros qui ont la réputation de commencer à passer la tête à la sortie du toril comme on ose un orteil au printemps à la piscine était un signe encourageant. Le reste fut à l’avenant : décidé à faire passer tant que cela ne casserait pas, le petit Adame témoigna, par son engagement, qu’à la différence de son toro pas clair il savait parfaitement ce qu’il faisait sur la plage de Las Ventas ce soir-là. Chargeant la suerte, croisé, « aguantant » jusqu’à une fracture du péroné après une cogida consécutive à une erreur de placement, il donna une série et tua dignement avec une jambe en vrac. On ne le revit plus. 

Peut-être commotionnée par le Cid de la veille, Las Ventas ronronna d’ennui durant le reste de la course, dédaignant les trois toros d’Aguilar (pas si mal à son premier) et méprisant à juste titre Jiménez Fortes. Joséphine adore sa démarche (je parle bien de sa façon de marcher) ; son temple, objectivement, est très enviable, mais le garçon n’a pas le moindre critère ni le commencement d’une idée sur les manières pour plaire dans le coin : jambe contraire systématiquement en retrait quand le toro commençait à s’y mettre, tentative de l’infâme « passe du rétroviseur » (© Jean Le Gall) et tendance à s’éterniser en piste pour ne rien dire. Il est probable qu’il se sentit incompris. 

Dans l’ennui ambiant, quand les arènes sont calmes et qu’invité par mon hôtesse du week-end je paressais en delantera de grada du soleil, je vis passer ce petit nuage. Rien d’exceptionnel : un surnom facile pour un petit indien héroïque et une photo mignonne.

19 octobre 2013

Los niños de fuego


#fotosincensura


Ça va bien au-delà des toros ; et,  trop absorbés par leur haine de l’Espagne, ils ne s’en sont sans doute même pas rendu compte lorsqu’ils ont décidé d’interdire.

La censure de la mairie de Barcelone a logiquement ému les confrères espagnols de Daniel Ochoa de Olza qui, si j’ai tout bien suivi — je ne suis vraiment pas doué avec Twitter —, ont créé le hastag « #fotosincensura » illustré par le montage ci-contre — joli clin d’œil, si j’ose dire.




À lire également le toujours excellent papier de grosse humeur de Vincent Pousson : « Barcelone : quand la fille de joie devient triste ».

18 octobre 2013

16 octobre 2013

Ce sont vraiment des ânes


Barcelone doit accueillir une exposition de photographies présentant les divers photographes primés dans le cadre du prestigieux World Press Photo.

Pour promouvoir la manifestation dans la ville, l’association organisatrice avait prévu de faire figurer une photographie de Juan José Padilla sur des bannières. Il s’agit d’un cliché du photographe Daniel Ochoa de Olza primé par l’organisation.

Fureur de la mairie, qui censure sans appel et demande à ce que la photographie du torero ne soit pas affichée sur les avenues de la capitale catalane.

El País précise que c’est un certain Marc Puig (CiU), directeur de la Communication du gouvernement municipal — le gouvernement municipal (sic) —, qui a demandé aux organisateurs de ne pas choisir cette photographie.


Monsieur Puig ne veut pas d’une photo de torero dans sa ville catalane. Monsieur Puig censure sans que cela ne lui pose à l’évidence le moindre problème, la liberté d’expression ne faisant pas partie de ses préoccupations.


Ceci me rappelle, toutes proportions gardées évidemment, l’obscurantisme des talibans qui dynamitèrent les monumentales statues de bouddhas en Afghanistan. Je reconnais que le parallèle est osé et, même, excessif. Monsieur Puig n’est pas un taliban, mais ce sont vraiment des ânes.

15 octobre 2013

Falta de trapío


Après les Cebada Gago de Pampelune refusés pour « manque de poids » (?) en juillet, ce sont les toros d’Ana Romero qui ont subi l’ire des vétérinaires de la plaza de toros de Saragosse. Nous n’avons pas vu les toros, ni au campo ni dans les corrals de la Calle Pignatelli ; il nous est donc impossible de donner un avis sur la question — avis dont on se moque d’ailleurs. 

De ce fait nous vous conseillons de vous rendre sur le blog El Secreto de la bravura pour découvrir, au campo et dans les corrals, les photographies de ce lot d’Ana Romero — ce ne sont certes que des photographies, et l’on peut souvent faire dire tout et son contraire à une photographie —, officiellement écarté du ruedo aragonais pour « falta de trapío »… Un seul toro a été accepté ; il pesait 629 kg !

14 octobre 2013

13 octobre 2013

Le mode de vie de l’escargot


À la question que personne ne se posait sur le fait que Campos y Ruedos ne décernait jamais son palmarès annuel (ni prix ni autre chose), il nous a semblé nécessaire d’apporter ce semblant de réponse.


Une année, nous avions pensé remettre les prix de fin de saison avec douze mois d’avance. On s’était lancé l’idée au téléphone ; de mon côté, je devais fumer une Marlboro light et boire un café en observant les feuilles roussies de mon chêne prendre leur temps pour vivre l’immanquable voyage final qui attend chaque feuille de chêne en ce bas monde — quoique tout dépende de la hauteur du chêne. L’automne était donc là, comme aujourd’hui, et avec lui tombaient, bien plus rapidement que les feuilles de mon chêne, les prix de fin de saison. « Connerie ! », s’était-on dit en pouffant de rire à la lecture de ces palmarès qui annonçaient, dans le pire des cas, des soirées costumées au cours desquelles il serait question de discours roudoudous et de remises d’objets confectionnés avec le bon goût d’un pied bot arthritique par un sculpteur admiré au seul bar du village pour sa capacité à ne rien foutre de ses journées. 

On s’était dit : « Tiens, nous, on ne connaît pas de sculpteur avec un pied bot, mais on pourrait décerner des prix pour l’an prochain… avant que les courses n’aient lieu ! » Putain, l’idée était géniale et, de toute façon, on avait prévu de ne remettre de prix qu’à la seule arène de Nîmes, pour soutenir sa non-présence — courageuse ! — à l’UVTF depuis quelques années ; UVTF au sujet de laquelle nous ne pensions plus rien — si tant est que nous ayons un jour émis un semblant de réflexion à son sujet. Bref, Nîmes, un doigt c’est tout !

On avait même réfléchi au nom de nos récompenses : les Cyr’ose (trop Hot d’or) ; les Cyr’concis (trop marqué dans un état laïc) ; les Cyr’taki (trop crise)…
[Cette année, on s’est juste dit que le seul prix à remettre devrait revenir au phare de Vieux-Boucau, car il le mérite : non content d’avoir changé radicalement son fusil d’épaule en ce qui concerne les toros, il continue nonobstant d’étaler sur son média les plus viles manières. À l’heure où Toros annonce sa mort (un millier d’abonnés à récupérer), il nous sert la complainte du danger « anti », qui ferait pression auprès des libraires pour interdire la vente de ses opus et en profite pour nous expliquer que s’abonner à son machin en couleur et en mosaïque serait donc un acte aficionado. Prix de la récup’ : le phare de Vieux-Boucau !]

Après dix bonnes minutes à observer un escargot traverser l’angle de ma terrasse, j’en arrivai à la conclusion que pouvoir trimballer sa bicoque à l’envi devait parfois donner des ailes pour foutre le camp, pour un oui, pour un non, ou tout simplement parce que le chien du voisin commençait à nous les briser menu en déféquant quotidiennement dans ce jardin qui se colorait depuis quelques jours des feuilles roussies de mon chêne. Mais j’étais là, sur ma terrasse, et je fumais des Marlboro light au-dessus d’un escargot que je jalousais.

La temporada était achevée et, dans son agonie, elle emportait cette furie d’informations toutes plus inutiles les unes que les autres que délivrent les médias taurins d’avril à septembre. Après, ils font les comptes et tous remettent des prix, des récompenses, des accessits : les sites, les blogs, les forums, les peñas, les clubs taurins, les commissions taurines, tous. J’ai pensé que c’était un moyen pour eux de se donner des repères, de figer le temps en quelque sorte, de tirer un petit trait sur une ligne sans fin et de dire : « C’était là, on y était, on a vu… Quand on sera mort, il restera ce trait sur une ligne qui ne s’arrête pas. » Dérisoire et pathétique.

Ces prix, ces discours roudoudous, ces costumes trois pièces, ces bilans de fin d’année et ces listes noires de ganaderías, que reprennent certains blogs de la manière la plus béate et stupide qu’il soit, devraient être imprimés en fin de saison sur des rouleaux de papier rose qui manquent cruellement dans les chiottes publiques pendant les férias. L’évolution de la corrida inquiète et, logiquement, l’évolution de ceux qui en parlent, de ceux qui écrivent à son sujet, de ceux qui voudraient « débattre » (oh, le grand mot !) suit le même cours fangeux. Les blogs se multiplient, plus mauvais les uns que les autres, défendant pour certains la vertu souillée (soi-disant) de purs aficionados plus cons que les verrues sur leurs pieds : « Je paye, moi, Môssieur » qu’ils avancent sans cesse et comme unique argument. Les sites naissent et beaucoup meurent — et c’est tant mieux —, même si les pires subsistent trop longtemps sans rien écrire vraiment, tristes copistes, enfants Wikipédia(trie).

Et tous ces gens remettent des prix, décernent, classent, hiérarchisent, ordonnent le vide. Certains font même des œuvres caritatives pour des enfants, d’autres pour des vieux ; vas-y que je socialise mon chou avec la cape de Manzanita ou la coleta de Ponce un jour où il avait beaucoup transpiré.

Ici, bêtes et méchants, pas de prix, pas de bilan, pas de social. Les toros meurent, mal souvent, et la caravane passe.

L’escargot est arrivé. J’ai fini mon café. Il a pris son temps — c’est un escargot. Il ne regarde jamais derrière lui, l’escargot ; il trimballe sa cahute sur son dos baveux et il avance. Il trace sa route. Il goûte le temps. J’aime bien les escargots.

El ángel de la guarda


Dans les années quatre-vingt-dix, il y avait un matador, Ángel de la Rosa, élégant, plutôt fin. Dans ses bons jours, Ángel de la Rosa toréait plutôt pas mal de la main gauche, et Joaquín Vidal l’avait noté un jour de mars, sans doute à Valence : « Una faena con la mano izquierda enterita hubo, instrumentada con la izquierda de principio a fin por Ángel de la Rosa para la insistente ejecución del pase natural, que es suerte básica del toreo… […] Fue una faena que deberá figurar en los anales de la tauromaquia, porque los toreros de la época torean todos con la mano derecha, y si por una de aquellas casualidades de la vida al toro le repugna tomar los derechazos, esos toreros derechacistas ya no saben qué hacer y se quedan perplejos. »

C’était en 1994, un peu le coup d’un jour, car Ángel de la Rosa laissera le souvenir d’un torero élégant mais modeste qui, parfois, toréait de la main gauche, comme les anges, mais pas assez souvent pour s’envoler au firmament de la Fiesta. Cette année-là, on se souvenait aussi que soixante ans auparavant, en 1934, un toro en avait terminé avec la vie d’Ignacio Sánchez Mejías. « Eran las cinco de la tarde… » et aucun ange gardien n’avait rien pu faire pour sauver Sánchez Mejías de l’irrémédiable.

Dans les années quatre-vingt-dix, il y avait un autre Ángel, el ángel de la guarda, l’ange gardien. Lui ne s’appelait pas Ángel mais Joselito, comme le grand Joselito. Et le 29 septembre 1994, l’ange gardien a tiré sa révérence après mille sept paseíllos effectués dans les arènes de Madrid. Plus de mille… Ni Joselito, ni Belmonte, ni Guerrita, ni personne avant eux, et encore moins après.

L’ange gardien s’appelait Joselito Calderón, José Cabezas Porras pour l’état civil comme le rappela le lendemain Joaquín Vidal dans El País : « El ángel de la guarda saludó a la Afición y se fue. ¿Y ahora qué hacemos? Porque ir a los toros en Madrid sin que esté el ángel de la guarda, que para el mundo artístico tiene adoptado el nombre de Joselito Calderón — José Cabezas Porras en el Registro Civil —, va a suponer un vacío, una carga de añoranzas ; eso desde el tendido, mientras en el ruedo lo que se va a echar en falta es su benefactora intercesión. Mil paseíllos llevaba Calderón en Las Ventas, según sus propias cuentas, y quizá sean asimismo mil los quites que ha hecho a sus compañeros. Con los palitroques anduvo seguro tiempo atrás, no tanto últimamente, fino casi nunca, pero con el capote y al quite era el número uno, la eficacia personificada, la providencia vestida de grana y plata. Toreros se ha visto en Las Ventas a punto de ser entrampillados por el toro, cuando se les aparecía el ángel de la guarda, este Joselito Calderón tauromaturgo y torero, que se cruzaba raudo, deshacía el embroque echando el capotillo al hocico de la fiera y se la llevaba lejos embebida en sus vuelos. El último par de su vida lo consumó Joselito de sobaquillo y dejó prendidas en lo alto las dos banderillas, que algo es, en los tiempos que corren. Óscar Higares, en cuya cuadrilla militaba, le brindó el toro. Terminada la corrida, su hijo le desprendió la coleta. Todos los toreros le abrazaron en medio de la ovación cerrada del público puesto en pie, y Curro Romero hasta le dio un beso. »

Avec cette photographie prise lors de la dernière Féria d’automne, Juan Pelegrín a réveillé quelques souvenirs… ¡Gracias Manon!

12 octobre 2013

Coulisses


Cher Philippe, 

Il faut que tu m’aides ! Je viens de me fâcher avec Larousse et son petit frère Robert. Je sais que ça arrive souvent, et il n’y a que toi qui puisse nous réconcilier. 

Je t’explique. Je voulais parler des novilladas d’Algemesí et de ce qui se passe derrière le décor, dans l’arrière-cuisine, le backstage. Je sais que tu n’aimes pas trop les termes anglais, même si je trouve que ça claque « backstage », ça fait rock’n roll. Finalement, je m’étais décidé pour « coulisses ». C’est très bien « coulisses ». Ça rappelle le théâtre et ça correspond parfaitement à Algemesí et ses arènes tout de bois et de cordes, montées sur la place du village. Dans cet énorme décor, on y joue des pièces somptueuses de vie et de mort où les gens jouent leur propre rôle. Je t’accorde que ce n’est ni une perle linguistique ni la métaphore du siècle, mais j’allais parler des coulisses d’Algemesí en préambule de ma petite galerie de photographies. Et puis, y’a un truc qui est venu me chatouiller ; un doute s’est installé. Je suis allé chercher le dictionnaire, et j’y ai découvert ceci, qui fout en l’air toute mon invention.

Selon Le Petit Larousse 2003, et entre autres définitions : 
Coulisse (Surtout pl.) Partie d’un théâtre située de chaque côté et en arrière de la scène, derrière les décors et hors de la vue du public. (Au pl.) Fig. Côté secret d’un domaine, ou peu connu du grand public.

Et merde ! Ça ruine mon texte. Tu comprends, comment puis-je appeler coulisses un truc bourré de monde, coloré, vivant, euphorique, hallucinant, irréel, improbable et décalé. C’est censé être hors de la vue, ou peu connu du grand public, alors que c’est son domaine par excellence, sa fête, son territoire, son terrain de jeu et son délire. On y trouve de tout : des gosses hystériques entartant des toros morts ; des vieux en chaise roulante qu’on dépose et qu’on vient chercher après le spectacle ; des gitans torse nu qui regardent gratuitement la corrida au travers des planches ; des Noirs qui vendent des lunettes de soleil et des CD piratés ; des fillettes souriantes habillées en sévillane, ou des mères de famille en tailleur et talons aiguilles.

Avec tout ce monde, ce n’est pas correct d’appeler cela des coulisses. Alors, il faut que tu m’aides, Philippe. Il faut que tu lui trouves un titre à mon petit texte. Parce que là, Larousse et Robert, ils me narguent, et si ça continue, je vais cramer le premier et déchirer le second. Et ça, je crois que tu ne pourras pas le supporter. Aide-moi, Philippe, dis-moi comment je peux appeler tout ce chaos !

Pour te donner des idées, clique ici, et tu pourras découvrir une galerie de photos d’Algemesí.

Un abrazo fuerte,
Flo

Sin tiempo


Michael, c’est toujours un immense plaisir que de le croiser à nouveau…

11 octobre 2013

The Volvo Toro Experience


C’est de la pub, mais c’est bien plus que de la pub… C’est un délire, c’est du plaisir, du soleil et de l’Espagne.

Ça vous donnerait presque envie d’acheter un camion — non mais, vraiment !… Bon, un camion peut-être pas, mais de retourner à Ciudad Rodrigo, ça oui !

Ça donne clairement envie d’Espagne, de soleil, de chaleur, de Campo Charro et de toros. Alors, merci Volvo !

De la pub qui ferait aimer la pub… On connaissait The Jimmy Hendrix Experience, il y a maintenant The Volvo Toro Experience. OK, j’exagère, mais quand même…

Bravo ! Et remettez-nous ça ! Ah, le lien, c’est par là.

10 octobre 2013

Dessin sans paroles (IV)


Le paseo de Zanzi


Zanzi aime les toros. Zanzi aime vraiment beaucoup les toros. Elle les aime tellement qu’elle en parle fort bien. Elle les aime tellement qu’elle vient d’ouvrir son petit coin de Web, que nous suivrons évidemment avec le plus grand intérêt. 
Sur la photo, il n’y pas encore grand monde dans les gradins, mais je suis certain qu’ils vont se remplir très vite.


La pendaison de crémaillère c’est pour maintenant ; voici le chouette faire-part reçu ce jour : « La maison est petite et pas encore bien solide.
 Les murs et le toit vont être longs à monter, mais il y aura plein de fenêtres et le terrain de jeu sera vaste. J’ai donné la clef des lieux à quelques amis, que vous reconnaîtrez au fur et à mesure de l’avancement du chantier. N’hésitez pas à entrer sans frapper : Algo de memoriaBien habillés ou avec des souliers tout crottés, vous êtes les bienvenus ! »

07 octobre 2013

Madrid élit Miss Camping


Deux jours après avoir écrit que le public de Madrid tenait la barre du haut de son Everest au firmament des cieux Hosanna ou autre poussée d’enthousiasme, me voici à lui mettre un puyazo monstrueux et trasero, pompé, « carioqué » et sur le côté, bien entendu, par le biais d’un titre racoleur et injuste. Qu’il en soit ainsi… J’ai promis !

La Féria d’automne s’est achevée hier sur la course la plus attendue du week-end : la confrontation de Fandiño aux Adolfo, dont nous avions été privés en mai dernier à la suite de la blessure du torero d’Orduña. À l’image de la corrida de vendredi, Fandiño s’est fait voler la vedette par son compagnon de cartel, Antonio Ferrera. L’encierro d’Adolfo Martín, desigual de poids et d’âge, était d’un trapío respectable ; plutôt manso à divers degrés, juste de forces parfois, il manqua souvent de fixité et de mobilité au troisième tiers. Douze puyazos réglementaires sans terriblement s’employer sous le fer : premier tiers tristement banal. 

La course avait mal commencé par un salut à l’issue du paseíllo : stupide habitude qui vous ruine à coup sûr les deux grosses heures qui suivent — c’est presque un axiome. Qui donc était invité à saluer ? Ferrera pour sa prestation de mai dernier face aux Adolfo ? La cuadrilla hype de Castaño ? Le doublé volontaire de Fandiño ? Je ne suis toujours pas sûr. 

Le public, dans sa diversité, semble aimer Ferrera pour son repentir (il ne lève plus, à Madrid, les fesses lors de la pose de banderilles), son assagissement, ses scories et ses éclairs, ses cannes de trois-quart aile, son inlassable envie de triompher coûte que coûte et vaille que vaille… Mon a priori à son égard s’avère légèrement éloigné de ces quelques traits, mais venons-en à la course. Le premier m’a semblé être le toro de plus de trapío de la tarde ; ne laissant guère au matador le temps de le citer du centre aux banderilles, il partit deux fois de suite des tablas comme une fusée malgré la surveillance du peón affecté à la garde du burladero. Ferrera ne s’en sortit que grâce à ses qualités athlétiques hors du commun : deux paires à cornes passées. Un sesgo por dentro serré clôtura ce tiers ordinaire survendu. L’Extremeño d’Ibiza prit, dès le début de la faena, grand soin de réduire la distance et d’étouffer le toro, rendu immobile par l’écœurement. Salut.

La grande affaire débuta avec le cinqueño ‘Madroñito’, le plus lourd et grand de l’envoi. Sans fixité et querencioso, il se vit administrer une lidia omniprésente de la part d’un Ferrera tourbillonnant en chicuelinas de recours, l’une légitime sur un quite au sortir du cheval, les autres torchonnées sur le passage. Sortira du lot un quite par trois véroniques profondes et toreras, quoiqu’un peu affectées, noyées dans le nombre. ‘Madroñito’ n’eut jamais le choix et se trouva contrarié dans sa distraction par un harcèlement constant, débuté tambour battant au centre de la piste. Le deuxième tiers débuta par cette mauvaise idée, hélas récurrente chez Ferrera, de prendre le capote avec les banderilles pour administrer une pseudo-brega inopérante et laisser la cape, incongru et inutile accessoire, au centre de la piste. Ce tiers de banderilles, approximatif, brouillon, mais surtout vulgaire et racoleur, sembla durer des plombes, parachevé par une paire débutée cul au toro, involontairement posée en deux temps (une banderille lui restant en main se retrouva plantée sur le retour du toro). Une synthèse ! Le « 7 » commença à houspiller ; la faena se fit à l’opposé.

Une fois le toro rendu, Ferrera s’appliqua à toréer avec un temple assez sensationnel des deux mains, mais pa’ fuera usant du pico. Le sommet du mauvais goût consista à donner des naturelles des deux mains à un toro moribond, en tenant systématiquement la muleta en bout de palo, « rématant » par le haut et passant lui-même lorsque l’Albaserrada ne consentait plus à prendre la muleta présentée à hauteur de hanche. Ce travestissement ventajista d’un moment vendu comme un summum d’engagement et de pureté m’a paru parfaitement obscène. Le temple et le relâchement ne sont pas les seuls points cardinaux du toreo, et la sincérité de la chose se révéla douteuse (à moins que ce ne soit une question de critères). Pinchazo et estocade, quelques passes données à nouveau à un toro quasi mort, mise en scène sobre et de bon goût comme peut l’être un rejoneador sous cocaïne, et l’arène fut alors une grande division. L’oreille tomba. L’appendice fut très protesté par une partie du public, mais nullement refusé par le torero. La vuelta refléta la complexe géopolitique des tendidos de Las Ventas. Le toro reçut l’ovation récompensant sa coopération à l’œuvre controversée, et tout le monde sembla se rasseoir un peu fâché. 

Si Antonio Ferrera prend souvent des allures de personnage de la commedia dell’arte (Brighella) pour son aspect bouffon et astucieux, Javier Castaño, lui, donne l’impression de s’enfoncer dans un rôle de clown triste filmé seul et abandonné devant son miroir par un néoréaliste italien aux ambitions lacrymales. Est-ce là le syndrome de tant de toreros brûlés par quelques saisons au contact des corridas « dures » ? Le public madrilène n’attend plus de lui que sa cuadrilla : Tito Sandoval, qui piqua au milieu du dos et sans se croiser une fois (rajoutez à cela que les chevaux de Las Ventas sont de braves carnes), ne reçut les applaudissements que de quelques gogos. Quant à la cuadrilla à pied, elle salua de façon inexplicable au second toro, avant de se rattraper face au cinquième. Jarocho, sobre au troisième, bandérilla valeureusement dans l’indifférence générale. Le public, visiblement navré par les carences de Castaño, se trouva très peu démonstratif et bruyant dans sa désapprobation du naufrage enduré par le matador au cinquième toro. 

Lorsque Fandiño tenta de tirer les muletazos et d’allonger la charge de son premier adversaire, je me surpris à penser que, à presque mi-course, c’était la première fois que nous assistions à pareille tentative. Le toro, réservé, n’humiliant pas, ne permit au matador que d’apprécier le silence de Las Ventas. Le sixième, bronco au troisième tiers, fut sommé de s’en tenir à prendre les passes une à une dans l’attente de la découverte du sitio et du rythme adéquat. La tentative à droite, peu convaincante, fut suivie d’un rapide passage à gauche démontrant un parfait manque d’idée à propos de la question du moment. C’est à peu près là que s’en tint le torero de Biscaye, plus tout à fait frais en cette fin de grosse saison. 

Le patio d’arrastre résonne encore des querelles au sujet de la prestation de Ferrera. Vous n’aurez pas à aller bien loin pour lire (souvent) à peu près le contraire de ce que j’ai écrit à son propos. Les élections de Miss Camping constituent des sujets inépuisables, celles-ci font parfois preuve de douceurs inattendues.

05 octobre 2013

El Cid et le toreo ressuscités


« Que você é diferente de essa gente que finge querer*» — João Gilberto, Curare.


La résurrection du Cid, hier, à Madrid, consista en une démonstration éclatante que la grandeur de la tauromachie s’affranchit des effets et de l’affectation, et que nul n’est besoin de cinquante passes pour amener Madrid à se fendre en deux et à se livrer tout entière à la célébration du toreo éternel.

La chose (la fête ?!) prit son envol lors de la rare competencia de quites à laquelle se livrèrent Manuel Jesús ‘El Cid’ et Iván Fandiño à ce quatrième toro. 

Parones de Salteras, gaoneras cintrées façon haute couture du côté d’Orduña, amples véroniques et demie de cartel andalouses sous la clameur. 

La faena chavira les tendidos en seules quatre séries à gauche. Le corps à l’abandon le plus total, la distance donnée au toro, le Cid citant de face, la main gauche offrant l’étoffe avec une quiétude et un naturel inédits, donnait l’impression de poser pour une gravure du siècle dix-neuf.

Son toreo al natural, plus vertical qu’à sa grande époque victorine, et ses remates par le bas ou de poitrine constituèrent un sommet de goût, d’élégante simplicité, d’intelligence et de plaisir retrouvé. 

La grande porte n’était plus que petit bois et poussière. Toréer ces quatre séries avec l’épée de mort, monter l’acier et trucider la bête auraient à coup sûr rendu vaine la nécessité de retourner voir toréer pendant quelques siècles. 

La droite était dispensable ; une seule série suffit à le prouver avant d’aller chercher l’épée sous les acclamations et, déjà, quelques galurins finissant leur vol sur la piste. 

Retour au ciel de gauche sur une série. Pinchazo, pinchazo, bajonazo. Madrid ne sortit pas le moindre mouchoir, mais, d’une clameur unanime et superlative, ordonna une vuelta pour témoigner sa gratitude à cet immense torero. 

La plaza, magnifique de bonheur et de dignité, tenait ferme son rang à l’Everest du monde taurin. La soirée ne fut que joie. Nous y reviendrons.

Frédéric Bartholin


* Car tu es différente de ces gens qui font semblant de toréer.

Photographie Rabia. El Cid y la espada. — Juan Pelegrín

Sobresaliente



Son nom ne figure pas sur le cartel suspendu au-dessus de la grande porte des arènes d’Algemesí. On ne lit que la mention « sobresaliente » à côté des toros de Fuente Ymbro et des deux novilleros chargés de les mettre à mort : Román, le grand espoir de l’afición valencienne et Jorge Exposito, le novillero local adulé par toutes les peñas. Sur le cartel d’Algemesí, tout le monde figure en toute lettre et en majuscule, sauf lui, pour qui l’on a choisi l’anonymat du mot « sobresaliente ».

La commission taurine d’Algemesí offre un novillo à ce « remplaçant » de toute la semaine taurine. Un beau geste pour celui qui, durant cinq après-midi, s’est habillé de lumière, a enduré l’attente du paseíllo et affronté la peur. Pour rien.

Quand le cinquième novillo de Yolanda Martín est entré en piste, je me suis demandé si le cadeau n’était pas empoisonné. Le novillo, laid, mal foutu et avec les cornes épointées, avait dû s’échapper d’un lot prévu pour le rejoneo. À partir du moment où notre sobresaliente sortit du burladero, tout ne fut que toreo. Fernando Beltrán sortit de l’anonymat pour y enfoncer les novilleros du cartel de cette semaine taurine. Il fallut attendre l’ultime instant d’un cycle de novilladas pour enfin voir toréer. Les arènes d’Algemesi, où règne une Afición jeune trop souvent avide de largas cambiadas, d’horribles saltos de la rana ou de vulgaires manoletinas, venaient de rendre l’âme face à la torería, l’engagement et la vérité de Fernando Beltrán. 

Clin d’œil du cartel, sobresaliente, dans la langue castillane, peut également se traduire par extraordinaire. 

03 octobre 2013

Le jour est rouge


Le jour est rouge. Il lutte pour venir à lui-même. À gauche. À droite, à l’ouest, les nuages indécis, violacés tâtonnent dans l’affleurement pervers de collines que je pourrais décrire les yeux fermés. Le vent du sud en fera son affaire. Venise. 

Tiens, ça me vient à l’esprit, Venise, entre ma gauche rouge et ma droite indécise, sur le fil d’un asphalte qui n’a rien d’une errance pour moi. J’imagine que d’autres pourraient y trouver leur compte ; il n’y aurait rien de surprenant à cela. 

Venise reste. Elle se pose là, sur l’asphalte répétitif de ce trajet quotidien. Ce jour rouge d’octobre, ça sera Venise. 

Demain ? Venise, maintenant. 

Campo Santo Stefano. Je me dis que Venise est une destination idéale pour les amoureux de campo. J’en suis. Venise grouille de campos ; ils remontent comme des bulles. C’est un peu d’air. Des bulles d’air pour que respire l’eau. Certains disent que ça pue, l’été, Venise. Bulles de gaz ? Je n’y crois pas. Le campo c’est l’air, c’est la vie. 

Campo Santo Stefano. On y a tué des taureaux jusqu’en 1802. Après, on s’y est juste baladé, et on a oublié les taureaux et l’estrade, qui s’était lâchement cassée la gueule la dernière fois. J’ai pris une photo du Campo Santo Stefano, mais c’est difficile à photographier un campo de Venise. On y met tout ou l’on n’y met rien, dans le cadre. La photographie n’est qu’un choix. J’ai du mal à faire des choix le nez dans le cul des mouettes comme un marcheur sur l’eau. 

Il n’y a plus de taureaux à Venise. Depuis 1802. On ne soupire plus sur le pont non plus. Depuis quand ? J’en sais rien. On visite les prisons, on s’appuie sur un lion, on regarde ce couple de Japonais immortaliser leur incertaine union au centre même de la place Saint-Marc, que seuls les matins à peine éclos savent rendre aux songes les plus beaux. 

Le jour est jaune. Le vent du sud n’a pas trahi mes prévisions. Au loin de la ligne pointillée, je quitte Venise. Je l’oublie là, sous le crachin, au ras de l’eau, pas vraiment droite, un peu taurine, et belle et belle.

02 octobre 2013

Monsieur Henri Emmanuelli


L’écueil qui guette toute personne rendant public son opinion sur un sujet précis et récurrent comme peuvent l’être les toros est cet « aquoibonisme » à fort pouvoir absorbant où s’enlisent les coups de gueule qui semblent répétitifs à la longue, les convictions maintes fois assénées et les sujets trop ressassés… Sans parler de ce snobisme pointilleux interdisant tout enthousiasme spontané. Bref, quand on écrit sur un blog en ayant le souci du lecteur, vient le temps où surgit l’inquiétude de lasser, de décevoir ou de manquer de recul. Ceci étant dit, il serait infiniment dommage de passer à côté des gestes (rares) de courage méritant un coup de chapeau, à cause de ces mauvaises raisons…

Je suis Lyonnais, et donc je me contre-tamponne le coquillart du paysage politique du Sud-Ouest, des intrigues de sous-préfectures, des intérêts de chacun et de la vie publique en général ; je suis un mauvais citoyen, mais un grand amateur de couilles, de burnes, de valseuses ou de roupettes. Celles de monsieur Henri Emmanuelli, que l’on imagine volontiers velues et impressionnantes, à l’image de son légendaire monosourcil, m’ont véritablement enchanté ce matin, lorsque, en lisant sa lettre ouverte au Crac, il m’a semblé les voir affichées, robustes et fières, au beau milieu des chiffres et graphiques financiers que Bloomberg n’a pas la pudeur de croire parfois lassants.

Le courage n’a de sens qu’à la lumière de l’intelligence. C’est une conclusion que l’on devrait pouvoir tirer en sortant des arènes. En voici une autre illustration.

Merci et bravo, monsieur. Nous sommes nombreux qui aurions voulu signer ce texte.


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Monsieur le délégué, 

J’ai pris connaissance de votre courrier en date du 12 septembre dernier, dans lequel vous exprimez le souhait de connaître ma position sur l’abolition de la corrida dont vous avez fait votre cheval de bataille. Je vous remercie au passage de solliciter, pour la première fois, le député des Landes mais aussi le président d’un des départements les plus taurins de France.

Vous n’êtes pas sans savoir qu’au plan juridique la question de l’abolition de la corrida a été tranchée par une décision du Conseil constitutionnel en date du 21 septembre 2012. Rejetant un recours que vous aviez intenté avec d’autres associations, la haute juridiction a notamment considéré que le critère de « tradition locale ininterrompue » inscrit dans le code pénal est « précis, objectif et rationnel ». Organiser des corridas dans certaines régions françaises, dont la nôtre, est donc parfaitement conforme à la constitution. Que vous regrettiez cette décision est une chose, mais, comme vous l’écrivez dans votre lettre, la règle de droit doit s’appliquer à tous et de la même manière. Dans ces conditions, je trouve pour le moins désolant, et même inquiétant d’un point de vue démocratique, que vous affirmiez sans vergogne : « Désormais, la corrida est génératrice de troubles à l’ordre public. » Ce qui est générateur de troubles à l’ordre public du point de vue du droit, c’est bien que votre association organise des manifestations sans déclaration et donc sans autorisation préalable de la ville où elles se déroulent et de la préfecture dont elles dépendent. Plus grave encore, c’est que vous ne teniez aucun compte d’un arrêté municipal réglementant une manifestation à Dax ; bref, que vous ignoriez l’état de droit et les principes républicains, dont vous vous réclamez par ailleurs dans votre courrier. Ce point est d’autant plus sensible que votre mouvement a reçu, dans un passé récent, le soutien de personnalités pour le moins contestables. Je pense précisément à Laurent Louis, ce député belge ouvertement xénophobe, ou bien encore à cette militante animaliste qui assistait à votre dernière assemblée générale et qui, il n’y a pas si longtemps, à Paris, s’affichait aux côtés de groupuscules extrémistes ayant tristement défrayé la chronique des faits divers.

Pour justifier votre « combat », vous faites référence à « une montée en puissance du nombre de personnes hostiles à la corrida », aux « nombreux électeurs préoccupés par le sort des animaux », à « la volonté populaire ». Je reconnais que, en matière de lobbying et d’actions sur le terrain, votre association fait preuve d’une organisation quasi-militaire et que vos manifestations sont très méthodiques, jusque dans le contournement de la loi ; mais on ne peut se prévaloir de quelques milliers de supporteurs sur les réseaux sociaux et d’une poignée de militants actifs sur le terrain pour conclure à la désapprobation d’une majorité de Français. S’agissant des électeurs, je puis vous assurer, pour les fréquenter tous les jours, qu’ils sont avant tout préoccupés par leur situation en temps de crise économique et sociale.

Cela dit, je n’éluderai pas les questions éthiques, et même, j’ose le mot, de morale, liées au spectacle taurin.

Je comprends la sensibilité des personnes qui ne veulent pas imaginer, et encore moins voir, un animal blessé et mourant dans une arène, mais, en retour, acceptez la sensibilité d’aficionados, qui ne voient pas la même chose qu’eux.

Aucun aficionado que je connais ne va aux arènes pour voir souffrir un animal. Il va aux arènes pour admirer. Admirer un taureau qui combat, admirer un homme qui a le courage d’affronter cet animal jusqu’à risquer sa vie.

ll y a toujours plusieurs façons de voir un spectacle.

Je pourrais vous raconter le spectacle de ces grands-pères qui, le dimanche dans mon canton de Chalosse, s’adonnent paisiblement au plaisir de la pêche à la ligne, sous le regard admiratif de leurs petits-enfants. Je pourrais aussi vous raconter quelque chose d’abominable : l’hameçon qui meurtrit la bouche du poisson et l’animal qui achève sa lente agonie en se débattant dans un seau jusqu’à l’asphyxie.

J’ai déjà eu l’occasion de le dire publiquement : je suis frappé de la montée en puissance d’une nouvelle forme d’ordre moral, qui consiste justement à vouloir imposer son point de vue et sa sensibilité à autrui par tous les moyens, y compris la violence comme à Rion-des-Landes.

Sans compter, puisque nous parlons d’éthique, que les mots ont un sens et une histoire parfois douloureuse. À parler de « torture », de « barbarie », ou bien encore de « sévices » à propos de la tauromachie, à mettre sur le même plan la mort d’un animal et la mort d’un être humain, on en vient facilement à trouver aussi naturel de tuer un homme qu’un animal. Cette négation du propre de l’homme et du processus d’hominisation nous ramènent aux pires tragédies de notre histoire.

Au final, je ne suis pas sûr que la cause animale ait beaucoup à y gagner, mais je suis certain que l’humanisme a beaucoup à y perdre.

Je vous prie de croire, monsieur le délégué, à l’assurance de ma considération distinguée.

Henri Emmanuelli