30 septembre 2011

Fermée


La caisse des piques © Laurent Larroque

Ouverte


Les piques © Laurent Larroque

29 septembre 2011

Céret de Toros 2012


L'ADAC informe les aficionados que le prochain Céret de Toros aura lieu les 14 et 15 juillet 2012.

Pluie sur Madrid


C'est Manon qui le dit. En automne il pleut. Mais il est plus rare qu'il pleuve sous un ciel bleu et ensoleillé.
« En otoño es normal que llueva. Es más raro que lo vaya a hacer luciendo el sol que está previsto. ¿De qué va esto? »
Pour savoir de quoi il en retourne : http://lluviadetwits.blogspot.com.


28 septembre 2011

Autorovia (XI)


Jeudi
Les voisins d’en face, des Français eux aussi, ont adopté le même rythme que nous. Ils sont polis et j’apprécie qu’ils se comportent avec moi comme moi avec eux : nous en restons aux bonjour bonsoir de circonstance et évitons les uns les autres de nous interroger sur nos vacances respectives. Le tourisme a ceci d’horripilant qu’il provoque chez certains des éruptions soudaines de fraternisation nationale qu’ils s’empressent de vouloir vous refiler par des contacts que proscrivent pourtant tous les dermatologues de la terre. Et vous avez visité quoi ? Oh que c’était beau ! Vous trouvez qu’on mange bien ici ? Mais la question pole position, l’inquiétude maillot à poids reste et de loin : Et vous venez d’où en France ? Et c’est là, quand le mot Sud-Ouest réveille leurs neurones anesthésiés par la crème solaire et les glaces à 4,50 euros achetées en face de la cathédrale, c’est là donc qu’ils vous contaminent pour de bon, ça sort par tous leurs pores, ça bave, ça suinte, pour un peu ils te refilent leur femme en maugréant sur la supposée gentillesse de l’autochtone que lui promettait le Guide du routard page 52. Le regard figé sur le chapeau de paille de la voisine qui seul dépasse de ses ablutions quotidiennes, l’esprit dans le vague, je m’enguirlande de tant de cynisme à l’encontre de l’espèce touristique. Je sais pourtant qu’ils économisent toute l’année pour venir becqueter du poulet frites aux Golondrinas. Ils veulent faire plaisir aux gosses, ils se saignent, ils s’engueulent onze mois durant pour être là, ici et maintenant. En rentrant, ils devront payer les impôts, la taxe d’habitation, les taxes foncières, les assurances scolaires, la fuite d’eau, les étrennes des postiers et les rennes du Père Noël. J’en finis avec ma cigarette que j’ai consumée lentement cette fois. Putain ! je me dis, faudrait pas être touriste, c’est pas une vie !
On fait quoi aujourd’hui ? Voilà la question que je redoute. Elle me rappelle trop sa jumelle de la vie quotidienne : Qu’est-ce qu’on mange ce soir ?
Rien ! Je ne trouve pas mieux comme réponse, et puis rien c’est déjà une réponse. J’ai pas envie de devoir faire quelque chose. Je veux rester en moule bite bleu sur la terrasse à cloper et à lire, à regarder ma femme et les gosses qui jouent dans l’eau. Je rassure mon moi hyperactif en lui rétorquant que c’est pas rien de faire ça. Je vérifie qu’il reste assez de clopes dans le paquet de Marlboro light pour passer la journée. Je m’allonge sur une chaise longue à l’ombre, le fil de mon moule bite bleu dépasse mais j’ai décidé de ne rien faire, je lui accorde quartier libre à lui aussi. Ce moment mériterait un fond musical adéquat. Le poste est en bas et il est hors de propos que je bouge d’un pouce ou d’un fil de moule bite. Je regarde ma femme qui lit. Je lance au vent, un fantasme, un baiser. Je regarde les mômes. L’eau de la piscine frémit de leurs jeux et esquisse sur eux d’indécises boursouflures d’or. Je croquerais bien quelques Lays pour honorer ce trésor mais la vue de mon corps blanc si mal dissimulé par le moule bite bleu m’impose un soupçon de raison. Je feuillette une pub sur Séville. Le genre de papier glacé où en dix lignes un génie de la com t’explique que la culture a été inventée en Andalousie entre deux claquements de doigts d’un chanteur flamenco (Ludo, ne m’en veux pas, je ne sais absolument pas si les chanteurs de flamenco claquent des doigts). Faut pas pousser, la culture c’est français, tout le monde le sait même le plus décérébré des Andalous. Séville a son Museo de Bellas Artes comme toutes les villes espagnoles d’importance et comme toutes les villes européennes aussi. J’aurai plus d’hésitation concernant les villes étasuniennes et je ne m’avancerai pas sur le cas des asiatiques. Les africaines ? Un de mes professeurs entama un jour un cours de la sorte : Vous voyez ce continent (il indiquait l’Afrique du doigt) ? Et nous, en chœur, trop cons, trop fiers : Oui ! Nous savions où se trouvait l’Afrique. Il a rayé l’Afrique de deux gros traits noirs, épais, larges, indélébiles. Ça n’existe pas ! il a hurlé dans l’amphi, droit et solennel, militaire. Ce continent n’existe pas ! (Économiquement parlant et en comparaison de ce qui se passe dans les pôles de la Triade, voulait-il nous démontrer.) Il se trouve donc des musées des beaux-arts aux quatre coins des rues dans les pays qui ont le temps de s’émouvoir de l’art. Il y en a partout. Le musée des beaux-arts, c’est le McDo de l’art. En soi, je n’ai rien contre les musées des beaux-arts mais je n’ai jamais compris par quel sombre et sinueux destin on en est arrivé à intituler ça musée des beaux-arts. Beaux arts ? Comme si en contrepartie il existait un art laid. Comme si l’art pouvait se réduire au beau ou au laid, au blanc ou au noir. Pour autant, ça colle bien de nos jours. Il y a les toristas et les toreristas, Secret Story ou Xfactor, les jaunes contre les rouges de Koh-Lanta, Houellebecq contre Beigbeder, les autres contre moi. Je dois confesser que j’éprouve toujours un enjouement presque jubilatoire lorsque je déambule dans un musée, fût-il des beaux-arts ou non. Et cela n’a rien à voir avec la qualité des œuvres d’arts exposées. J’ai un rituel, je m’en suis rendu compte. Je fais semblant de scruter un tableau avec le plus grand sérieux du monde, collé à un couple de petits vieux qui eux font semblant d’élaborer une analyse savante de la peinture — analyse qu’ils viennent de lire dans le catalogue de l’exposition vendu à l’entrée — tout en détaillant du coin de l’œil l’attitude du gardien de la salle. C’est là que ça devient jubilatoire. C’est ça qui m’intéresse : le gardien de la salle. La visite des musées m’a permis d’inscrire dans ma réalité cette phrase si souvent entendue : Il faut toujours relativiser ses malheurs face à ceux des autres. J’ai longtemps cru qu’il s’agissait d’une sentence d’adulte pour mieux dresser les marmots trop gâtés. Mais je suis un adulte aujourd’hui, j’essaye de le devenir en tout cas. C’est donc en observant du coin de l’œil les gardiens de salle de musées que j’ai acquis la certitude que ces gens s’ennuyaient à mourir, debout, contraints de voir passer devant leurs yeux des centaines de shorts prêts à tout pour ramener à la maison une photo prise au flash d’un Goya ou d’un Schiele. Le gardien de musée ne transige pas avec sa vie de merde : elle se lit en caractères gras sur son faciès de paria. J’aime les musées pour ça, pour ce côté rassurant qu’ils m’offrent sur ma propre vie. Aller au musée, c’est se rassurer sur soi en zieutant lâchement d’autres qui souffrent plus que nous et c’est se dire à voix basse qu’il vaut mieux eux que moi. Je me sens très français dans ces moments-là. Sur le fascicule touristique, je reconnais une œuvre qui avait attiré mon attention lorsqu’il y a deux ans déjà j’avais visité ce musée. Il était l’heure où les Sévillans achètent de l’huile d’olive au litre, où les touristes commandent à manger sur une terrasse canardée de crotin de cheval — autant avouer que j’avais été plongé dans des conditions proches de la perfection pour m’esbaudir, discrètement il va de soi, du beau que contenait ce lieu. À l’extrémité d’une grande pièce achevée par un court escalier, le tableau était là. C’est sa taille qui me causa forte impression. Les hommes vêtus d’or étaient aussi grands que moi et, je le répète, dans un pays petit comme l’Espagne, ce n’est pas banal. Je n’avais jamais entendu parler de ce peintre ni de cette œuvre : La Muerte del maestro (hacia 1913), José Villegas Cordero (Sevilla 1844 – Madrid 1921). Depuis j’avais cherché et j’avais trouvé somme toute assez facilement des renseignements sur ce Villegas Cordero sans même prendre la peine de fouiller dans la pile de Toros au fin fond de laquelle j’imaginais que se cachait un semblant de réponse à ma curiosité. Je m’étais dit d’ailleurs, en refusant la facilité de fureter dans les index de la revue nîmoise, que, parfois, et j’en éprouvais une fierté certaine, j’étais un homme qui prenait des risques. Villegas Cordero fut un peintre, car il est mort à cette heure, parfois qualifié de régional, d’autres fois de réaliste décoratif influencé par l’orientalisme. De 1901 à 1918, il fut directeur du musée du Prado de Madrid qui se trouve juste en face d’un Quick. Il s’avère que le tableau La Muerte del maestro est grandiloquent. Je ne trouve pas d’autres mots. Les ors des toreros reflètent la lumière, le mort est bien mort, étendu sur un brancard drapé de blanc et d’une cape rouge, la chapelle est pleine à craquer et ce ras bord donne au prêtre inquiétant l’apparat d’une satiété obscène, la vierge est là qui veille — ou qui ne veut pas voir — son fils crucifié derrière son épaule. En bas à gauche, un monosabio fait le monosabio mais pour un mort, sérieux et concentré, et deux gens d’armes, dans un coin assombri, miment sans y croire la peine. C’est grandiloquent, c’est réel, c’est aussi grand que moi. La taille renforce l’effet. Un toro a tué le maestro. Deux ans plus tard, en moule bite sur une terrasse de Triana, vaguement circonspect à la lecture d’une brochure touristique, je revis ce tableau comme on sort la poubelle, en pensant à autre chose, en me disant que la corrida ne me touche plus au fond. Je sais que j’ai tort et je saurai me le prouver. Une bise veloutée parcourt maintenant la terrasse. Les cheveux fins de ma femme gambillent en caressant sa nuque dégagée. J’essaye de suivre leur mouvement vaporeux dans la lumière cotonneuse du soleil qui descend. Je me régale d’une pub de Guerlain faite pour moi, pour moi seul. Je me dis qu’il y a pire. Ce tableau me fait penser au G10. En fait, non, il me fait penser, subtilité insidieuse de la pensée humaine, que je ne pense pas au G10 en le regardant. Et j’y pense. Au G10. Dans le Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des bien nantis,  Pierre Desproges avait utilisé un tableau larmoyant comme celui-ci et auquel il offrait une légende nouvelle en lien avec chaque mot choisi pour remplir son dictionnaire. Brève digression. C’est en lisant Desproges que j’ai saisi ce que put être la moelle épinière métastasée du communisme à l’Est. Je cite donc pour les incultes (je sais qu’il en existe sur d’autres blogs et ils vont encore s’énerver en écrivant que Campos y Ruedos se la pète et tout le ramdam ! Vous fatiguez pas les doigts sur le clavier, Campos y Ruedos aussi vous aime) : « Warszawa (fr. Varsovie) : Ville polonaise où les arbres ont le droit de pousser la nuit. » Je m’incline mais la nuit je dors. En regardant La Muerte del maestro, j’ai pensé que ce tableau aurait mérité le même traitement que celui élu par Desproges. J’ai imaginé qu’il aurait été cocasse de légender : « Le G 10 qu’il fallait laver le linge, merde ! » au chapitre « Linge sale » ou « Le G 10 des conneries, mon père » au chapitre « Corrida ». En vérité, en conjecturant sur le G10, là, en moule bite bleu, je prends conscience qu’en tant qu’aficionado je ne pense jamais au G10. Jamais je ne me dis Tiens Juli torée là demain, j’irais bien le voir, jamais ne frétille en moi le désir de me rendre quelque part savourer le génie de Cayetano ou la tauromachie de train électrique de Miguel Ángel Perera. On a les penseurs de son temps, on a les maestros qu’on mérite. Le G10, je le peins au noir indélébile qui a effacé l’Afrique. Pareil. Noir. Nuit. Ténèbres. Ça n’existe pas le G10 ! hurle mon prof militaire, ça n’existe pas ! Garde à vous ! Je me fais la promesse de ne plus y penser parce que la tauromachie mérite mieux à mon sens que ces figures d’enfants polis moisies au jus de putes de luxe.

Ce soir je mange dehors c’est-à-dire dans un bar au coin de la rue. Il y a des têtes de toros au-dessus des gosses et des affiches de corridas devant nous. Une qui retient mon attention dès l’entrée. Il n’y a pas un touriste ici, que des autochtones qui picorent en causant de la crise qui les frappe, cette « salope » qu’ils appellent Europe, dette, immobilier, banque, politiques, Zapatero mais jamais Morante. Moi, je l’appelle pas la crise, qu’elle reste loin et chez les autres. J’ai des vacances à achever, moi, messieurs les rogneux ! Sur l’affiche que le temps a jaunie, un nom évoque quelque chose mais je ne me souviens pas. Je cherche en passant la commande : épinards à la sévillane, jamón, solomillo al whisky et pinard, rouge évidemment. Les gosses trouvent l’endroit super, Loulou court autour et sous les immenses tabourets de bar, la nuque de ma femme est toujours dégagée et c’est beau, et je m’impatiente de boire ce vin de Ribera de Duero. Il fait très chaud et j’aurais été mieux en moule bite. Jesús Franco Cardeño ! Ça y est. En avalant une bouchée d’épinards, j’ai retrouvé qui était ce type. En 1997, un toro de Prieto de la Cal (‘Hocicón’) lui avait tracé une autoroute du menton à l’oreille. Quand il s’est relevé, parce qu’il s’est relevé, il avait terminé sa carrière de torero, son visage pendait comme un scalp amateur et dessous, sur les nervures de la chair, s’ébauchait un tableau d’Otto Dix. En sortant, Loulou a voulu jouer sur le toboggan avant de rentrer. J’ai pensé à ce Cardeño et une dernière fois au G10, je me le suis promis, une dernière fois. En me couchant, la nuit régnait depuis longtemps, G10 à la nuque de ma femme d’éteindre la lumière. Elle a éteint dans la seconde. Ça n’existe pas ! a hurlé mon prof, ça n’existe pas !

Photographies Au Musée des beaux-arts de Séville © Laurent Larrieu/Camposyruedos.com

27 septembre 2011

Bye-bye, bitch, bye-bye...


Bon vent ma brune, adieu, plume de geai... On s'est bien amusé, mais il est temps. Ramasse tes frusques et laisse la place... Le soleil se lève et j'ai des choses à faire. Avant que tu files, on va se griller une clope ou deux et on va regarder la nuit qui s'en va. Assieds-toi, là... T'entends ce silence ? C'est un nouveau jour qui arrive... et nous, on est là, devant un cadavre chaud et on refait le match.

Tu sais, t'auras beau chialer les larmes de ton corps, de toutes façons, ça fait longtemps que t'avais plus rien à dire... et puis moi, moi, je te voyais même plus. T'es devenue une ombre, et t'as plus l'âge de tapiner dans les parties mondaines. Tes éclats de rire ont fini de raisonner et le satin de tes bas s'est un peu élimé... Au fond, t'as l'air d'une vieille pute qui remonterait ses bretelles, comme si t'avais eu de la vertu... mais t'as fait ton temps, guapetona, et y a plus de rêve dans tes yeux. Tes robes longues et tes perlouzes patinées ont fini par lasser le client. Tu ramasses plus que des pauvres types aux regards d'enfants, et les minots que t'as déniaisés autrefois sont des notables qu'on appelle Monsieur... À cette heure-ci ils ont rejoint maman et leurs drôles dorment sur des coussins de soie ... Ils changent de trottoir pour pas te voir et pensent à des horizons toujours plus lumineux, pendant que toi, t'es restée daronne, un pathétique oiseau de nuit, une Ava Gardner qu'aurait vécu trop longtemps comme ces légendes en noir & blanc qui ne vivent plus que dans les fables d'ivrognes. Allez, va... tu vas me manquer, brûlant animal, mais c'est fini. On s'est tout dit. De toi, je garderai le souvenir sépia de tes cheveux noirs, sulfureuse gitane, et ton romantique regard de feu, monumentale salope... File et ne te retourne pas.

Prends tes Swarovski et ferme la porte derrière toi... Bye-bye, bitch, bye-bye...

À rebours


Barcelone, dimanche soir, soleil accommodant de septembre, Barcelone, lendemain d'orgie, Barcelone dépose les armes. Le public lui-même a pris un coup. Que font-ils là ces gens ? Voir Tomás ou assister à la dernière ? Voir Tomás fermer les arènes peut-être. On ferme. José Tomás a abandonné les siens, le 5e est mort, du centre de la piste le messie a alors salué et applaudi son public qui se donne rendez-vous à Barcelone depuis des années pour le voir ici clore sa saison. C'était parfaitement incongru ce torero qui applaudissait une Catalogne taurine absente, déjà enterrée, incongru comme ce week-end. On ferme la Monumental sous les vivats incohérents et désaccordés :  ¡Viva Tomás, Barcelona, España, la madre de Morante, la afición, la anarquía, etcétera! Une partie du public a alors quitté les arènes pour chopper l'AVE de Madrid peut-être ; les "Tomasistes" orgasmiques et bruyants, les pénibles : ils n'étaient finalement pas si nombreux.

Dernières clarines, dernière sortie, dernière pique, Serafín a rangé sa cape fantaisie et fait de son mieux. On ferme, bientôt. Alors, même si le cœur n'y est pas, si cette dernière fait pâle figure, on ferme les yeux, comme hier, comme depuis longtemps. Sur l'écran de l'appareil photo, le crépuscule de la Monumental sort jaune, on monte les ISO, grande ouverture, c'est toujours aussi jaunâtre. Jaune et bougé : 125e de seconde, on ferme, il n'y a plus rien à photographier de toutes façons. L'élégante Madrilène aux yeux humides derrière moi peut-être. Mais pourquoi chougne-t-elle au juste ? Pour Barcelone, pour cette Fiesta profanée que les taurins vendent encore au prix du sacré, pour l'ambiance, pour la photo peut-être ? On ne juge pas les larmes d'autrui. On ne juge plus rien, on ferme... sur ce toro pénible, ce lot indigne, et Serafín qui s'efforce de faire quelque chose. Photographier un effort ? Obtenir cette impression relèverait de l'exploit. Alors puisqu'on ferme, je ferme aussi... le diaphragme, je baisse les ISO, je fais tomber la vitesse au dixième de seconde, j'élargis le champ pour attraper les tendidos qui comptent eux aussi. À rebours : dernier quite, dernières banderilles, dernier brindis... dernier arrimón de Serafín, qui y arrive presque, qui est plus que digne pour l'occasion avec ce toro qui ne permet rien. Une série, peut-être. On ferme, dans le clapotis de l'eau de boudin, le triste, l'amertume de la poudre mouillée. C'est rageant certainement, c'est surtout logique et parfaitement assorti à l'évènement.
Alors tant pis, je ferme, je ralentis et fais des photos jaunâtres, des plans larges de ce public qui ne fait plus que compter, qui scrute la piste sans y voir plus rien et ne retiendra de ce triste final que l'anecdote du décompte qui s'achève : dernier toro, dernier tiers, dernier torero... catalan. La scène est "bougée" sur mon écran, déjà floue pour tout le monde et ça n'a plus aucune importance. Que l'histoire retient-elle des fermetures ? Des anecdotes autosuffisantes un peu factices je suppose.

Dernière estocade, je cadre large, j'essaie de garder l'assiette. Le public est figé, net, bouffant la scène avec un dépit consterné, le regard grave d'écœurement et le cœur un peu merdeux. Le callejón complètement plombé, abasourdi. Là-bas, j'accroche un flash qui semble nous crier "Miroir !" Serafín tue bien. La photo a le maigre mérite d'avoir prolongé ce dernier instant. 
Tout ce qui suit restera lourd et mécanique, sans entrain. 

On a fermé.

24 septembre 2011

Georgia on my mind


Richard est rentré tard. Il est fatigué. Fatigué de sa journée de boulot, usé de tant d’années dans ces putains de couloirs cliniques qui raisonnent au moindre coup de talon. Mais enfin, c’est la vie. Richard aime son job et, au fond, il reconnaît qu’il ne sait faire que ça. Et puis, il lui reste si peu de temps pour qu’enfin il puisse se livrer pleinement à son passe-temps favori sans attendre le week-end, car, oui, Richard adore la pêche à la ligne et les matchs de la NFL à la télé. Il passerait bien ses journées à ne faire que ça, même. Ça le détend et le déleste de tout le poids des responsabilités qui l’ont accablé durant ces quelques milliers d’heures investies dans son noble boulot. Comment ne pas acquiescer ?

Mais aujourd’hui, Richard a eu une journée un peu plus longue que les autres. Il le savait, c’était prévu depuis longtemps déjà. Il n'avait pas le droit de se manquer, car ce sont des journées un peu particulières dans la vie d’un mec comme Richard. Lui-même le dit : « Ce sont des journées plus lourdes au niveau intensité et émotion. Il faut savoir les gérer du début à la fin, et malgré l’expérience, cela reste quelque chose d’intense à vivre. »

Cette journée est donc terminée, et Richard est arrivé dans son petit pavillon vers 2 h du mat... « à cause des détails administratifs à régler », comme il l’a expliqué à Lessie, sa tendre épouse, au moment de la rejoindre sous une couette fleurie suffoquante. Avant de trouver enfin la paix d’un sommeil bien mérité, il a dû raconter à Lessie pourquoi ça avait pris tant de temps, plus que prévu, en fait... Il avait dû lui raconter la lourdeur de la procédure, puis le coup de fil inespéré qui a tout fait stopper... puis les quatre heures d’attentes supplémentaires, à tourner en rond, à se lamenter intérieurement de la blessure de Braylon Edwards qui risque fortement de handicaper la saison des 49ers de SF... et puis, finalement, un deuxième coup de fil maudit sur ce putain de téléphone que plus personne n'attendait, pour qu’enfin tout ça se termine... dans de bonnes conditions... selon la procédure... en bon ordre... comme le veut la loi... enfin, comme il a appris à faire, depuis tant d’années, depuis toujours. Dans un dernier sursaut, Richard s’est inquiété de n’avoir pas vu Jasper et Rogg, ses deux bébés, comme il les appelle, une paire de setters Gordon qu’il a élevée comme des fils, et qui l’accompagne fidèlement durant ses après-midis de pêche. Mais Lessie l’a immédiatement rassuré, et lui a même révélé avoir préparé les beignets dont il raffole pour son déjeuner du lendemain. Et le petit couple s’est endormi, calme et tranquille, sereinement... Dans son petit pavillon de banlieue de la bonne ville de Jackson, de l’État de Géorgie, USA, où Troy Davis, noir américain de 42 ans, jugé coupable de l’assassinat d’un flic blanc 20 ans auparavant, venait de finir sa vie quelques heures plus tôt, à la demande de la justice des hommes de ce pays curieusement dotés de la compétence divine de juger du destin de leurs pairs, ceux-là mêmes qui avaient ordonné à Richard Andrew Carter Jr d’accomplir consciencieusement, en ce jour, sa tâche professionnelle de gardien de pénitencier et plus particulièrement de bourreau.

Si Troy Davis était innocent ? Nous ne le savons pas, mais Richard vous dirait qu’il s’en fout, que c’est pas son problème, qu’il fait juste le boulot pour lequel l’État de Géorgie le paye. Un peu comme Adolf Heichmann ne cessait de répéter au procureur Gideon Hausner qu’il ne faisait qu’exécuter les ordres, qu’il n’était qu’un exécutant, qu’un pion soumis à sa hiérarchie. Et c’est vrai...

Mais Troy Davis est mort, exécuté par la justice des États-Unis d'Amérique. C’est désormais officiel, et il aura fallu attendre 20 ans pour en être aussi sûr. Et pendant 20 ans, aucun de ses semblables, aucun être humain, conscient, civilisé, sensible, ayant peut-être lu Platon, Camus ou Tolstoï, n’a trouvé le temps, l’intérêt, l’énergie, la force nécessaire ou la faille du système qui aurait suffi à stopper cette folie ; pas un n’aura trouvé la solution, le besoin ou la nécessité de sortir un mouchoir orange du haut d’un palco céleste.

Pas un, pas même un anti qui vendrait sa mère et plus pour qu’on foute la paix aux toros, pas même 8000 aficionados que j’ai un jour vu tendre leurs bras vengeurs envers un palco qui tardait à gracier la vie de 'Desgarbado', ce toro qui, lui, faut-il croire, méritait de vivre aux yeux des hommes trois ans avant qu’ils ne s’indignent. Pas même la foule sévillane qui aurait pu au moins demander à ce que Troy Davis soit toréé par JM Manzanares pour obtenir le privilège ultime qu’ils octroyèrent à 'Arrojado'. Ni eux ni nous ni moi... personne. Mais Troy Davis, coupable ou pas, est bel et bien mort, ce matin, parce que les hommes ont décidé qu’il ne méritait plus de vivre, pendant que 'Desgarbado' et 'Arrojado', braves ou pas, paissent placidement dans des champs fleuris d’Andalousie ou de Castille parce que les hommes ont décidé qu’ils ne méritaient pas de mourir...

Après ça, venez me dire que nos textes sont inutiles. Je vous répondrai que vous n’imaginez pas combien ils le sont !

Par chance, nous en avons toujours eu largement conscience.

La última


Là-haut sur la colline


Photo sans © tirée du blog des vétérinaires taurins d'Andalousie.
Quand je suis tombé sur cette estampe de l'élevage Osborne, j'ai non seulement pensé aux massives silhouettes noires se découpant sur l'azur du plateau castillan battu par les vents, mais aussi à tout ce que le photographe avait souhaité, à tort, ne pas nous montrer. À tort, si tel est le cas, car certains (j'en suis) auraient préféré trouver le pylône, les fils électriques, les éoliennes ou bien encore l'enseigne Repsol dans le cadre ; autant d'éléments du paysage qui auraient probablement donné une tout autre dimension à ce Toro de Osborne...

20 septembre 2011

C'est cadeau


Capture d'écran © Ediciones El País, S.L.
Depuis le 7 juin dernier, El País.com (rubrique « Culture ») met à disposition des aficionados, hispanophones ou non, l'intégralité de « la lidia » téléchargeable au format PDF, soit les 42 planches parues en 1995 et rédigées par Joaquín Vidal... Internet, c'est super chouette !

42 planches qui donneront matière à apprendre et réviser, à s'étonner et méditer ; qui inciteront peut-être certain-e-s à se mettre au castillan ; qui meubleront probablement de longues journées d'hiver, et qui mériteraient d'être imprimées... Merci qui ? ¡Muchas gracias El País!

19 septembre 2011

Aux égorgeurs indignés


Les hommes sont bien imparfaits. C’est même à ça qu’on les reconnaît. Les hommes font des erreurs, aussi, et c’est même un peu pour ça qu’ils sont « homme ». Contre cette imperfection irréversiblement humaine, il existe désormais un détergent alternatif « so fresh & so clean » qui lave plus blanc que blanc : l'INDIGNATION.
J’ai donc une pensée émue pour l’immense Stéphane Hessel qui n’aurait pu imaginer à quel point il allait entrer de plain-pied dans le panthéon de la niaiserie quotidienne en proposant dans un cultissime pamphlet d’une dizaine de pages à peine la solution à tous les problèmes : l’INDIGNATION.
À la différence près que MONSIEUR Stéphane Hessel n’aurait pu anticiper que sa chère INDIGNATION aurait un jour pu surgir de la barrera fleurie sol y sombra d’une bourgade boueuse landaise qui avait enfin décidé de ne plus supporter l’excès qu’elle avait, par tradition, elle-même tant réclamé, et ce bien avant que la télé soit en couleur. Dax s’indignait d’un trop-plein de trop d’excès alors qu’elle n’a jamais su s’émouvoir d’une corne aféitée ou d’une atroce monopique assassine, encore moins d’un indulto frais et grotesque ; comme si Gargantua avait fini par blâmer les clampins qui s’affairaient aux fourneaux et lui remplissaient l’auge. Pas banal, n’est-ce pas ?
Il n’aura échappé à personne qu’ici, et dans une certaine frange du milieu autorisé, beaucoup d’entre nous s’étaient permis un peu d’avance sur l’indignation à tout-va, et l’on n’avait point attendu que Dax fasse monter des vétos au palco ou présente des toros imprésentables, avant de ne pas les piquer et de les gracier, pour s’offusquer de la connerie ambiante qu’on respire ces temps-ci comme on inhale les effluves printanières du périph' nord, sortie Saint-Ouen.
Bref, nous, Cyriens, nombrilistes et plus vraiment combattifs, trouvons que cette indignation pue, et qu’elle n’a plus tout à fait l’épaisseur de l’indignation « hesselisante » qui portait, elle, un vent frais de réelle contestation pour de sincères et vitales raisons. Et on aura du mal à nous faire croire que cette indignation nouvelle version, fleurissant si facilement d’un peu partout, de la part de n’importe qui, à propos de n’importe quoi, n’a d’autres valeurs et, n’en doutons pas, d’autres intérêts que les aboiements pleins de verve et de patriotisme de ceux qui se sont découverts une âme de résistant convaincu, gaulliste et républicain à la fin de l’année 1944, ceux-là mêmes qui s’avérèrent plus virulents que tous les autres au moment de la plus honteuse des tontes.
J’en profite donc pour saluer ici même les « indignés » de la place Tahrir ou de Benghazi, authentiques détenteurs de ce titre, et je les salue d’autant plus que ce qui nous rassemble sur ces pages n’aura jamais la teneur ou le poids du combat que certains peuples livrent un jour pour avoir le droit de vivre dignement... parfois, juste vivre. Et il n’est jamais inutile de rappeler à tous, aux petits soldats de tranchée, comme aux Torquemada des salons chauffés, qu’ici comme ailleurs, quel que soit le contenu du sujet qui nous embrase, nous ne parlons jamais que de toros.
Ainsi, quand vous aurez fini de vous indigner pour venger vos petites défaites personnelles, pensez donc à lutter vraiment, avec des convictions sincèrement aficionadas. Peut-être y trouverez-vous ainsi une façon saine d'exister ?

Photographie sans paroles (LXIX)


Évidemment, c'est mieux en cliquant sur la photo.

18 septembre 2011

Du mou sur du dur


Cette année, j’ai décidé de ne pas aller voir José Tomás malgré l’admiration que j’ai pour lui. Lubie personnelle. Pas envie, pour diverses raisons. Cette année, j’ai envie de sauvagerie, de violence, de brutalité, d’autre chose, de marginalité, de coins paumés.
Résultat des courses : moins de 15 au compteur.
Mais comme j’adore Tomás, ce dimanche 18 septembre je branche la radio.
Il faut que je vous fasse une confidence. J’adore écouter les corridas entre les ondes sur France Bleu Gard Lozère. Écouter entre les ondes comme on lit entre les lignes. Je suis toujours étonné des sourires et des éclats de rires que ça peut me procurer.

Donc, aujourd’hui, journée, ou plutôt matinée importante avec José Tomás.

Premier toro (confirmation de Dufau), premiers commentaires, à froid. C’est toujours difficile les premiers commentaires à froid.
— Ah, le toro a glissé...
En "arrière-son", on entend que ça commence à protester. Palmas de tango comme à Madrid. Paul Coulomb (agaçé) :
— Le toro a glissé.
On entend bien la claque dans les gradins maintenant.
— Ah ! Y a toujours des gens à cran !
On le sent très énervé le Coulomb, très disposé à vite s'agacer et vitupérer contre une partie de ce public de merde qui fait rien qu’à ne pas aimer Casas, son idole, son boss, paraît-il.
Son complice, YL, semble plus lucide, moins impliqué :
— Il faut le changer ce toro ! Vite ! Il ne tient pas.
— Oui ! Il faut le changer très vite ! Ce n’est pas assez vite, ça ! Allez M. Valade !, s'emporte Coulomb.
Vous remarquerez, en trois demi-secondes, le retournement de veste impressionnant. S’adapter à la situation, aux circonstances. Pas évident. C’est un métier, un état d’esprit. Ensuite, nous avons droit à une analyse scientifico-philosophique sur la présence perturbatrice de sciure en piste. Car cette nuit la pluie est tombée. Alors ils ont mis de la sciure. Mais trop visiblement. Et ça perturbe les toros qui glissent. Moi, je serais le préposé à la sciure, je serais, à cet instant précis, dans mes petits souliers. À quoi ça tient tout ça... Un sac de plus, un sac de moins, et c’est la merde... Et ça tombe le jour de José Tomás ! Etait-il conscient de ça le type qui a étalé la sciure ? On se le demande ; on ne saura jamais. Mystère dans le sillage de José Tomás... C’est dingue à quoi ça tient, tout de même. Donc, le toro aurait glissé dans la sciure. Putain de sciure ! Indignez-vous contre la sciure qui fait glisser les toros !
Et il glisse tellement, le toro, qu’on finit par le changer.
— C’est quoi, Paul, le sobrero ?, s'enquiert YL.
— Aucune idée, on nous a pas donné le petit papier. Je sais pas. Ça doit être un Jandilla aussi. (Bonjour l’info sur le service public...) Ah, voilà le panneau. Non, c’est pas un Jandilla, c’est un Palardé (sic).
— Bon, ça crie. Sans doute pour les parapluies.
— Voilà le toro. Il entre, lentement, petit.
Là, l’auditeur est troublé. Même plus besoin d’écouter entre les ondes. On se dit que ça doit craindre. Quelques instants plus tard :
— C’est vrai que la piste pour les toros elle va les gêner. C’est du mou sur du dur...
Du mou sur du dur : nouveau concept.
— C’est très très meuble. La piste est très très meuble par moment.
Je pense qu’il voulait dire "par endroits", à moins qu’elle ne soit meuble de manière éphémère. Ensuite, on apprend que le picador dans la sciure ne pique pas.
— Le toro ne tient pas sur ses pattes.
— Eh non ! Il ne peut pas. Ça glisse !
Tercio de banderilles. Sifflets en "arrière-son". On suppute que le toro a trébuché.
— Je ne comprends pas le banderillo (re-sic) !, s'exclame Coulomb.
Le toro non plus, sans doute, ne le comprend pas... Putain de sciure, putain de pluie, putain de banderillero. Plus besoin d’écouter entre les ondes : le toro écarte les jambes pour tenir debout ; la faena va être brève. C’est du Dubout ! C’est dur le mou sur du dur !

Quelques instants plus tard arrive José Tomás. Là, on les sent emmerdés. C’est bon la faena. Évidemment c’est bon, c’est Tomás, donc c’est bon. Mais on sent bien que ce n’est pas génial non plus. Donc on les devine ennuyés. Subitement l'entre les ondes se brouille. Tomás tue. Ils sont vraiment ennuyés. Une oreille, oui une oreille, peut-être deux si le public le veut. Ils ne savent pas jusqu’où ce public peut être démagogique. Ils ne parviennent pas à deviner la suite. Ils osent quand même avancer que ce n’était pas un grand moment, alors, bon, une oreille ce sera bien. Il faut bien dire quelque chose. Mais le public (très con à Nîmes, il faut bien le dire) en veut et en obtient deux (c’est pas difficile ici). Et là, retournement de veste et éloges à gogo tues pendant la faena mais déballées après l’octroi des deux oreilles.
Gliiiiing. SMS sur le Iphone. C’est mon frangin : "2 oreilles, petite forme, pas de profondeur."
Deuxième toro de Tomás, deuxième SMS du frangin : "Toro faible, faena à mi-hauteur, rien d’exceptionnel."
À la radio, c’est la deuxième oreille qui est annoncée : la Porte des consuls.
Coulomb fulmine déjà après ceux qui vont trouver ça excessif, toutes ces oreilles.
Argument suprême : "Il a fait le bonheur de nombreux commerçants ici."

Je vous le dis. C’est dur du mou sur du dur.

17 septembre 2011

Indignarum, rae, etc.


Vu à Dax : une manifestation non annoncée sur la radio locale et non réprimée par les forces de l’ordre d’une vingtaine de trublions vêtus uniquement de peignoirs blancs aux alentours des thermes.

Pendant ce temps-là, à la même heure ou presque, El Batacazo, oui le nôtre, lui-même, est pris en otage en haut des arènes pendant plus de deux heures sans que quiconque ne lève le petit doigt pour le sortir de là.

Sans digresser à outrance, je suppute un complot, je constate l'injustice et je m’indigne vertement, quoiqu’à Dax il soit de meilleur goût de s’indigner en rouge et blanc ou de venir se répandre en Times New Roman non justifié sur une page Web qui sent fort le caca et... "lendemain de fêtes, caca qui fouette".

Je m'indigne et je tire la chasse.

Moi aussi je m'indigne, merde !



Contre Larrieu qui fait rien qu’à écrire des textes trop bien. Et comment qu'on fait nous pour passer derrière, hein ?
Contre Jacques Durand qui dit que nos histoires elles sont poilues et que nos chemises elles sont sales. Non mais ça va pas, Jacques !? 
Contre Picto qui arrête de développer les négatifs, c’est quand même pas bon signe.
Contre le prix de la Romanée Conti que même pour faire le snob c’est quand même inabordable.
Contre SFR qui me menace d’un huissier pour cinquante euros que je dois pas et que de toute façon je payerai pas, et puis, de toute façon, avec cinquante euros jsuis le plus beau.
Contre les organisateurs de Visa pour l’image qui font rien qu’à organiser Visa pour l’image début septembre juste quand je peux pas y aller. Y font exprès ou quoi ?
Contre ma femme de ménage qui m’a flingué mon stylo, toutes des brutes ces Portugaises.
Contre ma putain de voiture qui fait rien qu’aller à la pompe à essence. Salope !
Contre tous nos lecteurs qui n’ont pas encore acheté le deuxième livre de Campos y Ruedos. Allez ! Allez ! Vous attendez quoi, oh !
Contre l’art conceptuel. Oui j’aime pas ça, et alors !?
Contre le vin rosé, j’aime pas ça non plus, j’ai le droit, non ?
Contre Desproges qui est mort, le con...
Contre mon mal de tête de ce matin, mais pas à cause du rosé. Encore heureux que j’ai pas mal ailleurs...
Voilà, je suis indigné et je vous emmerde.
Putain... Je suis trop top révolutionnaire, moi ! Franchement, traiter ma voiture de salope, fallait oser. Je suis trop fort j'vous dis.
... ... ...
Ouf ! Ça soulage. Allez ! Indignez-vous !

NDLR Sur la photo, des indignés de Vic — un moment puissant, fort et inoubliable.

16 septembre 2011

15 septembre 2011

Autorovia (X)


Mercredi
Luis m’a dit qu’il regarderait les photos sur Internet. Internet... j’avais oublié. La civilisation une et indivisible, une seconde, le monde, 300 e-mails au retour, les "amis" sur un "mur", demain ils mangent des pâtes et ce soir ils regardent les étoiles, ils l’écrivent. Chez Cuadri, ils se demandent si nous ne se sommes pas devenus des sortes de photographes officiels de la vie de la ganadería. Ça les fait rire qu’on les prenne autant en photo que leurs toros. Ils en arrivent même à prendre la pose par amusement. Luis m’a glissé avant que je ne quitte "Comeuñas" qu’il avait aimé nos photos de la morte saison. Il a ajouté, parce que c’était moi son interlocuteur et que Luis, malgré la rudesse qu’il déploie à violenter la prononciation de sa langue n’en demeure pas moins un garçon prévenant, qu’une de ses préférées était celle de Jacinto, un vaquero de la finca. Luis a regardé les autres hommes pour les prendre à témoin. C’est l’homme le plus laid de Trigueros, a-t-il éructé, suscitant un fou rire, et sur la photo, on l’a trouvé bien. J’ai revu Jacinto dans une illumination dont seule la mémoire a le secret. Ce n’est pas sa laideur qui m’avait marqué, c’était son nez. Un nez omniprésent parce qu’imperceptible, mal retroussé, mal écrasé, mal cassé, une baroquerie scélérate pour qui en devient le retable. Je me rappelle qu’à l’époque le nez de Jacinto avait battu pour moi le rappel de toutes ces photos de "gueules cassées" de 1914-1918 qu’on montre aux élèves en leur disant que la guerre c’est mal et que vous voyez ce que c’est que de faire la guerre, de jouer avec des armes... "Aux armes citoyens" quand même qu’on leur assène pour finir. Quand Luis a évoqué Jacinto, mon esprit a tout fait pour bannir de ses eaux sereines ces images amères de gueules satanisées. Je me suis concentré pour me persuader de croire ce que les Américains affirment en mâchant du chewing-gum à la télé en sous-titrage antiope : nos guerres sont propres et chirurgicales. Et c’est vrai que la chirurgie a fait de gros progrès ces deniers temps. Les autres ont cessé de rire. Ils acquiesçaient à ce que disait Luis sur la photo de Jacinto.
J’ai dit aux enfants de faire coucou de la main, de dire "hasta luego". La poussière a rompu leurs sourires, j’ai balancé un coup de lave-vitre, je reprenais la route.
Je profite du bruit des enfants. L’asphalte refait à neuf berce mes pensées. "La chair est triste, hélas". Mallarmé larmes. Je double un camion, des autocollants de toros sont collés en série comme en pluie sur sa porte. Des toros d’Osborne, des Domecq. Le chauffeur est gros et torse nu, mal rasé, il me fait penser à un Village People qui aurait mal vieilli, la Budweiser pour oriflamme. Il doit lui tarder de faire une pause, de s’envoyer une bière, d’aller pisser, de tirer un coup ou inversement. Je ne sais pas en fait ce qui doit lui tarder. Je pense aux mots de Luis sur la photo de Jacinto. Je me dis qu’il y a un monde entre ce que le photographe voit et voudrait révéler et ce qu’en retient celui qui regarde. Quand j’ai pris cette photo, c’est la lumière qui m’intéressait parce qu’elle découpait parfaitement l’espace de ma vison à l’endroit même où Jacinto avait calé sa cabine de Duchesse d’Albe. Pour moi, lui aurait pu être un autre mais pas pour Luis qui doit se moquer qu’un rayon de soleil cotonneux fasse scintiller les aspérités des galets sous nos pieds. J’en suis là de mes ressassements lorsqu’un gros lourd au volant d’un 4x4 de marque allemande m’intime l’ordre de me rabattre sur la droite. Ses appels de phare excédés sont clairs même en plein jour. J’observe du coin de l’œil ma femme qui lutte armée du seul frétillement de ses cils contre la somnolence de la mi-journée. Je pense aux enfants que je vois rire dans le rétroviseur central. Puis-je gâcher tout cela au nom d’une détestation brute et totale de cet autre qui perturbe la félicité légère et court vêtue du fil de mes pensées profondes ? Si je m’écoutais, mais ma femme ne serait pas d’accord, je devrais le laisser passer, attendre qu’il se trouve à ma hauteur, me caller sur sa vitesse, le regarder droit dans les yeux avec un petit sourire en coin et sortir mon canon scié chargé à dégueuler, le lui vider dans les dents et dans celles flambant neuf de sa grougne "deluxe", le regarder décoller contre la barrière de sécurité et contempler la désagrégation intégrale de son être et de son 4x4 de marque allemande sur la voie de gauche de mon "Autorovia". Je n’ai pas de canon scié ! Je me rabats. Il a l’air énervé et costaud. J’évite, raffinement français oblige, un doigt qui ne ferait que rajouter un peu de vulgarité à la situation. Je reprends la mélodie des lignes blanches et le bourdonnement chaleureux de l’asphalte. Ma femme n’aurait pas été d’accord de toute façon. Je sens que bientôt le sommeil la vaincra.
Sur le rebord d’un nuage de mes apophtegmes, je devine Jacinto qui me sourit comme il le fit il y a des mois de cela attendant sagement que j’en eus terminé avec une mise au point difficile sur son appendice meurtri. Après tout, me dis-je, une photo appartient à celui qui la regarde beaucoup plus qu’elle n’est la propriété de celui qui la prend. Que Luis n’y perçoive pas la même chose que moi ne devrait pas m’étonner. Je crois que c’est Roland Barthes qui a écrit dans La chambre claire que c’est le regardant qui donne un statut et un sens à la photo. Une essence en somme. Faudrait que je relise Barthes, faudrait du temps et des Efferalgan mais j’aime bien cette idée. Ça donne plusieurs vies à une photographie, plusieurs chances pour elle de trouver une voie dans un monde repu d’images qui ont perdu le sacré... oui, le sacré ! Je ne double plus personne, ma femme dort le cou tordu, les gosses se sont tus. Séville n’est plus très loin qui m’attend comme hier. Je sais que la climatisation est restée branchée pendant notre absence. Je frissonne à l’idée d’y penser. J’essaye de rejoindre Jacinto mais il a foutu le camp de son nuage. Je n’y trouve même pas un toro, j’ai beau me concentrer, seul un pot blanc sur le bord d’une table dans lequel baigne une fleur abandonnée est là qui me fixe. Il n’y a rien d’autre que lui sur le bord de cette table et la porte est ouverte sur un escalier qui s’échappe en tournant. Le paillasson reste là hiératique comme le chapeau accroché à gauche sur le portemanteau. L’escalier peut bien se faire la malle, le paillasson et le chapeau ont une fleur à admirer. Je ne sais pas si Kertész aimait cette photo. Je n’ai aucune idée de ce qu’était son intention quand il l’a prise. Peut-être était-il passé par ce qu’on devine être une cuisine et avait-il juste cadré — à la perfection ? Mais je me moque finalement de ce que voulait faire André Kertész. Cette photo dégage plus d’émotion et de puissance que le plus branque des Dolores Aguirre. C’est ma manière de la ressentir et Barthes avait raison et Jaydie aussi. Un jour que je lui demandais Salgado, ce qu’il pensait des œuvres de Salgado, Jaydie m’avait répondu que c’était facile. Tu comprends, avait-il argumenté, c’est facile, il se pose en hélico au milieu des p’tits noirs qui meurent de faim, il cadre, il shoote et il s’en va. C’est facile l’émotion comme ça. Jaydie exagère toujours et c’est d’ailleurs ce qui donne tout son charme à sa barbe et à ce qu’il y a autour mais il avait raison. Tu vois Laurent, créer une émotion avec cette bouteille de Bordeaux, ça c’est dur (prononcer "diour"). Séville une fois de plus fait le dos rond. Les bus paraissent rouler plus lentement, les thermomètres à l’entrée de la ville se couvrent de honte et le bruit joue le long des berges du Guadalquivir. En entrant dans l’appartement où la climatisation tourne à plein, je vois la femme du dessous qui parle à son mur. J’ai allumé une clope et je l’observe parce qu’il est toujours surprenant d’assister à ce type de scène. Je suis voyeur comme tout le monde. Elle hurle sur le mur face à elle et doit se moquer de déranger les voisins. Elle n’est plus à ça prêt je me dis. De mon pouce je fais tomber la cendre qui vacille au bout de ma cigarette et je pense à André Kertész qui photographie les photos de sa femme morte sur les murs de son appartement new-yorkais. Il a fini comme ça, emmuré dans le regard de sa femme qu’il arrivait à rendre différent tous les jours. Il a fini comme ça et j’écrase ma clope. J’aurais aimé être Kertész mais je veux la prendre en photo en vie.

Photographie Chez Mondrian, André Kertész, Paris, 1926.

13 septembre 2011

La chute


Pourtant, le ciel noircissait depuis longtemps. L’orage montait et les nuages en pelote menaçaient. Et puis j’ai vu, et j’ai compris aussi... Désormais, je sais que la plaie saigne, que la bête est blessée et qu’elle fuit. Instinct de survie. Difficile de l’approcher, impossible de croiser son regard. Elle sent qu’on la traque et sait désormais que la chasse est lancée. Elle est seule, isolée et ne l’ignore pas. Il lui faudra ouvrir l’œil et ne pas s’endormir. La main qui autrefois la caressait tient aujourd’hui le couteau, et il suffirait de rien pour que le coup fatal lui soit porté.

Pourtant, quand elle sortit du bois, je me souviens que son ramage fut chanté par tous. Les regards pétillaient à sa vue, les éclats de joie raisonnaient jusque dans son antre. Le printemps fleurissait. Pouvait-on alors s’imaginer que les beaux jours étaient déjà comptés ?

Séduisante au début, on se laissait aller à quelques flatteries. Nul n'aurait pu douter de tant de généreuses intentions et l’on pardonnait donc à peu près tout. On attendit longtemps ce qui n’arrivait jamais, et même ceux qui lui avaient porté de sulfureuses attentions commencèrent à s’en éloigner pour mieux la montrer du doigt. Tous espéraient mais rien ne venait. Mais tous espéraient, quand même... On ne sait jamais.

Alors on commença à se méfier de celle qui pouvait, qui devait, qui aurait pu et qui aurait dû, qui nous a laissés croire, en vain, car elle avait oublié, à mesure que les ans passaient, les vraies raisons qui l’avaient un jour amenée là, et les luttes de 40 ans qui l’avaient animée avant. Certains tentèrent même de la raisonner, désespérément, mais le confort et la facilité pourrissaient irrémédiablement son esprit, et les cotillons, fantaisies et grands crus classés brûlaient à jamais nos illusions. L'arrogance, les certitudes et les excès sont passés par là, le pelage ne brillait guère plus et le ton sonnait à présent si faux qu’on ne l’entendait plus, ou qu’on ne l’écoutait plus. Elle avait passé tout ce temps à poser des tuiles sur une maison sans charpente, soignant le détail, rien que le superflu, accumulant glissades et trébuchements jusqu'à la chute ultime. Adieu panache, menton haut et regard fier, adieu tranchées, hurlements de hussards et frères de boue. La révolution annoncée ne vint jamais et les miettes que certains espéraient ne tombèrent pas plus. Pire, les plus sages perdaient patience et l’on commença même à entendre le grondement sourd de la colère indignée. Mais le mal était fait, le mal était là, et sortirent du bois les mauvais sentiments, les mauvaises paroles et les mauvais regards ; les masques tombaient tour à tour, et les meilleures âmes des premiers jours se révélaient être les plus fines lames d’aujourd’hui.

Le charme était rompu et j’ai vu les hommes devenir fous...

12 septembre 2011

Courir le toro


Deux valent mieux qu'une : la formule n'est pas vraie dans tous les cas — vous serez d'accord avec moi qu'il est préférable, à force égale, de recevoir une gifle plutôt que deux... Bref, dans le cas qui nous occupe, deux barrières valent mieux qu'une et cet extraordinaire cliché de Galle en constitue sans doute l'illustration parfaite. L'unique barrière vient de céder1 sous la charge de la bête et tout le monde ne pense désormais qu'à une chose : sauver sa peau. Chacun tente bel et bien de fuir, mais dans la panique on se pousse, on trébuche, on s'agrippe, on s'élève et on crie sûrement beaucoup. La petite fille à la merci des cornes ne crie pas  — je suis convaincu que, ce jour-là et à ce moment précis, elle n'a pas crié. Elle a déjà vu les hommes « courir les toros » dans les rues et, ce jour-là et à ce moment précis, sous la menace, elle ne joue pas à les imiter ; elle ne donne pas non plus l'impression de paniquer tant son attitude rappelle celle des mozos les plus allurés. Ce jour-là et à ce moment précis, ce petit bout de femme « court le toro ».

Après avoir pris connaissance de l'incident du 7 juillet dernier lors du premier encierro — la porte d'Estafeta se refermant devant le museau d'un cabestro —, je me mis en quête d'informations sur le vallado (la [double] barrière en bois) en général et la porte d'Estafeta en particulier, sans pouvoir trouver de date précise (et satisfaisante) sur la mise en place de la double barrière. Au terme de mes recherches, à la mi-août, je décidai de retenir ce qu'Emmanuel de Marichalar a écrit dans son ouvrage de référence2 sur les « encierros de Pampelune et d'ailleurs » : « Pourtant, la présence des barrières n'est pas toujours synonyme de sécurité. La preuve en a été donnée en 1939. Le 8 juillet, un taureau de l'élevage de Sánchez Cobaleda3 brisa une des barrières et des spectateurs furent victimes de coups de cornes. Après cet accident, les barrières les plus exposées étaient renforcées de barres d'acier. Puis, en 1942, la totalité des barrières était doublée.
Le but essentiel de la double protection est d'éviter la fuite d'un taureau qui réussirait à rompre la première barrière. L'objectif secondaire est de permettre aux coureurs en danger de se réfugier entre les deux barrières, sans être gênés par les spectateurs. [...]
Depuis l'inauguration de la double barrière, une seule a cédé, le 14 juillet 1990. Un taureau du comte de la Corte percuta de tout son poids, dans une chute, la barrière du tournant entre les rues Mercaderes et Estafeta. Il la cassa sans même s'en rendre compte et les photographes, policiers, secouristes, employés et charpentiers qui se trouvaient là en ont été quittes pour une grosse frayeur.
Il existe encore des madriers centenaires, mais ils sont installés aujourd'hui sur le parcours de l'encierrillo. Dans l'éventualité où des morceaux se trouveraient en mauvais état, leur vérification débute chaque année vers la fin du mois de mai, leur pose n'intervenant au plus tôt qu'au début du mois de juin. »

1 À Lodosa, le 2 août 2011, un homme de 74 ans recevait une cornada mortelle d'un novillo qui s'était échappé du parcours de l'encierro après avoir brisé la barrière. Suite à cet accident, le Gobierno de Navarra réfléchissait à un nouveau règlement applicable dès l'année prochaine.
(Notes suivantes ajoutées par l'auteur du post.)
2 Emmanuel de Marichalar, Le souffle dans le dos. Encierros de Pampelune et d'ailleurs, J&D Éditions, 1997.
3 Du nom de 'Liebrero', celui de la carte postale.

Carte postale publiée avec l'aimable accord de Velonero (photographie © José Galle Gallego), auteur du touchant « Tiroirs ». Merci à lui.

11 septembre 2011

El día grande de Puçol


La photographie est de Florent Lucas, un franchute qui vit là-bas… Le pueblo c'est Puçol. La photo… elle est forte…
Bientôt nous y serons ; Campos y Ruedos au pays des toros dans les rues, au pays des bous al carrer.


10 septembre 2011

Yonnet à Aire-sur-l'Adour, wait and see



Si l'on en croit divers sites taurins français, il semblerait qu'un lot de Hubert Yonnet soit lidié à Aire-sur-l'Adour le 23 octobre 2011. L'information est évidemment à confirmer mais c'est une nouvelle très intéressante pour les aficionados, d'autant plus que le lot lidié était, paraît-il, initialement prévu pour Barcelone.
Sur la photo prise en 2006 (la Coupe du monde de football explique la présence rare d'un ballon de foot dans les corrales), un exemplaire de Hubert Yonnet qui avait chèrement vendu sa peau lors d'une corrida concours.

"Wait and see", comme on dit, et espérons tout de même.

07 septembre 2011

Autorovia (IX)


Luis Cuadri est le fils de Luis Cuadri. Luis Cuadri n’a pas les mains moites et est aussi grand que moi. Je le savais pour avoir déjà rencontré Luis mais je n’y avais pas prêté attention. J’ai essayé de me tenir bien droit pour pouvoir comparer sans me tromper, j’ai relevé le menton comme chez le médecin tout en espérant que Luis ne s’en rende pas compte. J’avais déjà assez à supporter la conscience de mon propre ridicule. J’ai tourné mon regard vers le haut de son crâne et j’ai tenté d’évaluer où se trouvait le sommet du mien. Le constat était sans appel : Luis Cuadri est aussi grand que moi. La première fois que j’ai rencontré Luis Cuadri il m’a demandé si j’avais connu Luis Cuadri, son père, "el bigote". Je lui ai répondu que oui, que c’était son père qui m’avait accueilli quelques années auparavant à "Comeuñas". C’était tôt le matin, le jour était fauve et muet, reflet parfait de ce que dégageait Luis Cuadri. Je me souviens que j’osais à peine le regarder malgré cette insistante et satanée petite voix qui me dictait d’en tirer le portrait. Une chose m’avait marqué : ses yeux plus noirs que de l’encre de Chine percés d’un fil de lumière acéré, tranchant, sanguin. Je n’ai jamais pris cette photo. Luis Cuadri est décédé quelques mois plus tard. En observant Luis, son fils, j’ai une pensée pour son père et pour cette photo que je n’ai jamais prise. Les douleurs de l’autre nous renvoient sans cesse à nous, qu’on le veuille ou non. J’ai le sentiment, en repensant maintenant à Luis Cuadri, que ce sont ces photos qui n’existent pas qui occupent le plus mon esprit. François Bruschet, qui a l’accent du Sud-Est mais je lui pardonne, évoquait il y a peu lors de nos nombreuses conversations téléphoniques un entretien donné par William Klein au sujet de son œuvre photographique. En substance, ce dernier déclarait qu’"une photo était prise souvent à 1/125° de seconde... Qu’est-ce qu’on connaît du travail d’un photographe ? Une centaine de photos ? Peut-être 125 ? C’est une œuvre. Ça fait en tout... une seconde. Peut-être 250 photos ? Ce serait déjà une œuvre conséquente. Et ça ferait... deux secondes. La vie d’un photographe, même d’un grand photographe comme on dit... deux secondes". Deux secondes... et des heures après, des jours, des mois, des années à fantasmer ce qu’auraient pu donner toutes celles que trimballe notre imaginaire. Ça peut occuper une vie si l’on y regarde à deux fois.
François Bruschet n’a jamais photographié Luis Cuadri. Lui aussi ou lui non plus. "Y avait une photo à faire avec lui", m’a-t-il avoué un jour.
J’étais d’accord avec lui évidemment. Je lui ai rétorqué qu’il devrait écrire sur cette photo qu’il n’avait jamais faite. Je rêve que François Bruschet me raconte cette photo qui n’existe pas de Luis Cuadri. Il y a tant à dire, il y aurait tant à laisser imaginer.
Luis Cuadri, celui qui est aussi grand que moi, me fait signe que José Escobar nous attend à "Comeuñas". Son frère, l’autre fils de Luis, et son oncle, Fernando, nous devancent. Ils ont souri quand ils ont vu Loulou jouer au toro. Ils pensent qu’il sera matador et n’imaginent pas à quel point je souhaite que jamais cette idée ne traverse son cerveau. Je me suis gardé de le leur dire mais au regard du rictus qui se matérialisait sur mon visage, j’ai compris que Fernando Cuadri avait saisi mon angoisse de père.
La petite maison de "Comeuñas" ne laisse entrer la lumière roide du dehors qu’au travers du prisme d’un rideau de lanières de cuir identiques à celles de la cuisine de ma grand-mère auxquelles je m’accrochais petit. En entrant à gauche, sous un H à l’envers, le frère de Luis s’est assis dans un fauteuil vieillot aux accoudoirs de bois. Il est seul et regarde dans le vague, les coudes posés sur les genoux. La maison n’est pas grande mais elle pèse déjà bien lourd sur ce corps fin et sec. Un aficionado français a eu un jour cette sentence en le voyant chevaucher à l’écoute de José Escobar : "C’est lui qui grave le disque dur." Fernando et José Escobar l’ont rejoint. Une atmosphère de miel s’est invitée par l’entrebâillement de la fenêtre. Je vois les sourires de José qui répondent à la décontraction de Fernando. Derrière eux, la pénombre se terre. Il flotte dans cette cahute de galets les volutes insaisissables de la félicité. Loulou joue avec un jeune chat noir et blanc dans un rai de lumière. J’ai demandé à Luis de me remontrer cette photo où José salue "au centre du monde, chapeau levé vers un public debout mais à genoux". Luis me l’indique du doigt et j’ai envie d’une clope. Là, maintenant ! "¿Aquí se puede fumar, Luis?" Il m’a regardé comme si je sortais d’un livre de Bukowski. Il m’a dit que c’était écrit dans Campos y Ruedos 02 et que c’était même moi qui avais commis ce texte sur José Escobar qui n’était pas Dieu mais pas loin voire même au-delà. J’ai allumé la clope en me mettant des gifles cérébrales d’une violence inouïe, vraiment ; j’ai hésité à me coller un uppercut de charpentier géorgien mais je me suis ravisé dans un éclair de clairvoyance pensant qu’il en allait de mon intégrité physique. Or, je déteste attenter à mon intégrité physique. C’est un principe que j’essaye de respecter du mieux possible. Je me dis que dans la vie, il faut avoir quelques principes. La préservation de mon intégrité physique en fait partie.
Après, on a vu les toros. Autant être succinct sur ce point, ils sont tous noirs sauf deux. Un pour Madrid l’an prochain (remember 'Aviador') et un pour Saragosse cette année. J’ai regardé mes femmes s’éloigner un instant sur le 4x4 pour donner à manger au futur lot de Madrid. J’ai pris une photo. Ça faisait safari ou un truc dans le genre. Loulou et ses sœurs ont l’air heureux. Ça sent le soleil, la paille gratte et Luis me parle des espoirs qu’il place dans ce lot. Je ne sais pas si je l’ai déjà écrit mais Luis parle très vite et j’avoue qu’il m’est difficile de suivre le fil de ses impressions alors même qu’une mouche — allez savoir ce qu’une mouche faisait là — s’ébroue dans mon espace vital sans mesurer le danger qu’il y a pour elle à faire cela. J’ai remarqué que les mouches avaient une faculté hallucinante pour faire chier l'être humain et je suppute que d’autres congénères de mon espèce acquiescent en me lisant. Certes, en ce domaine, nul ne peut contester la suprématie cosmique du moustique mais mon expérience des mouches m’incline à penser que j’ai raison. Je me suis déjà fait la réflexion il y a quelques mois que l’idéal pour visiter un élevage de taureaux de combat serait de conserver à portée de main, dans une poche du sac photo par exemple, une bombe insecticide ultrapuissante. Je geins de douleur pour les pingouins et autres espèces touchées par l’insondable, injuste et aveuglée pollution humaine mais je le répète, c’est un principe, je ne conçois pas que l’on s’attaque à mon intégrité physique, même et surtout s’il s’agit d’une mouche. Je lis sur les lèvres de Luis qu’il croit beaucoup dans ce lot mais la mouche poursuit son funeste destin et je me concentre de tout mon être pour en faire un point noir sur le mur gris. Luis me montre le n° 40, des diamants dans les yeux et PAF ! "Saloperie, buzz buzz buzz hein, tu fais moins la maligne, tu buzzzzes plus, tu manques d’ailes, tu manques d’air, t’es mooooorte !!!", ai-je exulté dans un silence des plus digne.

Luis n’a rien vu ou a fait semblant. Je suis d’accord avec lui, le n° 80 me plaît. Je me dis que j’ai réussi à bien reprendre le fil de notre conversation malgré le désormais point noir à coulée blanchâtre qui va sécher sur le mur gris et malgré que — oups ! ce n’est pas français — Luis parle très vite.
Je regarde mes femmes et Loulou. Loulou et ses petits bouts de gonzesses. Ma femme. Je regarde ma femme. J’aime regarder ma femme. Je suis venu plusieurs fois à "Comeuñas" ces dernières années. J’aime venir à "Comeuñas". Je n’y vois aucun lien avec le fait que chez moi la coupe des ongles est élevé au rang de rite. D’ailleurs, et je ne l’ai jamais dit à ma femme, il m’arrive de cacher mes ongles rongés avec patience et précision sous le canapé du salon. Je n’y vois aucun lien logique mais j’aime venir à "Comeuñas". Je regarde ma femme. Il n’y a qu’elle comme femme. Ils l’ont tous très bien accueillie ainsi que ses trois petits bouts de femme. Pour le reste, je n’ai jamais vu une seule femme à "Comeuñas". C’est un lieu testostéroné et sur le sol rouge les touffes de grandes herbes raides prennent l’allure d’un torse velu, fièrement velu et prétentieusement exhibé sous la chemise ouverte parce qu’il fait chaud et parce que c’est le Sud. Ça fait cliché mais il y a du vrai sous la chemise ouverte. Ils sont entre eux ici. Ils discutent de trucs de mecs j’imagine : football, toros, voitures et femmes. Ils doivent boire des bières sans que personne, comme le soir à la maison, ne leur en fasse la remarque. Ils peuvent se curer le nez aussi du haut de leur cheval et lâcher de bons rots gutturaux après le repas de la mi-journée. Ils sont entre eux. Ils fument leurs puros, autant qu’ils veulent ils en fument et Mercedes ne peut pas leur dire qu’ils en fument trop parce que Mercedes elle ne vient pas ici. C’est pas son territoire. Ici, c’est chez eux. Les toros les regardent, eux qui hurlent de voir des femelles. En cherchant à l’horizon un point blanc dans ce torse d’herbes raides, j’ai compris une chose sur le toro de Cuadri. Les hommes qui les élèvent prennent toujours leur temps pour aller les chercher. Ils les ramènent au pas. Et j’ai compris que ces hommes racontaient alors à ces toros sans femelle ce que c’était les femmes. Ils prennent leur temps parce qu'ils parlent à leurs toros pour les rendre furieux. Ils leur racontent qu’ils les aiment, qu’elles sont belles, que c’est bien d’être avec elles mais pas ici. Pas à "Comeuñas". Ici, c’est chez eux. Et les toros de Cuadri écoutent en écumant de rage. Ils ne sauront jamais, eux ! Ils engrangent la frustration et ils cultivent la haine. Un jour, ils doivent se venger de toutes ces histoires. Un jour, ils entrent dans une arène...
J’ai embrassé Luis. Il me tarde de le revoir. Je regarde ma femme. Elle me regarde. On rentre.

>>> Retrouvez une galerie consacrée à la ganadería de Cuadri (les toros sont ceux de Saragosse) sur le site www.camposyruedos.com, rubrique CAMPOS

Vous n'avez pas acheté Campos y Ruedos 02 ?


C'est sans doute parce que vous n'avez pas encore parfaitement mesuré tous les avantages de cet objet révolutionnaire : le livre.

Pour en savoir davantage, il faut se rendre par ici.

Bonne lecture.




05 septembre 2011

María del Sagrario Huertas


Pour celles et ceux qui s'intéressent un tant soit peu aux ganaderías de taureaux de combat, nous ne doutons pas que vous connaissez depuis longtemps le site de référence www.terredetoros.com. Bonne nouvelle, le compère Thomas Thuriès vient de mettre à jour son site en présentant un petit élevage de la province de Tolède qui a la bonne mais laborieuse idée d'élever des animaux d'encaste Santa Coloma dont une partie est issue de l'ancienne ganadería de Sotillo Gutiérrez. Il s'agit de l'élevage de María del Sagrario Huertas cousine de Víctor Huertas dont la ganadería a déjà été présentée sur Campos y Ruedos.
Pour être complet et avant de revenir ici même en photos sur cet élevage, nous vous invitons aussi à aller jeter un coup d'oeil aux photographies prises chez María del Sagrario Huertas par l'autre compère Luigi Ronda.
Bonne visite sur ces terres de toros.


Photographie Un novillo de María del Sagrario Huertas © Laurent Larrieu / Camposyruedos.com

03 septembre 2011

Autorovia (VIII)


Mardi
Je fume sur la terrasse. Le vent pénètre la nuit et cogne sur les antennes de télévision enchevêtrées. Chaque matin je les regarde. Je me demande chaque matin si je les prendrai en photo. Ça donnerait quoi en photo ? Chaque matin, quand Séville est encore en possibilité de vie, je les contemple sans en attendre rien que le bonheur simple de sentir l’odeur ocre de mon café dans un lieu où je ne serai plus dans quelques jours. Ça peut être émouvant une forêt d’antennes. Des formes toutes en angulosité, aux lignes étiques, c’est la balade morne, dans le sang du soleil levant, d’une armée en débâcle, sur le retour, des corps blessés, meurtris, des râles et des souffles rauques. La vie quotidienne ne tient à rien. Souvent je les regarde le temps que mon café refroidisse et souvent je me fais cette réflexion que la vie quotidienne ne tient à rien, pour des millions de personnes, qu’à ces hallebardes modernes et mélancoliques d’où surgit ce qui subsiste de leur ultime ouverture sur le monde. Je les prendrai en photo avant de partir.

Je termine ma clope en regardant ma femme. Je finis toujours avant elle. Je mange plus vite qu’elle aussi. Les spécialistes affirment — je l’ai lu dans Femme Actuelle ! — qu’il faut manger lentement pour garder la ligne ; je considère que ma vitesse de mastication s’adapte bien mieux à la courbe qu’à la ligne. Elle doit se dire des fois que je suis totalement tordu de vouloir photographier des antennes de télévision sur les toits blancs de Triana. Je ne sais pas encore si je vais lui en parler. J’aime beaucoup partager mes interrogations et mes sensations avec ma femme pourtant. Elle me regarde dans les yeux sans dire un mot, sans objecter, sans juger, elle me regarde dans les yeux. Elle a des petites pointes de vert éparpillées dans le marron. Ça fait des étoiles. Elle croit que je ne les vois pas. Elle ne sait pas que je les vois en vérité. Elle me regarde dans les yeux et je lui cause des photos que j’aimerais prendre. Au fond de moi, je trouve que le verbe "prendre" convient tout à fait. J’ai toujours ressenti une vraie gêne, une petite honte, à me coller en face de personnes inconnues pour les figer ou leur donner une autre réalité ou une autre dimension sur une image. Notre société occidentale a beau se vautrer sans retenue dans l’iconoclasme le plus débridé, il n’en reste pas moins que c’est un défi à soi-même de déclencher face à quelqu’un qui prend conscience que nous sommes là. Dans cette même rue il n’y a pas si loin finalement, j’avais osé demander à une vieille dame assise devant un portant de robes flamenco si je pouvais me permettre de la prendre en photo. Elle a dit non. Elle a hésité ensuite pour finir par accepter. Je ne sais toujours pas aujourd’hui pour quelle raison elle a dit oui. Je l’ai recroisée depuis que nous sommes là. Elle est toujours posée sur sa chaise de plage à contempler la rue qui traverse et marche devant elle. Je n’ai pas eu le courage de lui redemander. C’est terriblement difficile de photographier un être humain, d’être là en voulant donner l’illusion de ne pas y être ou du moins de ne pas être vu. Quand on est grand c’est pire. Ma femme acquiesce. Je sais qu’elle me comprend. Elle m’a vu faire ou plutôt elle m’a vu si souvent ne rien faire. Elle sait que j’aime bien photographier les personnes âgées. Je lui ai expliqué un jour pourquoi. Chez les personnes âgées, les visages et les corps sont imparfaits. La vie a fait son œuvre. Les rides, les dents qui manquent, les dos voûtés, les jambes arquées, gonflées, rougies sonnent l’alarme de la mortalité. On oublie trop notre état de mortel. Et puis, toutes ces imperfections, à ce que j’ai pu observer, opèrent un contraste souvent remarquable avec la vivacité et la lumière si particulière qui emplissent les yeux de ces corps torsadés. Les photos de personnes âgées sont celles qui disent le mieux l’humanité et sa fragilité. On les regarde comme des enfants qui jouent, la bienveillance en éveil. C’est certainement trompeur mais après tout la photographie n’a pas à dire de vérité. La vérité n’existe pas. J’ai vu cette photo — prise par un vrai photographe — d' un vieillard prise droit dans le regard. Tout était beau, parfaitement beau. Si ça se trouve, me suis-je dit en détaillant le cliché, ce vieux a été un salopard dans sa jeunesse, peut-être même l’est-il resté aujourd’hui. Si ça se trouve il a cogné sa femme, si ça se trouve il mate des photos de jeunes japonaises pré-pubères en petite culotte blanche, si ça se trouve il a torturé d’autres hommes, si ça se trouve il pisse dans sa cafetière tous les matins. C’est quand même une histoire singulière une photo.
Je ne l’ai pas dit à ma femme mais je conçois une dernière raison beaucoup plus terre à terre à photographier des personnes âgées. Dans 90 % des cas, elles courront moins vite que moi si leur venait l’idée de me gueuler dessus. Elles pourront toujours essayer mais je les sèmerai au vent, je les enrhumerai du souffle de ma fuite pour les abandonner là, la canne en sueur, une crampe au béret, la ride vibrante de colère, frustrée.
— À quelle heure le réveil demain ? Il t’a dit quoi Luis ?
— J’ai rien compris à ce qu’il a dit. Luis est andalou de Trigueros. Pour lui les mots ne se prononcent pas, ils se crachent comme les coquilles vides des pipas. J’ai cru comprendre 9h30 à Trigueros. On va essayer ça.
— Tu redescends les clopes ?
— Faudra en racheter demain !

Mercredi
Trigueros est à l’ouest de Séville. "Comeuñas" est à l’ouest de Trigueros et moi je suis à l’ouest, au point le plus absolu de l’ouest, quand me parle Luis Cuadri. Le cortijo Juan Vides s’agite d’ouvriers, de machines agricoles et des rires de Loulou. Les chiens aboient pour faire chien. Je n’ai pas vu de chat. Dans le patio du cortijo, une chaise est sortie et un petit ratier attend à côté d’elle. Luis attend José Escobar. Ici, rien n’est concevable sans José Escobar. José a un contretemps avec une vache m’explique Luis. Rien n’est moins sûr donc. Peut-être m’a-t-il tout simplement avoué que José Escobar était en train d’acheter ses purros à Trigueros ou qu’il avait rendez-vous chez l’ophtalmo. J’ai choisi de le croire, un souci avec une vache brave, ça sent plus le campo.
Je suis retourné dans le patio. Le chien n’était plus seul. Un homme, âgé mais pas trop, mal rasé, un type d’ici, était maintenant assis sur la chaise et caressait le ratier. J’ai dit "Hola", il a répondu, sans un regard, quelque chose qui ressemblait à "A..." J’ai pris ça pour un bonjour accueillant. Je me suis mis face à lui, à deux mètres, lentement. J’ai plié les genoux pour être à son niveau, lentement. Je n’ai rien demandé. J’ai repensé à la vieille de la calle Castilla. Je lui avais demandé à elle. J’étais gêné comme d’habitude mais je n’ai rien demandé. Il m’a regardé faire mon cinéma, il ne s’est pas arrêté pour autant de rendre le clebs heureux, il a rabaissé les yeux. J’ai marché vers Luis, je crois avoir lancé un "Hasta luego" reconnaissant.