J’ai donc une pensée émue pour l’immense Stéphane Hessel qui n’aurait pu imaginer à quel point il allait entrer de plain-pied dans le panthéon de la niaiserie quotidienne en proposant dans un cultissime pamphlet d’une dizaine de pages à peine la solution à tous les problèmes : l’INDIGNATION.
À la différence près que MONSIEUR Stéphane Hessel n’aurait pu anticiper que sa chère INDIGNATION aurait un jour pu surgir de la barrera fleurie sol y sombra d’une bourgade boueuse landaise qui avait enfin décidé de ne plus supporter l’excès qu’elle avait, par tradition, elle-même tant réclamé, et ce bien avant que la télé soit en couleur. Dax s’indignait d’un trop-plein de trop d’excès alors qu’elle n’a jamais su s’émouvoir d’une corne aféitée ou d’une atroce monopique assassine, encore moins d’un indulto frais et grotesque ; comme si Gargantua avait fini par blâmer les clampins qui s’affairaient aux fourneaux et lui remplissaient l’auge. Pas banal, n’est-ce pas ?
Il n’aura échappé à personne qu’ici, et dans une certaine frange du milieu autorisé, beaucoup d’entre nous s’étaient permis un peu d’avance sur l’indignation à tout-va, et l’on n’avait point attendu que Dax fasse monter des vétos au palco ou présente des toros imprésentables, avant de ne pas les piquer et de les gracier, pour s’offusquer de la connerie ambiante qu’on respire ces temps-ci comme on inhale les effluves printanières du périph' nord, sortie Saint-Ouen.
Bref, nous, Cyriens, nombrilistes et plus vraiment combattifs, trouvons que cette indignation pue, et qu’elle n’a plus tout à fait l’épaisseur de l’indignation « hesselisante » qui portait, elle, un vent frais de réelle contestation pour de sincères et vitales raisons. Et on aura du mal à nous faire croire que cette indignation nouvelle version, fleurissant si facilement d’un peu partout, de la part de n’importe qui, à propos de n’importe quoi, n’a d’autres valeurs et, n’en doutons pas, d’autres intérêts que les aboiements pleins de verve et de patriotisme de ceux qui se sont découverts une âme de résistant convaincu, gaulliste et républicain à la fin de l’année 1944, ceux-là mêmes qui s’avérèrent plus virulents que tous les autres au moment de la plus honteuse des tontes.
J’en profite donc pour saluer ici même les « indignés » de la place Tahrir ou de Benghazi, authentiques détenteurs de ce titre, et je les salue d’autant plus que ce qui nous rassemble sur ces pages n’aura jamais la teneur ou le poids du combat que certains peuples livrent un jour pour avoir le droit de vivre dignement... parfois, juste vivre. Et il n’est jamais inutile de rappeler à tous, aux petits soldats de tranchée, comme aux Torquemada des salons chauffés, qu’ici comme ailleurs, quel que soit le contenu du sujet qui nous embrase, nous ne parlons jamais que de toros.
Ainsi, quand vous aurez fini de vous indigner pour venger vos petites défaites personnelles, pensez donc à lutter vraiment, avec des convictions sincèrement aficionadas. Peut-être y trouverez-vous ainsi une façon saine d'exister ?