12 septembre 2011

Courir le toro


Deux valent mieux qu'une : la formule n'est pas vraie dans tous les cas — vous serez d'accord avec moi qu'il est préférable, à force égale, de recevoir une gifle plutôt que deux... Bref, dans le cas qui nous occupe, deux barrières valent mieux qu'une et cet extraordinaire cliché de Galle en constitue sans doute l'illustration parfaite. L'unique barrière vient de céder1 sous la charge de la bête et tout le monde ne pense désormais qu'à une chose : sauver sa peau. Chacun tente bel et bien de fuir, mais dans la panique on se pousse, on trébuche, on s'agrippe, on s'élève et on crie sûrement beaucoup. La petite fille à la merci des cornes ne crie pas  — je suis convaincu que, ce jour-là et à ce moment précis, elle n'a pas crié. Elle a déjà vu les hommes « courir les toros » dans les rues et, ce jour-là et à ce moment précis, sous la menace, elle ne joue pas à les imiter ; elle ne donne pas non plus l'impression de paniquer tant son attitude rappelle celle des mozos les plus allurés. Ce jour-là et à ce moment précis, ce petit bout de femme « court le toro ».

Après avoir pris connaissance de l'incident du 7 juillet dernier lors du premier encierro — la porte d'Estafeta se refermant devant le museau d'un cabestro —, je me mis en quête d'informations sur le vallado (la [double] barrière en bois) en général et la porte d'Estafeta en particulier, sans pouvoir trouver de date précise (et satisfaisante) sur la mise en place de la double barrière. Au terme de mes recherches, à la mi-août, je décidai de retenir ce qu'Emmanuel de Marichalar a écrit dans son ouvrage de référence2 sur les « encierros de Pampelune et d'ailleurs » : « Pourtant, la présence des barrières n'est pas toujours synonyme de sécurité. La preuve en a été donnée en 1939. Le 8 juillet, un taureau de l'élevage de Sánchez Cobaleda3 brisa une des barrières et des spectateurs furent victimes de coups de cornes. Après cet accident, les barrières les plus exposées étaient renforcées de barres d'acier. Puis, en 1942, la totalité des barrières était doublée.
Le but essentiel de la double protection est d'éviter la fuite d'un taureau qui réussirait à rompre la première barrière. L'objectif secondaire est de permettre aux coureurs en danger de se réfugier entre les deux barrières, sans être gênés par les spectateurs. [...]
Depuis l'inauguration de la double barrière, une seule a cédé, le 14 juillet 1990. Un taureau du comte de la Corte percuta de tout son poids, dans une chute, la barrière du tournant entre les rues Mercaderes et Estafeta. Il la cassa sans même s'en rendre compte et les photographes, policiers, secouristes, employés et charpentiers qui se trouvaient là en ont été quittes pour une grosse frayeur.
Il existe encore des madriers centenaires, mais ils sont installés aujourd'hui sur le parcours de l'encierrillo. Dans l'éventualité où des morceaux se trouveraient en mauvais état, leur vérification débute chaque année vers la fin du mois de mai, leur pose n'intervenant au plus tôt qu'au début du mois de juin. »

1 À Lodosa, le 2 août 2011, un homme de 74 ans recevait une cornada mortelle d'un novillo qui s'était échappé du parcours de l'encierro après avoir brisé la barrière. Suite à cet accident, le Gobierno de Navarra réfléchissait à un nouveau règlement applicable dès l'année prochaine.
(Notes suivantes ajoutées par l'auteur du post.)
2 Emmanuel de Marichalar, Le souffle dans le dos. Encierros de Pampelune et d'ailleurs, J&D Éditions, 1997.
3 Du nom de 'Liebrero', celui de la carte postale.

Carte postale publiée avec l'aimable accord de Velonero (photographie © José Galle Gallego), auteur du touchant « Tiroirs ». Merci à lui.