18 octobre 2012

Oan Kim


À Sylvain,


Oan, ça sonne court, très court. Ça claque, net. J’aime beaucoup les prénoms qui sonnent court. Une syllabe, pas plus. Oan Kim, plus court impossible. Dépouillé, comme beaucoup de ses photographies. Parce que Oan Kim est photographe.
Peut-être que certaines des photographies d’Oan sont le reflet de son nom finalement, de son prénom : épurées, nettoyées de l’inutile. Si son écriture n'est pas exclusive et explore des champs bien plus vastes, de toutes les photos d’Oan celles qui me parlent le plus sont celles très pures ; j’allais dire très graphiques, mais non.

Ces photos ne sont pas uniquement graphiques, elles sont au-delà d’une simple recherche esthétique. Elles portent en elles une poésie, une atmosphère qui fait qu’on s’y arrête et qu’on y reste. C’est flagrant dans beaucoup des images de l’ouvrage Je suis le chien Pitié publié chez Actes Sud en 2009.
À la fin du livre, Laurent Gaudé, dont le texte accompagne les photographies, répond à la question « qu’est-ce qu’une bonne photographie ? » de la manière suivante : « C’est une photo qui oblige à un temps d’arrêt. Du regard. De la pensée. Une photo dans laquelle on peut s’engouffrer et qui, ensuite, vous hantera, travaillera en vous. »
C’est exactement ça. Une bonne photo est un monde, un univers qui s’ouvre et vous propose un voyage duquel on ne doit pas ressortir totalement indemne.

Curieusement, Oan Kim est devenu photographe par facilité. Il le dit : « Je suis venu à la photo par la peinture, en admirant Cézanne, De Chirico, Giacometti ou Twombly. La photo était une façon de prendre des notes, comme un carnet de croquis. Mais j'ai aimé son rapport direct au réel et à la vie, qui en faisait quelque chose de simple à aborder, alors que la peinture venait avec le poids de son histoire et de son panthéon impressionnant. »
Oan Kim est donc un peintre suicidé par flemme, un photographe par défaut en quelque sorte, influencé à ses débuts par Lee Friedlander, Robert Frank, Duane Michals et quelques autres.
Photographier serait pour lui une façon de faire de la peinture sans se fatiguer — là je suppute et ça peut se discuter —, mais Oan a bien fait de devenir photographe.

Pour cela il utilise un peu tous les appareils possibles. Il n’a pas de chapelle, ou plutôt, il ne se donne pas trop de contraintes : « Je travaille essentiellement en argentique, mais je me mets de plus en plus au numérique, et pas seulement pour de la commande. À vrai dire je n'ai pas d'attachement a priori même si j'ai plus de repères en argentique. J'aime bien utiliser les contraintes inhérentes aux techniques que j'utilise, que ce soit avec un appareil jetable, un Leica, un reflex numérique ou un téléphone. On a aussi des idées différentes selon qu'on développe ses photos en chambre noire ou sur Photoshop. Le fil conducteur de ma démarche, au delà des différents genres que je peux aborder, c'est de faire émerger une forme spécifique à partir d'un sujet donné. Parfois un sujet appelle un traitement documentaire assez classique, d'autres fois un sujet demande une approche plus formelle, et parfois il faut passer par des dispositifs un peu conceptuels. Pour une série sur la foule réalisée à Hong Kong, il avait fallu que j'en fasse une vidéo avec une voix off pour arriver à quelque chose qui se tienne, alors que ce n'était pas du tout mon idée au départ. »

Oan a découvert la tauromachie il y a un an et demi, à Séville, où il était invité avec d’autres photographes pour témoigner sur le monde taurin. Et forcément, ici, à Campos y Ruedos, ça nous a interpellés ce regard à la première personne du singulier, comme dirait Klavdij Sluban. Car le regard que peut porter un photographe-auteur sur le monde des toros sera forcément différent de tous les lieux communs photographiques totalement éculés que l’on croise trop souvent dans ce monde. Oan est photographe ; il est un regard, par forcément aficionado. Tout l’intérêt est là.

« J'ai été assez surpris de la complexité et de l'intensité des émotions que la corrida provoquait. Je ne sais pas si je suis aficionado, la tauromachie me fascine mais je reste ambivalent. J'aime sa gravité et sa noblesse, mais elles me semblent souvent compromises par une approche trop sportive, liée à la performance. Mon approche a d'abord été de montrer la dimension sombre et tragique de la corrida, que je trouve curieusement absente de la plupart de ses représentations photographiques. Donc dans un noir et blanc presque expressionniste avec des noirs profonds, avec des images parfois abstraites ou étranges. J'ai aussi privilégié une approche narrative, en essayant de décrire le monde de la tauromachie avec des écritures photographiques assez différentes. Je l'ai pensé comme un film qui se passerait dans le monde de la tauromachie, avec une dimension fictionnelle presque onirique. »


>>> Vous pouvez découvrir la série d’Oan Kim consacrée aux toros, « Mort dans l’après midi », sur le site de l’agence MYOP dont il est un des fondateurs.

L’image qui illustre ce post est tirée de l’ouvrage Je suis le chien Pitié.