24 septembre 2012

A hombros


Détail des gradins des arènes de Teruel — Laurent Larrieu/Camposyruedos.com

En voilà un qui ne devait pas jouer au loto.
Dans les années 1930, avant que la guerre civile ne vienne par ici faire ses ravages, Teruel décida qu'il lui fallait une nouvelle plaza de toros. Peut-être l'ancienne, toute de bois, avait-elle brûlée ? On choisit de l'installer sur les abords du vieux centre mudéjar, dans l'ensanche comme c'était devenu l'habitude dans de nombreuses villes où les centres étaient pleins. Le style néomudéjar prévalut et le financement reposa sur les frêles épaules d'un peuple pas bien riche mais certainement très aficionado. Une sorte de quête à grande échelle apporta l'oseille (300 000 pesetas à l'époque) pour monter les pierres.
Dans l'historiographie officielle de ces arènes, dans les livres, dans les mémoires, le premier à être sorti « a hombros » des arènes de Teruel fut Manolete dans les années 1940, lorsque Teruel pansait encore les plaies de la terrible bataille qui porte aujourd'hui son nom.
En vérité, c'est faux.
Ce n'est pas Manolete qui inaugura les marches du triomphe de la cité aragonaise. Même pas un torero. Les vieux connaissent la vérité et la savent rendre à César.
Lors des travaux de construction, un ouvrier du coin se blessa assez gravement et l'on fut obligé de le conduire à l'hôpital le plus proche. Le chemin le plus direct était de traverser les arènes, puis de franchir le porche d'entrée de celles-ci. Porté par ses pairs, inquiets on l'imagine, notre laborieux aurait eu ces mots qui ne s'inventent pas : « Au moins, je serai le premier à sortir porté en triomphe de cette plaza ! »
La plaza de Teruel porte un surnom dont toutes les empresas se passeraient volontiers : « La plus grande arène du monde ». Non pas que sa taille donne le tournis, mais il s'agit tout simplement d'une blague de gars du coin pour signifier l'impossibilité, constatée tout au long de soixante-quinze années d'histoire, de remplir ces arènes. Seul José Tomás, seul. Une fois, c'est tout.