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14 avril 2013

Mustapha voulait toréer


Mustapha est maghrébin. Il est né là-bas. Il y retournera peut-être pour voir venir à lui les vieux jours de sa vie. Mustapha bosse comme vaquero dans la finca des héritiers Sanz Colmenarejo, au nord de Madrid, à trois jets de pierres de la très blèche Colmenar Viejo. Sur les hauteurs de la finca, on distingue parfaitement les tours de la Castellana et les nouveaux buildings de la capitale. Ça brise un tantinet l’horizontalité sans faille de la Meseta ; c’est le sud, et Mustapha doit se dire certains matins que c’est de là qu’il vient. Ses parents élevaient des vaches à lait, alors Mustapha connaît bien le bétail et sait se comporter avec lui.

Un jour, pourtant, Mustapha a découvert, entre naïveté et orgueil, qu’un taureau de combat n’était pas une prim’holstein. En voyant se garer la grosse Mercedes grise devant le patio de la finca, Mustapha a pris la mesure de ce que pouvait être le monde taurin. Jusque-ici, ses connaissances sur le sujet se bornaient aux discussions qu’il entretenait avec l’éleveur et le bétail. De la Mercedes descendirent deux beaux et jeunes hommes, fashion victimes tendance Massimo Dutti, gominés, parfumés et briqués comme savent si bien le faire les Espagnols. Mustapha les observa tout en nourrissant les bêtes, les pieds dans la merde et la combinaison bleue saupoudrée de paille. Des toreros ! Il n’en avait encore jamais vu ! Ces types-là venaient ici dans cet accoutrement pour toréer ? Et on les payait pour ça ? Et vu la bagnole des bonshommes, on devait les payer un bras et la jambe avec.

Mustapha acheva son ouvrage et attendit que le soleil déclinât pour s’entretenir avec son patron :
— Tu sais, y’a un truc qui me chagrine avec ces gars qui sont venus.
— Ah bon ? Que s’est-il passé ?
— Rien, non c’est pas ça. Mais ils débarquent en Mercedes, pomponnés comme des femmes, et toi, tu les payes pour venir tester tes vaches. C’est pas très normal tout ça.
— …
— Ce que je veux dire, c’est que j’ai une autre solution à te proposer et qui te coûtera bien moins cher : moi, je peux toréer toutes tes vaches. Ça te reviendra moins cher, c’est sûr !
— Euh, Mustapha, c’est un métier de toréer, ça s’apprend, c’est très difficile.
— Très difficile ??? Tu rigoles ? Franchement, ça a pas l’air, je suis sûr que je m’en sortirais aussi bien que ces voleurs en Mercedes.
— Mais, Mustapha, ce n’est pas moi qui les paye pour venir toréer ici. Ils viennent s’entraîner, ici. Ils « tientent » les vaches. L’argent, ils le touchent après, quand ils font des corridas avec du public.

Mustapha se rendit aux arguments de son patron, non sans avoir quelque peu regimber à l’idée que ces types pouvaient être aussi bien payés pour faire un boulot aussi simple que toréer.

Les semaines passèrent. Les saisons aussi. Mustapha se plaisaient au milieu de la ganadería, mais certaines idées ne l’avaient pas quitté. Vint le jour où le ganadero organisa une petite fête pour ses amis. La capea faisait bien-sûr partie des immanquables de la journée, et Mustapha se planta aux premières loges. Il aimait bien ça, le toreo. 

Surgit une vache plus grande qui plongea les convives dans l’expectation et le doute.
— Mustapha ! lui lança le patron. Tu disais que toréer était facile. Cette vache n’attend qu’un bon torero.

Pour toute réponse, Mustapha sauta dans le ruedo de la petite arène de tienta, d’où l’on devine Madrid, le sud et son passé. Il s’empara sans peur du morceau de flanelle rouge et se planta au centre de la piste en haranguant la vache devant le regard médusé du mince public et les regrets dissimulés du ganadero, qui comprenait que certaines provocations doivent se faire avec les personnes requises. Mustapha n’avait pas conscience du danger et rien ne l’aurait arrêté.

La vache s’élança, elle traversa tête haute le rond, direction Madrid, et, d’un coup, violent, sourd, malsain, elle envoya Mustapha goûter l’air pur des hauteurs, d’où ses yeux purent certainement, l’espace d’une fraction de seconde, le temps que tous les visages se figent devant l’inévitable, deviner l’esquisse de montagnes bleues sous le soleil au-delà du détroit. 

Depuis ce jour, Mustapha sait que toréer est un métier.


>>> Retrouvez, sous la rubrique « Campos » du site, une galerie consacrée à la ganadería madrilène Herederos Sanz Colmenarejo.

03 février 2013

Réminiscence


Le nom est imprononçable : Moralzarzal. Les voisins de Carmen Segovia hurlent de dépit sur une terre, infertile et malade, sans herbe, de laquelle ne semble pouvoir s’extraire que d’atroces fundas. La route n’est pas loin ; elle conduit à Madrid. 

On se dit qu’il y a mieux pour élever des taureaux de combat. On a déjà vu beaucoup mieux. Pour autant, la finca a son charme. Les hermanos González Rodríguez ont réussi à conserver le charme de l’ancien et, en cette fin de journée ensoleillée, les pierres lourdes de la placita de tienta s’adoucissent sous les attouchements des derniers halos d’une lumière maintenant ambrée. Le vent se glisse à pas feutrés entre les feuilles qui frissonnent d’aise et savourent le coudoiement des chevaux et le calme apparent — il ne peut être qu’apparent — des novillos de la ganadería. 

Les hermanos González Rodríguez sont d’étranges personnes, physiquement parlant. Hommes forts, imposants, marqués par l’âge qui avance et qui devrait plutôt annoncer le jubilé que l’entêtement à maintenir en vie l’un de ces innombrables élevages de bravos qui peuplent la région. 

L’un des deux a les traits d’une femme. Le visage est parfaitement glabre et barré de lunettes de soleil. Le buste est un mystère, comme s’il n’avait pu choisir entre les traits fermes et droits d’un homme et ceux arrondies, baroques et vivants d’une femme.

En replongeant dans les photos de cette journée — photos que j’avais oubliées —, ce sont ces souvenirs qui reviennent en premier. La douceur exquise d’une fin de soirée printanière, la saveur intérieure de regarder la nuit venir sur la pointe des pieds et cet homme étrange, comme asexué, comme inachevé, qui nous racontait son histoire et celle de son élevage qu’il ne voulait pas voir disparaître. 

La mémoire opère un tri curieux. Quelques jours après cette visite, c'est la finca et son histoire qui l’occupait toute. C’était là que ‘Diano’ avait débarqué en terres madrilènes et que Vicente Martínez embarquait certaines corridas. Je n’avais retenu que cela.

À mesure que le temps passe, ne subsistent que la réminiscence d’un état de la nature ce soir-là, une sensation purement corporelle ou sensorielle, le vent que je pourrais sentir sur ma joue, son souffle léger, constant et cotonneux, et ce monsieur étrange et sympathique qui eût pu être une femme.


>>> Retrouvez une galerie des bravos (origine Pablo Mayoral, soit Santa Coloma/Veragua) de Hermanos González Rodríguez sur le site, sous la rubrique «Campos».

16 août 2011

Autorovia (II)


Mercredi
— Ça y est ! On est en Espagne !
  Y sont où les toros ?
La carte ne m’avait pas prévenu de ça. Même écrit petit, c’était pas écrit. Faut expliquer maintenant. Expliquer que la route elle est très très grande et très très longue et que les toros ils sont tout au bout de la route qui est très très longue et qu’en plus les toros y se cachent sous des grands arbres parce que les toros ils aiment bien qu’on leur fiche la paix. Faut trouver les mots et c’est pas évident.
— Mais c’est où qu’y courent les toros ?
Pas à Biriatou... non, pas à Biriatou.
Si les toros ne naissent pas à Biriatou, les radios françaises y meurent. Biriatou, à chaque fois, l’œil perdu sur une enfilade de culs de camions et de néons roses aux courbes érotico-kitschs, c’est l’entrée dans un monde musical inaudible, un cosmos que seuls les magasins Bershka perpétuent à l’envi pour de jeunes adolescentes au short à la taille inversement proportionnelle à celle de leur mèche de côté et à l’allure scientifiquement dégingandée ; Biriatou, c’est Gaztea. Je n’ai aucune idée de ce que signifie ce nom de radio et allez savoir pour quelle raison je ne capte, à chaque fois, que celle-là : Gaztea. À force, cul de camion après club, club après néon, radar après radar, je m’y suis habitué. Et je laisse Gaztea. Quelque part, ça raccroche au monde actuel, à une certaine réalité mais je me suis laissé dire un jour, en passant par Biriatou  — mais fait-on autre chose que seulement passer à Biriatou ? — qu’il y avait deux catégories d’êtres humains : ceux qui coupaient Gaztea et ceux qui laissaient Gaztea. J’ai baissé la garde et maintenant je fais partie de la seconde catégorie même si je reste persuadé que la catégorie la plus nombreuse est celle qui écoute un CD en voiture. Je suis incapable d’en tirer des conclusions sur moi-même (le fait que j’écoute Gaztea), c’est ainsi.
— Papa, y sont où les toros qui courent ?
— Oh ! Loulou, écoute ! C’est Shakira, c’est « Waka Waka » ! T’aimes bien toi Shakira...
— Uiii.
Je crois que je tiens le début d’un semblant de conclusion sur moi-même.
À chaque passage ici, dans un virage à gauche sur la deux fois deux voies, je lui dis la même chose. Je m’en rends compte en le lui disant mais elle a la délicatesse de ne jamais me le faire remarquer. Ma femme a énormément de délicatesse à mon égard, en particulier lorsque que je suis au volant. Parfois, je me demande si cela ne trahit pas une angoisse fort bien dissimulée toutefois. Bref.
— Putain, ils n’ont même pas fait l’effort de donner un nom à cet hôtel !
Hostal Salida 2. Plus glauque y’a pas. Même leurs clubs couleur stabilo ont des noms. Ça donne un style, un genre, un semblant de vie réelle, de vie tout court, une poussière d’ailleurs. Les putes s’évadent un peu. Club Elvis, c’est les states ; le King, c'est Hollywood, la vie de star, l’alcool, la drogue, l’usure mais ça elles l’ont déjà, tout bien considéré, et puis il suffit d’un poster accroché au mur délavé et mité pour ne plus prendre conscience des remous saccadés et pleins d’une haleine de nuit sans fin du gras velu de José ou de Juan, ou des autres. Ça coûte pas un bras de foutre le camp, ne serait-ce que cinq minutes. Salida 2, c’est final de trayecto, sapin et Burgos en panoramique. J’ai des rêves pas chers mais là faut pas pousser.
— Ici, Loulou, les toros courent pas. Y regardent même pas !
Madrid somnole en août et nombre de bars et de tiendas affichent porte close pour « vacaciones ». Les flics ne chôment pas eux sur la Puerta del Sol inaccessible à partir de 19 heures. Le pape débarque dans quinze jours et il serait tout de même inopportun que ce sympathique octogénaire teuton puisse voir son séjour gâché par le mouvement des Indignés, qui n’ont rien trouvé de mieux pour emmerder les touristes que de s’installer depuis des semaines sur la Puerta del Sol pour déclamer dans la solidarité et sous un soleil de plomb tout leur mécontentement d’une crise qui les laisse les bras en croix, saignants de misère. En passant à côté d’un guardia civil brun ténébreux, la couille fière, j’ai supputé l’idée d’aller l’encourager dans sa mission de nettoyage de l’indignation mais je me suis juste contenter de lui demander si par hasard il ne savait pas où était le tabac le plus proche, car il était temps pour moi de trouver quelques clopes question de soulager mon anxiété face à la crise mondiale. L’angoisse des lendemains qui déchantent se partage assez bien. Je lui ai demandé ça de manière très polie comme j’ai toujours coutume de le faire quand il s’agit de représentants de l’ordre public. Clope au bec, le poumon frétillant, je me suis senti tout à coup très solidaire des Indignés. Ça coûte pas grand-chose finalement une B.A. En contemplant le spectacle rare d’une Puerta del Sol vide et seulement militarisée, j’ai pensé que le pape n’aura rien à redire du boulot accompli. Tout se passera bien dans quinze jours.
En rentrant, après avoir flâner sur Gran Vía pour m’imprégner encore plus de cette crise, j’ai lu Aplausos en grignotant des chips Lays parce que, même si c’est la crise, il est parfaitement hors de question que je sacrifie la qualité de mes chips. Les Lays sont les meilleures ! D’après eux (les journalistes de la revue de Valence), c’est vrai qu’il y a crise mais José Tomás va sauver le monde. Je ne suis pas bilingue-bilingue mais c’est en substance ce qui était raconté. En achevant le paquet de Lays (je n’étais pas seul dessus), j’étais rassuré et la crise et tous les Indignés me tracassaient moins l’esprit. J’ai regardé loulou, qui attend toujours de voir courir les toros, et ses sœurs, et je me suis dis qu’avec José Tomás qui va sauver le monde, ils ne craignaient plus grand-chose mon Loulou et ses sœurs... À moins que José Tomás ne soit pas Dieu et, dans ces conditions, ça va être un triste bordel sous peu, sans néon couleur stabilo. Mais je n’y crois pas !

Jeudi
Il doit faire 40° C à l’ombre. Le vent est une invention à penser en ces lieux. Aujourd’hui, Dieu ne torée pas. Point.

Vendredi
La nuit madrilène est constellée d’un bruit lassant, insupportable à la longue et parfaitement antinomique de ce que l’on peut attendre d’une belle nuit d’été en Espagne. Depuis notre arrivée, un incessant ballet d’hélicoptères crépite dans le ciel madrilène et la capitale prend les atours somme toute peu agréables d’une cité sous surveillance permanente. Madrid s’endort dans l’anxiété de ces miradors grésillant qui recherchent quoi ? Qui ? Pour protéger qui ? Je me pose trop de questions. Ça doit être Ellroy, les dommages collatéraux. Le pape peut venir, tout est prêt. Même le ciel de Madrid est propre mais je me dis en tirant sur le dernier taf de la dernière clope du soir que c’est bien normal d’avoir aussi pensé au ciel quand il s’agit de Dieu. Avec un soupçon de sarcasme, je l’avoue, j’ai pensé en mon for intérieur qu’ils pouvaient bien récurer même les cieux, de toute façon, les voix du Seigneur sont impénétrables... Enfin c’est ce qu’on dit ; j’ai pas été vérifié.
En me couchant, j’ai regretté de ne pas avoir fait un saut à l’exposition de photographies de Cristina García Rodero au Círculo de Bellas Artes de Madrid. Je me console avec un montón de photos de fundas dans Aplausos. Tiens, il paraît que le toro de Victoriano del Río serait le toro du XXIe siècle. Je n’arrive pas à me décider si je suis heureux de l’apprendre. Je me dis, avant de fermer les yeux, un brin inquiet quand même, que j’ai du mal à faire des choix dans la vie.

09 mai 2011

« Corte Inglés »


— Je m’appelle Goyo.
— ...
— Mais mes amis (le regard se fait insistant et sérieux, il lève le doigt pour donner plus de véracité à ce qu’il va dire) me surnomment "El Corte Inglés".
— ...
— Vous voulez un autre verre ?
— Euh...
— Si, si, vous voulez un autre verre !
Goyo est parti commander l’autre verre que nous voulions. D’autres viendront plus tard.
D’emblée, il a planté le décor.
Je m’appelle Goyo et on me surnomme le "Corte Inglés" ! Ça a l’air de l’amuser, d’ailleurs, qu’on le surnomme le "Corte Inglés". Ce type vend au bas mot 700 toros par an. De tout ! C’est lui qui l’assure. Tu veux des monstres balafrés et dénués de toute appétence pour l’art fragile du redondo "castellesque" ? J’ai. Tu veux des ratas pour figuras-sa-race ? J’ai. Tu veux de l’exotique, origine jurassique, label en voie d’extinction ? J’ai. Tu veux des toros rose avec des sabots en fraise Tagada et des cornes en forme de bouteilles de coca acidulées ? Il doit avoir aussi, mais il faudra chercher plus longtemps.
Goyo, c’est le supermarché du toro bravo, l’anti Cuadri en somme. A Colmenar del Arroyo, derrière des murs rouges qui ne portent en eux aucune inclinaison ni pour le beau ni pour l'esquisse de beau, Goyo fait attendre des centaines de taureaux de combat venus de toute l’Espagne. Il les vendra à des peñas du Levante, à d’obscures commissions taurines des alentours de Madrid, à des empresas attirées par les facilités de ce campo de bric et de broc — un grand magasin de la bête à cornes sans escalator ni code barre.
— Tenez, j’ai pris aussi quelques tapas. S’il n’y a pas assez, ils en amèneront d’autres.
Goyo est revenu avec les verres qu’il avait décidé que nous voulions. Tout cela ne laissait rien présager d’encourageant concernant un éventuel repos, une improbable pause, une incertaine accalmie. Goyo était heureux d’être là. Il pouvait parler de toros. De sa vie donc. Goyo aime le toro de lidia. Il a les goûts de sa terre où le campo n’est pas carte postale mais duquel s’extraie encore, quoique difficilement aujourd’hui, une afición exigeante pour laquelle le toro est un animal brave et fort. Goyo vend de tout dans le toro mais il n’en conserve pas moins un œil avisé, un poil taquin, sur les errements actuels du monde taurin.
— J’étais à Vista Alegre le jour de Morante. Ils ont annoncé le toro à 512 kilos. Je me suis tourné vers un ami et je lui ai dit que les 12 kilos je les voyais bien mais pas les 500 autres !
Goyo a commandé à boire et à manger, de nouveau, encore. Il avait trop de choses à nous dire.
La nuit n’est pas venue.

Le soleil est là, déjà ; l’accompagne Goyo. Toujours jovial, le verbe haut et les épaules larges, Goyo, pourtant, n’est pas le même ce matin. Des rayonnages infinis de son supermercado taurin, nous ne verrons qu’un îlot sur lequel se battent les derniers toros d’Atanasio Fernández observés en toute quiétude par les ultimes représentants de l’élevage peu connu d'Escolar Herrero (Dionisio Rodríguez). Non, ce matin, Goyo est ganadero et les toros des autres ne l’intéressent plus. Ce sont les siens, ses novillos, ses mères et ses petits qu’il tient à ensolleiller.
— Vous imaginez, je vends 700 toros par an et jamais un Français n’est venu s’intéresser aux miens.
Les siens justement. L’anti "Corte Inglés". Ici règnent les berrendos. En soi, déjà, on est ailleurs. Ici, c’est un nom du temps de l’épicerie qui commande au rite. Martínez. Les berrendos de Martínez. Goyo les élève par héritage familial et parce qu’ils sont bons et braves. Tous les ganaderos disent cela. Goyo, lui, on l’a cru. Ils ont évidemment été croisés (dernièrement c’est un semental de Flor de Jara qui officie) car un siècle est passé par là. Ils sont peu mais ils suffisent à Goyo, et on le comprend.

L’Afición de la fin du XXe siècle et du début du XXIe siècle n’a que d’infimes connaissances sur le toro dérivant des Martínez et, par voie de conséquence, sur les familles découlant des anciens Jijón. Certains, bien que pleins de bonnes intentions, voudraient voir des vestiges de Jijón un peu partout mais, reconnaissons-le, l’entreprise s’avère plus que douteuse. Montalvo a sacrifié ses berrendos, la Condessa de Sobral itou pour ses Jijón pendant que les Peñajara s’affichent mensongèrement de "Casta Jijona". Que reste-t-il au final ? A peine quelques frêles troupeaux sur lesquels le Parladé a essaimé son type. Il ne reste rien que certains détails de pelages ou d’anatomie. Et ces minuscules détails, Goyo les élève et réussit à les maintenir visibles sur certains exemplaires. Ainsi, à vouloir finasser, l’on pourrait observer avec attention de vieilles photographies des toros de Martínez, puisqu’il ne subsiste plus que les archives, et se rendre compte que, peut-être, en prenant des pincettes, certains toros gardent comme atavisme une insertion et une direction de cornes très particulières. Pas ou peu de courbe mais une corne tout en angle (obtus) et dirigée vers le ciel qui donne un ensemble très ouvert. Au-delà de cela (d’aucuns insisteraient peut-être sur le fort volume de certains novillos), il n’y a de place qu’au fanstasme.
Goyo a continué de parler, mais moins. Les toros incitent au silence. Il va vendre cette année quelques centaines de toros mais en élever une petite vingtaine. On a tous nos vices cachés.

>>> Retrouvez une galerie consacrée à l'élevage Hermanos Quintas Parra sur le site www.camposyruedos.com, rubrique CAMPOS.

Photographies Chez Goyo © Laurent Larrieu / camposyruedos.com

28 mars 2011

Tchernobuffalobyl


Sur la placita de tienta, l’herbe a poussé. Sur les burladeros, le fer de Martínez* a été remplacé. Le soleil se couche. Rien n’accroche le regard. Le rond embrasse le vide. Il y a cent ans la descendance de 'Diano' déposait son caca prestigieux sur cette herbe douce. Le vent est bleu, la nuit vient. Le vide est parfait, mieux que le rien. RIEN. Le vent est bleu, la nuit vient. Reset.

En bas la route. La route se tait. Les urbanizaciones de Moralzarzal n’existent pas. La finca est ce vide, ce rien. L’herbe est douce, le ciel est près... plus près on le toucherait. La terre tourne encore. La ferme ! N’être que là. Bras d’honneur. L’herbe est douce. Elle mouille à mesure que la nuit vient. Viens la nuit !

N’écrire plus. Y’a plus rien à écrire de toute façon. Faudrait être un monstre pour soi-même et on l’est trop souvent le reste du temps. Et tous ils veulent savoir si y’aura le Juli deux fois ou le Morante dix, ça les excite ça, se mettre en goguette tout roide, s’imaginer les mains en transe, vibrionnant de partout, remués par l’ART, ce putain d’art sur lequel il est interdit de cracher. Politesse de l’horreur. L’herbe mouille. La nuit vient. Faudrait pas voir tout ça, faudrait pas se rendre compte. Les antis de Catalogne, l’Europe du propre, si propre que tout est transparent, lavé, blanchi, ça sent la lessive même au campo ; faudrait pas le dire, faudrait pas l’écrire... tout ça, c’est bagatelle ! Ritournelle d’hiver ! L’hypocrisie du regard de côté ! Le ver dans le fruit. Pourri. Il a raison. Il vient de t’expliquer tout ça, il vient de faire comme tous les autres rencontrés avant. Il te dit que le mal est dedans, les taurins, les suiveurs, les figuras sa race, le G 9+1, le G nocif. Et les ganaderos ? Y’en a plus de ganaderos qu’il t’a dit. Des vrais, des mecs qui sélectionnent, des types qui dorment pas la nuit parce que les toros gueulent sous la lune, des branques aux petits yeux fatigués de craindre l’attente des cinq ans à venir... quel semental sur quelle vache ? Et si cette vache ? Celle-là ? Non, ce toro ? Y’en a plus. Sauf un ou deux on est tous d’accord. Il a les noms. Nous aussi. Putain la belle jambe. Le vide. Ne plus entendre. Le ciel. Je le touche. Le vent est bleu, la nuit vient.

Même Martínez (ses héritiers en vérité) il élevait des toros pour figuras. 'Diano' c’était pour ça. C’était 1904. 'Solimán' et les autres, ils ont tué le Jijón. Même Martínez, même et surtout 'Diano'. Mais y’avait un risque. 'Diano' ça restait un risque. Un croisement c’est un risque, c’est tout, tout Ibarra qu’il était. Y’avait comme une démarche, une presque philosophie, une attitude en somme. On voulait du toréable, on s’entend du toréable pour l’époque, on voulait du qui dure, le temps commençait à compter mais y’avait le risque de l’erreur, y’avait l’humain quoi !

Derrière le grillage, c’est Tchernobyl. Y’a plus d’herbe, les arbres voudraient se foutre en l’air. Ils peuvent pas. Même les briques sont contaminées. Y’a plus d’herbe, y’a pas de place, y’a pas d’air. Tout manque d’air. Je veux pas m’approcher. Je veux pas muter. Pour eux c’est foutu. Le mal est fait. Ils sont radioactivés pour une arène de première, énooormes, noirs, ils vont plaire à tous les tarés qui veulent du gros et de la sensation. Ils ont mutés, cornes mortes, fundas, corne mute. Tchernobuffalobyl. Ne plus écrire. C’est mort !

* "Los Linarejos" était une des fincas de la famille de Vicente Martínez.

Photographies Détail de la finca "Los Linarejos", à Moralzarzal, aujourd'hui propriété de Hermanos González Rodríguez, et un machin mutant de Carmen Segovia élevé au radium © Laurent Larrieu

03 mars 2011

Aurelio sous la neige


Le périph' sous la neige, Colmenar sous la neige, Soto del Real ensevelie. Rendez-vous au bar du restaurant à l'entrée du bled, comme toujours ou presque. Ici Madrid, pas loin, mars 2010, il neige comme vache qui chierait du coton. Et toutes les dimensions ont changé : le bruit, les distances, la perspective même d'un retour, de la suite du voyage. Il neige et la côte qui mène aux cercados devient vertigineuse au camion et les toros hypothétiques. Nous passons tout de même. Les jeunes sont agglutinés, au loin, les vieux éparpillés ici et là, calmes, comme patients. La neige qui tombe colle à tout ce qu'elle trouve, la pierre des murs, les branches, les clôtures, le premier plan de l'autofocus parfois. Tout est blanc, unanimement. Seuls les Veraguas d'Aurelio Hernando résistent encore. Au froid, à la pensée monochrome du jour : negros, colorados, et tous les savons sont sales ce jour. Le long poil d'hiver colle en mèches mouillées à la peau des novillos, il fait aussi froid entre les quatre murs de la salle de réception où l'on expose les souvenirs de la ganadería. C'est insolite mais pas plus pour Aurelio et son fils, viscéralement liés à ce campo et ces toros, à leur miracle "Veragua puro". Un lien sans l'ombre d'un doute, difficile mais obstiné. Les añojos ne sont pas plus rassurés que leurs aînés dans leur cercado enneigé, ils hésitent même à courir quand on le leur demande. Nous partons pour la deuxième finca, celle de Colmenar, plus bas, où nous attendent les vaches. La neige est plus anecdotique, la colline au loin semble simplement givrée et, sous les roues, la boue est familière. Le jour a légèrement bleui, tout va bien. Le poil humide dessine des arabesques sur les vaches, la végétation buissonneuse éclôt toujours çà et là, les branches noircissent les pensées torturées des arbres.
Sur la voie rapide qui monte le long de Colmenar, la silhouette de la ville décrit un arc de cercle dont seule la plaza de toros semble rompre l'harmonie. Devant le restaurant où m'attend ma voiture, Aurelio regarde son volant, l'air un peu grave et admet dans un haussement d'épaule qu'il rêve d'une opportunité sur le marché français.

Les rêves deviennent parfois réalité et Aurelio Hernando se présentera en novillada à Orthez en juillet 2011. ¡Suerte!

>>> Retrouvez sur www.camposyruedos.com, rubrique CAMPOS, une galerie consacrée à l'élevage.

18 mars 2009

Le mauvais œil


Le mauvais œil. Certaines femmes n’ont pas de chances avec les hommes chantait Barbara, certains hommes n’ont pas de chance avec les femmes lui rétorquerait-on et Aire-sur-l’Adour n’a pas de chances avec les toros.
Vendredi 13 mars 2009. Le mauvais œil. Annonce des carteles aturins. Manque de bol, de chance, malédiction, patte de castor et queue de rat musqué, Vic annonce les siens le lendemain. Le même week-end, il se murmure que le Juli se la jouerait solo en septembre à Bayonne.
Lundi 16 mars 2009. Rue Gambetta. On susurre sans trop oser y croire qu’un camion de pattes de lapin a été commandé en Garenne et que le haras de La Roche-sur-Yon aurait été contacté pour fournir un stock important de fers à cheval. Un mauvais œil peut se crever.
Aire-sur-l’Adour, donc, organise chaque année une novillada piquée pour la fête des Arsouillos le 1er mai et une corrida pour ses fêtes patronales vers la mi-juin. Il fait souvent beau en ce mois de juin à Aire-sur-l’Adour. L’été pointe son nez, le "Coq hardi" existe encore, les "33" sont toujours bloqués au feu place du commerce, le corso fleuri d’enfants est passé tout à l’heure et... les arènes sont vides.
Une malédiction de su puta madre !

Décembre 2005. "Cortijo Wellington", Madrid. Domingo González passe une tête ensommeillée par le peu de jour d’une fenêtre embuée. Il a presque neigé hier. La sierra se tait parfaitement, seuls les toros fanfaronnent dans le froid pour montrer qu’ils sont bien des toros.
Domingo n’aime pas du tout le lot réservé a priori pour Madrid en mai. "Demasiado" y "fuera de tipo". Domingo parle peu. Il fume des clopes deux cancers en un et regarde longuement ses toros. Domingo aime évoquer 'Bastonito'. Il en devient affable, presque causeur. Le souvenir des belles choses.
En quittant la finca, un panneau indique la direction de la "Valle de los Caídos", cette vérue odieuse dont le poil en forme de croix observe le campo alentour. Un mauvais œil pour sûr.
En juin 2009, à Aire-sur-l’Adour, il y aura des toros des héritiers de Don Baltasar Ibán Valdes. C’est un nouvelle sympathique pour les aficionados. Deux mauvais « œils », des pattes de lapin croisées de fers à chevaux pour un retour en France annoncé un vendredi 13...

Pour plus de renseignements sur l'ensemble des carteles aturins (tout ne fait pas rêver) : voir le site du Comité des fêtes.

Photographie Toros de Baltasar Ibán au campo en décembre 2005 © Camposyruedos

15 janvier 2009

Grisaille d'octobre


Le nom convient mal au lieu. A gauche, en s'approchant des cercados, un vieux wagon de la RENFE observe gueule béante l'état d'avancement des travaux de la future plaza de tienta. Une plaza, pas une placita. Le béton est partout, le bois survit à peine dans ce rond tristounet où demain Carlos Aragón Cancela pourra bâtir de ses propres choix la future camada des désormais ex-Bucaré.
Carlos Aragón Cancela est un ancien matador de toros des années 1980 (il prit l'alternative le 5 février 1984 à Valdemorillo et tua, entre autres, une corrida de Victorino Martín à Madrid lors de la San isidro en 1987) qui a beaucoup grossi depuis, au même rythme certainement que les zéros sur ses comptes en banque. Et ici, les zéros sont gris, du béton aux toros, enfermés derrière l’inquiétante pesanteur d’un mur d’enceinte qui donne à l’ensemble les allures de plomb de ces villas miradors de capitales en crise où les barbelés servent de paillasson. Bienvenue.
Les derniers utreros sont arrivés la semaine précédente à peine. Ce sont les plus maigres. La tête calée dans le pli de son coude posé sur un gros tube vert, Carlos Aragón Cancela contemple son achat et compte les zéros. Selon lui, une bonne part viendra de France en 2009 car plusieurs arènes auraient déjà retenu des lots (octobre 2008) : Vic, Céret, Mont-de-Marsan et d’autres. Il a l’air sûr de lui. Loin de ses pensées, sous une brume violette qui lèche maintenant le parterre furonculeux de la sierra, les Bucaré de Javier Buendía ont paru s’extraire des noirceurs d'un roman russe du XIX° siècle dans lequel les "âmes mortes" n’attendent plus le jugement dernier.
Les fleurs de Jara ont vécu. Seules résistent des poignées de brins d'herbe que piétine la froide machine du manège stressé des futurs combattants. Englué dans les premières boues de saison, le campo hésite entre folie psychotique et abattement dépressif. C'est Pinder chez Kafka. Les Santa Coloma tournent en rond, forment un zéro sur cette terre molle grévée de pustules pierreuses, jonchée de tuyaux d'arrosage, et qui n'a de couleur que celle des tourments.
Le nom convient mal au lieu. Carlos Aragón Cancela a devant lui des années de labeur. Tout n'est que provisoire et "en travaux" pour l'instant. Il a conscience de ce qui l'attend et considère que la ganadería n'aura réellement sa marque (car une ganadería n'est rien d'autre que ce qu'en fait un ganadero) que dans une dizaine d'années. Au-delà des zéros, des laideurs du campo et du manège inquiet des toros de Buendía, reconnaissons à Aragón Cancela de ne pas avoir cédé aux sirènes de la soi-disant félicité ganadera en achetant une indéfinissable filiale de Juan Pedro Domecq ou de Daniel Ruiz. Il aime le Santa Coloma (il en avait déjà avant l'acquisition à Bucaré) et paraît ferme dans sa volonté de le conserver. C'est déjà énorme.

Dans quelques semaines, les fleurs de Jara vont repousser dans la sierra...

>>> Retrouvez la galerie des Flor de Jara sur le site www.camposyruedos.com, rubrique CAMPOS.

Photographies Futurs novillos de Flor de Jara & la Sierra de Guadarrama © Camposyruedos

03 novembre 2008

Flor de Jara


A l’occasion de sa première tertulia hivernale, l’association culturelle El Toro de Madrid avait invité, le 30 octobre 2008, l’ancien matador Carlos Aragón Cancela. C’est en sa qualité de ganadero qu’il s’est vu offrir cette opportunité, ce dernier ayant acquis au mois de février dernier le fer et l’élevage de Bucaré ; ce sont ainsi près de 500 bêtes qui ont quitté leur Andalousie luxuriante pour rejoindre la finca "El Zahurdón", dans la région de Colmenar Viejo, à deux pas du village d’origine de leur nouveau propriétaire. Le néo-ganadero, que nous avons également rencontré récemment sur ses terres, compte s’inscrire dans la continuité du bon travail accompli par Javier Buendía, son prédécesseur à la tête de l’élevage, tout en y apportant sa touche personnelle. Il estime à environ 200 le nombre de vaches idéal pour sa ganadería. Il semble tout à fait confiant en l’avenir, à commencer par sa présentation en novillada à Madrid, et envisage même, d’ici quelques années, de faire lidier quelques corridas de toros.
Le coletudo retraité semble cependant parfaitement conscient du fait que les origines de son bétail ne sont pas pour plaire à ses anciens compagnons d’arènes (à notre humble avis à tort, soit dit en passant), et que par conséquent les débouchés qu’il lui offre sont pour le moins limités. Il fonde toutefois de grands espoirs sur le marché que représenteraient les arènes françaises, espoirs qui paraissent pour le moins fondés dans la mesure où, selon ses déclarations, quatre novilladas sont prévues dans notre pays pour la prochaine saison.
Il semblerait donc que nous aurons l’occasion de voir chez nous non pas une, non pas deux, non pas trois, mais bien quatre novilladas de Bucaré, sous leur nouveau et romantique nom de « Flor de Jara »*. Il est vrai que les divers lots vus sur le sable ici et là ont dans l’ensemble donné satisfaction, voire apporté beaucoup d’émotions. Mais franchement, quatre, n’est-ce pas un peu beaucoup ? N’y a-t-il donc pas d’autres élevages à faire découvrir aux aficionados ? Pour être tout à fait franc, je serai le premier ravi de revoir les fameux buendías, mais on peut cependant regretter, sans bouder ce plaisir, de ne pas avoir davantage l’occasion de voir combattre de nouveaux élevages.

* Dites, ça vous plaît à vous ce nom ? Bon, c'est sûr, c'est joli comme tout, mais ça fait pas super santacolomeño comme nom d'élevage, si ?

27 octobre 2008

333


vendredi congé Brive paternité péage Migala rocade Stade Toulousain piémont Ruffin La guerre des classes Pyrénées soleil Soumoulou retrouvailles Opel sacs de voyage Astra sacs de couchage Bayonne Fnac Anglet carte Biarritz aéroport retard abrazo tapis bagage Biriatou Yannick BlackBerry biscuits crépuscule cafés Stimorol Valladolid Ángel tartines hôtel samedi bouteilles présidents Mayalde Santa Coloma œufs au plat tout-terrain fil à linge chiens tracteur enfant remorque paille erales biberon caresse guarismo pluie cigarette Repsol Forfoleda Benito moustache La Milanera afición Contreras Rincón vacas pienso patas negras Laurent Nikon portraits casquettes placita foie gras tinto détonations amitié invitation coup de cœur campo Llen chapelle brioches Coquilla rapaces Buendía pelea rustres Alfonso carte verte sourire barbe blanche euros grimace Terrones Paloma recorte Cadena soulagé dondon mayoral camion lumière grands espaces Clairac équilibre trou déséquilibre attention 70 74 75 76 palpitations mur La Glorieta La Source fumée caña cartes caña calendrier soupe piquette "hierba" télé pegapasismo Zaragoza musique caña Bacardi Limón dimanche caña Bacardi Limón murubes Bacardi Limón Bacardi Limón Bacardi Limón trop plein réveil dur hasta luego stop Dafalgan Saltillo cerf dormir fou rire re-stop vieux fou Coca-Cola Graciliano Buenamadre Cabrera Saltillo 306 trapío casse-croûte herradero cadavres Marcillac mouches coup de cœur (bis) Las Veguillas barcial encinas Morille Matías semental La Corte berrendo fers peto étrier cabestros El Bar de Isa ColaCao détour Murube demi-tour barbelés cyclotouristes congrès trafic chips Ávila remparts Moralzarzal GPS Manzanares El Real Thomas annuaires Fernando Palha personnage Concha y Sierra pelages Bananero Macarena photos voix lundi Javier tío Veragua Kio Madrid Aurelio averses jaboneros papillon brume chaton lago Colmenar Viejo forteresse Cancela torero negocio Flor de Jara travaux cárdenos Santa Coloma cercados tristesse pain saucisson vin retour Guadalix autoroute sierra sieste Burgos car pause frontière parking hall pincement Temple merci tarte poireaux repos bébé ventre lit mardi Ségo évier impôts jurons ventouse contact Béarn marché Tarbes hypermarché librairie formule essence nationale radar Auch pétanque Mermet Monaco Yacht Show platanes Montauban routier Cahors Manset Brive 9 heures automne hiver printemps Jaén

Image Castille © Yannick Olivier

09 juin 2008

La PM


Ma découverte de la famille Mayoral remonte à quelques années. Une quinzaine je pense. C’était à "Chinillas", une finca superbe du côté de Talavera de la Reina. C’est dans cet endroit paradisiaque que sont élevés les Domecq de La Laguna et c’est là que nous avions vu toréer pour la première fois un gamin de douze ans, encore inconnu, El Juli.
Les Domecq de La Laguna c’était pour s’ouvrir les portes du marché, l’aspect commercial d’une démarche parfaitement assumée. Ce sont eux d’ailleurs qui étaient venus à Nîmes pour la présentation du Juli en novillada non piquée. Pablo Mayoral a donc été son premier apoderado. Mais ça n’est pas pour ce motif, à l’époque, que j’avais souhaité le rencontrer. Tout d’abord j’ignorais encore l’existence du phénomène et, ensuite, j’étais très intrigué par cette multitude de fers inscrits à l’Asociación.
Et c’est ainsi que je fis la connaissance de Pablo Mayoral, le père, aujourd’hui disparu et d’un de ses fils, Pablo, qui le secondait et qui dirige aujourd’hui cet héritage familial.

Ces fers étaient uniquement destinés aux nombreux enfants du patriarche qui avait ainsi anticipé sa propre succession. En fait, un seul fer, celui de la PM, regroupait du bétail d’origine Santa Coloma, Vicente Martínez et Veragua. Les pelages étaient variés et témoignaient des ces origines diverses. A l’inverse de La Laguna, la PM c'était, et demeure encore j’imagine, le côté romantique de la famille Mayoral.
Une quinzaine d’année plus tard, les novillos de la PM étant annoncés à Parentis et Beaucaire, j’ai repris une fois encore, et avec énormément de plaisir, la direction de "El Escorial". C’est dans cette autre finca, qui appartenait jadis à José María Moreno-Yagüe, que se trouvent les pensionnaires de la PM. Les pelages m’ont semblé moins variés qu’auparavant, le cárdeno ayant pris visiblement le dessus. Le nombre de têtes me semble également bien plus important. Quant au semental que vous verrez en fin de galerie au milieu de ses vaches, il s’agit du toro qui fut gracié à Valdemorillo.

>>> Vous avez accès à la galerie depuis la rubrique CAMPOS du site.

25 avril 2008

Aurelio Hernando


La Cabaña Brava publie sur son site une entrevue avec Aurelio Hernando, ce sympathique et peu connu éleveur auquel nous avions consacré un reportage il y a quelques semaines. L'occasion de revenir sur cet élevage qu'il serait intéressant de mieux connaître dans les ruedos.

Deux reportages : Camada 2008 & Vacas y añojos ainsi que deux textes dans lesquels il est question d'Aurelio Hernando : ici et .

NB Le premier novillo choisi pour illustrer ce message ayant été recalé par un lecteur, il a été changé...

28 mars 2008

"... cette corne que nous ne saurions voir..." Campos de Castilla (IV)


Aficionadas, Aficionados,
Les images qui vont vous être présentées sont susceptibles de heurter votre sensibilité. Il s’agit de photographies choquantes, possible source de traumatismes profonds pour chacun d’entre vous. La rédaction de Camposyruedos a longuement débattu de la pertinence de diffuser de telles scènes à la limite du soutenable, mais nous tenons à aller jusqu’au bout de notre démarche en considérant que si telle est la réalité, elle doit être affichée aux yeux du monde. Evidemment, nous ne pouvons que conseiller aux âmes trop sensibles de détourner le regard. N’écoutant que notre sagesse, nous avons pris le parti de vous aider à surmonter cette épreuve en plaçant sur chacun de ces clichés un petit logo (voir photographie de gauche).
Si vous êtes les heureux parents de mômes qui rêvent de toros et pour lesquels la corne est une merveille de mystères, ayez dès à présent l’obligeance d’accepter nos profondes et sincères excuses car nous avons conscience que nous allons voiler de trouble, et pour longtemps, la vive clarté de leurs yeux grand ouverts.
Car il est question de cornes dans cette triste évocation de la laideur. Et une corne sur un toro, ça compte, fut-elle grande, fine, longue, arrondie, dans la ligne du frontal ou à gratter le derrière des glands sous les aisselles des chênes verts.
Il y a trois ou quatre ans, un producteur andalou élevant du Jandilla de façon industrielle (et avec une certaine réussite) s’est mis en tête de protéger les cornes de la camada de saca avec une sorte de capote en résine (époxy). Depuis, l’idée et la pratique ont fait leur chemin chez nombre de ganaderos et il devient difficile de visiter un élevage vierge de ce que les Espagnols nomment les "fundas". Il existe, pour ce que nous en connaissons, plusieurs types de fundas dans le campo ibérique.
Pour les plus sécuritaires, plongés de toute leur âme dans les mœurs de notre présent, le choix s’est porté plutôt sur une funda intégrale qui recouvre la quasi intégralité du pitón. C’est la funda la plus connue et dont la mode fut en son temps lancée par ce producteur de cornus que nous évoquions quelques lignes plus haut, Ricardo Gallardo (Fuente Ymbro). C’est la funda "capote anglaise" qui protège de tout et ne lâche rien ! Plus au nord en Castille, chez José Escolar Gil, a été élu un modèle printemps-été, plus court vêtu mais aussi plus voyant. C’est la funda "capote landaise" (en référence aux vaches landaises dont les cornes sont emboulées) qui protège le bout et c'est déjà bien. Entre ces deux capotes, notre cœur ne balance pas mais alors pas du tout.
José Escolar Gil est un petit homme d’une soixantaine d’années qui a la chance d’être propriétaire d’un sang passionnant à voir combattre : l’Albaserrada (croisé avec du Santa Coloma-Buendía par Camino). Il a le pelo cárdeno, un 4x4 tout neuf, un gendre matador et un mayoral beaucoup plus typé Murube de 15 ans que Saltillo cuatreño. José Escolar Gil aime bien se moquer "gentiment" de ce mayoral mal aféité et surnommé dans toute l’Ibérie "Matacañas". Face à lui, l’espérance de vie de 33 cl de bière San Miguel s’apparente à celle d’une chanson de Nougaro à la "Star’ac"... Il n’y en a pas !
José Escolar Gil, donc, a une jolie camada cette année, et de manière plus générale, un superbe élevage de bravos. Dans la vallée du Tiétar, à trois bornes de la bourgade de Lanzahíta, tout est propre, bien rangé. A "Valdetiétar", la tôle grise n’est pas de mise, le 4x4 est tout neuf, le Fundi a la classe à cheval et les toros d’origine Albaserrada sont beaux et fins dans les lumières diaphanes qui traversent les humeurs de l’hiver. Un presque paradis taurin... Presque car il y a ces bouts de résine jaunie par l’attente comme autant de taches de sale sur la nappe bien dressée d’un deux étoiles un dimanche à la campagne. Cela n’empêche pas de bien manger, cela fait tache, c’est tout. Elles sont hideuses ces fundas. Pour autant, l’avenir est en marche et nous ne pourrons rien contre cette réalité du "risque zéro" qui prolifère insidieusement sur le campo. "C’est ainsi" diraient les vieux sages, la larme à l’œil. La seule chose que peut faire un simple aficionado, c’est s’interroger sur le bien-fondé de la pratique et surtout sur ses éventuels aboutissants.
Quand les fundas sont apparues (voilà à peu près 2 ou 3 ans), elles ont été présentées à l’Afición comme garantes de l’intégrité des cornes des taureaux de combat. Elles permettaient, soi-disant, d’éviter que ces toros ne s’abîment les pitones au campo. C’est connu, les toros ont cette "désagréable" tendance à se gratter les cornes dans le sol ou contre les arbres. Malgré leur dureté, il s’agit d’un attribut ultrasensible pour l’animal et qui subit les effets du temps et les attaques parasites. Il suffit de relire certains passages du Tío Pepe qui, arguant de cette autoposologie bovine, défendait Eduardo Miura Fernández quand celui-ci était accusé d’aféiter ses toros par certains "méchants" de la critique taurine. Il vous suffira également de feuilleter la fin du livre de Pierre Dupuy, Palha, l’alchimie de la bravoure, pour découvrir la photographie d’un Palha se frottant la corne contre un arbre, photographie légendée par ces mots : "Afeitado : un Palha en plein travail". Bref, il est avéré que les toros peuvent en effet dégrader quelque peu l’enveloppe externe de leur corne ou se faire des astillas. Et ces dommages naturels ont pu parfois être un prétexte pour écarter d’un lot de saca certains bichos. Mais y avait-il autant de dégâts pour que cela nécessite la pose d’une telle protection ? D’autres raisons rentrent évidemment en jeu, bien plus prégnantes celles-là. D’ailleurs, à ce sujet, sachons gré à José Escolar Gil d’avoir été des plus francs avec nous. Les fundas ne servent qu’à éviter que les toros ne se tuent entre eux (par cornada). A rien d’autre. Et c’est logique ! En effet, le ganadero castillan nous a expliqué que les fundas étaient posées pendant l’hiver au cours duquel le novillo devient toro, quelques mois avant la course. Dans le cas, par exemple, du lot de Céret qui sera combattu mi-juillet, les fundas ont été appliquées fin décembre, début janvier. Les astados vont donc achever leur croissance physique (et morale...) affublés de ces protections. Elles seront ôtées, toujours selon l’éleveur, à peu près quinze jours avant la course. D’après lui, c’est le temps nécessaire pour que le toro se remette pleinement de l’opération contraignante que représente le retrait de ces fundas. Cet acte suppose une anesthésie pour la bête et une contention dans un cajón bien peu naturelles. Alors, si la corne a bien été protégée pendant au moins six mois, qu’en est-il pendant les quinze derniers jours ? Ne peut-on pas imaginer que le toro puisse s’abîmer cette corne dans les deux semaines de retour à la normale ? Cela est d’autant plus plausible que c’est dans ce laps de temps qu’il a à subir un embarquement, un débarquement et une phase d’adaptation au séjour dans les corrales. Autant de manipulations que craignent les professionnels au regard des possibilités (grandes) que la bête ne s’esquinte. Et puis ça tape un toro normalement, ça n’hésite pas ! Raisonnement de casse-c... me direz-vous car il existe cette ultime manipulation géniale qui blanchit plus blanc que blanc, l’arreglado. L’arreglado (notion sous laquelle il semble que l’on mette beaucoup de pratiques différentes et qu’il serait bon de surveiller de plus près), qui s’institutionnalise depuis quelques années, est là pour corriger le tir... Alléluia !
La thèse initiale de la protection de l’intégrité des cornes apparaît ainsi comme une supercherie dont l’objectif implicite serait de rassurer l’aficionado un tant soit peu suspicieux devant tant de contraintes imposées à l’animal naturellement peu enclin à être traité comme un toutou à sa mémère. A quand la mise en pli d’avant course, le brushing de star, la manucure des sabots ? La funda n’a qu’une utilité bien réelle : éviter qu’en se bastonnant (ils adorent ça ces cons de toros...), les toros ne se donnent des cornadas mortelles. La raison de leur existence est donc purement économique et n’a de sens que pour le ganadero. Et c’est une raison parfaitement compréhensible. José Escolar Gil « sauve » chaque année un lot de toros des aléas habituels d’une ganadería. Les 6 ou 7 pertes qu’il comptabilisait autrefois ne sont aujourd’hui qu’un souvenir lointain ; il peut vendre un lot de plus ! L’argument comptable dans une entreprise commerciale, fut-elle originale, ne peut être nié ou critiqué. Un ganadero est là aussi et surtout pour vendre ses animaux et beaucoup de moyens sont bons pour y arriver. Au moins José Escolar Gil a-t-il eu l’afición nécessaire pour ne pas sacrifier le sang Albaserrada de son élevage au profit, comme tant d’autres l’ont fait avec d’autres encastes (Coquilla, Veragua, Saltillo...), des très « lucratifs » avortons de Domecq. Néanmoins, et en intégrant ce fait économique difficilement critiquable, l’on peut se demander si cette utilisation des fundas ne va pas creuser un peu plus le fossé entre les ganaderos "d’en haut" et ceux "d’en bas". Le maniement régulier des toros implique une main d’œuvre et des moyens que beaucoup de ganaderías ne peuvent se permettre. Il en sera des fundas comme des maladies qui frappent le campo, seuls les plus forts en tireront profit, vendant plus encore (et si c’est du Domecq encore plus que plus), offrant les "garanties" que les autres ne pourront jamais présenter malgré leur afición. "C'est ainsi" diraient les vieux sages, la larme à l’œil.
Et puis, il y a le côté technique du sujet. Mettre des fundas, on imagine à peu près. Mais les enlever ? Comment enlever facilement une boule de résine collée à une corne ? A cette question innocente, José Escolar a répondu par une grimace. Non une grimace de refus de répondre mais une grimace mimant les efforts que cela demandait d’ôter une funda. Il a expliqué le plus naturellement du monde que c’était très difficile d’enlever une funda, qu’il fallait utiliser un couteau et qu’il convenait de gratter fort... Personne n’a bronché dans la voiture, le bruit de la pluie a suffi. Il est là le souci, ailleurs aussi mais surtout là. Malgré toute la bonne volonté qu’ils mettent à élever leurs toros, ces ganaderos capotés ne pourront empêcher d’imaginer que le maniement répété des toros peut multiplier les occasions, pour certains, d’être tentés de gratter, gratter, gratter... Et quand on gratte trop, ça saigne...
Les "toros con fundas" ont l’air con. Mais vraiment con... Et personnellement, mais ça n’engage que moi, s’il y a un qualificatif que jamais je n’aurais eu l’idée d’appliquer à un taureau de combat, c’est bien celui-là. Et pourtant, oui, ils ont l’air con. Et ils n’y sont pour rien, eux, qui atteignent l’âge adulte avec un gros bout de résine sur leur fierté bafouée. Je me demande si leurs réflexes sont les mêmes après ça, si l’appréciation des distances... mais je m’égare, quoique...
Alors, comme ils ont l’air con les pôvres, nous avons décidé d’en rire et d’inaugurer avec les Escolar Gil sous fundas une série de dessins humoristiques signés El Batacazo. La série, comme vous le constaterez s’intitule "Rire & tampons !" et nous sommes au "regret" de vous dire qu’elle risque de durer...


>>> Retrouvez les galeries (camada 2008 et vaches) de la ganadería de José Escolar Gil sur www.camposyruedos.com & la fiche technique et historique de l'élevage sur Terre de toros.

Photographie Toro de José Escolar Gil con fundas, février 2008 © Camposyruedos Dessin © Jérôme 'El Batacazo' Pradet

16 mars 2008

"Même les clébards..." Campos de Castilla (III)


"Même les mémés aiment la castagne [...]" à Toulouse, dans le swing rocailleux du poète Nougarrrro. A Ciempozuelos, au lieu-dit « Soto Gutiérrez », c'est pareil que dans la chanson mais ce sont les clébards qui aiment la castagne... et pour de vrai, les crocs en étendard.
Si vous allez traîner votre carcasse du côté de Ciempozuelos dans le proche sud de Madrid, c’est que vous devez aimer les taureaux de combat ou tout simplement que vous désirez vous rendre à Chinchón et, dans ce cas, vous n’avez que faire de Ciempozuelos... C’est logique. Il n’y a pas grand-chose à visiter ou à voir à Ciempozuelos, pas même un petit paysage sympa au détour d’une colline... Faut aimer les toros pour aller à Ciempozuelos ou simplement vouloir se rendre à Chinchón et, dans ce cas, vous n’avez que faire de Ciempozuelos, c’est logique.
C’était écrit sur le portail d’entrée de la finca. Les chiens sont dangereux, parfaitement énervés. De derrière le mur blanc, on se sent protégé, loin des crocs. Erreur, ces chiens-là ont l’air pec et objectivement fumés du bulbe. Ils le sont. Quand le portail s’est ouvert, courageux, nous sommes restés dans la voiture comme sur une île verte encerclée de squales bleus à la diète depuis trois mois. Nous venions voir des toros gris...
Elle nous a juste dit qu’ils étaient « fous » mais pas dangereux, que nous pouvions descendre du coche. J’ai regardé les autres, rapidement, comme un voleur... avouons-le, je voulais qu’ils descendent avant moi ; pas tous, seulement un pour faire diversion... On a dû les faire rire tous ces gens de "Soto Gutiérrez" parce que, finalement, ils n’étaient pas si terribles que ça ces cabots sans pedigree. On les a même caressés, du bout des doigts seulement, au cas où et pour l’odeur...
Il y a un chemin de terre qui court devant la placita de "Soto Gutiérrez" et qui part vers nulle part, plus loin. C’est bucolique, l’herbe colore la terre et des chats noir et blanc sautent au pied de grands arbres. Derrière le mur blanc, lentement les crocs deviennent ombres aigues sur le sol gris. Malgré le vent léger, l’herbe du chemin beige a cessé de tanguer. Le portail va s’ouvrir, un chat noir et blanc a oublié d’écouter le silence. Le petit chemin qui passe devant la finca est devenu ruedo ; un ruedo tout en long comme les ombres des crocs. On les a vus exploser, la langue calée sous le poitrail, les yeux rouges injectés de rage, les crocs traçaient des sillons, les griffes creusaient des cratères. L’herbe s’est cachée sous la terre, les arbres ont fermé leurs branches pour ne pas voir, les piafs, s’ils avaient eu des mains, se seraient bouché les oreilles pour ne pas entendre. Ça allait saigner, sin puntilla ! Le portail était ouvert, Serafín allait nous montrait les toros gris, un chat allait se faire déchirer grave par des chiens sévèrement toqués. Devant nous, à deux mètres peut-être, il a couru plus vite que ses courtes pattes ne pouvaient le porter, c’est un trou de souris qui l’a sauvé et un coup de rein muy torero pour esquiver l’embestida furieuse des cabots aux longs crocs. Nous venions voir des toros gris... Si vous allez un jour traîner du côté de Ciempozuelos, ne vous focalisez pas sur les toros gris au bord du chemin beige ; écoutez le silence, il annonce bruyamment qu’en ce lieu vivent des êtres fous, fumés du bulbe et qui chargent tout ce qui bouge...
Nous avons finalement vu les toros gris, lentement, comme dans un apaisement. Ils sont beaux, ils ont des cornes longues et effilées, ils en imposent, c’est certain. D’après les livres généalogiques, les Hernández Pla descendent des Buendía, c’est-à-dire des Santa Coloma croisés de Saltillo et volontairement élevés en petit format par Monsieur Buendía. Chez les Pla, ce petit format n’est plus de mise et il semble que la sélection soit clairement dirigée vers le costaud et le très armé. Un lot d’ailleurs a été retenu par les organisateurs cérétans... Logique a-t-on envie d’écrire. Finalement, il y a très peu à dire de cet élevage d’Hernández Pla. C’est affreusement moche car à "Soto Gutiérrez", il semble que M. Ignacio Huelva ait surtout investi dans la tôle. Cette tôle hideuse qui sert à séparer les minuscules cercados pelés dans lesquels paraissent s’ennuyer d’énormes bestioles grises. C’est donc laid. Il y aurait juste à supputer sur le rajout de sang Saltillo dans cette ganadería tant certains spécimens s’approchent plus du type effilé des toros du Marquis que des rondeurs des Buendía. Seulement des hypothèses...
Pour le reste, il n’y a pas beaucoup à écrire sur tout cela. Le toro d’Hernández Pla est un toro à part entière, aujourd’hui clairement sorti du concept moyen du toro de Buendía. Ça paraît hors type à première vue. Mais y a-t-il réellement un type Santa Coloma-Buendía ? A l’affirmation que les Hernández Pla sont hors type car trop costauds et trop armés en comparaison avec les Buendía, certains pourraient nous répondre qu’après tout, avant la vente à Buendía (1932), ces toros étaient plus grands car c’est Buendía qui a eu la volonté de réduire le volume de ses bêtes. C’est vrai et tout à fait défendable. Cependant, et je relaye là une réflexion d’un de mes amis, ce qui est inquiétant dans le cas d'Hernández Pla, c’est qu’ils ont fait du gros avec du petit... et aujourd’hui, le toro d’Hernández Pla est loin des canons de ses origines Buendía. Pour autant, cela plaît à beaucoup et conviendra certainement à tous ceux qui se rendront à Céret en juillet... 6 balaises dans le type Hernández Pla mais hors du type Buendía.
Et en juillet, il ne serait pas étonnant d’entendre des chats noir et blanc miauler sur l’herbe jaune du chemin qui passe devant le mur tout blanc...


>>> Retrouvez les photographies des Hernández Pla (dont ceux de Céret) sur le site à la rubrique CAMPOS.

Photographies Pelea de deux toros d'Hernández Pla à "Soto Gutiérrez", février 2008 & un des monstres atigrados de "Soto Gutiérrez" © Camposyruedos

21 février 2008

"Aleas, ni los veas"… Campos de Castilla (II)


A en juger par l’accoutrement de nos deux hôtes, mari et femme, sur le bord de cette route de Castille quelque part à portée de vue des tours de la Castellana, tous deux revêtus de leurs plus beaux atours et nonchalamment accoudés à la portière de leur tout-terrain rutilant, nous ne misions pas une peseta sur notre rencontre. Et pourtant...
Et pourtant, nous allions au devant de l’un de ces après-midis commencés de façon anodine et qui se transforment, sans que l’on s’en rende vraiment compte dans l’instant, trop accaparés par un présent intense et profond, en une histoire marquée au fer rouge, de celles dans le délice desquelles on peut replonger tout à loisir, une fois le recul suffisant acquis.
Lui, la gora de tweed vissée sur le cap, bottes d’équitation cirées de près, cinglé dans un pardessus que ne renierait pas un lord anglais à feue la chasse au renard ; elle, les traits fins, les yeux bleus, les cheveux délicatement retenus en arrière, vêtue d’une tenue à mi-chemin entre le vestido campero de bon aloi et l’habit de week-end de la gentry « OxBridge ». Rien là de désagréable, bien sûr, bien sûr. Seulement voilà, lorsque l’on vient de parcourir un nombre de kilomètres dont on a perdu depuis longtemps le compte, à la recherche d’élevages oubliés aux origines certes prestigieuses mais considérées aujourd’hui comme rustiques, il y a de quoi être surpris. Et pourtant...
Et pourtant, avec sa dégaine de madrilène upper class de passage sur ses terres avant le retour dans les bureaux feutrés d’un immeuble cossu que l’on croit pouvoir deviner, là, à quelques kilomètres à vol d’oiseau, il nous conduit, l’air enchanté, vers sont petit élevage composé d’une quarantaine de vaches de ventre. Des vaches donnant naissance à ces taureaux vazqueños dont la seule origine suffit à faire fuir les novilleros les plus modestes. Car notre éleveur, malgré les apparences décidément trompeuses, n’a pas le profil du señorito qui a voulu s’offrir sa danseuse, comme d’autres, vivant à Paris, se payeraient un haras. Non, c’est bien un homme du campo qui nous reçoit, et il suffit pour s’en convaincre de quelques paroles échangées, d’un peu de confiance mutuelle gagnée.
Aurelio Hernando ne vit pas de l’élevage de ses taureaux de combat. Il possède et dirige un centre d’équitation à Soto del Real, fait commerce d’étalons, et ne semble pas avoir à se plaindre de son activité. Il ne s’en plaint pas d’ailleurs. Seulement voilà, au lieu de se contenter de cette passion dévorante, il a fallu qu’il en contracte une autre. Aurelio Hernando est aficionado, aime passionnément l’élevage et le campo, et dispose de quelques liquidités. C’est donc tout naturellement, et néanmoins en toute irrationalité, qu’il décide d’élever ces jaboneros dont personne ne veut plus, et ce depuis belle lurette quand il se lance dans l’aventure. Mais Aurelio s’en fout ; c’est la passion qui le guide. Et passion et raison... Bref, il s’en fout. Et pourtant...
Et pourtant, il verrait bien ses Veragua fouler le sable de toutes les plazas, et ne snoberait pas celles d’outre-monts. C’est la première fois que des Français (autant dire des extraterrestres) lui rendaient visite. Alors, face au spectacle fascinant de ses taureaux blancs, il nous conte les heurs de son trésor historique, faits davantage de tentaderos encourageants que de lidias intégrales dans la glorieuse plaza de toros. Mais la ganadería est récente, et tous les espoirs sont donc encore permis malgré le caractère pour le moins hasardeux du pari. Aurelio Hernando fait sa présentation en 2004, à Soto del Real, à l’occasion d’une novillada sans picadors ; en 2007, on coupe la queue de l’un de ses protégés. Aurelio veut y croire. La simple contemplation de ses estampes, le matin, avant de rejoindre le centre équestre, pourrait suffire à son bonheur. Mais tout de même, quand on élève des toros, et que l’on croit deviner en eux la bravoure et la puissance qui font les grands tercios de piques, comment ne pas espérer ? Comment ne pas vouloir y croire ? Et pourtant...
Et pourtant, une fois passée l’exaltation de la découverte, une fois bues avec délectation les paroles du ganadero, une fois imaginés en rêve les combats épiques que ces torrents de caste pourraient, peut-être, déverser dans le ruedo, il faut revenir à la triste et morne réalité. Nous ne verrons sans doute jamais s’élancer fièrement face à la cavalerie les trésors que Don Hernando et sa jolie épouse couvent encore de leurs yeux, rieurs et plein d’espoir, au moment où nous les quittons. Malgré les promesses que leur gardien nous répète comme une litanie sans fin, ses taureaux et les chevaux, Aurelio pourra continuer de les admirer, mais peut-être pas tout de suite dans leur rencontre. A moins que...
A moins qu’un organisateur un peu romantique, dont la passion dépasserait pour une fois la raison, décide de les faire se rejoindre dans ses arènes. Pour que les taureaux d’Aurelio Hernando ne soient pas seulement ces images presque irréelles que seuls quelques aficionados un peu fous peuvent admirer dans la placidité champêtre d’un cercado castillan, avant qu’ils n’aillent finir leur vie « al matadero ». Abandonnés là, morts, froids et roides, dans l’ombre sordide et anonyme.
Avant de reprendre la route de Castille, nous jetons un dernier coup d’œil en direction de la placita de tienta, celle-là même qu’avait érigée José Aleas, à une autre époque, dans un autre monde. « Aleas, ni los veas ».
Ne jamais oublier, l’odeur des endroits où nous irons.

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14 février 2008

"Sugar baby"... Campos de Castilla (I)

Il a goûté de tout mais du bout des papilles, seulement, comme de loin.
-"Allez-y, resservez-vous" lui a-t-on dit, voyant qu'il apréciait ce qui s'offrait sur cette table de plaisirs simples plantée à deux pas de l'embarcadero. Il nous a confié être diabétique, qu'il devait faire attention même s'il adorait ce que nous avions apporté. Il aimait, il ne pouvait pas.
Clin d'oeil ou masochisme, Javier Gallego García élève des toros sucre de canne. Et l'Afición, diabétique à ses heures, en use avec parcimonie, du bout des papilles, seulement, comme de loin. Ça colle le diabète ces vieux machins de Veragua et les taurinos, après la chuleta d'un kilomètre "que viene con patatas" et le Bacardi-Limón, n'ont pas besoin de ça, en plus.
Juan Pedro Domecq de Villavicencio, délicatement, très délicatement, en déposa de fines gouttelettes dans son café La Corte puis détourna le ruisseau loin de lui comme effrayé d'une peste assassine pour un sang "bleu" aujourd'hui vendu "sin azúcar". Putain d'aspartame !
Le papy de Javier Gallego, Enrique García González, aimait le sucre et méprisait ses artères. Un suicidé au long cours pour ainsi dire. Quoique, acheter du Veragua de José Enrique Calderón via le Duc de Gandía y Osuna en 1951 n'avait pas un caractère aussi désespéré qu'il n'y paraît actuellement. Les toros jaboneros, petit-fillots de ceux de la lignée des Cristobal Colón, étaient encore des friandises pour certaines figuras qui s'en remuaient les globules rouges de devoir affronter ce sucre en cannes.
Javier Gallego, sérieux provocateur, a tout gardé du papy, instinct de survie et surtout d'afición. Il en faut un montón par litre de sang pour tenter de conserver en pureza le bétail de la casa. A croire qu'en lui se joue un combat gigantesque entre afición et glucose pour sauver ses toros sucre de canne. Tant qu'il sera en vie, eux seront là et le campo de Colmenar Viejo abritera de ses rocailles rondes et grises les cousins des musculeux Prieto. Javier Gallego était sûr de lui, aussi sûr qu'il savait qu'il ne reprendrait pas de rillettes. Nous l'avons cru, ses enfants également semblaient le croire...
En quittant l'anodin chemin de terre qui mène à la finca, on prend à gauche vers Soto del Real. Immédiatement sur la droite surgissent, peut-être du passé, les formes lourdes et anguleuses de chars d'assaut de l'armée espagnole. Ils sont exposés là, dans ce cimetière de ferraille bruyante, et, autour, pousse la vie d'une laide urbanización dans laquelle même des murs coulent les larmes de la monotonie d'une époque. Dans le creux des collines, deux traits noirs se débattent dans les volutes rosées d'un ciel urbain... Madrid est là, après, déjà ici.
Mais tant qu'il sera en vie, eux seront là, aussi... Il nous l'a dit.

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