28 mars 2011

Tchernobuffalobyl


Sur la placita de tienta, l’herbe a poussé. Sur les burladeros, le fer de Martínez* a été remplacé. Le soleil se couche. Rien n’accroche le regard. Le rond embrasse le vide. Il y a cent ans la descendance de 'Diano' déposait son caca prestigieux sur cette herbe douce. Le vent est bleu, la nuit vient. Le vide est parfait, mieux que le rien. RIEN. Le vent est bleu, la nuit vient. Reset.

En bas la route. La route se tait. Les urbanizaciones de Moralzarzal n’existent pas. La finca est ce vide, ce rien. L’herbe est douce, le ciel est près... plus près on le toucherait. La terre tourne encore. La ferme ! N’être que là. Bras d’honneur. L’herbe est douce. Elle mouille à mesure que la nuit vient. Viens la nuit !

N’écrire plus. Y’a plus rien à écrire de toute façon. Faudrait être un monstre pour soi-même et on l’est trop souvent le reste du temps. Et tous ils veulent savoir si y’aura le Juli deux fois ou le Morante dix, ça les excite ça, se mettre en goguette tout roide, s’imaginer les mains en transe, vibrionnant de partout, remués par l’ART, ce putain d’art sur lequel il est interdit de cracher. Politesse de l’horreur. L’herbe mouille. La nuit vient. Faudrait pas voir tout ça, faudrait pas se rendre compte. Les antis de Catalogne, l’Europe du propre, si propre que tout est transparent, lavé, blanchi, ça sent la lessive même au campo ; faudrait pas le dire, faudrait pas l’écrire... tout ça, c’est bagatelle ! Ritournelle d’hiver ! L’hypocrisie du regard de côté ! Le ver dans le fruit. Pourri. Il a raison. Il vient de t’expliquer tout ça, il vient de faire comme tous les autres rencontrés avant. Il te dit que le mal est dedans, les taurins, les suiveurs, les figuras sa race, le G 9+1, le G nocif. Et les ganaderos ? Y’en a plus de ganaderos qu’il t’a dit. Des vrais, des mecs qui sélectionnent, des types qui dorment pas la nuit parce que les toros gueulent sous la lune, des branques aux petits yeux fatigués de craindre l’attente des cinq ans à venir... quel semental sur quelle vache ? Et si cette vache ? Celle-là ? Non, ce toro ? Y’en a plus. Sauf un ou deux on est tous d’accord. Il a les noms. Nous aussi. Putain la belle jambe. Le vide. Ne plus entendre. Le ciel. Je le touche. Le vent est bleu, la nuit vient.

Même Martínez (ses héritiers en vérité) il élevait des toros pour figuras. 'Diano' c’était pour ça. C’était 1904. 'Solimán' et les autres, ils ont tué le Jijón. Même Martínez, même et surtout 'Diano'. Mais y’avait un risque. 'Diano' ça restait un risque. Un croisement c’est un risque, c’est tout, tout Ibarra qu’il était. Y’avait comme une démarche, une presque philosophie, une attitude en somme. On voulait du toréable, on s’entend du toréable pour l’époque, on voulait du qui dure, le temps commençait à compter mais y’avait le risque de l’erreur, y’avait l’humain quoi !

Derrière le grillage, c’est Tchernobyl. Y’a plus d’herbe, les arbres voudraient se foutre en l’air. Ils peuvent pas. Même les briques sont contaminées. Y’a plus d’herbe, y’a pas de place, y’a pas d’air. Tout manque d’air. Je veux pas m’approcher. Je veux pas muter. Pour eux c’est foutu. Le mal est fait. Ils sont radioactivés pour une arène de première, énooormes, noirs, ils vont plaire à tous les tarés qui veulent du gros et de la sensation. Ils ont mutés, cornes mortes, fundas, corne mute. Tchernobuffalobyl. Ne plus écrire. C’est mort !

* "Los Linarejos" était une des fincas de la famille de Vicente Martínez.

Photographies Détail de la finca "Los Linarejos", à Moralzarzal, aujourd'hui propriété de Hermanos González Rodríguez, et un machin mutant de Carmen Segovia élevé au radium © Laurent Larrieu