Le nom convient mal au lieu. A gauche, en s'approchant des cercados, un vieux wagon de la RENFE observe gueule béante l'état d'avancement des travaux de la future plaza de tienta. Une plaza, pas une placita. Le béton est partout, le bois survit à peine dans ce rond tristounet où demain Carlos Aragón Cancela pourra bâtir de ses propres choix la future camada des désormais ex-Bucaré.
Carlos Aragón Cancela est un ancien matador de toros des années 1980 (il prit l'alternative le 5 février 1984 à Valdemorillo et tua, entre autres, une corrida de Victorino Martín à Madrid lors de la San isidro en 1987) qui a beaucoup grossi depuis, au même rythme certainement que les zéros sur ses comptes en banque. Et ici, les zéros sont gris, du béton aux toros, enfermés derrière l’inquiétante pesanteur d’un mur d’enceinte qui donne à l’ensemble les allures de plomb de ces villas miradors de capitales en crise où les barbelés servent de paillasson. Bienvenue.
Les derniers utreros sont arrivés la semaine précédente à peine. Ce sont les plus maigres. La tête calée dans le pli de son coude posé sur un gros tube vert, Carlos Aragón Cancela contemple son achat et compte les zéros. Selon lui, une bonne part viendra de France en 2009 car plusieurs arènes auraient déjà retenu des lots (octobre 2008) : Vic, Céret, Mont-de-Marsan et d’autres. Il a l’air sûr de lui. Loin de ses pensées, sous une brume violette qui lèche maintenant le parterre furonculeux de la sierra, les Bucaré de Javier Buendía ont paru s’extraire des noirceurs d'un roman russe du XIX° siècle dans lequel les "âmes mortes" n’attendent plus le jugement dernier.
Les fleurs de Jara ont vécu. Seules résistent des poignées de brins d'herbe que piétine la froide machine du manège stressé des futurs combattants. Englué dans les premières boues de saison, le campo hésite entre folie psychotique et abattement dépressif. C'est Pinder chez Kafka. Les Santa Coloma tournent en rond, forment un zéro sur cette terre molle grévée de pustules pierreuses, jonchée de tuyaux d'arrosage, et qui n'a de couleur que celle des tourments.
Le nom convient mal au lieu. Carlos Aragón Cancela a devant lui des années de labeur. Tout n'est que provisoire et "en travaux" pour l'instant. Il a conscience de ce qui l'attend et considère que la ganadería n'aura réellement sa marque (car une ganadería n'est rien d'autre que ce qu'en fait un ganadero) que dans une dizaine d'années. Au-delà des zéros, des laideurs du campo et du manège inquiet des toros de Buendía, reconnaissons à Aragón Cancela de ne pas avoir cédé aux sirènes de la soi-disant félicité ganadera en achetant une indéfinissable filiale de Juan Pedro Domecq ou de Daniel Ruiz. Il aime le Santa Coloma (il en avait déjà avant l'acquisition à Bucaré) et paraît ferme dans sa volonté de le conserver. C'est déjà énorme.
Dans quelques semaines, les fleurs de Jara vont repousser dans la sierra...
>>> Retrouvez la galerie des Flor de Jara sur le site www.camposyruedos.com, rubrique CAMPOS.
Photographies Futurs novillos de Flor de Jara & la Sierra de Guadarrama © Camposyruedos