J’ai déplié la carte. Elle occupe maintenant toute la table de la salle à manger et bave sur les jouets disséminés çà et là comme on sème ses chaussettes avant de se coucher. Je fais partie de ceux qui utilisent encore une carte et qui sèment leurs chaussettes avant de se coucher. Dans la vie, je me suis laissé dire qu’il y avait deux catégories d’êtres humains : ceux qui ouvrent encore des cartes et ceux qui collent un GPS sur leur pare-brise. Évidemment, personne ne niera qu’il y a aussi tous les autres, les plus nombreux, les sans carte ni GPS, une sorte de tiers-monde de la désorientation. J’aime les cartes parce qu’elles ne m’expliquent pas avec une voix de secrétaire médicale anémiée qu’au prochain rond-point il faudra prendre la quinzième tournée à droite. Et merde j’ai pas compté !
Avec un GPS, rien n’existe entre le point A et le point B. C’est le néant, comme un tunnel non éclairé. Sur une carte, il y a tout ou presque. Les virages de Pancorbo, l’austérité de veuve fraîche de la Mancha, la M 50 et tous les rêves de l’avant. La carte est muette mais raconte beaucoup ; le GPS finalement ne dit rien.
Je pars bientôt et j’espère cette route qui traverse l’Espagne. Je l’attends sur cet immense morceau de papier que j’aurai du mal à replier.
Lundi
Y a-t-il les toros sur la carte ? C’est difficile à dire, c’est écrit tout petit. Au moins les suggère-t-elle. Les noms, certains, sont là qui ne trompent pas : Guadalix de la Sierra, Buitrago de Lozoya (oui, il y a un élevage ici — María Antonia de la Serna), Colmenar Viejo.
J’attends mais je sais que les toros se cachent même sur les cartes.
Je me demande si la lecture de James Ellroy relève d’un choix judicieux pour préserver le climat de sérénité attendu des vacances. Je choisirai demain. La nuit peut attendre Ellroy ou vice-versa.
Mardi
La carte est repliée. Elle espère elle aussi. Comme moi. L’orage s’annonce. C’était écrit sur le journal qu’il y aurait de l’orage. José Tomás sera à Bayonne dimanche. Ça aussi c’était écrit. J’ai lu en diagonale, de profil pour filer la métaphore. Il va nous la sauver la corrida le Tomás. 300 000 euros le paseo, faudrait pas qu’il se prive. C’était pas écrit ça, le coup des 300 000 euros. 5 euros et des miettes la carte : mes rêves coûtent moins chers. Je sais, je n’ai aucune ambition.
Je coupe. Ça gronde, ça tonne, ça remue en ronde. C’était annoncé. J’ai choisi. Je vais lire Ellroy. Je coupe.