Entendre les tibles et fiscorns de la cobla cérétane sur le Paseo du génial Comelade, c'est défier toutes
les premières lignes du monde à Gilbert Brutus ou Aimé Giral, le
poing serré sur le cœur et dire : « Nous, les Catalans… »
Entendre les gaïtas de Bilbao enroulant la pose des banderilles sur des aurochs magnifiques dans
des ruedos gris austère, c'est traquer à la rame la baleine à
travers houle et tempête jusqu'au Saint-Laurent et la harponner
enfin de sa main en disant : « Nous, les Basques… »
Quand j'ai entendu la flûte qui
rythmait le pas du banderillero face à ces bestiaux lusitaniens
dignes des plus spectaculaires bas-reliefs crétois, mon cœur et mes
tripes ont enfin senti l'intense brûlure amoureuse que ma terre
porte à la bravoure, à la force,
à la beauté du combat et l'amour du défi. De la pinède infinie aux Pyrénées en passant par les collines de Chalosse,
tout ici chantait le courage des combattants de l'arène et la rude
tendresse des gens de chez nous. Immense témoignage et superbe
initiative que seuls les couillons ignares et autres peuilloutres
gênés d'être nés quelque part ont sifflé comme un outrage à
l'accent qui roule, au cancanement des oies, à Rachou de Mouscardes,
à la morsure sucrée du Floc, au quillet du Guit de Montfort, au
souvenir de notre ami Charlie Couralet, au toupin de garbure fumant,
à la souche de chêne dans la cheminée, au pin tenant tête au vent
de l'Atlantique, à la cloison nasale tordue de tous ceux qui ont
trébuché devant « Fédérale » et aux arcades gonflées
de ceux qui serraient les dents pour mieux encaisser les tampons
barbares du regretté Lansaman.
Voir ces tíos
lusitaniens galoper dans ce ruedo coincé entre le Gave et les
Pyrénées, couilles en avant et tronche sauvage au vent, nuages
accrochés aux pitones, prêts à péter comme des brutes dans tout ce
qui leur cache la vue sur l'horizon ; les regarder ainsi s'éclater de bonne grâce le
groin sur les petos dans des tercios hommages à l'art de piquer au son de la douce ritournelle de notre valeureuse
Gascogne, c'était comprendre que cette terre avait enfin trouvé le
moyen d'éclater aux yeux de notre monde et d'affirmer crânement,
menton haut, œil vif et moustache du fier mousquetaire : « ¡Que soy! »
« Approche, Bertrandou le
fifre, ancien berger ; / Du double étui de cuir, tire l'un de tes
fifres, / Souffle et joue à ce tas de goinfres et de piffres / Ces
vieux airs du pays, au doux rythme obsesseur, / Dont chaque note est
comme une petite sœur, / Dans lesquels restent pris des sons de voix
aimées, / Ces airs dont la lenteur est celle des fumées / Que le hameau
natal exhale de ses toits, / Ces airs dont la musique a l'air d'être
un patois ! […] Écoutez, les Gascons… Ce n'est
plus, sous ses doigts, / Le fifre aigu des camps, c'est la flûte des
bois ! […] C'est le lent galoubet de nos meneurs de
chèvres !… / Écoutez… C'est le val, la lande, la forêt, / Le
petit pâtre brun sous son rouge béret […] Écoutez, les Gascons : c'est la
Gascogne ! »
Ces mots de Cyrano à ses cadets aux
portes d'Arras, fils de Fébus ou d'Arnaudin, joueur de flûte, aficionados de Gascogne, je vous les dédie.