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25 mars 2013

Paco Cano


Il s’assoit souvent à l’entrée de la salle qui surplombe les chiqueros, là où se déroule le sorteo des corridas des Fallas, à la merci de tous les visiteurs qui le saluent, l’embrassent et se font photographier avec lui. Il ne bronche pas, Cano, il est patient, même si certains sont un poil pesants et tardent à immortaliser l’instant avec leur iPhone ou leur Samsung Galaxy. Autour du cou, son appareil photo, et dans sa main, un petit sac en plastique avec les clichés qu’il a réalisés la veille et qu’il distribue généreusement à ses amis. Vissée sur la tête, sa fameuse casquette blanche où sont inscrits son nom et sa date de naissance : « 18-12-1912 ». Paco Cano est centenaire. Boxeur, novillero, maître nageur et, enfin, photographe, l’œuvre de Cano constitue un remarquable témoignage d’une époque passée.

Fruit du hasard, Paco Cano est mon voisin de burladero à la fin du concours de recortes de ces Fallas 2013. C’est un grand ami d’un de mes amis — ne me demandez pas l’âge de mes amis. L’ami en question, qui accompagne Cano, s’ennuie royalement. Il veut faire un tour et me demande de m’occuper du maestro qui veut aller voir une exposition à la fin du concours. Rien de bien compliqué, selon lui, il suffit de l’aider à descendre de son promontoire et de l’accompagner. Je me suis aussitôt imaginé montant dans un grand huit de fête foraine avec une bouteille de nitroglycérine dans les mains. Chaque seconde qui passe est une victoire pour un type qui a cent ans. Et s’il cassait sa pipe juste quand je dois m’occuper de lui ? Et si, sur une pichenette de rien du tout, il se déboîtait la hanche ou se cassait le col du fémur ? Angoisse…

Je descends de son strapontin le petit monsieur, qui doit peser cinquante kilos tout mouillé. Le temps de me l’imaginer rendant son dernier souffle dans le callejón, et toutes les arènes qui me tombent dessus, mon protégé s’échappe ! Branle-bas de combat, je range mon appareil et tout le bazar, et rattrape le fugitif.
— Maestro, Julio m’a dit que je devais vous emmener à l’expo.
Cano s’en fout, me bredouille un truc et continue son chemin à travers la foule pour sortir des arènes. Meeerde ! Quand nous arrivons dans le patio de caballos, j’insiste pour savoir où il veut aller et aperçois enfin l’ami commun, qui fume tranquillement sa cigarette. Je l’interpelle et lui confie le monument historique, soulagé d’être libéré de cette responsabilité. Julio me lâche dans un sourire : « T’inquiète pas, Flo, il n’en fait qu’à sa tête, et il nous enterrera tous. »

Longue vie à toi, Cano !

18 décembre 2009

Le doyen des photographes taurins fête son 98ème anniversaire


Francisco Cano Lorenza fête aujourd'hui son quatre-vingt-dix-huitième anniversaire.
Né à Alicante dans le quartier de La Goteta le 18 décembre 1912 d'un père qui eut une petite carrière de novillero, il tente d'abord sa chance comme boxeur, puis dans le monde du toreo en s'illustrant d'abord par ses sauts dans le ruedo à une époque où les espontáneos n'étaient pas rares. Il finit par apparaître dans quelques festejos, recevant même sa première cornada. Il fut aussi un temps maître nageur, avant d'entamer la carrière de photographe taurin que l'on sait, trimbalant sa casquette blanche dans toutes les arènes de France, de Navarre et d'Espagne, accrochant à son C.V. un nombre incalculable de spectacles couverts.

Je vous renvoie aux deux articles que Laurent Larrieu avait consacré au doyen des photographes taurins (ici et ), que l'on souhaite voir encore de nombreuses années déambuler dans les contre-pistes, promenant son personnage sympathique au destin si extraordinaire.

Image Paco Cano aux côtés de Joselito Adame, alors novillero, au mois d'août 2007 à Béziers © Camposyruedos

14 décembre 2005

Cano... Linares, Manolete, Dominguin... (II)


Paco Cano se lança entièrement dans la photographie taurine à partir des années quarante (1942). Faire le compte du nombre de clichés qu'il fit donne le vertige ; lui-même le déclare.
"Calculez que je vois environ cent quinze corridas par temporada et que je fais quatre ou cinq pellicules par tarde. Si vous faites le compte du nombre de photos, ça tourne autour du million... beaucoup en tout cas. Je crois que j'ai la meilleure archive photographique d'Espagne actuellement".

Tout au long de l'interview, Cano parle peu des toros mais beaucoup des toreros qu'il fréquenta au plus près car "à cette époque les toreros appelaient un photographe quand ils avaient besoin de photos et on restait 15 ou 20 corridas avec eux. J'ai voyagé avec pratiquement toutes les figuras. Avec Pepe Luis (Vázquez), Cagancho, Luis Miguel (Dominguin), Parrita, Ortega... Parrita fut un ami intime, on avait commencé ensemble, nous nous entraînions dans la placita de Marcelino qui était à une centaine de mètres de Las Ventas".

Le photographe est friand d'anecdotes et semble être très fier d'avoir pu fréquenter les personnages les plus illustres de son temps. Il évoque les actrices Ava Gardner, Ryta Hayworth, le réalisateur Orson Welles mais également le caudillo lors d'une fête organisée à El Toruño, chez Guardiola, au sujet de laquelle il se souvient qu'"à un moment, Arruza me prit l'appareil et dit : "Maintenant, que torée le photographe !". Je fis un quite et Franco me félicita".

Cependant, un souvenir, douloureux, est récurrent au milieu du flot des mots. Linares, 28 août 1947. "J'accompagnais Luis Miguel Dominguin. On ne se parlait plus à cause d'une histoire de factures jusqu'à ce que l'on se rencontre à El Pardo lors d'un festival qu'organisait Doña Carmen Franco. Il me prit à part et me dit que tout était réglé et que je devais le suivre pour le voyage. La première corrida fut précisément celle de Linares. Le matin, j'ai été aux arènes voir les toros, avant l'apartado. Après, je me souviens que je suis allé à l'hôtel Cervantes ; je me souviens qu'il y avait une grande discussion devant la chambre de Manolete [...]".

Cano faillit ne pas assister à la corrida l'après-midi, en tout cas depuis le callejón. "Un délégué ne voulait pas me laisser passer mais le gouverneur intercéda en ma faveur". La corrida terminée, il envoya les pellicules à Madrid comme le lui avait demandé Don Antonio Bellón dans le train. Evidemment, à cause de l'accident mortel de Manolete blessé par le toro 'Islero' de Miura, les photos furent très demandées et prirent de la valeur.
"Chez moi, c'était un défilé de journalistes qui voulaient m'acheter le reportage. Il fut publié en partie dans "El Ruedo" et "Digame". Je me souviens qu'ils voulaient me les payer 20 duros, je refusais. J'ai même cherché un avocat mais nous arrivâmes à un accord. Celui qui se comporta le mieux fut K-Hito qui me paya ce que je désirais".

D'ailleurs, toutes les photos ne furent pas publiées à l'époque et Cano revient sur l'une d'elles : "cette photo m'a coûté une fortune. Des personnalités du monde entier voulaient me l'acheter, même Lupe Sino. Ils venaient à la maison pour la voir et chaque fois je devais ouvrir une bouteille de vin et offrir des pinchos. Elle était comme mon trésor professionnel".
Pour Cano, Manolete fut son meilleur sujet. Il vante son naturel et la droiture qu'il avait face au toro. Cependant, il avoue aussi son admiration envers Luis Miguel dominguin : "J'ai une anecdote intéressante à son sujet. On m'appela pour faire un reportage à l'un de ses retours d'Amérique. Nous étions entourés de diverses personnalités et amis, et, en trinquant, un invité dit à Luis Miguel : "Oye, Miguel, quel bon ami tu as avec Canito ! Combien il t'aime !" Celui-ci lui répondit : "Non, attention! Canito n'est pas net !" Le silence se fit et tout le monde me regarda.
Je compris ce qu'il voulait dire et je l'expliquais aux convives : "Ce n'est rien. Luis Miguel a raison, il sait pourquoi et moi aussi. Je suis partisan de Manolete. Nous étions amis, je l'admirais mais j'étais partisan de Manolete."

Cano est peu prolixe sur les toreros et le monde des toros actuel. Il semble, dans l'interview, être figé dans sa mémoire. Quand on le croise parfois lors de certaines férias espagnoles qu'il continue de couvrir, on reste pantois de sa vitalité et de ce grand sourire collé sur ce petit corps. Photographe de l'instantané, ses photos ne sont pas, à mon sens, de grandes oeuvres d'art (comparées évidemment à d'autres maîtres de la photographie taurine) mais son oeuvre est pour le moins impressionnante, une somme pharaonique dans la focale de l'Histoire.

Aplausos, n° 496, 30 mars 1987.
Aplausos, n° 497, 6 avril 1987.

Les deux dernières photographies sont extraites d'un journal de l'époque, celle de droite est de Cano.

Cano... les débuts (I)


Sur un site consacré en partie à la photographie taurine, comment ne pas évoquer la vie et l'oeuvre de Francisco Cano, doyen de cet art ? Surnommé "Canito", ses clichés sont des témoignages inestimables sur la corrida des années 1940 à nos jours. Une ethnographie du monde des toros.

En parcourant d'anciennes revues espagnoles, j'ai retrouvé une longue interview du maître dans laquelle il conte sa vie et évoque sa passion, les toros, et peut-être surtout, les toreros qu'il côtoya et dont il fit partie un court instant.
Fils de Vicente Cano "Rejillas", novillero sans gloire, Paco Cano donna ses premières passes à 13 ans, à un novillo échappé de l'abattoir. "Quand ils l'attrapèrent et le ramenèrent à l'abattoir, ils décidèrent de le toréer. [...] Mon père se mit devant et puis finalement, je lui ai donné quelques passes avec un sac. Je me suis senti plus apaisé que jamais, une sensation que je n'ai pas éprouvé depuis". Sobresaliente à Alicante, puis matador alternant avec un certain Faraón dans les pueblos de la région, c'est la guerre (civile 1936-1939) qui interrompit sa carrière. " Durant le conflit, j'ai eu deux contrats. D'abord une novillada à Orihuela organisée par la F.A.I. et puis une autre à Alicante, celle-ci montée par le Parti Communiste. Je me souviens que j'étais à la maison et qu'arriva une camionette de miliciens qui demandaient après moi. Ma mère s'inquiéta beaucoup mais quand j'entendis qu'ils voulaient m'engager, je sortis et je leur dis qu'il n'y avait aucun problème. Dans cette novillada, j'ai reçu une cornada dans les testicules et quand j'ai pu à nouveau marcher, je me suis rendu à Madrid, accueilli chez un ami, Gonzalo Guerra Banderas".

Après la guerre, il effectua une trentaine de contrats mais sa carrière végétait. Et la photo ? Quand est-elle apparue ?
"Tout commença avec Gonzalo qui faisait des photos couleurs ; il était chimiste, passionné par la photographie. A nous deux, nous achetâmes deux tubes de métal sur lesquels nous installèrent un objectif. [...] Ceux qui me voyaient riaient. Mais un jour à Madrid, lors d'une tarde où débuta Alejandro Montani "El Sol del Perú", je fis un reportage intéressant que mon ami Miguelillo montra au torero à qui mes photos plurent et qui me passa une belle commande. Cela m'ouvrit les yeux et je poursuivis sur cette voie. J'ai acheté un Leica (et un téléobjectif de 13,5) que je conserve toujours. [...] C'est avec lui que je fis le reportage de Linares"...

Aplausos, n° 496, 30 mars 1987.