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13 décembre 2009

Sofa's Knock Out (I)


— Pardon, veuillez m’excuser, pouvez-vous pousser votre chariot s’il vous plaît, je voudrais attraper cette revue. Merci beaucoup !
Non loin du rayon des produits congelés consommables jusqu’à hier, au coin de la zone pansements, brosses à dents, capotes et lubrifiants, au détour des cris de marmots qui hurlent leur envie du dernier fusil mitrailleur à air comprimé recyclé dans les usines du trou de balle de la Chine, le long des soupirs ereintés de mamans devenues, un gros sac bio à la main, criminelles en puissance, derrière l’horripilente (c’est fait exprès) remontée de rayon d’une mémé en purée, s’alignent, dans un classement que seul comprend le chef du rayon fruits et légumes, les revues du moment. Lire, se sentir être humain, vivant ! Lire.
« Pour sa survie dans l’arène, le toro de Saltillo devra s’adapter et évoluer selon les goûts du public actuel... »
— Eh, petit ! Approche, écoute... Viens gamin... FERME TA GUEULE, rejoins ta mère, tu la vois là-bas, c’est elle qui remue la mémé... CASSE-TOI et file-moi ton flingue, j’ai de grands projets pour lui ! File-moi ton flingue je te dis !

Lire, se sentir être humain... Une clope... J’ai plus le droit !
Le toro de Saltillo je m’en vais le dessouder à la sauce Rambo époque Festina pour pas qu’il s’adapte, pour qu’il reste inconstant, surprenant, imprévisible, pour qu’il reste un toro de combat. Qu’il crève après tout, il crèvera au moins comme un toro !
Tatatatatatatatatata... Super ces nouveaux fusils mitrailleurs. Ça doit être l’air comprimé chinois !
Le frigo est plein. Entre deux olives fourrées aux anchois, on se dit que les gosses d’ici rêvent bizarre, de fusils mitrailleurs à air comprimé chinois et on se demande les yeux dans le fond d’un bordeaux ouvert à la va-vite si les gosses chinois ne rêvent pas, eux, d’une deuxième chaîne de télévision.

Sur la photo d’Oriol Maspons1, le gosse, quand il dort, il doit voir des toros partout jusqu’au plafond et les petites qui se retournent pour le voir finir sa passe, elles doivent rêver qu’elles sont ses amoureuses au torero en chaussettes blanches. Rêver de toros, c’est une autre manière de hurler qu’on est un homme, ça se fait pas en rayon et ça épate les filles.
Elle est belle cette photo et le môme il est tellement tordu dans sa véronique qu’on voit presque le toro déplacer l’air et emporter l’étoffe. Ca doit être un Saltillo le toro ! C’est le genre de truc qu’on se dit à soi-même en préparant la bouffe, en allumant le gaz, en mettant le couvert pendant que la nuit est là, déjà. Oui ! Un Saltillo énorme et méchant et qui plonge comme un missile dans le drap d’un torero en chaussettes blanches qui veut faire son grand devant trois pisseuses de son âge, le bon dieu pour témoin. C’est un Saltillo, c’est sûr.
Une olive a glissé sous la table basse du salon, l’anchois a dû s’échapper et le poste vomit en boucle les nouvelles rassurantes de l’hernie discale de Johnny plongé depuis quelques heures dans un coma artificiel à L.A.. La France a peur, elle s’inquiète évidemment et Laetitia, l’animal de compagnie de l’opéré exilé, ne peut rien déclarer aux médias tant son émotion est intense. L’anchois est resté dans l’olive, y’a des soirs comme ça, on a de la veine. Manquerait plus maintenant que la Bernadette jaunie comme ses pièces ne lance une campagne de soutien pour les disques lombaires du chouchou national ! C’est incroyable ce que l’air comprimé chinois rend ces fusils mitrailleurs crédibles. Vautré comme un romain orgiaque, une main caressant le bordeaux maintenant réchauffé, l’autre prodiguant de sensibles douceurs à mon nouveau jouet chinois, je n’arrive pas à concevoir que l’on puisse écrire de telles conneries sur les Saltillo ! Tatatatatatatatatata...

Nikos nous rassure, Jojo irait mieux mais Laetitia refuse toujours d’aboyer.
Le médecin qui a soigné Jojo s’est fait casser la gueule. Décidément, c’est pas terrible la pizza de la veille. Et puis il y avait trop d’oignons. Tiens un petit coup pour le fun… Tatatatatatatatatata... Marche trop bien.
Je ne veux plus lire depuis l’épisode du supermarché. Depuis que l’anchois n’a pas quitté l’olive sur le tapis du salon, je me sens en veine et je voudrais pas gâcher tout ça. Ne rien faire, ne rien risquer, la position vautrée favorise les chanceux, je le ressens à cet instant. Pour s’en convaincre, je regarde de loin cette photo de Xavier Miserachs. Elle a pas l’air en veine la gonzesse ? Elle cuit détendue sur le sable d’une plage de Lloret de Mar sans se soucier qu’un certain Ángel Peralta va toréer dans ce haut lieu de la corrida mondiale. Et elle y est même pas la gonzesse à la corrida ! Elle y va pas, elle reste là à sécher comme un saucisson d’âne du Poitou. Et elle a raison je me dis, la main toujours très caressante pour mon jouet qui marche super bien, de toute façon, à 1000 contre un que c’étaient pas des Saltillo ce jour-là à Lloret de Mar. Tatatatatatatatatata... Dézingués les Saltillo modernes, assassinés les Miura soumis, occis les Cuadri civilisés et les Victorino du fils. Tatatatatatatatatata...

Je savais qu’il y avait trop d’oignons. C’est des trucs qu’on ressent mais on se laisse dominer quand même. Après on regrette, c’est toujours pareil. La nuit est vraiment là, le silence l’accompagne, l’air comprimé chinois me donne des hauts le cœur à moins que ce ne soient les oignons ou les anchois peut-être. Après tout, je ne sais pas si lire ne me ferait pas du bien. Ne pas être superstitieux. Soigner le mal par le mal. Adiós Madrid. Un petit bouquin de 19982, sans prétention, sans décorum, sans forfanterie. Un titre nostalgique pour une plongée dans le Madrid taurin, des arènes au campo via les tabernas, obligatoirement. Un siècle de Madrid de toros en peu de pages, avec les mots passionnés de deux Madrilènes, loin de l’exhaustivité et de l’érudition savante. Un petit livre simple pour se reposer des oignons, des hernies discales et des Saltillo adaptés... Avant d’éteindre, un dernier pour la route... Tatatatatatatatatata... Même la nuit ça marche.

1 Vous pouvez retrouver les photos de Oriol Maspons et de Xavier Miserachs dans une collection de livres consacrée aux meilleurs photographes espagnols : La Fábrica. A découvrir en particulier les "sin título" noir et blanc de Matías Costa, un toro mort de Genín Andrada et, pour les fans, une photographie de la Casa Patas de Madrid par José María Díaz-Maroto. Ne manquez pas aussi, et surtout, les noirs et blancs de Pep Bonet. Le site Internet : http://www.lafabrica.com/.
2 Andrés de Miguel & José Ramón Márquez, Adiós Madrid, Paseos por el Madrid taurino, Ediciones la Librería, 1998.

06 octobre 2009

Agua sin gas


Voilà qui commence vraiment à faire beaucoup, une goutte d’eau supplémentaire, encore une, pour certains, presque la goutte de trop. Curieusement c’est Vicente Zabala de Serna, une fois n’est pas coutume, qui a le mieux enfoncé le clou et dit les choses après la dernière sortie des gris bien pâles de la famille Martín.
J’écris bien "famille", car ils sont de plus en plus nombreux les aficionados à penser que le virage pris par la mythique vacada serait plus de la responsabilité du rejeton que de celle d’un sorcier vieillissant, qui a tout prouvé, et dont on a du mal à croire qu’il puisse se satisfaire d’envoyer à Madrid pareils soldes de fin de saison. Cinq cuatreños cinq, pas un de plus et très limites de présentation. Un lot de Victorino coupé à l’eau d’un remiendo de Carriquiri. Une peine.
J’avais évoqué la chose deux jours auparavant avec l’incombustible Jorge Laverón, dans la pénombre fraîche de La Venencia.
Jorge m’a tout d’abord sauté dessus avec Tomasito, enfin, maintenant, Thomas je ne sais plus quoi. Tomasito quoi.
¡Ya teneis un torero François! Este Thomas… etc., etc… Grosse côte pour Tomasito du côté de La Venencia.

Puis, dans la conversation, forcément l’évocation des corridas à venir.
- Tu crois que Morante va venir ?
- Aucune idée. Je n’ai même pas lu le journal.

Intervention d’un troisième larron.
- Moi, avec ce qu’il a au pouce, je ne viens pas, je me retire.
- Toi ? Tu te retires ? Mais tu te retires d’où ? Toi tu n’es à nulle part ! Va plutôt nous chercher ta media de manzanilla.


Il commençait à se faire tard, nous ne savions toujours pas si Morante allait venir, mais la manzanilla était fraîche et une envie de cèpes se faisait naissante.
Bien. Donc, samedi, peut-être Morante, et dimanche, la famille Martín.
- Victorino. Il a tout de même mis pas mal d’eau dans son vin il me semble. Tu en dis quoi Jorge ?
- Mucha agua François… mucha agua.

Débarque Chiqui Abril, un habitué du coin. Il veut m’inviter à un vernissage. Les cèpes vont devoir patienter. Nous étions jeudi. Et j’ai bien compris que mes quatre jours n’allaient pas être suffisants pour tout faire.
Ils sont trop forts à La Venencia, un sens de l’organisation hors du commun. Un certain Montserrat de Pablo vient de publier un livre de photographies prises depuis les hauteurs du tendido cero. Pour le titre il ne s’est pas foulé : "desde el « 0 » fotografías". Pour les photos c’est difficile à dire.
Les textes sont de Jorge. Je ne sais pas s’il s’est foulé lui, mais je suis certain que je vais y réfléchir à trois fois avant de lui demander d’écrire sur mes clichés. ¡Vaya guasa Jorge! ¡Vaya guasa!
Par contre, pour les à-côtés, c’est du grandiose. Voici ce qu’annonce le dos du carton d’invitation.

INAUGURACIÓN
Jueves 1 de octubre a las 20h.

INAUGURACIÓN I
Viernes 2 a las 19 h.

APERITIVO
Sábado 3 a las 13h.

REINAUGURACIÓN II
Miércoles 7 a las 19 h.

REINAUGURACIÓN III
Viernes 9 a las 19h.

APERITIVO DE CLAUSURA
Sábado 10 a las 13 h.

Ça ne s'invente pas, sauf à La Venencia. Muchas copas Jorge, muchas copas. J'en étais où moi ? Ah oui, Zabalita, la famille Martín. Comment dire ? Agua, mucha agua, demasiado. Beaucoup trop et sin gas.

09 avril 2009

Petites réflexions sur la « concours »


Le samedi 8 août prochain aura lieu à Parentis-en-Born (Landes) une alléchante novillada dite concours proposée par l’Association des aficionados (ADA) à l’occasion de son 20e anniversaire. La simple énumération des encastes annoncés, tous très minoritaires, suffit à rendre l’événement hautement recommendable ; jugez plutôt : Gallardo (Partido de Resina), Veragua (Prieto de la Cal), Vega-Villar (Barcial), Saltillo (Moreno de Silva), Urcola (Moreno de la Cova) et Santa Coloma ligne Coquilla (Coquilla de Sánchez-Arjona) !

Cela dit, et sans vouloir donner l’impression de chercher des poux, l’idée d’organiser un concours de novillos me paraît quelque peu curieuse ; en ce sens que le concours de ganaderías représente en tauromachie sa forme la plus évoluée, son modèle le plus abouti. Cette course exceptionnelle, si elle ne saurait se résumer à un concours de beauté, met théoriquement en scène des animaux arrivés au faîte de leur développement, à savoir des toros, mieux même, la crème des toros, des « estampes », des « toros-toros ». Les novillos de Parentis seront sans nul doute bien présentés et, soyez-en certains, feront honneur à leurs élevages respectifs. Mais un novillo reste un novillo, c’est-à-dire un animal de trois ans destiné à devenir toro — s’il ne présente pas de défaut physique et/ou d’encornure et s’il correspond au type voulu par son éleveur — ou à sortir en novillada.

En poussant la logique jusqu’à l’absurde, avec une pointe de provocation quand on imagine avec quel grand sérieux les aficionados parentissois organisent leurs courses, la seule lecture de l’article 46 du Règlement taurin municipal interpellera l’aficionado quant au bien-fondé d’une course intitulée « novillada concours » : « Les animaux borgnes, ainsi que ceux dont les cornes seront abîmées (astilladas, escobilladas, despitorradas) ou malades (hormigones) ou enfin cassées (mogones), ne pourront être combattus en CORRIDAS DE TOROS. Ils pourront l'être en NOVILLADAS AVEC PICADORS — à l'exception des borgnes — à condition qu'il soit précisé clairement et de façon visible sur les affiches, qu'il s'agit d'animaux refusés à la tienta et aux cornes défectueuses (desechos de tienta y defectuosos). »1 Reconnaissez après ces quelques lignes qu’un concours de novillos ait tout d’une étrangeté.

D’autant plus que dans un concours de ganaderías la mise en valeur du cornu (et plus particulièrement de sa bravoure) par une lidia appropriée constitue son objectif premier ; une lidia que des matadors (de surcroît expérimentés) sont naturellement plus à même d’offrir que des novilleros — a fortiori lorsque l’on relève, comme il a été fait plus haut, l’identité des devises en compétition ! À ce sujet, les carteles affichés par Madrid et Saragosse2 pour leurs prochaines « concours » printanières ont de quoi laisser songeur. En effet, et ce malgré tout le respect que l’on doit à chacun de ces valeureux matadors, voir ces deux arènes majeures arrêter leurs choix sur Aníbal Ruiz, Jesús Millán (Madrid & Saragosse), Sergio Martínez, Ricardo Torres et Alberto Álvarez vous pousse légitimement à douter de la volonté des organisateurs à se donner tous les moyens (et il en faut !) de la réussite, à mettre toutes les chances de leur côté. À douter du sérieux de l’entreprise, tout simplement.

Évoquer Madrid et Saragosse permet en outre de se pencher sur la question du lieu où est organisée la « concours ». Le soin avec lequel l’éleveur préparera l’événement sera vraisemblablement proportionnel à la catégorie de la plaza ; une catégorie qui conditionnera grandement la portée médiatique d’un éventuel succès. Être primé à Saint-Martin-de-Crau3 n’aura pas le même retentissement et n’apportera pas le même prestige, la même fierté qu’une récompense glanée à Vic-Fezensac4, Saragosse ou Madrid. Là aussi on peut, sans arrière-pensée, discuter de la pertinence de présenter dans une arène de l’importance de Saint-Martin-de-Crau des courses d’un tel niveau d’exigence.

Avant de nous quitter, j’aimerais vous donner à lire un court papier de Jorge Laverón, « Le toro de concours oblige à un choix particulièrement attentionné », publié en mars 1977 dans El País et qui disait à peu près ceci :

« Pour choisir sérieusement un toro de concours il faut prendre en considération : la note de sa mère, sa lignée, son apparence et le type de son élevage. Ce fut le thème développé par Luis Fernández Salcedo5 chez “Los de José y Juan” lors d’une conférence qui coïncida avec sa réapparition comme conférencier depuis 1967. Il faut sélectionner le père du toro à choisir, prendre en compte le comportement qu’ont donné d’autres de ses fils déjà combattus et, ensuite, procéder à un examen minutieux des toros retenus sans perdre de vue la note de la mère, ainsi que le jeu donné par certains de ses rejetons. Ce n’est qu’après que le toro sera sélectionné en fonction de sa maturité, de sa corpulence, de sa vigueur et, en définitive, de l’image de sérieux qu’il renvoie. Afin de permettre à l’éleveur une sélection minutieuse, une corrida concours doit être prévue suffisamment longtemps à l’avance. “Une corrida qui ne l’aura pas été, d’après Salcedo, ne peut pas bien sortir ; ce sera au mieux una limpieza de corrales ou une course de rebuts. L’image de sérieux renvoyé par l’animal importe beaucoup dans une corrida concours, mais ce ne serait pas la première fois qu’un toro laid se révélât brave. Finalement, ce qui importe le plus c’est que le toro soit dans le type de son élevage.” » Le toro...

1 Source FSTF.
2 Madrid. Dimanche 19 avril 2009. Toros de Juan Luis Fraile, Moreno de Silva, Cuadri, Escolar Gil, Adolfo Martín & Pablo Mayoral pour Aníbal Ruiz, Jesús Millán & Sergio Martínez.
Saragosse. Dimanche 26 avril 2009. Toros de Partido de Resina, Prieto de la Cal, Escolar Gil, Alcurrucén, Fuente Ymbro & Ana Romero pour Jesús Millán, Ricardo Torres & Alberto Álvarez.
Escolar Gil présent aux concours de Vic, Saragosse ET Madrid ! Bizarre ? vous avez dit bizarre ?
3 Dimanche 26 avril 2009. Toros de Moreno de la Cova, Rocío de la Cámara, Rehuelga, Tardieu Frères, Aimé Gallon & Fils et Héritiers de Christophe Yonnet pour Serafín Marín, Alberto Aguilar & Mehdi Savalli.
4 Vic qui en proposant chaque année ce rendez-vous aux éleveurs devrait pouvoir logiquement en garantir son sérieux et, par la même occasion, sa pérennité. Vic où, soit dit en passant et pour ne prendre que l’exemple de 2008, la présentation de certains toros lidiés en concours laissait franchement à désirer : le Miura manquait singulièrement de présence, le Victorino était nain, le La Quinta hors type et le Charro de Llen avait le regard, comment dire ?… d’un agneau.
Vic. Dimanche 31 mai 2009. Toros de Miura, Palha, Victorino Martín (habitué à envoyer des « sardines » !), Cebada Gago, Escolar Gil & Fuente Ymbro pour El Fundi, Javier Valverde & Luis Bolívar.
5 Luis Fernández Salcedo, Verdad y mentira de las corridas de concurso, Unión de Bibliófilos Taurinos, Madrid, 1971.

Images Corrida concours Céret de Toros 1998 # La page intérieure du programme avec les têtes des toros, les noms des picadors, etc. Le règlement côté recto où l’on peut lire (en cliquant) que « le ganadero vainqueur se verra attribuer un prix de six millions de pesetas ». 6 000 000 ? Soit environ 250 000 de nos anciens francs ou 36 000 de nos nouveaux euros ? Mazette ! Le billet illustré de fort belle manière par le peintre cérétan Émile Erre (1904 – 1986) Le règlement côté verso qui signale clairement que... « la carioca est interdite » ! © Association des aficionados cérétans

24 novembre 2008

Figures de toreros (II)


Carlos Escolar ‘Frascuelo’ est sans nul doute photogénique mais les occasions de le cueillir en train d’ajuster sa cape avant le paseíllo se font rares, de plus en plus rares. Même à Madrid où une temporada sans son nom signifierait pour l’afición — et pas seulement la madrilène — le début d’une fin, qui ne marquerait pas uniquement celle de sa longue trajectoire de matador de toros.

À regarder ce visage sépia, cette gueule à l’ancienne pleine de torería, on est saisi par son exceptionnelle gravité voire sa majesté — affronter et tuer des toros conférerait à celui qui en a la charge quelque chose "en plus". Parce qu’il ne combat pas les toros comme d’autres empilent des cubes, Frascuelo serait capable d’abriter sa muleta du vent ou de donner la lidia qu’il faut à un manso. Il se dit même que Frascuelo ferait marcher sa tête...

Mis à part une cicatrice au menton, l’arène — mais est-ce elle ? — paraît avoir relativement épargné ses traits ; le temps, lui, n’a pas eu cette délicatesse : des yeux en amande sans cils apparents, plissés et soulignés de deux arcs sculptés à la pointe du couteau, une faille en biais à droite sur la joue, une fine bouche pincée aux contours ridés, et des taches brunes témoignant plus sûrement de son âge avancé qu’une pièce d’identité ― quand les premières apparurent sur les mains de ma mère, je compris alors combien j’avais grandis.

Une trentaine d’années plus tôt, « muy importante fue la tremenda cornada de Frascuelo en Bilbao, al que un villagodio hirió en un pulmón »1. Un marqués de villagodio qui formait avec ses frères « bien armados y astifinos »2 une corrida « cinqueña, cuajada y seria » comme Frascuelo s’en coltinera une flopée tout au long de sa carrière...
« Frascuelo est un de ces toreros authentiques qui se sont faits pas à pas et qui, depuis leurs débuts dans la profession, recherchent dans les ruedos l’opportunité de prouver leur valeur. Il n’est ni n’a jamais été un torero d’affaires et d'intrigues3. Sa force, quelle que soit celle qu’il ait pu avoir, il la démontra tout d’abord devant le novillo et ensuite devant le toro, sans manières, sans facilités. Au cartel, Frascuelo garantit courage et dévouement. Ses lettres de noblesse, il les a acquises en tentant continuellement de résoudre les problèmes rencontrés dans tous les tiers. » écrivait Joaquín Vidal en 1977, après le passage de l’ouragan Santa Coloma sur la piste cendrée de Vista Alegre.

1977, c’était hier, c’est aujourd’hui et ce sera probablement demain...

Car une trentaine d’années plus tard, nous pouvons lire sous d’autres plumes des portraits fort ressemblants, à quelques formules ou rides près. N’allons guère chercher plus loin les raisons pour lesquelles Las Ventas aime et respecte Frascuelo. En 2008 et à 60 ans, il livrait toujours combat en attendant « l’opportunité de mourir sur les cornes d’un toro »... de Madrid ou de Bilbao.

1 Jorge Laverón dans El País en novembre 1977. Du même auteur, lire également Con una corrida de casta, Frascuelo todo un torero (01/05/1979).
2 Joaquín Vidal, La oportunidad de morir en las astas de un toro, El País, 16/08/1977. Toutes les citations suivantes en sont tirées.
3 « ... un torero de despachos, ni de cabildeos » dans le texte (en lien ci-dessus).

En plus Vous retrouverez les pré-"historiques" villagodios (ceux-là mi-Veragua, mi-Santa Coloma) du côté de San Muñoz, chez Agustínez, ou... en consultant Un villagodio ! sur le blog, la galerie sur le site ainsi que Terre de toros & la fiche du Centro Etnográfico del Toro de Lidia (avec un reportage à la clé).

Image Frascuelo le 25 mai 2008 à Las Ventas peu avant la course de Cuadri, complétée par deux toros de San Martín dont l’un, ‘Romero’, lui offrit l’opportunité de... © Manon

14 novembre 2008

"Frascuelo" à San Lorenzo


Il est toujours agréable en relevant le courrier de découvrir entre les factures et les relevés bancaires l’enveloppe grise frappée du sceau de l’association de La Cabaña Brava de Zaragoza
. On sait que le fanzine arrive et qu’on y trouvera forcément quelques perles. Le dernier numéro est particulièrement riche : José Tomás, Escolar Gil. Vous pouvez le télécharger sur le site de l’association. Et puis, au détour d’une page, ce papier de Jorge Laverón, qui évoque Frascuelo. Jorge ne m’en voudra pas trop pour la traduction… La photographie a été prise à Madrid pour l’Otoño.

Carlos Ruiz Escolar 'Frascuelo', le torero vétéran de l’escalafón, est réapparu à San Lorenzo de El Escorial, après le grave coup de cornu reçu à Las Ventas pour la San Isidro.
Une après-midi de mai, à Madrid, au sommet, un toro sauvage de San Martín a failli couper Frascuelo en deux. Carlos Frascuelo est réapparu, le jour de San Lorenzo, le Saint rôti sur le gril, avec des toros de San Martín. Cela s’appelle torería et hombría.
Le souvenir d’Antonio Bienvenida. Le maestro, qui après une cornada dans le ventre, revint à Madrid avec un toro du même élevage – Trespalacios – pour répéter, au même endroit, le même muletazo, un cambio de espalda.
Frascuelo est réapparu, à El Escorial, jour de San Lorenzo, dans l’arène de pierre, celle des toreros machos.
A l’affiche, Luis Gaspar 'Paulita', un torero aragonais qui borda le toreo de cape. Muletero avec du style, il réussit une grande après-midi et obtint deux oreilles, une à chaque toro.
Le troisième était Alejandro Amaya, un Mexicain multi millionnaire, grande plante, qui a joué son rôle, à sa manière.
Et Frascuelo a lidié, avec suffisamment de science un manso impossible. Le toraco de San Martín fuyait jusqu’à son ombre, et Carlos lui fit face, le long des planches. Il domina le fauve, le tua haut et salua sous une ovation de gala.
Avec le quatrième il atteignit la grandeur. « El toreo es grandeza », écrivit le maestro Joaquín Vidal. De la grandeur il y en avait dans les véroniques de réception du vétéran maestro madrilène. Grandeur dans la demi-véronique. La demi-véronique fut d’abord belmontienne, et ensuite frappée du sceau de celle d’Antonio Chenel 'Antoñete'. Et maintenant c’est la demi-véronique frascuelina.
Avec la muleta Frascuelo s’est doublé par le bas, a gagné du terrain et rematé au centre. Il s’est plu à droite, et a "adorné" avec des trincherillas et des changements de main.
Il s’est fait maître du toro par un trincherazo. Le toreo al natural, long, profond, par-dessus tout profond. Et l’obligé pecho de pitón a rabo (de la corne à la queue). Pas avec le snobisme de se l’amener à l’épaule contraire. Non. De pitón a rabo.
L’estocade a volapié, le toro roule sans puntilla. Deux oreilles, le délire.
Antonio Novillo, l’ami poète s’est exclamé : « La première fois de ma vie que je vois Frascuelo couper deux oreilles à un toro ! » Alors voilà… Le jour de San Lorenzo, à El Escorial, Frascuelo a érigé un monument à l’art du toreo.

Jorge Laverón

13 novembre 2008

Jorge... en V.O.


De Jorge Laverón se tiene la confianza de que sabe de qué torero, novillero o becerrista estamos hablando.
- Jorge, ¿quién era ese torero de Felanitx?
- Gabriel Nadal.
- Jorge, he visto a un torero de Muro que nadie conoce.
- Has visto a Salvadorillo, y todo el mundo lo conoce.
- Jorge, el otro día en un tentadero salió un tío gordo de Almendralejo.
- Era Manolo, y le llaman el Curro Romero de Almendralejo.

Así es imposible discutir, claro, y los contertulios se retiran, amohinados.

Luego, el enciclopedismo laveroniano tiene otras ventajas.
- Jorge, ¿Cuándo debutó Tomás Pallín?
- Debutó en el verano de 1982, con una corrida de Tulio.
- Ya decía yo. ¿Y cuándo he debutado yo, vamos a ver?
- Tú no has debutado todavía, que te enteres.
- Ya me parecía, también.

Lo que nadie sabe es cuándo debutó Jorge en una corrida de toros. Él dice que con pañales, prácticamente, en una feria de Málaga – dónde si no – adonde le llevó su tío a ver a Rafael Ortega. Las malas lenguas dicen que en realidad era El Espartero el que figuraba en el cartel.

Será. A partir de esa tarde mitológica, sea El Espartero o el de San Fernando el que toreaba en Málaga, Jorge lo ha visto todo.
- ¿A qué no ha visto al torero de mi pueblo?
- ¿Cuál es su pueblo, buen hombre?
- Muñoz, en el Campo Charro.
- Pues especifique. Porque de Muñoz era Joselito Muñoz, buen torero, que toreó otra después de la alternativa en Peñaranda. Y Salvador Herrero, que llegó a debutar con picadores. ¿A cuál se refiere usted?
El de Muñoz dice algo y se retira. Sin pagar, además.

Nadie sabe cuántas corridas ha visto Jorge. Y eso, sin contar novilladas, becerradas, encierros, los rejones, los festivales o las capeas, que también abundaban.
- Jorge, torea un novillero mañana en El Boalo. Dicen que es un monstruo.
- Vamos a verlo. ¿Tienes coche?
Y Jorge se iba a El Boalo.
No sabemos si el novillero era un monstruo. Lo que sí sabemos es que Jorge lo había visto.

Y así debió de empezar, habiéndolos visto ya a todos, cuando comenzó su carrera de crítico taurino en el diario El País. Allá por el año 1976. Allí estuvo alguna temporada, con el desaparecido Joaquín Vidal. Después pasó al Diario 16. El Diario fue, en aquellos años, el periódico más taurino de la prensa española – después de La Gaceta de Salamanca, por supuesto. Allí, dirigido por Barquerito, publicaban páginas y páginas de noticias y vademecum taurino. Jorge reseñaba alguna de las corridas. Pero sobre todo se hizo célebre por sus dos columnas preferidas: una era una breve reseña de lo ocurrido en la feria, en donde se resumía, arbitraria y tajantemente, el festejo. (Fue célebre la del día X, titulada “Quien no quiere a Curro no quiere a su madre”). Y otra, la columna social, en donde aparecían desde el Ministro de Gobernación hasta el tabernero de La Dolores. Todo en la misma página, por supuesto. La gente compraba el Diario y confesaba : “Lo primero que abro es la columna de Jorge”. Y se mezclaban el temor y la esperanza de haber salido en ella. Nunca confesadas, por supuesto.

En esos años, Jorge escribía en los periódicos del grupo Correo. En “La Voz de Almería”, su preferido. En “El Diario de Córdoba”, en “La Gaceta”, etc. También daba conferencias. Y en unos años en los que proliferaron las tertulias taurinas, después de la corrida, Jorge tuvo la suya. La más disparatada, arbitraria, y multitudinaria que nunca se haya celebrado en San Isidro.

Era en el “Lola,”, el célebre bar de Lavapiés, cuyas puertas tenían que abrir de par en par para dar cabida al público, fervoroso y creyente, que allí se agolpaba. A la tertulia bajaban los toreros amigos de Jorge, diestros que desdeñaban en general cualquier otra tertulia. Por allí pasó El Inclusero, Antonio Sánchez Puerto, Joselito, Curro Vázquez, algún Dominguín… Nunca supimos a qué hora terminaba la tertulia. Lo que sí supimos fue que el bar cerró luego a los tres meses. No creemos que hubiera ninguna relación.

El “Diario” cerró también, como todo el mundo sabe. Jorge ha figurado, a partir de ahí, en el grupo El Correo, en "La Razón", en la agencia Efe, en “Toros por la Gran Vía”, o en revistas especializadas. O en una memorable reaparición en el diario “El País”, en el 2006, en un año en el que, por fin, el periódico volvió a recoger la tradición de los años 80, en donde el suplemento taurino fue el más culto y divertido de la prensa española. Esta vez, dirigido por José Suárez Inclán, quien volvía a reunir, en sus páginas, a las firmas más destacadas de la literatura y opinión nacionales. Para desaparecer al año siguiente, suprimida la sección de forma drástica.

Mientras tanto, aunque las apariciones de Jorge en la prensa periódica se han ido espaciando, no así sus libros, editados en pequeñas tiradas en editoriales mínimas. O en grandes grupos de distribución y lectura más populares. En 1988 había publicado un opúsculo, “La tauromaquia de Antoñete”, en donde, en tono lírico y admirativo, vertía su fascinación por el toreo del maestro de Ventas. Fascinación que se repartía a partes iguales entre ese toreo clásico, de pocos aficionados, y su postura en la vida, también clásica – a su manera – y para unos pocos, igualmente. Lejos de un creciente descubrimiento de Chenel, en sus últimas temporadas, Jorge evocaba aquellos años en que toreó dos, una o ninguna corrida. Para “un puñadito de pocos incondicionales”.

Después llegaron los libros – manuales del toreo. “La historia del toreo”, ”El toro de lidia”, “La lidia” o el “Diccionario de términos taurinos”. En ellos, a despecho de su intención divulgativa, no podía evitar Laverón el incluir alguna de sus opiniones, personales y tajantes. Y sólo para aficionados.

Así, nos enterábamos que su santa preferida era Santa Coloma – hoy día un poco venida a menos. Que El Inclusero había toreado como muy pocos. Que José Luís Ramos era el mejor torero de Salamanca, después de El Viti. Que Paco Ceballos había sido uno de los mejores, y más efímeros, diestros de Málaga. O que la cuna del toreo, como todo el mundo reconoció después, era Albacete, la que más diestros y mejores había dado a la historia. A despecho de su manchega ubicación. (Unas páginas adelante, Jorge nos contaba que la auténtica dinastía del toreo clásico era la de los Amador- Cortés. Y, al poco tiempo nos hizo seguir a Manolo Amador y a Manuel de Paz donde torearan. Que no era en muchos lugares, la verdad).

O ese libro colectivo e inclasificable que fue “A los toros”. En él, prologado por Joaquín Vidal, se hablaba de cosos romanos y rituales paganos; de ganaderías desaparecidas y de tradiciones del campo. Y Jorge habló de sus toreros: los que duraron un cuarto de hora y tuvieron una tarde de gloria en esto. Pero que él recordó siempre.

De Eugenio, el peluquero de la calle Echegaray, ni siquiera recordaba haberlo visto – entre otras cosas, porque nadie lo vio. Pero ello no fue obstáculo para afirmar que toreaba con más arte que Curro Romero y Rafael de Paula juntos. Y con algo menos de arrojo, la verdad sea dicha.

Jorge Laverón es del Atlético, conocedor de la buena literatura, especialista en historia americana, lector de Ignacio Aldecoa, excelente poeta y entusiasta del boxeo. Y amigo de Manuel Alcántara, el mejor escritor malagueño, como él, que han dado los últimos siglos.

En estos últimos años, a despecho de sus crónicas escritas, la mejor crónica era la de después de la corrida: arbitraria y exacta. Sólo la arbitrariedad nos da la exactitud. Y la erudición. A Jorge le rodeaban algunos aficionados, después de la lidia, para saber su opinión sobre la corrida.

- Jorge, qué bien ha estado Morenito, ¿verdad?
- Ha estado fatal. Todavía está dando mantazos.
-
Al día siguiente le preguntábamos.
- ¿Qué tal estuvo Morenito ayer?
- Muy bien. Toreó de verdad.
Saltaba uno.
- No decías eso ayer.
- Ni hoy. Vosotros no sabéis nada de toros y no podéis entenderlo.

Los aficionados se callan. Por la tarde, vuelven a preguntar.
- Jorge, ¿De quién fueron las últimas corridas de Sánchez Bejarano en Madrid?
- De Luciano Cobaleda y Charco Blanco. Como las primeras.
- ¿Fue un torero clásico, verdad?
- Clásico y bueno. En Las Ventas cortó diez orejas.
- Con ese ganado.
- Con ese. Lo de Charco Blanco es lo que era de Enriqueta de la Cova.
- Para disfrutar.
- Para triunfar, sí.

Así pasan las cosas. Así seguimos aprendiendo.

Jorge pasea por la plaza de Santa Ana.
- Jorge, hay una novillada mañana en Villa del Prado.
- ¿Quién torea?
- Uno que me han hablado muy bien. De Sotillo.
- Bueno, pues vamos.
Y nos vamos a Villa del Prado.

Alguien le ha propuesto que escriba sobre sus toreros. Los del cuarto de hora. En eso estamos. Algún día el libro saldrá. Mientras tanto, a Jorge le gustan los buenos toreros, por supuesto. El Juli es una figura, Fundi también. Joselito fue la figura, dos o tres temporadas. César Rincón otras tantas. Caminista antes, ahora confiesa que cada vez es más de El Viti.

En sus tiempos fue de la andanada del 8. Iban a silbarle al Cordobés. Y a reverenciar a Antonio Bienvenida. Ahora ese mundo ha desaparecido.
- ¿Quién os gustaba entonces, Jorge?
- El que toreaba más clásico era Rafael Ortega. Pero yo siempre fui de Antoñete.
- ¿Y a los demás?
- A los demás primero Bienvenida. Después nadie. Después, El Viti… Pero yo creo en el fondo el que siempre les gustó fue Curro Romero. Lo que pasa es que no se atrevían a decirlo.
- Ya.
- Y Curro Vázquez. Ese es el que mejor ha toreado.
- Vale.

Una tarde de San Isidro alguien propuso ir a un festival en El Barraco. El cartel de Madrid era el mismo de siempre. Nos fuimos a El Barraco, al lado del Puerto de Somosierra.
Esa tarde nevó en la sierra. En la plaza, entre el viento y la cellisca, toreaban los hermanos Mora y los primos Cancela. Un festival de Albaserrada, por cierto. Sólo estábamos nosotros en la tarde invernal. Nos brindaron todos los toros.
- Como os conocen los toreros, ¿no? – preguntó una amiga, que venía con nosotros.
- No es que nos conozcan, niña. Es que no hay nadie más – contestó, entre tiritonas, Jorge.

Así se pasan las temporadas. En El Barraco nevó y la plaza estaba vacía. En Madrid no hubo nada.

Mientras tanto Jorge pasea. De la Plaza de Santa Ana a la plaza de las Cortes. Para el poeta y ganadero Fernando Villalón el mundo se dividía en dos: Cádiz y Sevilla. Pues eso. El mundo se divide en dos: Echegaray arriba o Echegaray abajo. El resto es silencio. Cruzar la Carrera de San Jerónimo es una aventura. Cruzar la Gran Vía, impensable.

- ¿Cómo ves la temporada, Jorge?
- Bien. Hay un novillero francés, Tomasito, que va a acabar con esto.
- Si tú lo dices.

Seguimos paseando. El domingo hay una novillada en Las Ventas. Dos manchegos y un colombiano que promete.
- Qué harán los ingleses el domingo por la tarde… - se interroga Jorge, en medio de la plaza.
Qué harán, nos quedamos pensando.

Vicente Llorca, ganadero

30 octobre 2008

Jorge (II)


Le rebond blogosphérique existe, en voici la preuve. CyR présente Jorge, le Ciego rebondit opportunément sur Curro, et CyR rebondit, une fois encore, sur Madrid et sur Curro. Cositas de la web, rebonds blogosphériques. Seize ans après, tout ceci nous aura permis de revivre des émotions que, sans doute, nous ne pensions pas si lointaines. Ludo était donc à Las Ventas, le 2 octobre 1992. Ce n’était pas en septembre Ludo, c’était en octobre. Peut-être nous y sommes-nous croisés, en bas du tendido 5 ou au bar del 7. Non, à cette époque les bars ne portaient pas encore le numéro des tendidos. Le jour d'avant nous nous étions ennuyés avec Ponce et six toros, Ponce et ses derechazos à l’infini comme l’écrira Vidal le lendemain. Le lendemain, le jour du Curro. Ce n’est qu’en me replongeant dans les archives du País que je me suis souvenu que le solo de Ponce était la veille.
De Curro je me souviens de ce trincherazo, de quelques passes de toreo fondamental, le kikirikí, un changement de mains. Des flashes me reviennent, ils ne m’ont jamais quitté en fait. Et c’est plutôt bon signe ça dans le désordre des souvenirs. De ce jour-là je me souviens des balcons du haut du 7, surchargés de romarin, de ce volcan venteño, rugissant, rauque et puissant, de Curro sortant comme un diable de l’infirmerie. Nous nous sommes ensuite attardés sur les gradins pour laisser la plaza se vider. Nous n’avons pas pris le métro à Ventas. Nous somme montés, lentement, jusqu’à Manuel Becerra. Je me souviens du brouhaha, des gens heureux, de l’excitation qui nous animait, de l’électricité dans l’air. Nous nous demandions ce que Joaquín Vidal allait bien pouvoir en dire. De son compte rendu je me souviens essentiellement d’une formule qui disait plus ou moins que lorsque Curro torée al natural il n’est nul besoin d’envoyer un fax aux andanadas pour leur annoncer la bonne nouvelle. Les emails n'étaient pas encore à l'ordre du jour, les portables non plus. Ce fut donc la dernière oreille coupée par Curro Romero à Las Ventas. Peut être, Ludo, nous y sommes-nous croisés, il y a seize ans. Les blogs n’existaient pas encore et nous étions loin de nous imaginer jusqu’où nous mèneraient ce que l'on n'appellait pas encore "les nouvelles technologies". Lorsque de retour en France je leur ai annoncé que j’allais acheter un ordinateur pour lire le País ils m’ont tous pris pour un jobard… L’Espagne était très en avance, Curro Romero éternel, et Joaquín Vidal en avait écrit ceci :

“Eso es torear. Tres minutos después de iniciada su faena al cuarto toro, Curro Romero ya había hecho todo el toreo. Tres minutos después de iniciada su faena, ya había dado más variedad de pases que cuantos se hayan podido ver en la temporada. Y eso, precisamente eso, es torear. La tarde entera, el año taurino íntegro, desde Valdemorillo a la feria presente,una década ya viendo cómo los toreros prologan sus faenas doblando por bajo a los toros -siempre igual, cada día la misma cantinela-, allá penas si son pregonaos o boyantes, tienen poder o quedaron moribundos, y allí estaba ese Curro impredecible y único haciéndose presente en el tercio para dictar una de las más importantes y más esclarecedoras lecciones que se hayan dado en la historia de la tauromaquia contemporánea. El primer muletazo al torito noble fue un estatuario, seguido de dos ayudados por alto cargando la suerte, un cambio de mano, y, de ahí en adelante, ya todo sería una explosión de técnica y de inspiración toreras en ese Curro incombustible, y en los abarrotados tendidos, el asombro y el clamor. Los pases se iban sucediendo sin pausas, sin dudas y sin reiteraciones, andándole al toro hasta los medios con la trincherilla, el pase de la firma, el molinete, el redondo... Y, despué, sin solución de continuidad, el toreo al natural.

Eso es torear al natural. Así se cita al toro, sin necesidad de que lo anuncien fanfarrias; ni de avisar al orbe que esté atento y se disponga a aplaudir, y se pasme, porque uno va a torear al natural; ni de hacer dengues o contonear jacarandas; ni de ponerles un fax a los de la andanada comunicándoles la buena nueva. Apenas rematado el pase en redondo ya tenía Curro la muleta en la izquierda, ya le estaba cargando la suerte al toro, ya le templaba el viaje, ya lo llevaba embebido en las bambas de la pañosa chiquita, y ya ligaba el natural, y otro, y otro, hasta abrochar la serie por alto, por bajo, con el de pecho, con el trincherazo, con el kikirikí, con el ayudado rodilla en tierra.

Dos tandas de naturales ejecutó Curro Romero y las dos desde la naturalidad. De ahí le viene el nombre a esta suerte, que es la fundamental del toreo: natural. Sin cadereos ni ringorrangos; sin poner posturas cañís, como acostumbran los pegapases cada vez que aciertan a sacar dos medias rabanadas seguidas, y a eso lo llaman por ahí profesionalidad o arte. Incluso en el desplante fue natural Curro: una breve parada frente al toro vencido, una mirada de soslayo, y se distanciaba un poco para tomarse un respiro y marcar un tiempo en la creación del arte.
En solo tres minutos (la faena entera no duró ni cinco) ya había dictado su lección de toreo completo (incluidos apéndices, notas marginales y bibliografía recomendada) y ya tenía la plaza revuelta ése Curro genial y cumbre. Cuadró, se echó fuera a cambio de cobrar un pinchazo hondo, se encunó en el siguiente intento y entonces el toro no le perdonó. Cuando pretendía escapar del embroque, le enganchó por el muslo y le pegó un volteretón terrible. Cayó Curro sobre el cuello y quedó conmocionado en la arena. De súbito se agolparon en las mentes todos los negros presagios, todos los recuerdos recientes de los infortunados Julio Robles y Nimeño, porque el torero, tumbado boca arriba y a merced del toro, se había quedado yerto.

Hubo milagro
Acudieron presurosas al quite las cuadrillas, y mientras las asistencias se llevaban a Curro a la enfermería, dobló el toro. El público pidió la oreja, que concedió el presidente, y el banderillero Guillermo de Alba emprendió con ella la vuelta al ruedo.
Apenas llevaba recorrido un cuarto de redondel y aconteció lo inesperado: apareció en la arena Curro Romero, que bajaba de los cielos. Hubo de ser un milagro: ¡no tenía nada! Nada, salvo el golpe. Pero los golpes no les duelen a los toreros buenos si es el precio que han de pagar por un triunfo memorable en Madrid. Y Curro, nimbado de gloria, resucitado e Ileso, tomó la oreja recién ganada, miró en torno, engalló el cuerpo, y anduvo. Ruedo adelante anduvo, complacido, firme y visiblement emocionado, en medio de un clamor. Parecía imposible, después de aquel trastazo morrocotudo que acababa de sufrir.

Seguramente no lo llevaron a la enfermería sino a Lourdes…

… Dios bendiga a Curro por no haber caído en la tentación de convertirse en un pegapases derechacista nunca jamás en su vida. Y por haber enseñado al mundo lo que es torear. Ese Curro, exclusivo e imperecedero, repite otra igual, y sube a los altares.”

29 octobre 2008

Jorge


J’ai connu Jorge il y a une vingtaine d’années. Il y a décidément pas mal de choses ou de personnes que je connais depuis une vingtaine d’années. Je ne suis pas certain que ce soit bon signe ça. De Jorge, je me souviens parfaitement de nos premiers échanges : Madrid, un mois de février, froid, plaza de Santa Ana. Je descendais avec un ami en direction de la calle Echegaray. Avant de prendre la route pour Valdemorillo il y avait d’abord un détour par La Venencia, pour une media de manzanilla. Ça aussi c’est une curiosité. Il faut faire attention en Castille car en demandant une manzanilla, selon où vous vous trouvez, il se peut que l’on vous serve une infusion. A La Venencia, vous n’avez aucune inquiétude à avoir, aucun risque que l’on vous serve une infusion.
C’est ainsi que j’ai croisé Jorge, pour la première fois, un matin d’hiver, avant une novillada à Valdemorillo. C’était à l’époque de ses colonnes mondaines dans le Diario 16.
Jorge, plus tard Vicente, ensuite Didier, le Nantais abonné à Las Ventas depuis plus d’une vingtaine d’années, vingt-sept nous préciserait Jorge. Pour lui aussi le temps passe. Tous de La Venencia. Todos con Jorge en La Venencia, y con un puñadito de pocos incondicionales...
Il y a déjà quelques temps que l’idée de faire un truc sur Jorge me travaillait, mais sans savoir réellement par où commencer. Avec la complicité de Didier Claisse, nous avons pensé que Vicente Llorca serait le mieux à même, car lui et Jorge sont de vieux amis. Alors voici son texte, traduit par Didier. Je vous indiquerai prochainement comment lire la version originale, en castillan.

Avec Jorge Laverón, on est certain qu'il sait de quel torero, novillero ou becerrista nous parlons.
- Jorge, qui était ce torero de Felanitx ?
- Gabriel Nadal.
- Jorge, j'ai vu un torero de Muro que personne ne connaît.
- Tu as vu Salvadorillo, et tout le monde le connaît.
- Jorge, l'autre jour dans un tentadero, il y avait un gros type de Almendralejo.
- C'était Manolo, et on l'appelle le Curro Romero d'Almendralejo.

Evidemment, comme ça, pas de discussion possible, et le cénacle se retire, boudeur.

Cependant, l'encyclopédisme laveronien a d'autres avantages.
- Jorge, quand a débuté Tomás Pallín ?
- Pendant l'été 1982, avec une corrida de Tulio.
- Il me semblait bien... Et, voyons voir, quand ai-je débuté, moi ?
- Toi, tu n'as pas encore débuté, mets-toi ça dans la tête.
- Je me disais aussi...

Ce que personne ne sait, c'est quand Jorge a vu sa première corrida. Lui dit qu'il était encore en couches, dans une feria de Málaga (ça ne pouvait pas être ailleurs) où son oncle l'emmena voir Rafael Ortega. Les mauvaises langues disent qu'en réalité c'était El Espartero qui était à l'affiche.

Peut-être. A partir de cette date mythologique, que ce soit El Espartero ou celui de San Fernando qui toréait à Málaga, Jorge a tout vu.
- Sûr que vous n'avez pas vu le torero de mon village.
- Et quel est votre village, brave homme ?
- Muñoz, dans le Campo Charro.
- Alors soyez plus précis. Parce que de Muñoz, il y avait Joselito Muñoz, bon torero, qui a toréé une corrida après son alternative à Peñaranda, et Salvador Herrero, qui avait réussi à débuter en novillada piquée. Auquel faites-vous allusion ?
L'homme de Muñoz marmonne quelque chose et s'en va ; sans payer.

Personne ne sait combien de corridas a vu Jorge. Et encore, sans compter les novilladas, becerradas, encierros, rejoneo, les festivals et les capeas, qui étaient nombreuses.
- Jorge, y'a un novillero qui torée demain au Boalo. On dit que c'est un phénomène.
- Allons le voir. Tu as une voiture ?
Et Jorge allait au Boalo.
On ne sait pas si le novillero était un phénomène. Ce qui est sûr, c'est que Jorge l'avait vu.

Et c'est comme ça qu'il a commencé, en ayant déjà vu tout le monde, quand il a débuté sa carrière de critique taurin dans le journal El País, vers 1976. Là il a fait quelques saisons, avec le regretté Joaquín Vidal. Ensuite il est passé au Diario 16. Le Diario fut, en ces années-là, le journal le plus taurin de toute la presse espagnole (après La Gaceta de Salamanca, bien sûr). Là, sous la direction de Barquerito, ils publiaient des pages et des pages d'informations et de vade-mecum taurins. Jorge chroniquait quelques corridas. Mais surtout, il se rendit célèbre par ses deux colonnes favorites : l'une était un bref compte rendu de ce qui s'était passé, où il résumait arbitrairement et catégoriquement la corrida (celle d'un certain jour devint célèbre, intitulée "Qui n'aime pas Curro n'aime pas sa propre mère"). La seconde était la colonne mondaine, où pouvaient apparaître aussi bien le ministre de l'intérieur que le tavernier de La Dolores. Tout ça sur la même page, évidemment. Les gens achetaient le Diario et confiaient : "La première chose que je regarde c'est la colonne de Jorge". Et se mêlaient la terreur et l'espoir d'y apparaître, jamais avoués bien sûr.

A cette époque, Jorge écrivait dans les journaux du groupe Correo, "La Voz de Almería", son préféré, "El Diario de Córdoba", "La Gaceta", etc. Il donnait aussi des conférences. Et à une époque où proliféraient les tertulias taurines après la corrida, Jorge eut la sienne. La plus extravagante, la plus arbitraire et la plus courue qu'on ait jamais vue à la San Isidro.

Cela se passait au Lola, le célèbre bar du quartier de Lavapiés, dont il fallait ouvrir les portes à deux battants pour laisser place au public, fervent et convaincu, qui s'y entassait. Y venaient les toreros amis de Jorge, diestros qui dédaignaient en général toute autre tertulia. Par-là est passé El Inclusero, Antonio Sánchez Puerto, Joselito, Curro Vázquez, quelque Dominguín… Nous n'avons jamais réussi à savoir à quelle heure devait finir la tertulia. Ce qui est sûr, c'est que le bar a fermé au bout de trois mois. Nous ne croyons pas que ce soit lié.

Le Diario 16 aussi a fermé, comme chacun sait. Jorge travailla alors au groupe El Correo, à La Razón, à l'agence EFE, à Toros por la Gran Vía, ou dans des revues spécialisées. Et aussi lors d'une mémorable réapparition dans El País, en 2006, une année ou le journal récupéra enfin la tradition des années 80, où le supplément taurin fut le plus cultivé et divertissant de la presse espagnole. Dirigé cette fois par José Suárez Inclán qui sut réunir dans ses pages les signatures nationales les plus notables de littérature et d'opinion. Pour disparaître l'année suivante, avec la suppression drastique de cette section.

Cependant, si les apparitions de Jorge dans la presse journalistique se faisaient plus rares, il n'en fut pas de même pour ses livres, édités soit à petits tirages chez des éditeurs confidentiels, soit chez de grands groupes à distribution plus populaire. En 1988 il avait publié un opuscule, "La tauromaquia de Antoñete", où, sur un ton lyrique et admiratif, il épanchait sa fascination pour le toreo du maestro de Las Ventas. Fascination répartie à parts égales entre ce toreo classique, pour la crème des aficionados, et sa façon de vivre, également classique (à sa façon), et réservée aussi au petit nombre. Loin d'une découverte tardive de Chenel pendant ses dernières saisons, Jorge évoquait ces années où il toréait deux, une ou aucune corrida, pour "une petite poignée d'inconditionnels".

Ensuite vinrent les livres - manuels de tauromachie. "La historia del toreo", "El toro de lidia", "La lidia", ou le "Diccionario de términos taurinos". Dans ces livres, malgré leur but de divulgation, Laverón ne pouvait s'empêcher d'inclure quelques-unes de ses opinions, personnelles et catégoriques, réservées aux aficionados.

Nous apprîmes ainsi que sa sainte préférée était Santa Coloma (aujourd'hui un peu diminuée). Que El Inclusero avait toréé comme bien peu d'autres. Que José Luís Ramos était le meilleur torero de Salamanque, après El Viti. Que Paco Ceballos avait été un des meilleurs, et des plus éphémères, diestros de Málaga. Ou que le berceau du toreo, comme chacun le reconnu par la suite, était Albacete, qui avait donné à l'histoire le plus grand nombre de diestros, et les meilleurs. Malgré sa situation dans La Mancha. Quelques pages plus avant, Jorge racontait que l'authentique dynastie du toreo classique était celle des Amador – Cortés. Et peu après il nous obligeait à suivre Manolo Amador et Manuel de Paz où qu'ils aillent, ce qui à la vérité, n'entraînait pas de nombreux déplacements.

Et ce livre collectif inclassable que fut "A los toros", préfacé par Joaquín Vidal. On y parlait de cirques romains et de rituels païens, d'élevages disparus et des traditions du campo. Et Jorge y parlait de ses toreros : ceux qui durèrent, une certaine après-midi, le temps d'un quart d'heure de gloire, mais dont lui se souviendra toujours.

D'Eugenio, le coiffeur de la rue Echegaray, il ne se souvenait même pas l'avoir vu (entre autres choses parce que personne ne l'a vu). Mais ça ne l'empêcha pas d'affirmer qu'il toréait plus artistiquement que Curro Romero et Rafael de Paula réunis. Mais avec un peu moins de témérité, pour dire la vérité.

Jorge Laverón est supporter de l'Atlético de Madrid, connaisseur de la bonne littérature, spécialiste d'histoire américaine, lecteur de Ignacio Aldecoa, excellent poète et enthousiaste de la boxe. Et ami de Manuel Alcántara, le meilleur écrivain de Málaga de ces derniers siècles, comme lui.

Ces dernières années, malgré ses chroniques écrites, la meilleure était celle d'après la corrida, arbitraire et précise. L'arbitraire seul mène à l'exactitude, et à l'érudition. Après la course, Jorge était entouré de quelques aficionados voulant connaître son opinion.

- Jorge, Morenito a été super, d'accord ?
- Il a été nul, il continue à donner des mantazos.
- ...
Le lendemain nous lui demandions :
- Comment était Morenito hier ?
- Très bon. Du toreo véridique.
L'un de nous s'offusquait :
- Tu ne disais pas ça hier.
- Ni aujourd'hui. Vous n'y connaissez rien et vous ne pouvez pas comprendre.

Les aficionados se taisent. L'après-midi les questions reprennent.
- Jorge, de qui étaient les dernières corridas de Sánchez Bejarano à Madrid ?
- De Luciano Cobaleda et Charco Blanco. Comme les premières.
- C'était un torero classique, non ?
- Classique et excellent. Il a coupé dix oreilles à Las Ventas.
- Avec ce bétail.
- Avec. Charco Blanco, c'est ce qui appartenait à Enriqueta de la Cova.
- Pour prendre son pied.
- Pour triompher, oui.

C'est ainsi que les choses se passent. C'est ainsi que nous continuons à apprendre.

Jorge se promène sur la place Santa Ana.
- Jorge, il y a une novillada demain à Villa del Prado.
- Qui torée ?
- Un type dont on m'a dit beaucoup de bien. De Sotillo.
- Et bien, allons-y.
Et nous partons à Villa del Prado.

Quelqu'un lui a proposé d'écrire sur ses toreros, ceux du quart d'heure de gloire. Il y travaille. Le livre sortira un jour. En attendant, Jorge aime les bons toreros, évidemment. El Juli est une vedette, Fundi aussi. Joselito fut la vedette, deux ou trois saisons. Rincón quelques autres. D'abord Caminista, il confesse désormais préférer toujours plus El Viti.

En son temps il fut de l'andanada del 8. Ils allaient y siffler El Cordobés et encenser Antonio Bienvenida. Ce monde aujourd'hui a bien disparu.
- Qui appréciiez-vous à l'époque, Jorge ?
- Le plus classique, c'était Rafael Ortega. Mais moi, j'ai toujours été partisan d'Antoñete.
- Et le reste du public ?
- Pour les autres, d'abord Bienvenida. Ensuite personne. Ensuite El Viti... Mais je crois qu'au fond, celui qui leur a toujours plu c'est Curro Romero. Le truc c'est qu'ils n'osaient pas le dire.
- Ouais.
- Et Curro Vázquez. C'est celui-là qui a le mieux toréé.
- D'accord.

Une après-midi de San Isidro quelqu'un proposa d'aller à un festival à El Barraco. Le programme de Madrid était celui de toujours. Nous sommes allé à El Barraco, du coté du col de Somosierra.
Ce jour là il neigea sur la sierra. Dans les arènes, entre vent et grésil, toréaient les frères Mora et les cousins Cancela. Un festival d'Albaserrada, quand même. Il n'y avait que nous dans cette tarde hivernale. Ils nous brindèrent tous les taureaux.
- Vous êtes drôlement connus par les toreros, non ? - demanda une amie qui nous accompagnait.
- Ce n'est pas qu'ils nous connaissent, petite. C'est qu'il n'y avait personne d'autre, répondit Jorge entre deux frissons.

Ainsi passent les saisons. Il neigea à El Barraco et les arènes étaient vides. A Madrid, il ne se passa rien.

Et toujours, Jorge se promène. De la place Santa Ana à la place des Cortés. Pour le poète et ganadero Fernando Villalón le monde se divise en deux : Cadix et Séville. De même ici, le monde se répartit en deux : rue Echegaray par en haut et rue Echegaray par en bas. Le reste est silence. Traverser la Carrera de San Jerónimo est une aventure, traverser la Gran Vía, impensable.

- Comment vois-tu la temporada, Jorge ?
- Bien. Il y a un novillero français, Tomasito, qui va casser la baraque.
- Si c'est toi qui le dit.

Nous continuons notre promenade. Dimanche il y a une novillada à Las Ventas. Deux gars de La Mancha et un colombien qui promet.
- "Que peuvent bien faire les anglais le dimanche après-midi ?...", se demande Jorge au beau milieu de la place.

- "Que peuvent -ils bien faire ?", nous demandons-nous, songeurs.

Vicente Llorca, ganadero