18 juin 2007

Des preuves accablantes !


Des vieux cons passéistes et rétrogrades. C’est ce que je me dis lorsque je me remets en question sur ma vision de la tauromachie, ou lorsque j’écoute mes amis aficionados. J’ai écrit aficionados, pas simples spectateurs de féria. La différence entre les deux est largement perceptible et n’est pas aficionado qui veut.
Cette image doit forcement ressortir dans la tête des néophytes qui nous écoutent parler de toros. La question est : comment aujourd’hui leur montrer ce que doit être un toro de combat ?
Qui serait capable aujourd’hui de lire et comprendre Tío Pepe lorsqu’il écrivait sur la lidia, la pique et la bravoure ? Il nous a quittés voici quinze ans et ses derniers écrits ont un décalage d’un siècle avec ce que l’on voit aujourd’hui.
Sans idéaliser les années 80-90 qui nous ont offert leurs lots de déceptions et de scandales, les empresas avaient à cœur d’essayer de présenter des toros de catégorie.
Pour ceux qui, comme moi, ont connu des toros pleins de force, capables de supporter des châtiments immenses à la pique, sans fléchir, tout en gardant suffisamment de force jusqu'à la mort, ceux-là doivent regretter ces temps pas si lointains. Ces toros suscitaient l’admiration, de leur débarquement aux corrales jusqu’au jour de leur sortie en piste. L’impatience et l’attente de voir sortir ces toros étaient fréquentes chez les aficionados.
Comment ne pas penser à ces toros lorsque sorti des corrales d’Arles à Pâques, il était impossible de faire la différence entre les toros du vendredi et les novillos du lendemain matin ?
Que font les membres de la CTEM ? Les callejones et autres invitations les empêchent-ils de s’exprimer ? Que leurs voisins Nîmois, Biterrois, Dacquois et autres ne sourient pas, ils sont sur la même mauvaise direction.

Le premier tiers
Son évolution dans les années 90 a tracé le chemin de sa perte.
La loi Corcuera de 92 : elle a diminué de 2 à 3 piques le châtiment en arène de 1ère catégorie et n’a fait qu’officialiser une pratique courante dans les autres arènes.
Le peto en kevlar : si léger mais sans prise rendait plus difficiles les assauts sur la forteresse montée.
Le dressage des chevaux : il les a aidés à mieux se défendre lorsqu’ils sont sur la tête des toros.
André Viard, qui n’est pas en manque d’idées pour faire parler de lui, a depuis quelques semaines lancé l’idée sur son site de remplacer les piques de toros par celle de novillos et d’utiliser plus fréquemment la pique de tienta.
La revalorisation du 1er tiers est nécessaire mais pourquoi vouloir niveler par le bas ?
Les immondices de bovins que l’on nous propose en corrida et novillada ne méritent, en général, pas le nom de toro bravo. Les résultats d’analyse post-mortem de tous les animaux de la dernière féria d’Arles (Pilar non compris car brûlés) donnent des blessures de pique très superficielles voire nulles. Seul un toro d’Antonio Palla a reçu un châtiment, donc des blessures dignes d’une vraie pique.
Leur faiblesse ou manque de force n’est donc pas dû aux picadors ni aux blessures.
André Viard va certainement me rétorquer que ces mêmes analyses effectuées à Madrid et Bilbao donnent des résultats catastrophiquement opposés.
Ce qu’il oublie de dire, c’est que se sont dans les arènes de première catégorie où l’on pique le plus mal. C’est aussi dans ces plazas que l’on trouve les plus grands, les plus beaux et plus cornus toros d’Espagne. Relation de cause à effet….
Comment comprendre les picadors qui cautionnent et se complaisent dans cette corrida light du quotidien de la temporada ? Voient-ils que leur fin est proche et qu’ils sont certainement les derniers, encore un peu utiles, centaures au castoreño ?
Après tout, combien de toros aujourd’hui, pourraient être toréés sans être piqués ?
Ce ne sont en tout cas pas les blessures constatées en post-mortem ou l’intensité du premier tiers vu des gradins qui me contrediront.

Les toros
Les picadors ne sont pas toujours très bons, certes, mais nos responsables et grands penseurs taurins devraient s’en prendre un peu plus aux éleveurs. Bien-sûr, mettre à l’index les ganaderos sans parler des pressions des apoderados, toreros, empresas serait réducteur et injuste en ce qui concerne l’afeitado.
Pour le physique et le moral du toro, les ganaderos peuvent encore rester maîtres dans leur fincas.
L’évolution depuis 15 ans du physique du toro de combat ne fait à ce jour plus de doute. Une fois encore, les carcasses des toros en disent long sur le sujet.
Le poids en canal, ou poids en carcasse en bon français, a toujours servi de référence pour contrôler les poids vifs de chaque toro.
Ce poids en canal pour le toro de lidia était, il y a peu, de 50% du poids vif.
Chez les bovins domestiques (viande), ce rapport est de 65 %. La sélection poussant à l’optimisation du volume de viande, les animaux domestiques augmentent le pourcentage du poids en canal.
L’équilibre du toro a été inversé. Le poids s’est déporté sur l’arrière train. Le toro a perdu de sa superbe, de son port de tête altier afin de mieux pouvoir la baisser, afin d’humilier comme « ils disent ». Seulement, la force, le toro l’a toujours eue sur les épaules, pas sur les cuisses. La conséquence directe de cette métamorphose est le manque de force du toro et son incapacité à s’exprimer au cheval. La transformation est telle que lorsque sort un vrai toro (yonnet de la concours d’Arles 2004 ou les 3 Sánchez-Fabrés de Saint-Martin 2007), les spectateurs s’étonnent du gabarit de tels animaux.
Le toro de combat d’aujourd’hui se rapproche à grand pas du ratio des bovins domestiques (58 à 62 %). Tout ce qui faisait la beauté du toro de lidia a été réduit : le cou, les cornes, la tête, les pattes, le poitrail...
Si l’on rajoute à cela le peu de combativité et de force à prendre les piques... il n’y pas loin du raccourci à maltraitance à animaux domestiques.
L’ANDA se bat pour la défense du taureau de combat depuis toujours mais aujourd’hui défendre ça, ne comptez pas sur elle.
Au contraire des grands penseurs de la mouvance actuelle, qui voient la fin de la corrida se pointer avec les gros sabots des antis, nous pensons que le danger vient de chez nous.
Les taurinos sont plus habiles, mercantiles et forcement peu intègres pour défendre notre patrimoine.

La disparition de la corrida, telle qu’elle existe, est annoncée pour demain. Son déclin a déjà commencé sournoisement. Les vérités contrôlables et quantifiables citées ci-dessus, ne sont que des preuves accablantes.
Laurent Giner
Président de l'ANDA

Photographies des novillos de Sánchez-Fabrés (Coquilla) lidiés à Saint-Martin-de-Crau en 2007.

>>> Voir aussi la galerie Hros. de Alfonso Sánchez-Fabrés sur le site.