17 juin 2007

"Mirandilla" ou l'agrotourisme intelligent - Marqués de Albaserrada 2007


Pousser le portail de "Mirandilla", à Gerena (province de Séville), c'est pénétrer dans une ganadería vieille de plus de quatre-vingt-dix ans. L'histoire de l'élevage du Marqués de Albaserrada, ou plutôt des deux élevages qui ont été successivement annoncés sous ce nom, est trop connue des aficionados pour qu'il soit besoin de s'y attarder. On sait notamment que le sang originel, constitutif d'un encaste à part entière, se retrouve aujourd'hui principalement dans les ganaderías de Don José Escolar Gil, d'Adolfo Martín Andrés et du plus connu de tous, Victorino Martín Andrés.
La ganadería actuelle de José Luis de Samaniego, créée en 1947 par le père de l'actuel propriétaire à partir de bêtes d'origine Juan Pedro Domecq (à dominante Veragua) acquises auprès de Rafael Romero de la Quintana qu'il croise avec du bétail de Isaías y Tulio Vázquez, ne contient plus rien du sang de l'encaste créée dans la première partie de son histoire. Le sang éponyme de l'élevage sera promis à un brillant avenir entre les mains du fameux sorcier de Galapagar.
L'élevage du Marqués de Albaserrada connaîtra son heure de gloire le 12 octobre 1965, lorsque le novillo 'Laborioso'1 sera gracié dans les arènes de Séville, ce qui reste à ce jour le seul cas d'indulto accordé à la Maestranza (sans doute pas pour longtemps...). Au cours de ses dix années d'activité de semental, il sera à l'origine de trois cent soixante-dix naissances. On peut sans doute le considérer comme le reproducteur le plus important de l'élevage, dont l'ombre et le souvenir sont encore palpables dans la finca plus de vingt ans après sa mort, tant sont nombreux les témoignages qui lui sont consacrés.
Au-delà de l'intérêt historique et de celui de découvrir un élevage dont les origines (Domecq-Pedrajas, dans des proportions que l'on renonce à quantifier) présentent un intérêt certain pour l'aficionado, visiter "Mirandilla" est un véritable bonheur pour les yeux : les bêtes sont superbes, le campo magnifique et le cortijo un modèle d'élégance et de pureté à l'andalouse.
Visiter cette finca, c'est aussi aller à la rencontre d'un Français qui, en avril 1992, décida de quitter la cité du crocodile et du palmier pour s'installer en Andalousie dans le but, comme il l'écrit lui-même, "de se rapprocher du taureau". C'est là qu'il tue son premier novillo, crée un élevage de taureaux de combat - sur lequel nous espérons avoir un jour l'occasion de revenir en détail - et écrit son premier ouvrage consacré au toro2. Mais surtout, c'est dans cette Andalousie qu'il découvre "Mirandilla" et les toros du Marquis. Très rapidement, un projet d'agrotourisme taurin voit le jour, pour faire découvrir aux aficionados (des plus novices aux plus expérimentés) les charmes de cet élevage prestigieux, et de l'élevage de toros bravos en général.
Réussir à se faire une place - lui le francés - dans ce campo certes accueillant mais peu œcuménique en dit beaucoup sur la légitimité qu'il a pu acquérir grâce à ses connaissances et, surtout, à son grand sens pédagogique. Sans jamais sombrer dans une vulgarisation exagérée, ni renier ses convictions "toristas", Fabrice Torrito a réussi le pari risqué qui consistait à participer à ue structure d'agrotourisme centré sur l'élevage de taureaux de combat. L'entendre parler de toros à de parfaits débutants (qui repartiront comblés et sous le charme, ravis d'avoir eu l'occasion de se voir dispenser un petit cours dans une matière habituellement réservée à la langue espagnole - avec prononciation andalouse...) procure une joie rare et le sentiment que tout n'est peut-être pas perdu.
La joie de visiter le campo sans contrainte, et la liberté qu'elle procure, font souvent voir d'un œil méfiant la création de structures de ce type. Les écueils sont d'ores et déjà nombreux en la matière, qui nous font appréhender le concept avec une certaine dose d'amertume ; nous aurons sans doute l'occasion d'y revenir. Mais il faut saluer ici une approche à la fois authentique et originale, dont la concrétisation ne souffre aucun reproche. Cela s'explique avant tout par la personnalité de Fabrice Torrito et la volonté qui l'anime. Ce qui rend la reproduction du modèle difficilement réalisable.


1 Pour l'anecdote, 'Laborioso' est aussi le nom du toro du retour de José Tomás dans les ruedos ce 17 juin 2007.
2 Toro : Cinq années de mystère, cinq mille ans de culte, mars 2004 (retirage septembre 2006). A noter que le livre a obtenu la Plume d'Aigle de l'ANDA en 2004. Le nouvel ouvrage de Fabrice Torrito (plus spécialement déstiné aux enfants) vient d'être publié. Je tâcherai de vous en dire davantage quand j'aurai réussi à me le procurer dans mes contrées lointaines et très peu taurines...