07 juin 2007

"Bonjour tristesse"


À Vic-Fezensac, les Barcial, poils blancs sur le front, formèrent un lot à la présentation d’ensemble très acceptable mais décevante malgré tout pour cet élevage, en raison, notamment, de trois toros — 2, 5 et 6 — aux cornes en forme de "pinces de crabe", sans parler du 1er pas franchement net. Sauf omission, tous s’approchèrent des burladeros sans les esquinter. Tous s’élancèrent prestement au cheval (les yeux soigneusement bandés) et subirent, à l’exception du 4, la "première pique assassine" (trasera, carioquée, longue, rectifiée parfois), équivalant à deux voire trois piques, orchestrée sans contrariété (ça sert à quoi un alguazil ?), par 6 picadors saboteurs et cyniques. Comme de coutume, les toros sortirent du tercio le morrillo impeccable ; foutu peto-blindage qui autorise les picadors à ne plus (savoir) déplacer leurs montures, à ne plus s'engager, avant contact, dans la suerte, à ne plus défendre le cheval contre la corne ! Aucun matador ne crut utile de proposer de quites... Aucun toro ne crut nécessaire de poursuivre les banderilleros jusqu’aux planches. Tous les Barcial baissèrent le mufle sans mauvaises manières ; ils ne cédèrent pas un pouce de terrain et se pointèrent, sans surprise, la gueule fermée à la suerte suprême.

Afin de pouvoir juger valablement leurs prestations lors du dernier tiers, les Vega-Villar auraient mérité des lidias autres ; étant entendu que toutes les cuadrillas firent ce qu’il fallait pour rendre moribonds des toros aux comportements, de fait, faussés et trompeurs. Des toros que les matadors auraient souhaité voir, après leur honteuse et insultante entreprise de malfaisance, comme par enchantement, "donner du jeu", "servir", "collaborer", etc. Les toreros, solidaires dans leurs agissements coupables, et tous les toros, bien malgré eux les pauvres, nous infligèrent une farce taurine au cours de laquelle danger et émotion choisirent de rester au chaud, à l’abri des intempéries... Puisque les premiers avaient écrit le scénario bien avant le paseíllo...

Mais que leur passe-t-il donc par la tête ? De quoi est constituée leur afición ? Pourquoi tant d’irrespect vis-à-vis de ceux qui font ce qu’ils sont, à savoir les toros et les aficionados ?

'Batanerito', les cornes sales dont la gauche suspecte, porte une queue courte. Il reçoit "officiellement" deux piques et Denis Loré, chef de lidia transparent toute la tarde durant, l'étouffe d’emblée, avance timidement la jambe lors du premier passage pour mieux la reculer ensuite et oublie souvent les trois temps censés composer une passe un tant soit peu classique et profonde — remarques valant pour ses compagnons de cartel. 'Batanerito', les cornes escobillées (?), veut dire au Nîmois qu’il peut en finir maintenant mais ce dernier, sourd et lourd, s’acharne pathétiquement.
'Batanerito I', je ne le trouve pas beau depuis mon tendido. Tel un gros chat, il chasse le dos bombé et cherche, de façon désordonnée, à atteindre le "mulot" Rafaelillo. Au 1er tiers, pas regardant sur la qualité, il demande du rab et, veinard, on lui sert une troisième assiette. Bien que 'Batanerito I' (aussi maso qu'un aficionado a los toros) partit trois fois au cheval avec un allant de bon aloi , le Murciano "décide" de l’emmener au toril et de l’y tuer en sortant au centre ! Le Vega-Villar, dans un excellent castillan de Salamanque, veut l’en dissuader mais le petit blond frisé et têtu, sourd et lourd aussi, s’en contrefiche éperdument.
'Cararoso', rizado de morrillo et très bien armé, me tire un sourire ; c’est un toro con trapío. Lors de la deuxième rencontre, il pousse en mettant les reins tout en distribuant des coups. Le public qui veut de la distraction enjoint Sánchez Vara à banderiller ; puisse-t-il, le même public avec la même ferveur, lui demander tout à l’heure de diriger la suerte de vara dans les règles ? 'Cararoso' goûte peu le pico de la muleta et le toreo fuera de cacho du gars de Guadalajara qui loge, par chance, une estocade foudroyante. Dans leur grande mansuétude, en oubliant le déroulement du 1er tiers au moment d’agiter le poignet, d’aucuns réclament une oreille que la présidence accorde généreusement.
'Coleterón', une estampe musclée et caillée, se trouve être LE toro con trapío de la course ; ça tombe bien, les angelures me guettaient ! Mais, pas de bol, sa patte avant droite déconne. Des spectateurs impatients frappent dans leurs mains... Une fois n’est pas coutume, nous n’assisterons pas à une "première pique assassine" complète vu que le patas blancas se charge, la pique dans le dos (et avec poder ?), d’envoyer bouler Riboulet Olivier d’un croche-patte vengeur. L’insouciant picador, éleveur de taureaux de combat de son état (!), avait osé lui présenter, sans nul doute dans un moment d’égarement, le poitrail de son cheval ! Et comment allait-il s’y prendre pour exécuter la funèbre carioca ? Second tiers express, c’est ce que j’apprécie quand officie le matador non banderillero, puis 'Coleterón' semble faire non de la tête et trouver le travail laborieux. Il finit par le dire au Nîmois qui se vexe et l’occit laborieusement, fort logiquement.
'Lunarito', cárdeno lucero, est particulièrement enmorrillado. Rafaelillo l’accueille par des véroniques sympas. Ça chahute et ça tangue, le picador profitant exagérément des "qualités" de la cavalerie. Par deux fois, le petit blond frisé m’agaça en sortant du mauvais côté du cheval en conclusion de ses mises en suerte. La troisième pique n’est pas dégueux, parce que dosée (?), tandis que la lidia, elle, atteint des sommets de médiocrité. Après un brindis déplacé au public, Rafaelillo, vulgaire face à ce toro qui ne l’est pas, aurait dû finir sa soirée à l’hôpital d’Auch : c’était, heureusement, sans compter sur la vigilance du callejón et des gradins. Fin pénible avec avis et un toro (de plus) gâché.
'Rosito' ne porte pas de bas blancs mais une queue courte, lui aussi, bouclant ainsi la boucle. Sánchez Vara, gonflé à bloc, le reçoit par une larga à genoux le long des planches. Lors de deux rencontres — la première du centre (?) — sous les lazzis, 'Rosito' s’élance sans se faire prier vers le picador, dont je ne sais s’il se fait réellement ballotter ou s’il soutient vaillament la charge de l’animal faiblard qu’on a vu trébucher auparavant. Après que Sánchez Vara s’est fait prier, lui, pour banderiller — la capacité d’amnésie du public me sidèrera toujours —, le voilà qui choisit de poser une de ses paires précisément du côté où les péons sont aux abonnés absents ! Il fut long et énergique bâtons en mains ; il est expéditif et las avec le drap où il distille un copier-coller abrégé de son toreo de verdad... Il plie bagages après 2h17 de course.

Occupé à partager mon désarroi, je ne pris même pas la peine de huer les 12 piétons (et les 6 fins cavaliers mais, pour eux, j’avais déjà donné !) qui, pourtant, le méritaient plus que largement.

Image Bonjour tristesse (photo de ?), immeuble d’habitation berlinois (1984) de l’architecte portugais Álvaro Siza (Prix Pritzker 1992), affublé peu de temps avant sa livraison d’un tag Bonjour tristesse réalisé "à l’arrache" mais avec un style certain par un plaisantin, poète sur les bords, qui, plus de vingt ans après, pourrait bien voir son œuvre se prolonger sur les façades des arènes de France et d’ailleurs... Qui aime bien châtie bien !