08 mars 2007

Avec les autres


Une finca, deux hommes, une vache... une fiction de campo.

Ce matin-là Luis est revenu au cortijo plus tard encore que d’habitude. Il a gardé sa casquette, ses bottes et, au lieu du traditionnel café au lait, s’est servi un verre de fino. J’ai pensé que quelque chose s’était passé et j’ai demandé avec un peu d’inquiétude : « Comment ça va Luis ? Comment vont les veaux. Avec toute cette pluie, ce froid... Les veaux ça va, c’est la 'Clavellina'... »
Entre deux gorgées Luis répétait inlassablement le nom de cette vache merveilleuse, sa vache, qui lui a donné tant de fils inoubliables : 'Capitán', 'Sacristán', 'Poleo'. 'Clavellina' avait dix-neuf ans mais Luis n’avait jamais pensé qu’elle puisse mourir. Il a fermé les yeux et j’ai vu l’eau perler sous ses paupières : « Elle est morte cette nuit. » Il n’y avait rien à dire.
Je lui ai servi un autre verre. D’une main tremblante, il l’a porté à ses lèvres, lentement, sans relever la tête, a ravalé un sanglot et a dit : « Ça devait arriver, avec ce temps... »
Luis m’a regardé, comme de glace et, tout bas, dans un souffle, a lâché : « Peut-être aurions-nous dû la rentrer, la ramener au mas. » J’ai secoué la tête, esquissé un sourire : « Tu sais bien que non, que c’est là-bas qu’elle devait finir, avec les autres. »
Luis a porté le verre à ses lèvres et l’a bu d’un trait. Il a grimacé et une larme a roulé sur sa joue : « Je sais, mais elle souffrait tellement. Tu sais, cette nuit, avant de partir, elle a mis bas… une dernière fois ; c’est un mâle. » Il a relevé les yeux vers moi, j’ai vu la lueur dans son regard, perdu dans l’infini : « Nous l’appellerons 'Clavellino' ».

Photographie Une vache de Cuadri.