26 septembre 2008

Barcelone : José par Albert


Fantastique, inoubliable, historique, la tarde de Barcelone ? Oui ! N'ayons pas peur des mots. Et passés trois jours, rassérénés et redescendus de notre petit nuage, on ne peut que confirmer. Oui. On n'oubliera jamais cette tarde, comme celle du 5 juin à Madrid, comme celle du 17 juin de l'an dernier, comme les deux autres rabos de Barcelone, celui qu'il avait coupé, et celui qu'il aurait dû couper.
D'abord des toros très présentables. Núñez del Cuvillo est arrivé à ce miraculeux équilibre de toros avec du trapío, de la bravoure et de la noblesse qui avait fait de Baltasar Ibán les toros les plus demandés dans les années 70. C'est aujourd'hui la meilleure garantie de spectacle, d'émotion, parce qu'ils sont beaux, qu'ils ont de la mobilité, de la bravoure, de la force, et le cinquième fut le toro rêvé, et l'indulto, justifié malgré les opinions de quelques grincheux : deux piques, dont une où le picador s'y reprit à trois fois, le toro arc-bouté sur les pattes arrières, poussant et poussant, une charge longue, venant de loin et continuant loin après, infatigable après une longue faena, et une droite en or.
Et bien sûr un torero qui sut la canaliser. A gauche, avec quelques accrochages, ce fut moins bon. Mais ces trois séries de derechazos resteront à jamais dans nos rétines. S'il y a une perfection en tauromachie, c'est ce qui y a le plus ressemblé. Le toro cité de loin, venant au galop, la muleta bien plane et loin devant, et les canons du toreo en action : d'abord empapar, d'un mouvement du poignet qui happe le toro dans la muleta, puis cargar, la jambe légèrement avancée et le bras déviant la charge, et templar, lentement, avec l'accord exact, sans un seul enganchón dans les trois séries, et mandar, en envoyant le toro loin derrière et en bas, et courir la main d'un dernier geste du poignet avant de donner un pas pour ligar sans solution de continuité. Les olés de 20.000 personnes sortaient des entrailles, assourdissaient, la communion était totale, un de ces moments magiques qui arrivent rarement.
Il n'y eu pas que ces derechazos. Il revint trois fois aux naturelles, pour essayer de s'imposer aussi sur ce côté - et effectivement, la dernière série fut plus coulée, et surtout beaucoup d'autres choses, surgies de l'inspiration dans un tel moment : trincherazos, firmas, toreo à deux mains, filigranes artistiques avec même ce molinete inversé de Morante, pour finir en amenant le toro indulté lui-même jusqu'au toril par un bouquet de passes en marchant avec le toro comme l'aurait fait Domingo Ortega. Bien sûr, les oreilles et la queue symboliques.
Il avait été solide et en José Tomás habituel avec son premier, qui protestait davantage, une oreille.
Quand aux deux autres, peu à dire. Esplá comme, d'habitude, en vieux singe (savant et souriant) à qui on n'apprend plus à faire des grimaces ; Serafín Marín volontaire, bien même à la cape, et au sixième, après José Tomás, que vouliez-vous qu'il fît ? Un noble désespoir alors le secourut, et il lui coupa l'oreille.
La sortie, mémorable, les visages heureux, les grincheux, satisfaits, tel vieil aficionado avouant qu'il avait plus applaudi aujourd'hui que dans toute sa vie, et tous ces jeunes à leur première corrida jurant qu'ils reviendront : la plus grande victoire était gagnée.
Albert Taurel