26 septembre 2008

Lettre à Siné


La copie d'un courrier adressé au dessinateur Siné vient de nous être transmise par un architecte nîmois bien connu. C'est tout simplement succulent et, évidemment, je ne résiste pas au plaisir de vous la faire partager sans attendre...

Monsieur Siné,
Je vous écris pour vous dire que j’ai fait une connerie, une belle connerie en signant cet été la pétition, suite à votre éviction de Charlie Hebdo.
Les raisons spécieuses invoquées par le sinistre Val et ses affidés, les gesticulations grotesques des bien-pensants germanopratins, les répugnantes coulées de glu consensuelle, tout cela, et j’en passe, me faisait dire : la canicule n’est pas propice à former des pensées claires, mais tu as bien fait de parapher en faveur du vieil agité et contre les Grandes Têtes Molles !
Mais voilà ! Je découvre aujourd’hui que vos mobiles et vos méthodes n’ont rien à envier à ceux de vos détracteurs. Pour ne rien vous cacher, j’en suis même à me demander si, tout bien pesé, vous n’êtes pas aussi con que les cons magistraux contre lesquels vous ferraillez.
Quand j’ai lu votre bafouille au boss de Libé, aussi baveuse et grasse qu’une omelette au lard, sur le thème : il faut virer fissa Jacques Durand et nettoyer vos colonnes de ses chroniques taurines morbides, c’est un art et une manière pour le moins singuliers qui m’ont soudain sauté aux yeux.
Je vous reconnais d’autant plus volontiers le droit de manifester votre hostilité à l’égard de la corrida que je ne suis pas moi-même aficionado. Le problème est qu’en vous en prenant à Durand, vous vous êtes attaqué à un journaliste dont la mesure et le sérieux, la sûreté de jugement et l’indépendance d’esprit ne sont pas contestables.
J’observe que vous manquez de discernement mais encore, et surtout, de courage. Pourquoi n’avez-vous pas écrit à Durand tout le mal que vous pensez de sa prose ? (Ceci dit en passant, comparer la vôtre à la sienne relèverait de la pure cruauté.) Du coup, je me perds en conjecture : Monsieur Siné, auriez-vous donc pour règle de ne vous adresser qu’aux plus grands ? Ou bien souffririez-vous d’un irrépressible penchant pour la délation ? (Probablement les deux, mon capitaine !)
Ce n’est pas tout. Il se trouve que je vous découvre aussi, comme on dit, bas de plafond. Vous avez manifestement l’esprit aussi borné qu’un croisé, je veux dire qu’un de ces abrutis, et ils sont légion, qui confondent corrida et combat de coqs. Dans son papier paru dans le premier Siné Hebdo, le camarade Onfray a raison de tirer la sonnette d’alarme à propos des « crétins utiles ». J’ai le regret de vous dire que je dois désormais vous compter au nombre de ceux-là : car mettre son pouvoir au service des intégristes anti-corrida n’est pas plus honorable que de le mettre au service du libéralisme.
Vous êtes, dites-vous, libertaire, inconditionnellement libertaire. La belle affaire ! Je tiens que libertaire n’est pas un qualificatif ni une appartenance dont vous puissiez vous prévaloir. Remplacez donc, je vous prie, libertaire par imposteur, alors les mots auront retrouvé leur sens et les choses leur place.
En exergue de votre hebdo, vous avez reproduit la belle formule de Jarry : « L’indiscipline aveugle et de tous les instants fait la force principale des hommes libres. » Cette pensée, Monsieur Siné, elle vous va comme un tablier à une vache. Ecrivez plutôt : « L’aveuglement de tous les instants fait les grands cons et les conserve.»
Et si d’aventure vous daignez venir visiter nos lointaines provinces barbaresques, puisque vous avez en horreur les toros autant que les pédés, pour votre distraction, on vous indiquera volontiers où ont lieu les concours de mangeurs de melons et de cracheurs de noyaux d’olives.
Je ne vous serre pas la main.
Serge Velay (Nîmes)

PS : mon chèque d’abonnement à SH qui était déjà prêt, nous le boirons à la santé des hommes libres.