25 septembre 2008

Panneau !


C’est un peu comme un signal, l’annonce du début de l’histoire. Lorsque l’homme de piste s’avance vers les lignes blanches, avec son lourd panneau annonçant le nom du torero, l’âge, le poids du toro et le nom de l’élevage, il se trouve toujours chez les photographes, consciencieusement agglutinés dans leur burladero de la contre-piste, une âme plus confraternelle que les autres, ou moins distraite, pour lancer à la cantonade un tonitruant : « Panneau ! »

« Panneau ! » Et immédiatement, une nuée d’objectifs plus ou moins lumineux se tournent, comme un seul homme, vers ce panneau qui n’a rien demandé à personne, et sans aucun avertissement ni sommation, le mitraillent, comme ça, à bout portant. Des dizaines d’objectifs entrent en action, ça ne fait pas un pli. En quelques millièmes de secondes l’affaire est réglée. De quoi faire baver d’envie n’importe quel people ou politique en mal de médiatisation.
N’allez pas penser que ces panneaux représentent un quelconque intérêt photographique, esthétique, ou même taurin. C’est simplement que ce genre de cliché facilite ensuite l’archivage des fichiers et leur classement.
Cette pratique n’existait pas au temps de l’argentique, où le simple fait d’appuyer sur le déclencheur engendrait un coût non négligeable pour le photographe ou son employeur. Le numérique à changé tout ça, et le mitraillage en règle de ces panneaux en est bien entendu la conséquence.
L’explication de la pratique du « cri du panneau » est simple. Entre deux toros les photographes ont souvent bien mieux à faire que guetter l’arrivée de l’arenero. Certains allument une clope, ou la piquent au voisin. D’autres annotent leur calepin, ou cherchent dans les gradins les plus belles jambes de l’après-midi, le décolleté le plus pigeonnant, ou font semblant de raconter des choses très importantes au téléphone. Certains commentent même la course, d’autres les carences de l’organisateur que de toute façon leur rédacteur en chef se gardera bien d’évoquer ensuite. Bref, mille choses.
Le fameux panneau ne fait pas alors partie de nos préoccupations premières et il échappe très souvent à la vigilances des photographes. C’est pour cela qu’il se trouve toujours un esprit confraternel pour lancer à la cantonade le fameux : « Panneau ! »
C’est ce qui m’est arrivé le samedi 13 septembre dernier à Arles pour un toro du Juli. J’étais trop occupé – je ne vous dirai pas à quoi – pour me rendre compte de l’arrivée du panneau qui a bien failli m’échapper.
Et ce n’est que grâce à un « Panneau ! » un peu tardif que j’ai pu, dans un sursaut, le saisir, in extremis, comme ça, au vol, sans viser.
Ce n’est qu’après que je me suis rendu compte de l’intérêt du cliché, de l’inclinaison des gradins, de la position du panneau dans le cadre… A la suite de cette prise hasardeuse, je me suis concentré sur les panneaux suivants, en les cadrant de la même manière. Et le jour suivant également, avec des lumières différentes.

Allez savoir pourquoi mais cette photographie hasardeuse s’est mise à résonner en moi comme le signal du début d’une série à venir. C’est très chic ça la « série » en photographie. C’est même totalement indispensable pour tout photographe en quête de crédibilité.

Je me suis alors mis à réfléchir à un possible travail sur ce seul thème du panneau taurin. Et franchement, ce n’est pas plus débile comme concept que les boîtes de conserve merdeuses de Piero Manzoni. Oups, je blasphème là…
J’imagine parfaitement une galerie de Manhattan inaugurant une série de photographies très grand format présentant uniquement des panneaux taurins. Et je ne vous dis pas les prix !
Mes chers photographes de Camposyruedos, 2009 sera l’année du panneau taurin ou ne sera pas ! Je me verrais bien, en plein Céret de Toros 2009, sauter en piste pour aller shooter Jean-Louis Fourquet, les cheveux au vent, en plein maniement de panneau. Au 17 mm, avec les gradins remplis et le Canigou en arrière-plan, ça devrait avoir une gueule terrible ça, non ? En attendant je vous soumets une autre vision du panneau taurin, celle de Michael Crouser.