Un proverbe chinois l’énoncerait ainsi :
"Si tes toilettes sont bouchées, fais ton affaire chez le voisin ou dans le jardin." Merveille poétique... Dans le langage commun, ce comportement n’est que facilité, paresse, lâcheté voire abandon. Dans le verbiage taurin de ces dernières années, cela s’appelle une "redéfinition". Terme fade derrière lequel il est possible de dissimuler ses chiottes, la poussière du salon, les piques traseras, l’afeitado, le linge sale et les cachets de José Tomás (quoique là, ça devient compliqué quand même). Aujourd’hui, il faudrait redéfinir la bravoure car le tercio de piques n’aurait plus l’importance que voudraient lui donner certains "mal intentionnés". Redéfinir la bravoure signifie, en lisant entre les lignes, proclamer l’avènement du toro de troisième tiers et exclusivement de troisième tiers (le toro de bravoure partielle). Cela pourrait éventuellement se comprendre si le toro avait tant changé qu’il ne serait plus un taureau de combat mais une simple machine animale jouant à courir (lentement) après un leurre (à ce sujet, voir les dernières déclarations de Juan Pedro Domecq dans l'hebdomadaire El Semanal). Le toro, même le plus mauvais, reste un animal de combat dangereux et ce qui fait sa nature combattante est sa bravoure. Et l’un des moments essentiels durant lequel s’apprécie et se juge cette bravoure est le tercio de piques. On aura beau le tourner dans tous les sens, c’est ainsi. Jamais personne ne pourra écrire qu’un eral combattu en non piquée fut complètement brave. Jamais. Alors de là à l’honorer d’une vuelta al ruedo voire à le gracier, il n’y a que les couillons pour oser... Certains osent...
Bref, le débat sur l’utilité et le sens des piques est à nouveau ouvert mais c’est la mauvaise porte qui a été ouverte, une fois de plus, une fois encore... A croire qu’ils le font exprès. A moins que vouloir polémiquer une fois de plus sur ce sujet ne cache tout simplement une volonté malsaine de diviser l'Afición selon un schéma une fois de plus fort manichéen ? De toute façon et malgré ce qu’on voudrait nous faire croire, il n’y a pas de débat possible sur ce sujet car le tercio de varas reste fondamental.
Actuellement couché sur le linceul de ses propres métastases, la maladie le ronge de l’intérieur. C’est là et nulle part ailleurs que se situent le débat et la réflexion nécessaires à son amélioration. Non pas dans l’idée malsaine, stupide et lâche de l’annihiler complètement sous prétexte que certains éleveurs y verraient une étape sans intérêt à sacrifier au plus vite sur l’autel d’une évolution de la tauromachie qui serait imposée par les goûts du grand public... Le conditionnel est très important ici (relire d'ailleurs le texte de Solysombra sur le sujet : En souvenir d''Artillero'). Depuis fort longtemps, le tercio de varas est extrêmement mal exécuté, par la faute des picadors, des toreros et de tout ce monde taurin (je sais, c’est vague) qui ont baissé pavillon face aux difficultés apparues pour faire respecter le minimum de règles logiques et/ou réglementaires.
Prenons un exemple vieux comme la codification de la corrida : la pique dans le morrillo.
Qui, aujourd’hui, s’inquiète encore que la pique soit correctement placée dans le morrillo du toro ? A dire vrai, absolument personne et, si autrefois le sujet fut amplement débattu, il est aujourd’hui vertement oublié. C’est un tort ! En fouillant, même en diagonale, dans ce que la littérature taurine a pondu de plus sérieux, tous les analystes s’entendent pour affirmer qu’un toro doit être piqué dans le morrillo. Il n’y a certes que Claude Popelin pour contrecarrer cette thèse dans plusieurs de ses ouvrages et en particulier dans La Tauromachie1 où il écrit que "contrairement à une opinion trop complaisemment répandue, les taureaux ne doivent jamais être piqués dans le morrillo, car cela les conduirait à se défendre de la tête, en la levant à l’approche de tout danger. C’est la terminaison du morrillo, soit à la hauteur du garrot, que le picador doit viser, sans se laisser aller pour autant à porter le fer sur les épaules ou dans les côtes" et que la pique "doit prendre appui sur le haut du garrot, non point en avant car elle pousserait le taureau à encenser, ni en arrière où elle meurtrirait inutilement les chairs".
A part lui donc, tous les autres s’accordent à penser que le morrillo est l’endroit où doivent être piqués les toros. A titre d’exemple, citons deux auteurs moins renommés peut-être que les Tío Pepe ou Fernández Salcedo, moins souvent cités, mais tout aussi compétents dans leurs analyses. Dans son ouvrage Règles et secrets de la corrida2, Georges Lestié écrit que "le picador doit viser le bas des muscles du cou (morrillo)…" Antonio Purroy, quant à lui, dans son remarquable Comportamiento del toro de lidia3, affirme que "se debe picar en la parte final del morrillo, que es una almohadilla de musculo y grasa de unos 30-40 cm de profundidad".
Pourquoi le morrillo ? La réponse est logique et doit se comprendre comme conséquence d’une autre plus générale : à quoi cela sert-il de piquer un taureau de combat ?
Dans ses ouvrages, Tío Pepe avançait au moins trois raisons justifiant l’existence des piques dans la corrida :
- Tester la bravoure de l’animal et analyser son comportement ;
- Affaiblir la force du toro par les effets conjoints du fer et de la poussée ;
- Régler son port de tête et avoir pour objectif de lui faire baisser la tête.
Or, faire baisser la tête à un toro implique que l’on s’attaque aux muscles qui dirigent les mouvements du cou. Et où croyez-vous que se situent tous ces muscles ? Sous le morrillo, of course !
Dans les années 1970 (1973, 1974, 1975) ont eu lieu en Espagne une série de conférences vétérinaires dont le sujet était le toro de lidia. De ces conférences est né un ouvrage passionnant4 dans lequel un chapitre est consacré, dans le menu détail, au tercio de varas et surtout à l’emplacement de la pique et à ses effets. L’auteur, le Docteur José María Romero Escacena, défend l’idée de la pique dans le morrillo comme une évidence physiologique : "El morrillo del toro es la region carnosa o muscular, muy voluminosa, comprendida entre la nuca y la cruz, y ocupa, en toda su longitud, el borde superior del cuello o cerviz, por lo que tambien recibe el nombre de cerviguillo" définit-il en préambule. Il ajoute quelques lignes plus loin que "al colocar la garrocha en el morrillo o cerviguillo se puede cargar la suerte, sin miedo a lesionar ningun organo ni grandes vasos sanguineos, y sin ser jinete consumado, el picador lograra sacar al toro por la cara del caballo". Dans une étude extrêmement fine de l’anatomie de cette partie du corps du toro, il démontre que les muscles qui permettent la motricité du cou de la bête se trouvent sous et de part et d’autre du morrillo. Vingt ans plus tard, un autre vétérinaire, Pierre Daulouède5, enfonce le clou et renchérit dans le sens du premier quand il évoque le thème douloureux des chutes des taureaux de combat. Sans faire appel à tous les vétérinaires taurins de la création, il suffit de constater la permanence logique de leurs réflexions pour pouvoir affirmer que la règle, à la fois anatomique pour la bête et technique pour la lidia, est de piquer le toro dans le cerviguillo et, en voulant être plus précis, dans le tiers arrière du morrillo, c’est-à-dire entre (à peu près) la 6ème vertèbre cervicale et la 2 ou 3ème vertèbre thoracique, là ou les muscles sont ceux qui activent les mouvements de la tête (voir schémas). Au-delà de la 4ème vertèbre thoracique ne seraient endommagés que les muscles thoraciques au niveau de la cruz alors même que les muscles de la mobilité du cou et de la tête ne seraient plus concernés par le châtiment. L’argument scientifique mis en avant, une nouvelle interrogation surgit alors : si la logique est de piquer dans le morrillo, pour quelles raisons si peu de picadors appliquent cette règle (à dire vrai, quasiment aucun) ?
La suite au prochain épisode...
1 La Tauromachie, Claude Popelin, Le Seuil, 1970.
2 Règles et secrets de la corrida, Georges Lestié, 1964.
3 Comportamiento del toro de lidia, Antonio Purroy, Universidad Pública de Pamplona, 2003.
4 Tres ciclos sobre el toro de lidia, Colegio oficial de Veterinarios de Sevilla, 1975.
5 Les carnets du vétérinaire ou la corrida à l’envers, Pierre Daulouède, édition Peña taurine Côte Basque.
Schémas extraits du Cossío et du magnifique ouvrage : Escuela Gráfica de Toros de Luis Alberto Calvo Sáez, édité par l'Ilustre Colegio Oficial de Veterinarios de Valladolid en 2005.
"Si tes toilettes sont bouchées, fais ton affaire chez le voisin ou dans le jardin." Merveille poétique... Dans le langage commun, ce comportement n’est que facilité, paresse, lâcheté voire abandon. Dans le verbiage taurin de ces dernières années, cela s’appelle une "redéfinition". Terme fade derrière lequel il est possible de dissimuler ses chiottes, la poussière du salon, les piques traseras, l’afeitado, le linge sale et les cachets de José Tomás (quoique là, ça devient compliqué quand même). Aujourd’hui, il faudrait redéfinir la bravoure car le tercio de piques n’aurait plus l’importance que voudraient lui donner certains "mal intentionnés". Redéfinir la bravoure signifie, en lisant entre les lignes, proclamer l’avènement du toro de troisième tiers et exclusivement de troisième tiers (le toro de bravoure partielle). Cela pourrait éventuellement se comprendre si le toro avait tant changé qu’il ne serait plus un taureau de combat mais une simple machine animale jouant à courir (lentement) après un leurre (à ce sujet, voir les dernières déclarations de Juan Pedro Domecq dans l'hebdomadaire El Semanal). Le toro, même le plus mauvais, reste un animal de combat dangereux et ce qui fait sa nature combattante est sa bravoure. Et l’un des moments essentiels durant lequel s’apprécie et se juge cette bravoure est le tercio de piques. On aura beau le tourner dans tous les sens, c’est ainsi. Jamais personne ne pourra écrire qu’un eral combattu en non piquée fut complètement brave. Jamais. Alors de là à l’honorer d’une vuelta al ruedo voire à le gracier, il n’y a que les couillons pour oser... Certains osent...
Bref, le débat sur l’utilité et le sens des piques est à nouveau ouvert mais c’est la mauvaise porte qui a été ouverte, une fois de plus, une fois encore... A croire qu’ils le font exprès. A moins que vouloir polémiquer une fois de plus sur ce sujet ne cache tout simplement une volonté malsaine de diviser l'Afición selon un schéma une fois de plus fort manichéen ? De toute façon et malgré ce qu’on voudrait nous faire croire, il n’y a pas de débat possible sur ce sujet car le tercio de varas reste fondamental.
Actuellement couché sur le linceul de ses propres métastases, la maladie le ronge de l’intérieur. C’est là et nulle part ailleurs que se situent le débat et la réflexion nécessaires à son amélioration. Non pas dans l’idée malsaine, stupide et lâche de l’annihiler complètement sous prétexte que certains éleveurs y verraient une étape sans intérêt à sacrifier au plus vite sur l’autel d’une évolution de la tauromachie qui serait imposée par les goûts du grand public... Le conditionnel est très important ici (relire d'ailleurs le texte de Solysombra sur le sujet : En souvenir d''Artillero'). Depuis fort longtemps, le tercio de varas est extrêmement mal exécuté, par la faute des picadors, des toreros et de tout ce monde taurin (je sais, c’est vague) qui ont baissé pavillon face aux difficultés apparues pour faire respecter le minimum de règles logiques et/ou réglementaires.
Prenons un exemple vieux comme la codification de la corrida : la pique dans le morrillo.
Qui, aujourd’hui, s’inquiète encore que la pique soit correctement placée dans le morrillo du toro ? A dire vrai, absolument personne et, si autrefois le sujet fut amplement débattu, il est aujourd’hui vertement oublié. C’est un tort ! En fouillant, même en diagonale, dans ce que la littérature taurine a pondu de plus sérieux, tous les analystes s’entendent pour affirmer qu’un toro doit être piqué dans le morrillo. Il n’y a certes que Claude Popelin pour contrecarrer cette thèse dans plusieurs de ses ouvrages et en particulier dans La Tauromachie1 où il écrit que "contrairement à une opinion trop complaisemment répandue, les taureaux ne doivent jamais être piqués dans le morrillo, car cela les conduirait à se défendre de la tête, en la levant à l’approche de tout danger. C’est la terminaison du morrillo, soit à la hauteur du garrot, que le picador doit viser, sans se laisser aller pour autant à porter le fer sur les épaules ou dans les côtes" et que la pique "doit prendre appui sur le haut du garrot, non point en avant car elle pousserait le taureau à encenser, ni en arrière où elle meurtrirait inutilement les chairs".
A part lui donc, tous les autres s’accordent à penser que le morrillo est l’endroit où doivent être piqués les toros. A titre d’exemple, citons deux auteurs moins renommés peut-être que les Tío Pepe ou Fernández Salcedo, moins souvent cités, mais tout aussi compétents dans leurs analyses. Dans son ouvrage Règles et secrets de la corrida2, Georges Lestié écrit que "le picador doit viser le bas des muscles du cou (morrillo)…" Antonio Purroy, quant à lui, dans son remarquable Comportamiento del toro de lidia3, affirme que "se debe picar en la parte final del morrillo, que es una almohadilla de musculo y grasa de unos 30-40 cm de profundidad".
Pourquoi le morrillo ? La réponse est logique et doit se comprendre comme conséquence d’une autre plus générale : à quoi cela sert-il de piquer un taureau de combat ?
Dans ses ouvrages, Tío Pepe avançait au moins trois raisons justifiant l’existence des piques dans la corrida :
- Tester la bravoure de l’animal et analyser son comportement ;
- Affaiblir la force du toro par les effets conjoints du fer et de la poussée ;
- Régler son port de tête et avoir pour objectif de lui faire baisser la tête.
Or, faire baisser la tête à un toro implique que l’on s’attaque aux muscles qui dirigent les mouvements du cou. Et où croyez-vous que se situent tous ces muscles ? Sous le morrillo, of course !
Dans les années 1970 (1973, 1974, 1975) ont eu lieu en Espagne une série de conférences vétérinaires dont le sujet était le toro de lidia. De ces conférences est né un ouvrage passionnant4 dans lequel un chapitre est consacré, dans le menu détail, au tercio de varas et surtout à l’emplacement de la pique et à ses effets. L’auteur, le Docteur José María Romero Escacena, défend l’idée de la pique dans le morrillo comme une évidence physiologique : "El morrillo del toro es la region carnosa o muscular, muy voluminosa, comprendida entre la nuca y la cruz, y ocupa, en toda su longitud, el borde superior del cuello o cerviz, por lo que tambien recibe el nombre de cerviguillo" définit-il en préambule. Il ajoute quelques lignes plus loin que "al colocar la garrocha en el morrillo o cerviguillo se puede cargar la suerte, sin miedo a lesionar ningun organo ni grandes vasos sanguineos, y sin ser jinete consumado, el picador lograra sacar al toro por la cara del caballo". Dans une étude extrêmement fine de l’anatomie de cette partie du corps du toro, il démontre que les muscles qui permettent la motricité du cou de la bête se trouvent sous et de part et d’autre du morrillo. Vingt ans plus tard, un autre vétérinaire, Pierre Daulouède5, enfonce le clou et renchérit dans le sens du premier quand il évoque le thème douloureux des chutes des taureaux de combat. Sans faire appel à tous les vétérinaires taurins de la création, il suffit de constater la permanence logique de leurs réflexions pour pouvoir affirmer que la règle, à la fois anatomique pour la bête et technique pour la lidia, est de piquer le toro dans le cerviguillo et, en voulant être plus précis, dans le tiers arrière du morrillo, c’est-à-dire entre (à peu près) la 6ème vertèbre cervicale et la 2 ou 3ème vertèbre thoracique, là ou les muscles sont ceux qui activent les mouvements de la tête (voir schémas). Au-delà de la 4ème vertèbre thoracique ne seraient endommagés que les muscles thoraciques au niveau de la cruz alors même que les muscles de la mobilité du cou et de la tête ne seraient plus concernés par le châtiment. L’argument scientifique mis en avant, une nouvelle interrogation surgit alors : si la logique est de piquer dans le morrillo, pour quelles raisons si peu de picadors appliquent cette règle (à dire vrai, quasiment aucun) ?
La suite au prochain épisode...
1 La Tauromachie, Claude Popelin, Le Seuil, 1970.
2 Règles et secrets de la corrida, Georges Lestié, 1964.
3 Comportamiento del toro de lidia, Antonio Purroy, Universidad Pública de Pamplona, 2003.
4 Tres ciclos sobre el toro de lidia, Colegio oficial de Veterinarios de Sevilla, 1975.
5 Les carnets du vétérinaire ou la corrida à l’envers, Pierre Daulouède, édition Peña taurine Côte Basque.
Schémas extraits du Cossío et du magnifique ouvrage : Escuela Gráfica de Toros de Luis Alberto Calvo Sáez, édité par l'Ilustre Colegio Oficial de Veterinarios de Valladolid en 2005.