Photographier une corrida en compagnie de Jaydie Putterman, c’est déjà quelque chose. Alors, passer une journée entière en sa compagnie, je vous laisser imaginer. Il y a toujours ce putaing d’accent new-yorkais et cette guasa, qui pourrait être madrilène.
La photographie fut évidemment au cœur de nos échanges, très peu les toros en fait. Sauf ce portrait de Nimeño, dont Jaydie est très satisfait, une émotion rare. Je l’avais vu sur son site mais il ne semblait pas avoir grand-chose à raconter. Il faut dire que le site de Jaydie, ce n’est pas vraiment ça. Disons que c’est un peu inversement proportionnel à la force de ses images.
Mais une fois face au tirage, Nimeño redevient immédiatement Christian, émouvant, vrai, vivant... La vérité du tirage, comme une évidence, vous plonge dans cet univers si particulier et si profond du grand noir et blanc. Le grain, le piqué, font naître l’envie irrésistible de passer ses doigts à travers le verre pour tenter de toucher cette peau, en deviner la texture. Il y a ce regard, mélancolique et désormais si lointain. Pendant que je m’attarde, me souviens, Jaydie évoque Alain, leur rencontre, la sympathie qu’il lui inspire et ce qu’il représente ; pas forcément l’idée que peut s’en faire le grand public.
Ce ne sont pourtant pas les portraits que je préfère dans le travail de Jaydie, plutôt ses photographies à lecture multiple, aux compositions complexes, souvent obtenues avec une optique de fou, un 15 mm de chez Zeiss.
Nous parcourons ensemble de nombreux tirages soigneusement montés sur leur marie-louise, classés, bichonnés. Nous avons le temps, et j’en profite pour faire raconter à Jaydie ses rencontres, avec ces personnages célèbres et souvent prestigieux qu’il a côtoyés, quelques minutes, ou plusieurs heures.
Le portrait de Juan Carlos est imposant.
- Tu vois, le concierge je lui dis « vous » car si je lui dis « tu » il ne comprendra pas, il ne l’acceptera pas… De toute façon, c’est de la connerie tout ça… Je suis Américain moi, alors le « tu » et le « vous »...
- J’ai demandé au roi s’il préférait parler anglais ou français. Il n’a pas hésité et a choisi le français… Je lui ai dit mes difficultés et avancé qu’en français il me serait difficile de le vouvoyer.
- "Aucun problème", m’a-t-il dit… et au lieu de la grosse heure prévue ce sont trois heures que nous avons passées ensemble, à discuter. Il semblait très content.
Je lui ai dit : "Mais tu vas être en retard ?"
- Ce n’est pas grave… On est bien là, non ?
Jaydie tutoie donc le roi d’Espagne. Et Mère Teresa ? Tu ne l’as pas tutoyée tout de même ?
- Avec Mère Teresa, nous parlions anglais alors le problème ne s’est pas posé. C’était une drôle de rencontre ça.
- Je suis allé à Rome pour la photographier. Et là, je tombe sur une queue interminable de putes (prononcer "pioutes"). Toutes les pioutes de Rome étaient là, venues se faire bénir par Mère Teresa. Des pioutes felliniennes tu sais, avec LE grosse poitrine, et tout ça. Une queue interminable de pioutes felliniennes pour Mère Teresa...
- Et tu as a fait la photo !?
- Non... c'était juste des femmes mal habillées...
- Putaing mais t'es trop con Jaydie !
- Oui ! Oui ! Parfois je suis très con !
Et nous avons replongé nos nez dans un très joli grenache de Chateauneuf-du-Pape, tout en évoquant d’autres souvenirs, d’autres photographies et d’autres photographes.