A la commission taurine montoise
Il y a quelques jours, je vous ai entretenu d’un toro énigmatique : 'Feudal'. La vie publique de ce toro de Zalduendo fut une intrigue palpitante, remplie de suspens et attisant la réflexion du spectateur.
Ce jour-là, une lidia selon les canons ancestraux de la tauromachie nous a permis de percer le mystère de 'Feudal'. Trois piques pour mettre 'Feudal' à l’épreuve, tel était l’exercice qui lui fut demandé. Un problème éternel, immuable. Un questionnement à poser à tous les taureaux de combat et ce depuis toujours. A ces trois questions, 'Feudal' répondit de manière différente mais cohérente, l’ensemble de l’exercice permettant aux spectateurs d’évaluer sa bravoure, de mieux le comprendre et de donner un sens à la suite du spectacle en valorisant la prestation de son torero.
Si la problématique est ancestrale, elle n’en a pas moins évolué au fil du temps. D’un unique devoir en trois actes, nous sommes passés à trois épreuves complémentaires, les unes donnant un sens aux autres. Les piques puis les banderilles et enfin la muleta. Le niveau d’accession à la bravoure s’est ainsi élevé. Enfin, c’est une façon de parler car, tout ceci remis dans le cadre de la réalité, il serait plus juste de dire « aurait dû s’élever ». Car si, jadis, l’unique épreuve du spectacle était le premier tiers, aujourd’hui l’exercice reste dans la plupart des cas symbolique. Mais l’épreuve a changé ; il s’agit désormais du troisième tiers. Les qualités faisant la réussite d’un tiers n’étant pas forcément les mêmes qui aboutissent au succès de l’autre, l’évaluation s’est compliquée pour parfois s’avérer confuse et s’achever par des erreurs de notation. Des contresens qui auraient pu être évités avec un examen en trois tiers. Des trois tiers dont la corrida est composée. Du moins en théorie, puisque en pratique ces trois épreuves sont certes réalisées mais rarement entreprises comme il se doit, les rendant dans la plupart des cas symboliques.
'Feudal' eut de la chance puisqu’il fut soumis à une évaluation correcte. Complète en tous les sens du terme. Il dut non seulement se soumettre aux trois devoirs de la lidia, mais aussi participer à des épreuves entières. La première comportant les trois questions essentielles : les trois piques, minimales pour juger des qualités nécessaires pour passer la première étape de la notation.
Malheureusement, 'Feudal' est une exception. 'Confitero', lui, n’eut pas cette même chance. Ce cárdeno de don José Escolar Gil est pourtant sorti dans la plaza vicoise, l’une des arènes où l’on aime les examens corsés. Sculptural, d’un trapío irréprochable, 'Confitero' illumina dès son entrée en piste la plazita gersoise de sa sauvagerie et de sa beauté. Essence même du toro bravo (sauvage) aux belles lignes et au bon sang. Ses premières charges énoncent une problématique ardue. Donnant des coups de tête, paraissant bronco, il est déjà une chose certaine, 'Confitero' n’est pas un tendre. Le problème dans cette histoire, c’est que l’on ne peut pas vraiment dire que 'Confitero' n’eut pas de chance, mais plutôt qu’on ne lui donna pas sa chance. Et ce par la faute de plusieurs facteurs : le manque de maîtrise des hommes en piste, l’incompétence de la présidence mais aussi et surtout les mauvaises habitudes : un toro doit prendre tout au plus deux piques, peu importe pourquoi et comment. Il en est ainsi. Malheur des paradigmes. Ces phénomènes de non pensée qui par les habitudes rejettent le raisonnement. Celui-là même qui permet à l’homme de triompher de la force brute supérieure de son adversaire. Car un toro peut prendre plus de deux piques et même il le doit. Les plus grandes dégénérescences physiques causées par les piques proviennent de la phase de poussée et non de saignée, comme l’explique le vétérinaire Renaud Maillard. Ce n’est donc pas une rencontre supplémentaire qui affaiblira fortement un toro, mais plutôt des piques aux longueurs excessives. Si bien qu’une seule rencontre peut causer d’avantage de dommage qu’un tiers complet. Un toro digne de ce nom doit pouvoir prendre trois piques. Trois piques mesurées, mais trois piques.
Il s’agit là d’un devoir réciproque. Tâche du toro, mais aussi des hommes. Les hommes en piste ayant le devoir d’honorer le toro. Malheureusement, l’honneur ne fut pas de ce jour et 'Confitero' s’échappa seul sur le cheval, donnant quelques coups de têtes avant de se fixer pour charger avec force. Placé à distance convenable pour une seconde rencontre, il poussa à nouveau, sa charge et sa puissance étant supérieures encore à la première, le cheval reculant sur plusieurs mètres. Par laxisme sans doute, les hommes laissèrent aller le cours des choses et tandis que 'Confitero' s’évertuait à renverser le groupe équestre, les toreros le regardaient comme des spectateurs. Sans personne pour défaire son attention, il resta au contact du peto pendant de longues, trop longues secondes. Et pourtant 'Confitero' ne tint pas cas de ces excès, sortant de l’assaut sans faillir et ne paraissant pas amoindri.
Honoré de combattre un adversaire de cette qualité, les hommes présents ce jour-là auraient dû rendre la pareille à 'Confitero' et lui permettre d’étaler une dernière fois toute ses qualités afin de clore définitivement les débats. Si les hommes avaient voulu rendre la pareille à 'Confitero', ils lui auraient donné une troisième rencontre et auraient écourté la seconde, trois trous dans sa chair et des poussées abrégées faisant moins de dégâts que deux poussées interminables. Cela étant, 'Confitero' ne fut nullement endommagé par les deux premières piques ; dans son cas, une troisième « vraie » rencontre était aussi nécessaire qu’évidente.
Aux banderilles, la caste de 'Confitero' le poussa à couper les trajectoires avec violence. Tendance naturelle de la caste Santa Coloma mais sûrement aidée par le manque de confiance d’une cuadrilla en déroute. L’examen fut truqué, falsifié.
Ensuite et enfin, 'Confituro' étala de belles charges sur les deux cornes, tête basse. Une bonne charge mais toujours aussi difficile et exigeante. Une charge qui accrocha à de très nombreuses reprises la muleta de son adversaire, mais celui-ci ne se réserva jamais et poursuivit le leurre avec mobilité jusqu'à son dernier souffle. A lui seul, 'Confitero' de José Escolar Gil creva les yeux des aficionados vicois sans que personne ne le mette en valeur.
En somme, 'Confitero' passa avec succès les épreuves auxquelles il fut soumis. Les résultats étaient là, nous les avions sous les yeux. Excellents bien sûr, mais…
Mais à l’excellente impression d’ensemble laissée manque l’assurance d’avoir bien vu, mais surtout les regrets des questions inédites. Car 'Confitero' ne nous avait pas tout dit. Il n’avait pas pu répondre aux questions oubliées, aux tests non prononcés, conservant peut-être inexprimé un savoir supérieur. Non par sa faute mais par celle de ses examinateurs. Nous étions contents, même fiers, d’avoir connu 'Confitero', mais insatisfaits d’ignorer quelques facettes de sa personnalité. 'Confitero' avait tant à partager. Il nous a donné beaucoup et nous pouvons nous en réjouir, mais il avait plus encore à nous offrir et à nous conter. Au moment même où il allait nous formuler le plus beau, la bravoure de la troisième pique, savoir suprême et si rare, on lui a demandé de se taire. 'Confitero' ne s’est pas vexé et a continué à étaler d’excellentes réponses à des questions banales, nous laissant un sentiment de frustration immense. 'Confitero' s’en était allé avec ses secrets.
Si la problématique est ancestrale, elle n’en a pas moins évolué au fil du temps. D’un unique devoir en trois actes, nous sommes passés à trois épreuves complémentaires, les unes donnant un sens aux autres. Les piques puis les banderilles et enfin la muleta. Le niveau d’accession à la bravoure s’est ainsi élevé. Enfin, c’est une façon de parler car, tout ceci remis dans le cadre de la réalité, il serait plus juste de dire « aurait dû s’élever ». Car si, jadis, l’unique épreuve du spectacle était le premier tiers, aujourd’hui l’exercice reste dans la plupart des cas symbolique. Mais l’épreuve a changé ; il s’agit désormais du troisième tiers. Les qualités faisant la réussite d’un tiers n’étant pas forcément les mêmes qui aboutissent au succès de l’autre, l’évaluation s’est compliquée pour parfois s’avérer confuse et s’achever par des erreurs de notation. Des contresens qui auraient pu être évités avec un examen en trois tiers. Des trois tiers dont la corrida est composée. Du moins en théorie, puisque en pratique ces trois épreuves sont certes réalisées mais rarement entreprises comme il se doit, les rendant dans la plupart des cas symboliques.
'Feudal' eut de la chance puisqu’il fut soumis à une évaluation correcte. Complète en tous les sens du terme. Il dut non seulement se soumettre aux trois devoirs de la lidia, mais aussi participer à des épreuves entières. La première comportant les trois questions essentielles : les trois piques, minimales pour juger des qualités nécessaires pour passer la première étape de la notation.
Malheureusement, 'Feudal' est une exception. 'Confitero', lui, n’eut pas cette même chance. Ce cárdeno de don José Escolar Gil est pourtant sorti dans la plaza vicoise, l’une des arènes où l’on aime les examens corsés. Sculptural, d’un trapío irréprochable, 'Confitero' illumina dès son entrée en piste la plazita gersoise de sa sauvagerie et de sa beauté. Essence même du toro bravo (sauvage) aux belles lignes et au bon sang. Ses premières charges énoncent une problématique ardue. Donnant des coups de tête, paraissant bronco, il est déjà une chose certaine, 'Confitero' n’est pas un tendre. Le problème dans cette histoire, c’est que l’on ne peut pas vraiment dire que 'Confitero' n’eut pas de chance, mais plutôt qu’on ne lui donna pas sa chance. Et ce par la faute de plusieurs facteurs : le manque de maîtrise des hommes en piste, l’incompétence de la présidence mais aussi et surtout les mauvaises habitudes : un toro doit prendre tout au plus deux piques, peu importe pourquoi et comment. Il en est ainsi. Malheur des paradigmes. Ces phénomènes de non pensée qui par les habitudes rejettent le raisonnement. Celui-là même qui permet à l’homme de triompher de la force brute supérieure de son adversaire. Car un toro peut prendre plus de deux piques et même il le doit. Les plus grandes dégénérescences physiques causées par les piques proviennent de la phase de poussée et non de saignée, comme l’explique le vétérinaire Renaud Maillard. Ce n’est donc pas une rencontre supplémentaire qui affaiblira fortement un toro, mais plutôt des piques aux longueurs excessives. Si bien qu’une seule rencontre peut causer d’avantage de dommage qu’un tiers complet. Un toro digne de ce nom doit pouvoir prendre trois piques. Trois piques mesurées, mais trois piques.
Il s’agit là d’un devoir réciproque. Tâche du toro, mais aussi des hommes. Les hommes en piste ayant le devoir d’honorer le toro. Malheureusement, l’honneur ne fut pas de ce jour et 'Confitero' s’échappa seul sur le cheval, donnant quelques coups de têtes avant de se fixer pour charger avec force. Placé à distance convenable pour une seconde rencontre, il poussa à nouveau, sa charge et sa puissance étant supérieures encore à la première, le cheval reculant sur plusieurs mètres. Par laxisme sans doute, les hommes laissèrent aller le cours des choses et tandis que 'Confitero' s’évertuait à renverser le groupe équestre, les toreros le regardaient comme des spectateurs. Sans personne pour défaire son attention, il resta au contact du peto pendant de longues, trop longues secondes. Et pourtant 'Confitero' ne tint pas cas de ces excès, sortant de l’assaut sans faillir et ne paraissant pas amoindri.
Honoré de combattre un adversaire de cette qualité, les hommes présents ce jour-là auraient dû rendre la pareille à 'Confitero' et lui permettre d’étaler une dernière fois toute ses qualités afin de clore définitivement les débats. Si les hommes avaient voulu rendre la pareille à 'Confitero', ils lui auraient donné une troisième rencontre et auraient écourté la seconde, trois trous dans sa chair et des poussées abrégées faisant moins de dégâts que deux poussées interminables. Cela étant, 'Confitero' ne fut nullement endommagé par les deux premières piques ; dans son cas, une troisième « vraie » rencontre était aussi nécessaire qu’évidente.
Aux banderilles, la caste de 'Confitero' le poussa à couper les trajectoires avec violence. Tendance naturelle de la caste Santa Coloma mais sûrement aidée par le manque de confiance d’une cuadrilla en déroute. L’examen fut truqué, falsifié.
Ensuite et enfin, 'Confituro' étala de belles charges sur les deux cornes, tête basse. Une bonne charge mais toujours aussi difficile et exigeante. Une charge qui accrocha à de très nombreuses reprises la muleta de son adversaire, mais celui-ci ne se réserva jamais et poursuivit le leurre avec mobilité jusqu'à son dernier souffle. A lui seul, 'Confitero' de José Escolar Gil creva les yeux des aficionados vicois sans que personne ne le mette en valeur.
En somme, 'Confitero' passa avec succès les épreuves auxquelles il fut soumis. Les résultats étaient là, nous les avions sous les yeux. Excellents bien sûr, mais…
Mais à l’excellente impression d’ensemble laissée manque l’assurance d’avoir bien vu, mais surtout les regrets des questions inédites. Car 'Confitero' ne nous avait pas tout dit. Il n’avait pas pu répondre aux questions oubliées, aux tests non prononcés, conservant peut-être inexprimé un savoir supérieur. Non par sa faute mais par celle de ses examinateurs. Nous étions contents, même fiers, d’avoir connu 'Confitero', mais insatisfaits d’ignorer quelques facettes de sa personnalité. 'Confitero' avait tant à partager. Il nous a donné beaucoup et nous pouvons nous en réjouir, mais il avait plus encore à nous offrir et à nous conter. Au moment même où il allait nous formuler le plus beau, la bravoure de la troisième pique, savoir suprême et si rare, on lui a demandé de se taire. 'Confitero' ne s’est pas vexé et a continué à étaler d’excellentes réponses à des questions banales, nous laissant un sentiment de frustration immense. 'Confitero' s’en était allé avec ses secrets.