Le cadre. Penser au cadre. Qu’est-ce qu’elle fait là cette voiture grise ? Là, derrière lui. Le cadre. Penser au cadre. S’approcher. Plus près. Oui, c’est ça, plus près. Deux secondes. Pas plus. Un, deux. Deux secondes, pas plus. Après, il se rendra compte, il me regardera le fixer. S’il me voit, c’est fini. Deux secondes. C’est comme ça qu’il le faut. Un, deux. Le cadre. Vaya mierda de coche cardeno ! Le cadre. Garder le cadre. Ne bouge pas. Ne me regarde pas. Je n’existe pas. Donne-moi deux secondes. C’est pas difficile. Deux secondes. Un, deux. Bleu, blanc, contraste. Le panama. Est-ce un panama d’ailleurs ? Cadrer. Faire entrer le panama. Putain de vieux panama (mais est-ce vraiment un panama) défoncé. Ça lui fout les yeux au noir. Les yeux. Je ne lui vois plus les yeux. Le cadre. Laisse-moi juste deux secondes. Un, deux. C’est comme ça qu’il le faut. Le regard ailleurs loin de moi qui n’existe pas, là, accroupi à sa droite à penser à un cadre 24x36 et à cette saloperie de carlingue métallisée derrière lui. Cadrer. Deux secondes suffisent. Un, deux. C’est vrai qu’il est petit. Cadrer. Genoux pliés. Rester droit au bas de lui. Il ne sourit pas. C’est comme ça qu’il le faut. Cadrer cet instant où il ne sourit pas. Deux secondes. Un, deux. Il n’a pas souri depuis notre arrivée. Comme s’il n’était pas lui, celui qu’on voit partout trimballer sa banane carnassière bijoutée de ratiches luisantes à la face d’une aficion agacée ou dévote. Il ne parle pas. Un son a traversé sa gorge tout à l’heure. Deux secondes. N’ouvre pas la bouche. Pas maintenant. Un, deux. Il observe son fils qui le raconte lui. Il ne parle pas. Comme s’il n’avait plus rien à dire, comme s’il n’avait plus le droit. Deux secondes. Ne réagis pas. Un, deux. C’est ça, dévore ton fils. Entends bien ses mots qui te racontent toi comme si tu n’étais plus là. Ecoute-le bien, ne bouge pas. Donne-moi deux secondes. Un, deux. Ça ne bouge pas une statue. C’est simple à cadrer une statue. Cadrer. Penser au cadre. Le panama est dedans. Est-ce un panama ce truc troué sous lequel déambule cette mouche noire qui te regarde toi en train d’écouter ton fils dire qui tu étais ? Deux secondes. Elle va partir. D’autres statues à agacer. Deux secondes. Un, deux. Elle ne part pas. Il parle encore ton fils derrière moi qui n’existe pas. Ne bouge pas. Ne souris pas. Ne grogne pas. Deux secondes. Un, deux. C’est pas difficile. Il évoque ton nom, ton œuvre et laisse comprendre ce que sera la sienne. Ne plisse pas les yeux. Laisse-leur ce dernier fil de lumière que ton panama a grâcié. Deux secondes. C’est rien deux secondes. Un, deux. Rien. Après toi, et déjà pendant toi, ça changera. Evolution. Modernisme. Toro simple. Tiers de toro. Deux secondes. Un, deux. Laisse-le faire. Deux secondes. Pas le choix. La mouche est restée. Elle aime les statues. Deux secondes. Un, deux. C’est rien deux secondes. Rien.
>>> Retrouvez la galerie de la camada 2009 de Victorino Martín sur le site, rubrique CAMPOS.
Photographie Victorino Martín Andrés © Campos y Ruedos
Photographie Victorino Martín Andrés © Campos y Ruedos